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Pour se construire, une personnalité humaine doit faire face à quatre situations paradoxales simultanées

(les 4 dimensions de la société humaine)











Dans le texte précédent on a montré comment un phénomène physique, lorsqu'il se complexifie pour s'adapter à une contrainte plus ardue, saute d'une situation paradoxale à une autre, chacune étant d'un degré de complexité plus élevé que celui de la précédente.
Pour un phénomène physique, une contrainte plus ardue ce peut être une température plus élevée, ou un gradient de vitesses plus important qu'il faut encaisser.
Pour la société humaine, c'est le développement progressif de la technologie qui permet une productivité de plus en plus accrue de notre activité, ce qui donne l'occasion de creuser des écarts de puissance, de richesse et d'espérance de vie de plus en plus importants entre les divers membres de la société.
Chaque fois qu'un cran de plus se creuse entre les humains, les anciens équilibres sont remis en cause. De nouveaux compromis doivent alors être trouvés, matérialisés par de nouvelles façons de transmettre la richesse d'une génération à l'autre ou d'une lignée à l'autre, par la mise en place d'une nouvelle légitimité et d'une nouvelle morale adaptée au nouvel équilibre, par la mise au point de nouvelles lois pour les régulariser et les accompagner, et par de subtiles modifications qui interviennent dans les religions pour mieux donner sens et signification à la vie dans ce nouvel état de la société. Si trop de déséquilibres ont été accumulés pour concilier les antagonismes par le moyen d'une évolution progressive, alors celle-ci se fait brutalement, et l'on parle de révolution sociale, de nouvelle religion, ou de nouvelle idéologie.

Ces aspects de l'évolution de la société humaine ne seront pas abordés. Tel n'est pas ici le propos, et ces remarques avaient seulement pour objet de faire saisir ce qu'il faut comprendre par évolution et complexité progressive de la société humaine, ainsi que les notions et les enjeux qui peuvent y être raccrochés.
Ici la complexité progressive de la société sera envisagée plus abstraitement, d'une façon similaire à celle utilisée précédemment pour décrire la complexité progressive des phénomènes naturels.
 
 
Des phénomènes naturels nous avons donc dit qu'ils se complexifient en sautant d'une situation paradoxale à une autre. Eh bien il en va de même pour la complexité de la société humaine, à la différence près, qui n'est pas rien, que chaque état de la société ne se contente pas de prendre en compte une situation paradoxale à la fois, mais quatre situations paradoxales simultanées qu'elle doit accorder et rendre mutuellement supportables.
Quatre paradoxes en même temps, on peut se douter que cela ne fonctionne pas de la même façon qu'un seul paradoxe à la fois. Nous avons vu qu'un tableau de 16 étapes suffisait pour décrire le cycle de l'engendrement progressif des 16 paradoxes à l'oeuvre dans les phénomènes physiques. Nous verrons qu'il faut cette fois un tableau de 47 étapes pour décrire le cycle de l'engendrement progressif de la combinaison de quatre paradoxes différents. Et encore, pour être saisie dans toutes ses dimensions, chacune de ces étapes doit-elle être perçue de quatre points de vue différents, deux nous étant donnés par le moyen des arts plastiques, et deux autres par le moyen de la musique.

Mais avant de décrire les deux tableaux résumant ces 47 étapes, il nous faut comprendre pourquoi la société humaine doit toujours confronter en permanence quatre situations paradoxales. Bien entendu, ces quatre paradoxes tiennent à la nature même de notre condition, aux quatre types de relations que chacun de nous doit nécessairement établir avec les autres humains, afin que notre société existe, perdure, se développe, et se prolonge dans l'avenir.
Ces quatre différents types de relation seront décrits l'un après l'autre, et pour rester dans une conception abstraite de ces relations, chacune sera plutôt décrite comme étant une dimension, comme étant l'une des quatre dimensions de notre existence dans notre société.
 

