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11.2.  Embryogenèse de l'intention dans l'architecture :

 

Il n'est pas besoin de présenter les effets plastiques de la phase mature de l'ontologie matière/esprit dans l'architecture puisqu'ils sont les mêmes que pour les arts plastiques traités au chapitre 11.1 précédent. L'objectif de l'architecture pendant cette phase est également le même, la notion d'intention doit progressivement apparaître comme une notion bien distincte du couple matière/esprit, et pour en arriver là c'est aussi en s'associant tour à tour à la notion de matière ou à la notion d'esprit que l'intention va émerger. On retrouvera donc à chaque étape :

 - une option e qui confrontera les intentions de l'architecte destinées à captiver l'esprit à la disposition matérielle du bâtiment, une option qui fera émerger l'autonomie de la notion d'intention de l'esprit par rapport à la notion de matière ;

 - et une option M qui confrontera les intentions de l'architecte concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment avec l'attente de notre esprit, une option qui fera alors émerger l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit.

 

Comme dans les arts plastiques, l'énergie de cette émergence va augmenter d'un cran à chaque étape puisqu'elle sera prise en charge par un effet principal de plus en plus énergique. Toutefois, si cette évolution reproduit celle des arts plastiques, elle implique une inversion complète des rôles respectifs de l'esprit et de la matière : lorsque l'intention correspondait à une volonté de l'esprit c'était sa réalisation matérielle qui la gâchait, et lorsqu'elle correspondait à une proposition matérielle quelque peu originale ou étonnante c'était notre esprit qui refusait de s'y soumettre, dans l'architecture c'est tout l'inverse que l'on trouvera. On rappelle, par exemple au chapitre 11.1.3 dans le « Black Garden » de Ghada Amer, que les dessins « bien faits » des personnages étaient destinés à être lus par l'esprit mais que cette intention liée à l'esprit était dégradée par la présence matérielle de paquets de fils de couture qui en gênaient la perception, et lorsque la matière manifestait l'intention de dire « Love » dans la « Tombe de l'Amour » de la même artiste, c'est notre esprit qui annulait la validité de cette intention en remarquant que la terre n'émet pas d'idées et qu'il ne s'agissait que de simples trous creusés dans la terre.

Dans l'architecture, ce sera donc l'inverse, ce qui mérite une explication qui correspond, encore une fois, à la différence entre les arts plastiques et l'architecture. Dans la peinture ou la sculpture, on est dans le domaine de l'esprit, et puisqu'une intention est une activité de l'esprit, il n'y a aucune anomalie à ce que l'esprit fasse preuve d'une intention, la matière se trouvant dès lors acculée à prendre en charge l'anomalie impliquée par la présence de l'intention. Dans la même situation, lorsque l'intention est matérielle, c'est l'esprit qui est mis à mal par cette association « contre nature » entre la matière et l'intention et qui doit prendre en charge l'anomalie de la présence de l'intention. Dans l'architecture, on est cette fois dans le domaine de la matière. Lorsque c'est l'esprit qui fait preuve d'une intention particulière la concernant, la matière est compromise par cette intervention « étrangère », et elle est alors affectée par l'anomalie ou l'inconvénient de l'existence de cette intention. À l'inverse, lorsque l'intention porte sur l'aspect matériel d'une architecture, tout va bien pour la matière qui n'en subit aucune perturbation et c'est la notion d'esprit qui doit prendre en charge l'anomalie ou l'inconvénient de la présence de cette intention.

 

Pour finir cette introduction, on rappelle qu'une architecture est toujours « le produit fabriqué » qui correspond aux consignes données par l'architecte qui l'a conçue.

 

11.2.1.  La 1re étape de la maturité :

 

Comme pour les arts plastiques, l'effet plastique qui résume à cette étape l'état de la relation matière/esprit est le regroupement réussi/raté, et celui qui résume l'énergie de la relation encore embryonnaire produit-fabriqué/intention est l'ouvert/fermé. Ces deux effets se retrouveront dans toutes les œuvres de cette étape et on les examinera systématiquement en premier.

