accueil |
avant :
les 4 dimensions de la société humaine |
suite
:
le tableau général de l'évolution des arts plastiques |
(pourquoi de l'art plutôt que rien)
Dans le texte précédent on a montré comment la
société humaine se construit par la combinaison de quatre
types de relations, chacune paradoxale, que l'on a appelées les
quatre dimensions de la société humaine.
Il résulte de cela que, pour saisir son existence de façon
globale, chaque être humain doit simultanément intégrer
et mettre en relation ce qu'il en est de lui dans quatre situations paradoxales
:
-1- sa position précaire
sur le fil des générations, et l'irrépressible désir
qu'il a d'y rester accroché malgré sa mort physique qu'il sait pourtant
certaine et qui l'en éjectera ;
-2- sa sensation d'être
une personne une et complètement indépendante, en conflit
avec sa dépendance absolue à la société des
autres humains sans lesquels il ne peut pas survivre ni même se penser
;
-3- son implication inévitable
dans des conflits d'intérêts, qui vont parfois jusqu'à
la guerre avec d'autres groupes humains qui sont pourtant, quelque chose
en lui le dit même s'il se le cache à lui-même, fondamentalement
ses semblables, les siens ;
-4- le recours indispensable
à une loi commune pour réguler les relations entre les humains,
et l'impossibilité qu'il y a de s'accorder sur ce que doit être cette loi commune.
On a dit que, pour mieux comprendre et maîtriser leur situation
simultanée et conflictuelle dans ces quatre situations paradoxales,
les humains avaient dû inventer le langage, ne serait-ce que pour
mieux objectiver la loi commune à respecter et pour mieux s'accorder
à son propos.
On ne peut savoir exactement à quelle époque cette invention
eut lieu, mais très probablement cela fut long et seulement très
progressif.
Tout comme les animaux accompagnent leurs cris de mimiques et de gesticulations
pour mieux se faire comprendre de leurs congénères, les humains
ont certainement accompagné l'invention du langage de mimiques et
de gesticulations, puis progressivement de danses, cérémonials,
mises en scène et rituels de plus en plus élaborés.
En mettant ainsi collectivement en acte leur pensée, en la "concrétisant"
si l'on peut dire, ils lui ont donné plus de force, plus de permanence.
Surtout, en les matérialisant, ils ont pu s'accorder sur des relations
trop complexes ou trop contradictoires pour être bien dites et bien
comprises avec seulement l'aide des mots et du langage.
De ces mises en scène, de ces mises en acte de la conception
du monde et de la vie qu'ils s'étaient élaboré, les
inhumations étaient probablement les plus significatives, car elles
permettaient de concrétiser de façon tangible, collectivement
ressentie, le point de vue du groupe sur la mort. Or, la place donnée
à un individu après sa mort, et le type de relation que le
groupe continue ou ne continue pas d'entretenir avec lui, en dit long sur
la place accordée à cet individu pendant sa vie et sur la
relation que l'on doit alors entretenir avec lui : le respecter ou le négliger,
le servir ou s'en servir.
Les plus anciennes sépultures humaines semblent remonter à
70 000 ans environ.
Les premiers outils remontent eux à 2 500 000 ans environ, et
les plus vieux foyers à environ 500 000 ans.
On voit que la mise en scène collective de la conception de
la vie et de la mort que représente l'inhumation, semble une invention
relativement tardive de l'humanité. Mais peut-être fut-elle
plus ancienne qu'elle ne nous semble, car des rites sans enterrement peuvent
avoir préexisté : on peut brûler les corps, on peut
les jeter à la mer ou à la rivière dans le cadre de
cérémonies mortuaires, sans que cela ne laisse aucune tombe
à découvrir après des millénaires.
L'art semble dater de 40 000 ans environ.
Peut-être retrouvera-t'on des oeuvres plus anciennes, mais en
attendant on ne peut être certain d'une invention plus ancienne que
cette période.
Quoi qu'il en soit, en regard de la durée de 2 500 000 ans qui
nous sépare de l'invention des premiers outils, l'invention de l'art
peut très certainement être considérée comme
une invention tardive de l'humanité.
Comme il en fut pour le langage, l'humanité inventa l'art parce qu'elle en avait besoin
Comme il en fut pour le langage,
l'humanité inventa l'art parce qu'elle en avait besoin.
L'idée est que ce besoin ne fut pas alors véritablement
nouveau par rapport à celui qui força l'invention du langage,
mais que ce besoin devint seulement plus difficile à satisfaire
à un moment donné de l'existence de la société
humaine.