La dimension 0 : La dimension de filiation

À l'évidence chacun de nous s'inscrit d'abord dans la lignée biologique des humains : on est fils ou fille, souvent on est aussi père ou mère.
Cette dimension est celle-là même qui génère notre existence, qui nous fait naître. Mais c'est aussi celle qui nous fait disparaître : toute vie se termine par la mort biologique, les nouvelles générations remplacent les plus anciennes qui les ont fait naître, et à tous les niveaux de la société progressivement les plus vieux doivent céder la place aux plus jeunes.
La filiation des générations est donc à la fois le phénomène qui nous introduit dans la société humaine, et celui qui nous en exclut. C'est un premier paradoxe incontournable dans lequel nous sommes pris, dans lequel nous devons nous débattre. Vers l'amont cela donne souvent lieu à la recherche de "racines" dans les générations passées ou dans une tradition particulière, et vers l'aval à la recherche d'une survie à travers notre descendance ou dans la mémoire des générations futures.

On peut remarquer que ce premier paradoxe qui conditionne notre être social, correspond à un phénomène de dispersion des humains : les générations n'en finissent pas de s'allonger les unes derrière les autres, éloignant de plus en plus les nouvelles générations des premières générations humaines, et reculant sans fin vers le futur l'existence des humains à venir. Cela correspond à une dispersion de plus en plus grande dans le temps sur une même lignée, mais aussi à une dispersion des lignées qui tendent à s'écarter les unes des autres au fur et à mesure que les ancêtres communs à plusieurs filières s'éloignent dans le passé.

On peut aussi remarquer que ce paradoxe possède un correspondant jusqu'au fondement biologique de notre corps : au départ, chacun de nous est formé d'une cellule unique qui se divise et multiplie progressivement sa descendance. Même dans notre corps adulte, perdure ce processus de filiation de cellules qui se divisent en renouvellant constamment la plupart de nos organes et de nos tissus.
 

La dimension 1 : la dimension d'altruisme

Nous vivons en groupe, et plus augmente la diversification des activités et la division du travail, moins chacun de nous est capable de vivre isolément et même de se penser isolément.
Bien que chacun de nous se ressente comme un individu unique, parfaitement indépendant des autres, pour cette raison chacun de nous se ressent complètement et absolument dépendant des autres. Dépendant de la société pour sa survie, mais aussi pour donner une raison et un sens à ce qu'il fait lui-même.
Cet antagonisme entre notre existence comme individu parfaitement séparé, et notre existence simultanée comme membre inséparable de la société humaine, fournit la seconde cause d'instabilité paradoxale de notre existence, la seconde raison pour laquelle nous ne pouvons jamais trancher de façon absolue et définitive la question de savoir "ce que nous sommes tout au fond de nous-même", et pour laquelle nous devons constamment "faire avec" deux réalités contradictoires, deux aspects de nous-mêmes fondamentalement inconciliables.

À la différence du paradoxe de filiation qui disperse les humains dans des lignées de plus en plus longues et de plus en plus écartées l'une de l'autre, on peut remarquer que ce paradoxe là nous amène au contraire à considérer que tous les humains de toutes les filiations sont membres d'une même collectivité humaine. Le paradoxe précédent poussait à la dispersion des humains, à l'inverse celui-ci pousse au regroupement. Pour cette raison, on peut dire que ce second paradoxe est à la source du sentiment d'altruisme qui explique une partie de nos tendances et de notre comportement.

Comme le premier, ce second paradoxe a également un répondant dans le fonctionnement biologique fondamental de notre organisme : non seulement notre corps est fait de millions de cellules qui germent l'une de l'autre en filiation ininterrompue, mais aussi ces cellules sont capables de faire ensemble un organisme cohérent qui "tient", qui ne se défait pas. Ce sont des cellules qui sont capables de vivre ensemble, et contrairement à l'intuition immédiate cela ne va pas de soi : elles pourraient se repousser mutuellement ou se détruire mutuellement, si un mécanisme biologique ne permettait au contraire leur cohésion d'ensemble.
 