En association avec l'effet principal d'un/multiple, nous trouverons tour à tour chacun de ses effets secondaires : le regroupement réussi/raté, le fait/défait et le relié/détaché. Les diverses sous-options correspondantes seront toujours envisagées dans cet ordre.

 

Option e : confrontation en un/multiple des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :

 



 

 

Rudy Ricciotti : MUCCEM de Marseille (2004-2013) - vue d'ensemble et détail de sa résille en béton fibré à ultra-haute performance (BFUP)

Source des images : https://fri-archi.ch/fr/2015/01/23/rudy-ricciotti-bandole/

 

D'abord deux expressions analytiques de la sous-option de l'option e qui associe l'un/multiple au regroupement réussi/raté. Elles utilisent toutes les deux le contraste entre l'effet produit à grande échelle par la masse matérielle du bâtiment et l'intention de captiver l'esprit par une lecture à petite échelle qui contredit l'effet matériel de grande échelle, ce qui suggère l'autonomie de l'intention destinée à l'esprit par rapport à cet effet matériel.

D'abord le bâtiment du MUCCEM de Marseille, conçu en 2004 par l'architecte français Rudy Ricciotti (né en 1952) et livré en 2013. On ne considérera que sa toiture et celles de ses façades qui sont recouvertes d'une peau en résine de béton fibré très tourmentée dans le détail.

L'ensemble apparaît comme un parallélépipède compact aveugle, exempt de toute porte ou fenêtre, c'est son aspect « fermé », tandis que la résille qui constitue sa surface est pleine de trous, c'est son aspect « ouvert ». L'association de ces deux aspects produit donc un effet d'ouvert/fermé.

Considéré globalement, le bâtiment se présente matériellement comme un volume parallélépipédique très simple à la masse très compacte. Toutefois, la résille qui constitue la peau de ce volume forme des méandres extraordinairement variés qui captivent notre esprit lorsqu'il en suit des yeux le dessin. Le regroupement matériel du bâtiment dans une forme d'ensemble très simple est donc réussi, mais notre esprit est captivé par la complexité de petite échelle qui fait rater ce regroupement dans la simplicité. Ce premier aspect de l'effet de regroupement réussi/raté correspond à l'état de la relation matière/esprit.

À grande échelle, la paroi matérielle du bâtiment est toujours une surface simplement plane et d'aspect très uniforme, laquelle vaut d'ailleurs aussi bien pour l'ensemble de la surface de chaque façade et pour la toiture du bâtiment. À petite échelle, on constate que l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par la lecture d'une trame au dessin très varié et toujours différent d'un endroit à l'autre, ce qui révèle une intention très autonome de l'effet de surface matérielle dont l'expression est au contraire la simplicité et l'uniformité. Si la surface matérielle du bâtiment est unitaire et uniforme à grande échelle, notre esprit est donc captivé par son aspect multiple, et même extraordinairement multiple à petite échelle : c'est l'effet d'un/multiple qui régit la relation entre la matérialité des parois et ce qui relève de l'intention de l'architecte de captiver notre esprit. Malgré la grande diversité des méandres qui exigent de notre esprit une grande agilité visuelle pour suivre toutes leurs complexes évolutions, le matériau de cette résille réussit pourtant à se regrouper dans une densité homogène qui fait que la paroi ne semble nulle part s'ouvrir plus que la moyenne ni se compacter plus que la moyenne, si bien que l'effet d'un/multiple est ici associé à un effet de regroupement réussi/raté : réussite de l'homogénéité de la densité de la trame à grande échelle, ratage à petite échelle où domine au contraire une hétérogénéité très forte de son dessin. Il s'agit d'une expression analytique puisqu'il est facile de considérer séparément l'effet de grande échelle et l'effet de petite échelle tellement ils relèvent de lectures différentes.