Si ce besoin était de comprendre la combinaison des quatre situations
paradoxales simultanées qui fondent la réalité de
chaque humain, on peut facilement comprendre que cette combinaison ait
pu, à un moment donné de l'évolution de l'humanité,
atteindre une complexité trop grande pour que le langage, même
aidé des mises en scènes des corps (gestes rituels des corps vivants,
inhumation des corps morts), suffise à en rendre compte.
Le langage verbal et la pensée qu'il sert à véhiculer
peuvent certainement traiter de situations complexes, mais ils ont du mal
à traiter des relations spécialement paradoxales. Un paradoxe
est une situation dont les deux termes sont logiquement incompatibles :
par exemple, un menteur dit-il la vérité lorsqu'il annonce
qu'il ne dit que des mensonges ? Oui, puisqu'il révèle qu'il
est un menteur, ce qui est la vérité. Non, puisqu'en disant
ainsi la vérité sur sa nature il ne ment pas et ne dit donc
pas "que des mensonges" contrairement à ce qu'il affirme. Ce type
de paradoxe qui n'a pas de solution logique n'est déjà pas
commode à penser, même isolément. Alors, lorsqu'il
s'agit de traiter simultanément de quatre paradoxes, qui de plus
se répondent et interfèrent les uns avec les autres, on peut
comprendre que la pensée, seulement aidée du langage verbal,
s'asphyxie rapidement et doive abandonner.
Par nature le langage verbal est mal adapté à traiter une situation paradoxale, car il doit donner un sens à chaque mot ou à chaque expression, et ce sens ne peut être constamment ambigu
Par nature le langage verbal est mal adapté à traiter une situation paradoxale, car il
doit donner un sens à chaque mot ou à chaque expression,
et ce sens ne peut être constamment ambigu.
Un mot ne peut dire une chose et son inverse : noir ne peut vouloir
dire noir et en même temps vouloir dire blanc, car autrement on ne
sait pas ce qui vraiment est dit.
On peut jouer volontairement parfois avec l'ambiguïté des
mots (dans un jeu de mot ou dans un effet poétique), mais même
cela on ne peut le faire que parce que ces mots ont un usage courant non
ambigu qui sert de référence, une référence
par rapport à laquelle on peut repérer l'anomalie surprenante
d'une ambiguïté ou d'un contresens.
Les formes plastiques, à la différence du langage verbal, sont un moyen privilégié pour traiter commodément de relations paradoxales
Les formes plastiques, à
la différence du langage verbal, sont un moyen privilégié
pour traiter commodément de relations paradoxales.
Ainsi, une ligne pointillée est continue par l'un de ses aspects
puisqu'elle se poursuit continuellement, et elle est constamment interrompue
par un autre de ses aspects puisque ses pointillés ne sont pas reliés
entre eux. Elle est donc continuellement continue et interrompue, continuellement
une chose et son exact contraire. Et si une partie de cette ligne pointillée
est jaune tandis que le reste est rouge, toute la ligne sera en outre rassemblée
dans un même alignement tout en étant séparée
en deux parties par l'effet de couleur.
Alors que le langage verbal peine à nous faire saisir une seule
relation paradoxale à la fois, les formes plastiques permettent
donc très commodément, par exemple par l'emploi d'une simple
ligne pointillée en deux couleurs, de nous faire saisir sans difficulté
deux relations paradoxales imbriquées l'une dans l'autre : du continu
/ coupé qui est lui-même rassemblé / séparé.
Il apparaît donc normal et inévitable, si l'humain est
amené à saisir quatre relations paradoxales simultanées
qui interfèrent entre elles afin de comprendre ce qu'il en est de
lui et de sa relation à son groupe, que, pour mieux saisir ces relations,
et pour les objectiver sur un support permanent qui laisse une trace commode
à manier et à perfectionner, et qui permette en outre de
confronter ses trouvailles à celle des autres humains, il se mette
à utiliser des relations de formes, dès lors que les relations
de mots se montrent inadaptées et insuffisamment pratiques.
Ces relations de formes, qu'il a commencé à utiliser de façon régulière il y a donc au moins quarante mille ans environ, nous avons de nos jours coutume de l'appeler l'art. Il ne s'agit pas d'esthétique. Il ne s'agit pas d'expression symbolique. Il ne s'agit pas de représenter la nature d'une façon plus ou moins réaliste ou plus ou moins habile. Il s'agit de saisir, à l'aide de relations de formes et de couleurs, les relations paradoxales que chaque humain entretient avec les autres humains et avec l'univers entier, les relations qu'il est indispensable de saisir pour se construire et pour tenir en tant que personnalité humaine, et qu'il n'est pas possible de dire, ni même de penser commodément, à l'aide des relations entre les mots que l'on appelle le langage. |
Vers une fin de l'histoire de l'art ?