La dimension 2 : la dimension d'égoïsme

Il est aisé de constater que l'amour absolument égal et absolument général pour le genre humain est une donnée assez rare, et que la dimension d'altruisme que nous venons d'envisager se rabat plus volontiers sur une filiation unique (race, famille, ancêtres, etc.) ou sur un groupe d'intérêt exclusif (corporation, pays, etc.).
L'humanité s'est en effet naturellement divisée en unités fonctionnelles indépendantes, et ces divisions fonctionnelles dues à la division du travail ou au pur éloignement physique, génèrent nécessairement des intérêts contradictoires entre les humains. Si par exemple une collectivité humaine se trouve sur un territoire particulièrement fertile ou particulièrement riche en ressources naturelles, son intérêt la poussera à s'opposer au partage de ce territoire avec d'autres collectivités, et encore plus à l'idée de le céder.
Cette organisation de l'humanité en sous-groupes est la source du troisième paradoxe qui fonde notre existence, car la préférence que nous sommes obligés d'avoir pour certains humains se heurte constamment à la dimension d'altruisme ancrée en nous, et à l'absence de justification fondamentale pour cette préférence, à l'arbitraire de cette préférence qui fait, par exemple, que le simple fait physique d'être né sur un territoire plutôt que sur un autre peut nous entraîner à considérer comme un ennemi absolu quelqu'un que nous aurions pu tout aussi bien considérer comme "des nôtres" et sincèrement ami, si seulement il était né quelques kilomètres moins loin de chez nous, ou un peu plus à l'Est ou un peu plus à l'Ouest.
L'effet paradoxal de cette situation tient donc au fait que nous sommes simultanément obligés "au fond de nous" d'admettre que l'ennemi ou le concurrent est tout comme nous un être humain qui pourrait tout aussi bien être à notre place et jouir des avantages qui s'attachent à cette place, et obligés pour ne pas être balayés de lui refuser cette place et ces avantages en usant d'une justification qui ne peut être qu'arbitraire. Le plus souvent l'affaire est réglée de façon expéditive, en décrétant tout à trac qu'une partie des humains ne sont tout simplement pas véritablement humains. Des civilisations entières se sont créées et maintenues pendant des millénaires sur ce principe, déclarant par exemple que certains humains n'étaient pas humains et méritaient par naissance le statut d'esclave ou de serfs. Ou bien se sont les femmes que l'on déclare par nature inférieures aux seuls véritables humains par essence que sont les hommes, et la langue française garde encore trace de ces millénaires de civilisation occidentale où les notions d'homme (mâle) et d'être humain étaient intrinsèquement synonymes. De la Révolution française jusqu'au milieu du 20ème siècle on parle en effet de suffrage "universel" pour désigner le suffrage des seuls hommes de sexe masculin, et aujourd'hui encore on fait usuellement référence aux "droits de l'homme" pour désigner des droits des hommes et des femmes, même ceux qui sont pourtant spécifiques à la condition féminine.

Le premier paradoxe que nous avons envisagé, celui de la filiation, tendait à disperser les humains, et le second tendait à les regrouper dans l'entière communauté humaine. Ce troisième, qui est celui de l'égoïsme des groupes particuliers, est une sorte de redoublement du second paradoxe : c'est en effet l'altruisme plus fort que nous portons pour un groupe humain particulier qui nous amène à le privilégier au détriment des autres.
Remarquons que cette organisation de l'humanité en sous-groupes aux intérêts antagonistes, ne pourrait pas exister sans l'existence préalable des deux premières situations paradoxales : l'humanité doit d'abord exister en tant que filiation pour se répandre, et il doit d'abord exister un sentiment d'appartenance à une espèce humaine commune, pour que dans cette espèce nous puissions nous organiser en groupes distincts et avoir des préférences pour certains de ces groupes.

Comme les deux premiers, ce troisième paradoxe a lui aussi un répondant dans l'organisation biologique de notre corps qui se divise précisément en "organes", chacun étant spécialisé dans une ou dans plusieurs fonctions. Notre corps n'est pas seulement en effet un gros paquet de cellules capables de se supporter et de vivre ensemble, c'est aussi un paquet sub-divisé en paquets de cellules qui se sont spécialisées au cours du développement de l'organisme, et qui forment des regroupements d'organes bien différenciés les uns des autres.
À la tête - c'est le cas de le dire - de tous ces organes, le cerveau organise leur régulation d'ensemble, et il couronne l'autonomie de mouvement et de décision qui caractérise ce regroupement de cellules que, selon les cas, on appelle un animal ou on appelle un humain. Car remarquez le : tout ce que l'on a dit jusqu'ici, vaut tout aussi bien pour une société animale que pour une société humaine.
 