On notera que l'effet de regroupement réussi/raté associé à l'un/multiple est différent de celui envisagé lorsqu'il correspondait à l'état de la relation matière/esprit : alors, c'était le regroupement dans une forme simple et compacte qui était réussi/raté, maintenant c'est le regroupement de sa peau de surface dans une texture de densité homogène.

 

 


 

Jean Nouvel : immeuble du 100 11th Avenue à Chelsea, New York (2005-2010)

Vue d'ensemble et vue de détail de la façade

Sources des images : https://www.manhattanscout.com/news/kelsey-grammer-sells-west-chelsea-luxury-pad

et http://robclearyphoto.blogspot.fr/2013/02/100-11th-avenue-ateliers-jean-nouvel.html


 

 

On retrouve le même contraste entre la simplicité de la forme d'ensemble et la complexité dans le détail de la façade dans cet immeuble conçu par l'architecte français Jean Nouvel (né en 1945) à New York dans le quartier de Chelsea, construit entre 2005 et 2010.

Côtés rues, la forme d'ensemble est une simple surface courbée reliant deux surfaces planes. Dans le détail, la façade est décomposée en une multitude de panneaux aux formes, aux couleurs et aux opacités très diverses. De plus, ces panneaux s'orientent horizontalement vers des directions très variées et s'inclinent verticalement selon des angles très variés, de telle sorte que la lumière du ciel se réfléchit d'une infinité de façons différentes d'un endroit à l'autre de la surface.

Cette façade est à la fois opaque et miroitante, renvoyant la lumière, c'est son aspect ouvert/fermé.

Si la surface matérielle de ce bâtiment s'en tient à des plans simples raccordés par un arrondi bien régulier, notre esprit ne cesse toutefois d'être captivé par la variété insondable des panneaux qui la construisent, de formats différents, de couleurs et d'opacités différentes, d'orientations verticales et horizontales différentes, une variété qui souligne la spécificité de chaque partie de la façade et empêche la lecture de son regroupement dans une surface continue et bien régulière. C'est donc un effet de regroupement réussi/raté des façades dans une surface simplement continue qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

À grande échelle, la surface du bâtiment forme une trame matérielle d'aspect unifié et de densité uniforme, car elle se décompose en combinaisons assez semblables de formes assez semblables et souvent plusieurs fois répétées. À petite échelle, par contre, l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par une multiplicité et une complexité variée à l'extrême concernant le format, la couleur, l'opacité et l'inclinaison des panneaux qui construisent cette façade, une intention qui est donc très autonome de la régularité matérielle de l'aspect de la surface quand on l'observe à grande échelle. Aspect de la surface matérielle très unitaire à grande échelle, multiplicité complexe de la lecture de ses détails, c'est un effet d'un/multiple qui régit la relation entre ce qui relève de l'organisation matérielle et ce qui relève de la lecture par l'esprit voulue par l'intention de l'architecte. Regroupement réussi dans une trame de même type à grande échelle, raté à petite échelle à cause de la variété complexe du traitement de la façade à cette échelle, c'est encore l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à l'un/multiple. Comme pour le MUCCEM de Rudy Ricciotti, l'intention spécifiquement destinée à captiver l'esprit contredit l'effet produit par la surface matérielle du bâtiment, ce qui lui permet de faire preuve d'autonomie par rapport à la matérialité.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément l'aspect à grande échelle et le traitement de petite échelle.

 

 

 


Dominique Perrault : DC Tower 1 à Vienne (2004-2014)

Source de l'image : https://pixabay.com/fr/photos
/vienne-autriche-tour-dc-tower-1-3878384/

 

 

Pour une expression synthétique de l'association de l'un/multiple et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e, la « DC Tower 1 » de Vienne, en Autriche, conçue par l'architecte français Dominique Perrault (né en 1953). Elle a été livrée en 2014 et il est prévu de l'accompagner d'une tour symétrique conçue de façon semblable mais un peu moins haute.

La caractéristique principale de cette tour est la combinaison d'une façade fortement plissée avec trois autres façades parfaitement lisses et seulement marquées par une trame verticale ininterrompue. Sur ses trois façades lisses, la tour se comporte comme un bloc compact bien fermé, sur sa façade plissée elle s'ouvre et des ondulations en sortent qui sont comme les vagues d'une mer : voilà pour l'effet d'ouvert/fermé.