Dans les textes suivants sont présentés le fonctionnement
du tableau général de l'évolution de l'histoire de
l'art, et celui de l'évolution de la musique.
Ces tableaux se présentent sous une forme cyclique qui laisse
entendre que dans quelques enjambées les combinaisons de paradoxes
que l'on trouvera dans l'art et dans la musique répéteront
celles des époques préhistoriques.
Il se peut que ces tableaux soient erronés.
Ils peuvent aussi rater un facteur de complexité qui fera que,
finalement, le retour cyclique des mêmes paradoxes au bout de 47
étapes ne se réalisera pas de façon exacte, car un
enrichissement se produira qui distinguera le nouveau cycle du précédent.
J'ai commis tellement d'erreurs avant d'arriver à mettre au
point ces deux tableaux, que je ne saurais m'étonner d'une nouvelle
erreur à ce sujet.
Mais pour l'instant ces tableaux me semblent raisonnablement cohérents,
et ils me semblent raisonnablement rendre compte de l'évolution
réelle de l'histoire de l'art et de la musique. Donc, pour l'instant,
je m'y tiens.
À bien y réfléchir, ce caractère cyclique
n'impose cependant pas la fin de l'histoire de l'art.
Il peut signifier la fin de l'invention de l'art, mais cela ne signifie
pas pour autant la fin de l'histoire de l'art, plutôt la promesse
d'un tout nouveau chapitre de son utilisation.
Pensons au langage verbal : quoi qu'en disent les légendes,
il ne nous a pas été apporté par les dieux, mais ce
sont les humains qui l'ont progressivement inventé. Cela dut prendre
des dizaines de millénaires pour inventer le langage, son vocabulaire,
mais surtout son principe de syntaxe. Quand son invention fut terminée,
cela sonna-t'il pour autant la fin du langage et de son évolution
? Bien au contraire, les humains s'en servir désormais comme d'un
outil bien maîtrisé à leur disposition pour faire tout
autre chose que du langage : donner des ordres, échanger des idées,
raconter des souvenir, inventer des poèmes, etc. Ils trouvèrent
même encore le moyen de le développer d'une façon toute
nouvelle en le transformant en écriture.
Peut-être l'avenir de l'art est-il du même ordre : la fin
d'un cycle de l'histoire de l'art signifierait seulement la fin de l'invention
de l'art par les humains, c'est-à-dire la maîtrise de l'ensemble
des relations qu'il est capable de nous aider à saisir.
Alors l'art, comme outil pour maîtriser les relations de formes,
serait prêt à être utilisé à côté
du langage et des relations mathématiques, pour nous permettre de
traiter couramment de relations paradoxales, que ni le langage (qui en
traite très difficilement), ni les mathématiques (dont la
logique y est par nature rebelle), ne peuvent appréhender commodément.
Indépendamment de l'art :
Indépendamment de l'art lui-même, la maîtrise des
relations paradoxales et de leurs combinaisons (ainsi qu'on les aborde par
exemple dans les textes théoriques 4 et 5 ci-après)
peut avoir un usage d'une ampleur difficilement soupçonnable
aujourd'hui, concernant deux aspects des domaines scientifiques :
- une partie des programmes informatiques cherchent à
prendre en compte ce qui est parfois appelé une "logique floue",
c'est-à-dire des enchaînements qui ne fonctionnent pas par
tout ou rien mais qui font des compromis entre diverses tendances. Ce type
de logique est notamment utilisé pour les systèmes dits "experts".
La compréhension des interférences des relations paradoxales
entre elles, est peut-être le moyen de traiter de cette logique floue
avec davantage de cohérence.
- tous les phénomènes qui relèvent de la
théorie du chaos sont des phénomènes dans lesquels
quatre dimensions indépendantes sont à l'oeuvre simultanément,
et qui posent problème pour cette raison lorsqu'il s'agit de comprendre
leur comportement et leur évolution dans un espace qui ne comporte
lui que trois dimensions. Comme on l'a développé, la société
humaine est par essence un phénomène qui se développe
dans quatre dimensions simultanées. La compréhension, grâce
à l'histoire de l'art, de l'évolution de la société
humaine, peut-être utile de façon générale pour
comprendre tout phénomène physique qui se développe
"en quatre dimensions", ce qui lui impose une apparence chaotique dans
un espace qui n'en a que trois. Pour un développement approfondi
de ce thème, on renvoie (dans une autre fenêtre) à la partie Mathématique
du site QUATUOR.
accueil | haut | suite : le tableau général de l'évolution des arts plastiques |