La dimension 3 : la dimension de la Loi

Nous devons nécessairement faire avec les trois paradoxes de notre existence envisagés précédemment. Or, ces paradoxes ne sont pas seulement chacun la source de conflits qui leur sont propres, mais leur cohabitation elle-même en nous est source de contradictions : comment faire preuve en effet d'altruisme avec tous les humains alors que beaucoup sont déjà mort et que davantage encore ne sont même pas nés ? Comment renoncer à l'utilisation des ressources fossiles de la planète pour les laisser aux générations futures, quand cette utilisation sans retenue rend tellement service au développement égoïste de notre société contemporaine ? Comment concilier l'altruisme que nous sommes tentés d'avoir envers les humains défavorisés par leur condition de naissance, et l'intérêt égoïste que nous pouvons avoir d'en faire des subordonnés, voir des esclaves comme l'étaient déjà leurs parents ?

Mais l'être humain est ainsi fait qu'il a besoin de cohérence, d'unifier sa pensée, et tant que faire se peut de mettre en relation son comportement et sa pensée.
Ce besoin donc le pousse à trouver un système de pensées et de valeurs qui tentera de concilier les tendances divergentes qui fondent son existence, ou qui pour le moins donnera une justification aux compromis qu'il devra inévitablement trancher entre elles. Selon les cas il appellera le code de compromis qu'il adopte "la Loi naturelle" qui lui a été transmise par les anciens, "la Loi divine" qui lui a été enseignée par un prophète, ou "le Droit" de la société défini par une assemblée plus ou moins représentative de l'ensemble de ses membres.
À telle ou telle époque, ce compromis lui permettra par exemple de déclarer que malgré les apparences les esclaves ne sont pas véritablement des êtres humains, ou que tel peuple qui habite sur une mine d'or ou sur une source de pétrole a des "droits ancestraux" moins légitimes que les siens à posséder ce territoire, à moins que ce peuple n'ait des caractères physiques que l'on décrétera comme ceux d'une race inférieure, ce qui autorisera à le massacrer ou à l'expulser de ce territoire. Dans telle ou telle autre époque au contraire, on légiférera sur le Droit fondamental égal de tous les humains malgré l'inégalité des conditions économiques dans lesquels ils naissent.
Il ne s'agit pas ici de faire de la morale ou de prôner une morale particulière, mais seulement de constater qu'il faut bien que les humains décident entre eux d'une morale ou d'une loi pour arbitrer entre les aspects inconciliables de leur existence, et de constater que si les groupes animaux doivent affronter comme les groupes humains les trois premiers paradoxes que nous avons décrits, seuls les humains décrètent des normes morales et des lois, et eux seuls se réfèrent à des religions pour arbitrer ces aspects. Les animaux se contentent de suivre la loi du plus fort qui mange le plus faible, sans que cela leur laisse apparemment de remords.

La référence à une loi, une religion ou une morale commune, n'est pas non plus exempte d'effet paradoxal. Parce que sa fonction est de proposer des compromis entre les implications des trois paradoxes précédents, par nature elle n'est qu'un compromis, et un compromis peut toujours être discuté de quantités de manières, ce qui contredit son ambition d'être un référent objectif et absolu.
Il est indispensable de se référer à une loi, une religion ou une morale commune qui dicte à chacun la conduite à tenir concernant tous les aspects de l'existence humaine, mais il est impossible de trouver une loi, une religion ou une morale qui puisse former un système parfaitement logique et complètement démontrable dans toutes ses implications, de telle sorte que chacun pourrait s'y référer et que personne n'aurait à y redire.
Par exemple, chaque religion a nécessairement ses "mystères" ou ses "vérités révélées" indémontrables, et chacune représente nécessairement un coup de force par rapport aux religions qui l'ont précédé ou par rapport aux autres religions contemporaines qui annoncent des vérités contradictoires à la sienne.
Et il va sans dire que, si l'on avait trouvé la loi parfaite ou la morale parfaite mettant toute l'humanité d'accord, cela se saurait.