Un effet de regroupement réussi/raté lui est associé pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit : la tour a réussi à regrouper matériellement trois de ses façades dans des surfaces planes, mais sous cet aspect sa façade plissée n'est pas regroupée avec les autres et captive séparément notre esprit en se déhanchant de diverses façons.

Nous envisageons maintenant la confrontation de l'intention adressée spécialement à notre esprit avec l'effet provoqué par la masse matérielle du bâtiment. Cette masse matérielle nous apparaît très compacte, du fait de la rectitude absolue de trois de ses façades, mais aussi parce que le même matériau vitré et pareillement coloré de sombre est utilisé pour l'ensemble des surfaces. En contraste avec la rigide massivité globale du bâtiment et avec l'uniformité de la couleur de son matériau, le traitement de la façade plissée montre l'intention de l'architecte de captiver son esprit et le nôtre par l'animation de puissantes ondulations variées qui creusent ou font se soulever comme aléatoirement cette façade, prouvant ainsi que la force de l'effet produit par la masse d'un bâtiment ou par la couleur uniforme de son matériau n'empêche pas une intention spécialement destinée à captiver l'esprit de s'y exprimer de façon autonome. Et là encore, l'intention de captiver l'esprit ne s'affirme qu'en contredisant l'effet porté par le matériau, ici par son effet d'unité et d'uniformité.

Par sa compacité d'ensemble et par l'uniformité du matériau de ses façades, cette tour dispose d'un caractère fortement unitaire, mais sur sa façade plissée les creux succèdent aux reliefs de façon irrégulière dans le sens vertical comme dans le sens horizontal en générant une multitude de plis. Comme le veut cette étape ontologique, la confrontation de l'unicité de la masse matérielle de la tour et de la couleur de son matériau avec l'intention destinée à captiver l'esprit se fait donc par le moyen d'un effet d'un/multiple. Et puisque le matériau vitré de teinte sombre regroupe l'ensemble des façades tandis que les multiples plissements de sa façade d'entrée se distinguent chacun séparément et violemment, résistant à se fondre dans l'uniformité voulue par l'uniformité de leur matériau, c'est le regroupement réussi/raté qui est ici associé à l'un/multiple.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas constater que c'est bien le même matériau qui est utilisé pour l'ensemble des façades sans s'affronter à la façon dont les fortes ondulations se singularisent sur l'une de ces façades.

On notera que l'expression associée à l'un/multiple est différente de celle que l'on avait vue pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit : alors, c'était le regroupement de l'ensemble des façades dans des surfaces planes qui était ou non réussi, maintenant c'est le regroupement dans un même matériau de même couleur qui est raté à cause de l'énergie avec laquelle les différents plis tiennent à se faire voir distinctement et séparément.

 

 



Jean Nouvel : le Louvre Abu Dhabi aux Émirats arabes unis (2006-2017), vue de dessus du projet et vue partielle du bâtiment réalisé

Sources des images :http://www.jeannouvel.com/projets/louvre-abou-dhabi-3/
et https://www.thedailybeast.com/on-show-at-the-louvre-abu-dhabi-art-power-and-exploitation

 

 

 

Nous aurons souvent l'occasion de citer des architectures conçues par Jean Nouvel. Nous le retrouvons d'abord pour deux exemples où l'un/multiple est associé au fait/défait dans le cadre de l'option e, d'abord pour une expression analytique, puis pour une expression synthétique.

La vue de dessus du bâtiment du Louvre Abu Dhabi, construit aux Émirats arabes unis de 2006 à 2017, montre une grande coupole que notre esprit lit comme l'affirmation du rassemblement symbolique autour d'elle de tout le bâtiment. Matériellement cependant, une partie des salles échappe à ce rassemblement et déborde plus ou moins de la coupole : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

Cette coupole génère un lieu fermé puisqu'elle clôt le musée par le dessus, un effet que renforce sa forme même en coupole, mais le bâtiment est simultanément ouvert puisque cette coupole n'est pas fermée sur son pourtour et que des parties de bâtiments s'en échappent. L'effet d'ouvert/fermé se retrouve aussi dans les propriétés mêmes de cette coupole puisque, bien qu'elle ait la forme d'une calotte continue, et donc fermée, sa surface est parcellée de trous qui filtrent la lumière et se comporte donc tout autant comme une surface ouverte.

L'aspect matériel décousu, morcelé en petits bâtiments indépendants qui s'éparpillent un peu en tous sens, est très fortement contredit par l'affirmation d'unité et de regroupement collectif produit par la coupole dont l'aspect géométrique très régulier et le caractère très sophistiqué de sa surface signale évidemment une intention spécifique de l'esprit de l'architecte. À la différence de tous les exemples précédents, ici c'est l'intention de l'esprit qui produit un effet d'unité en contredisant l'aspect décousu, morcelé, et finalement multiple de l'organisation matérielle des bâtiments épars regroupés par la coupole. Comme ces exemples précédents toutefois, c'est par un effet d'un multiple que l'intention de l'esprit affirme son autonomie par rapport à la matière en contredisant l'agencement matériel du bâtiment, et comme cette intention de l'esprit vise à défaire la dispersion matérielle qui est faite à cause du morcellement du bâtiment, c'est un effet de fait/défait qui est ici associé à l'effet d'un/multiple.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément la coupole continue et unitaire et les bâtiments multiples et morcelés qu'elle réunit et abrite pour partie.

 

 

 


Jean Nouvel : le bassin extérieur de la piscine « les Bains des Docks » au Havre

Source de l'image : http://www.kemper-
system.com/FR/fre/etancheiteliquideapplicateur
/references/piscines-centres-aquatiques
/piscines-centres-aquatiques.html

 

 

La piscine « les Bains des Docks » conçue par Jean Nouvel a été construite entre 2004 et 2008 sur les anciens docks de la ville du Havre. Son bassin extérieur est entouré d'un mur continu échancré par de multiples niches aux formes complexes et variées.

Cette muraille continue qui entoure le bassin en fait un lieu fermé mais ouvert sur le ciel, et sa paroi opaque est trouée par des niches et même par des fenêtres qui ouvrent sur le ciel, elle est donc ouverte/fermée.

Matériellement, cette muraille regroupe dans une continuité plate la paroi qui cerne le bassin, mais notre esprit est captivé par le détail des nombreuses niches qui la creusent et qui font ainsi échouer son regroupement dans cette continuité plate : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

Matériellement, la masse du bâtiment entourant le bassin se présente comme un simple front plat continu et monocolore, procurant à ce lieu un caractère très rigide et très unitaire. En contraste, on a vu que l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par une multitude des niches complexes et variées creusées dans cette continuité plate. Le caractère unitaire de l'enveloppement matériel du lieu est donc contrarié par l'aspect multiple et varié de ces nombreuses niches, et si l'on dit que la paroi côté bassin fait le continu et l'uniforme, alors on peut dire que ce continu et cet uniforme sont défaits par les trous complexes et variés qui y sont creusés pour répondre à l'intention de captiver l'esprit. Le fait/défait est donc encore ici associé à l'un/multiple, et c'est à nouveau l'intention liée à l'esprit qui compromet l'effet produit par la matérialité du lieu.

Par différence avec le Louvre Abu Dhabi dont l'affirmation de groupement et d'unité procurée par la coupole peut se lire indépendamment des multiples bâtiments morcelés qu'elle rassemble, on ne peut ici prendre conscience de la continuité plate de la façade entourant le bassin sans surmonter l'effet produit par la présence des multiples niches qui l'entament, il s'agit cette fois d'une expression synthétique.