On a vu que le paradoxe de la filiation disperse les humains dans le temps et dans l'espace, que celui de l'altruisme les regroupe dans la vaste communauté humaine, et que celui de l'égoïsme organise à l'intérieur de cette vaste communauté des sous-groupes aux intérêts plus ou moins contradictoires entre eux.
Ce paradoxe de la loi, a lui pour particularité de permettre la durée dans le temps de la société humaine, de permettre qu'un compromis soit trouvé entre les conséquences de ces trois premiers paradoxes afin que les humains ne se déchirent pas trop entre eux, qu'ils se supportent au mieux, et surtout, lorsqu'ils s'affrontent pour faire valoir des intérêts contradictoires, qu'ils évitent de se livrer à une guerre à outrance qui serait finalement suicidaire pour tous.
Cette nécessité d'une loi, d'une religion ou d'une morale commune clairement énoncée et affichée, nécessité dont le règne animal est dispensé, résulte du fait que, contrairement aux animaux, les humains eux peuvent s'entre-tuer à l'excès.
Les animaux d'une même espèce doivent toujours s'affronter directement corps à corps : cornes contre cornes, pattes contre pattes, griffes contre griffes, bec contre bec. Un animal ne peut ainsi tuer au mieux qu'un seul de ses semblables à la fois, et chaque fois qu'il s'y risque, le risque pour lui-même et pour sa vie est considérable. Pour cette raison, les animaux limitent tant qu'ils le peuvent les combats entre semblables dont l'issue peut être mortelle, et le plus souvent ils les ritualisent dans des simulacres de combat plutôt que de mettre leur vie en jeu à la moindre escarmouche.
Les humains eux savent se tenir stablement debout sur leur deux jambes. C'est ce qui fait qu'ils sont humains précisément, car c'est ce qui les a différencié initialement des espèces animales dont ils sont issus. Bien debout sur leurs deux jambes, ils ont donc leurs deux mains libres pour lancer sur leurs semblables les armes qui tuent à distance : pierres, lances, flèches, balles, etc. Tuer à distance d'autres humains, c'est par définition les tuer de loin, c'est donc tuer partiellement à l'abri d'une riposte possible, et c'est donc tuer sans trop de risque pour soi-même. Un risque bien moindre en tous cas que celui que prend un animal lorsqu'il tente de tuer au corps à corps l'un de ses semblables, et le risque est encore considérablement diminué si l'on s'y prend à plusieurs.
La possibilité de tuer à distance donne donc à un groupe d'humains la possibilité d'exterminer sans grand risque d'autres humains, et l'avantage que cela procure est tellement évident que les humains vont bien entendu user de cette faculté. Il en découle nécessairement un péril vital pour l'espèce humaine entière, puisqu'elle risque à tout moment de s'exterminer elle-même si elle laisse ses conflits d'intérêts se réguler seulement par la force des armes. La régulation naturelle que les espèces animales trouvent grâce à l'équilibre de la terreur que les combats au corps à corps leur imposent, l'espèce humaine doit la remplacer par une régulation artificielle qu'elle s'impose à elle-même : c'est la loi, la religion ou la morale, qui arbitre entre les diverses tendances contradictoires des humains, et qui dit notamment dans quelles limites et pour quelles raisons l'on peut ou l'on doit tuer à bon droit l'un de ses semblables.

Les trois paradoxes précédents avaient un répondant biologique dans le fonctionnement même de notre corps physique.
Initialement il n'en allait pas de même pour ce quatrième paradoxe, et tout comme les humains ont dû se forger eux-même les règles morales permettant de réguler leurs contradictions, ils ont eux-même forcé leur corps à accomplir de nouvelles prouesses : ils l'ont métamorphosé au fil des générations pour le rendre capable de produire des sons de plus en plus complexes dont ils ont fait le langage, et ils ont complexifié progressivement leur cerveau et son intelligence, en exigeant constamment de lui qu'il tente de résoudre des conflits d'intérêt complexes et insolubles que les animaux eux sont dispensés de comprendre pour survivre.
 


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