 

 

 


Jean Nouvel : la Tour « Horizons » à Boulogne-Billancourt, France

Source de l'image : http://www.jeannouvel.com
/projets/tour-horizons/

 

 

Dernier exemple de l'option e, cette fois dans un cas où l'un/multiple est associé au relié/détaché dans une expression synthétique : la tour « Horizons » de Boulogne-Billancourt conçue par Jean Nouvel et construite de 2006 à 2011. Cette tour se divise en trois niveaux superposés d'aspects très différents, le premier étant même désaxé par rapport aux autres.

Malgré ses vitrages, ce premier niveau forme un bloc gris foncé d'allure compacte et fermée, le second alterne des bandes orangées qui en font le tour – qui le ferment, par conséquent –  avec des niveaux où jaillit la luminosité de volets blancs bien séparés les uns des autres, et le dernier niveau apparaît comme une serre complètement ouverte à la lumière par ses vitrages, serre qui reçoit d'ailleurs une abondante végétation de type extérieur dans sa partie haute : premier niveau très fermé, second niveau ouvert/fermé, dernier niveau très ouvert, voilà pour l'effet d'ouvert/fermé. On peut y ajouter la présence de végétations sur les terrasses séparant les divers niveaux, de telle sorte que l'ensemble du bâtiment apparaît comme un bâti globalement continu mais ouvert à la végétation, et donc ouvert à l'extériorité, à l'endroit de chacun des décrochés entre ses niveaux.

L'effet de regroupement réussi/raté va de soi pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit : matériellement, les trois niveaux sont regroupés dans un même bâtiment continu de forme vaguement pyramidale où ils alternent les uns au-dessus des autres, mais notre esprit ne peut manquer de constater leurs différences d'aspect considérables qui font rater leur regroupement en un bâtiment homogène.

La masse matérielle du bâtiment nous apparaît comme très unitaire et compacte, formée qu'elle est par la superposition pyramidale de ces trois niveaux peu décalés les uns par rapport aux autres. En contraste, l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par l'aspect très différent donné à chacun de ces niveaux, rendant ainsi ce bâtiment compact simultanément multiple. Les trois niveaux sont bien reliés entre eux puisqu'ils sont portés les uns par les autres, mais ils sont simultanément détachés les uns des autres par des retraits de façade et par des rideaux de végétaux à l'endroit de chacun de ces retraits : c'est l'effet de relié/détaché qui est associé à l'un/multiple, et c'est encore une fois la disposition adoptée avec l'intention de captiver l'esprit qui compromet l'effet d'unité matérielle et qui, ce faisant, affirme son autonomie par rapport à la notion de matière.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas lire la façon dont les trois niveaux sont reliés entre eux en un bâtiment compact sans avoir à surmonter les effets visuels produits par les décrochements qui les détachent les uns des autres, comme par leurs différences d'aspect qui contrarient ce caractère compact.

 

 

Option M : confrontation en un/multiple de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :

 

 


 

 

 

 


Jean Nouvel : Fondation Cartier pour l'art contemporain à Paris - 14e (1991-1994)

Source de l'image de gauche :
https://www.fondationcartier.
com/batiment

Source de l'image ci-dessous:
https://www.ashnipatel.com
/materials-methods

 

 

Le premier exemple de l'option M associe l'un/multiple et le regroupement réussi/raté dans une expression analytique. La Fondation Cartier pour l'art contemporain a été construite dans le 14e arrondissement de Paris entre 1991 et 1994. La caractéristique de ce bâtiment conçu par Jean Nouvel est que son volume est insaisissable : côté boulevard Raspail, sa façade se décompose en trois grands pans de verre écartés les uns des autres, seul celui du milieu étant partiellement collé au bâtiment proprement dit. Côté arrière, un autre pan de verre, collé à la partie fermée du bâtiment, déborde lui aussi très largement au-delà de sa limite.

Puisque ces pans de verre constituent des écrans, ils ferment la cour intérieure de la fondation, du moins côté boulevard, mais ils laissent également cet espace ouvert puisqu'ils sont transparents. S'ils forment un front continu aligné sur le boulevard, les écarts entre eux laissent toutefois ouvertes des vues diagonales qui empêchent que ce front ne constitue une frontière fermée. Pour ces deux raisons, il s'agit d'une façade qui est ouverte/fermée.

Malgré leur dispersion, du fait de leur analogie de forme et de matériau, notre esprit regroupe tous ces écrans vitrés en un groupe d'écrans vitrés similaires. Toutefois, ces écrans restent matériellement écartés et bien indépendants les uns des autres, d'autant que des différences dans leur aspect matériel s'opposent à leur regroupement en un groupe d'écrans semblables : ceux du centre sont plus hauts que les autres et masquent en partie le bâtiment, ils n'ont donc pas le caractère de simple lame vitrée des deux autres, et par ailleurs celui de gauche est plus long que celui de droite. Ces séparations matérielles et ces différences matérielles font rater leur regroupement dans le groupe d'écrans semblables que lit notre esprit, ce qui correspond à un premier effet de regroupement réussi/raté, celui qui rend compte de l'état du rapport matière/esprit.

L'intention de l'architecte était de constituer matériellement un bâtiment qui ne soit pas défini par une clôture continue mais par une série d'écrans transparents décalés esquissant seulement la présence d'un lieu plus fermé. Traduite par l'organisation matérielle des lieux, cette intention contredit le ressenti usuel de notre esprit pour lequel un bâtiment est fondamentalement un lieu fermé qui délimite un intérieur et un extérieur, et ce faisant l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment fait donc la preuve de l'autonomie qu'elle peut avoir par rapport à l'attente de notre esprit.

On l'a dit, notre esprit repère la similitude de toutes ces longues et hautes parois vitrées qui donnent son unité à l'architecture du bâtiment, mais l'intention de l'architecte de ne pas procurer une frontière matérielle continue et bien repérable au bâtiment l'a amené disperser cette frontière sur de multiples pans de clôture vitrés détachés les uns des autres, et c'est donc par un effet d'un/multiple que se manifeste ici le conflit entre la lecture de l'esprit et l'intention concernant l'organisation matérielle du bâti. Tous ces pans de vitrages n'en sont pas moins regroupés pour esquisser la présence d'un même lieu, mais puisque leur regroupement en continuité autour d'un bâtiment clos est raté, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est ici combiné à l'un/multiple.

Il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément que tous ces pans de verre servent de clôture à un bâtiment et qu'ils ne participent pas à une clôture continue.

 

 


Jean Nouvel : l'une des fenêtres de l'Hôtel Renaissance à Barcelone

Source de l'image : https://www.designboom.com/architecture/jean-nouvel-applies-floral-facade-to-barcelona-hotel-02-24-2014/

 

 

Sans entrer dans son analyse de détail, on donne un autre exemple dans lequel notre esprit est dérouté par une configuration matérielle. Dans cette fenêtre de l'Hôtel Renaissance conçu pour Barcelone par Jean Nouvel et construit entre 2005 et 2012, ce qui est cette fois mis en défaut c'est l'attente de notre esprit de repérer un cerne continu lisible pour son ouverture dans le mur. La forme très déchiquetée de son contour et le caractère rayonnant de ses profondes découpes empêchent en effet que notre esprit puisse lire un contour quelconque cernant cette fenêtre. Ce faisant, la disposition matérielle correspondant à l'intention de l'architecte donne une autre preuve de son autonomie possible par rapport à l'attente de notre esprit.

 

 

 


Dominique Perrault : Usine Aplix à Le Cellier-sur-Loire (1997-1999)

Source de l'image : http://www.perraultarchitecture.com/fr/projets/2518-usine_aplix.html

 

 

Nous revenons à Dominique Perrault pour un exemple cette fois synthétique de la combinaison de l'un/multiple et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M.

La paroi extérieure de l'usine Aplix, construite entre 1997 et 1999 au Cellier-sur-Loire près de Nantes, a la particularité d'avoir reçu un bardage plissé en inox poli miroir qui renvoie la vue du paysage environnant.

Cette paroi opaque ferme le bâtiment, mais elle semble en même temps transparente du fait de son brillant et de sa propriété de constituer un miroir qui la fait comme disparaître à la vue : c'est un effet d'ouvert/fermé.

L'effet de miroir permet le regroupement matériel du paysage et de la paroi du bâtiment, mais notre esprit constate que l'aspect plissé de la surface empêche le paysage environnant d'avoir son image regroupée en continu puisqu'il la strie de bandes verticales : c'est un effet de regroupement réussi/raté du paysage dans son reflet sur le bâtiment qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

L'intention de l'architecte était de procurer une paroi qui soit comme inexistante en tant que telle alors que notre esprit attend d'une paroi, du moins lorsqu'elle est fermée et non vitrée, qu'elle se caractérise par une présence opaque bouchant la vue. Encore une fois, dans le cadre de l'option M l'intention de l'architecte concernant l'aspect matériel du bâtiment se révèle donc autonome par rapport à l'attente de notre esprit.

Le traitement matériel absolument uniforme de la paroi, allié à la forme parallélépipédique très simple du bâtiment, donne à celui-ci une allure très unitaire. En contraste, notre esprit constate la variété des multiples reflets renvoyés par ce rideau d'acier qui change d'aspect dès qu'on se déplace un peu ou lorsque les nuages se déplacent dans le ciel : c'est l'effet d'un/multiple qui régit la relation entre l'intention concernant l'aspect matériel en miroir des façades du bâtiment et la lecture qu'en fait notre esprit. Si le bâtiment a réussi à se regrouper dans une forme simple enfermée dans une paroi conçue de façon uniforme, le perpétuel changement d'aspect du paysage reflété par cette paroi en inox poli fait échouer son regroupement dans un volume à l'aspect permanent et bien fixé : c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à l'effet d'un/multiple.

Il s'agit d'une expression synthétique puisque l'on ne peut pas constater l'uniformité du matériau employé pour le bardage sans avoir à surmonter l'effet produit par la multiplicité toujours changeante des images qu'il renvoie de son environnement.

 

 


 

Jean Nouvel : Musée national du Qatar (2008-2019)   Source de l'image : http://www.jeannouvel.com/projets/musee-national-du-qatar/ ou https://www.theplan.it/eng/architecture/national-museum-of-qatar-by-ateliers-jean-nouvel

 

Pour le Musée national du Qatar, conçu en 2008 et achevé en 2019, Jean Nouvel a utilisé l'analogie formelle de la rose des sables, un clin d'œil au caractère désertique d'une bonne partie de ce pays. Ce musée propose une expression synthétique de l'association de l'un/multiple et du fait/défait dans le cadre de l'option M.

Sa disposition en grands disques complètement opaques qui s'entrecroisent forme globalement un bâtiment fermé, sans ouvertures, tandis que les grands dièdres creux générés par les rencontres entre ces disques sont complètement ouverts à l'espace extérieur, et globalement il en résulte un effet d'ouvert/fermé.

Pour notre esprit, tous ces disques qui s'entrecroisent forment un groupe de mêmes formes circulaires, légèrement bombées à leur centre et effilées sur toute leur périphérie. Il ne peut toutefois manquer de constater qu'ils ratent leur regroupement dans un ensemble de disques matériellement identiques puisque leurs diamètres sont différents, leurs angles d'inclinaison sont très différents et leurs façons de s'interpénétrer avec leurs voisins sont aussi toujours très différentes : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

L'intention de l'architecte était de procurer un front matériel construit qui ne soit pas perçu comme une paroi continue, mais comme un enchevêtrement de disques indépendants les uns des autres et dont seul le regroupement génère un effet de paroi. Comme à la Fondation Cartier de Paris, cela va à rebours de ce qu'attend notre esprit pour lequel un bâtiment apparaît usuellement cerné par une paroi continue, qu'elle soit ou non complexe dans son apparence et qu'elle soit ou non trouée de portes et de fenêtres. Encore une fois ici, l'intention concernant la mise en forme matérielle de la paroi fait preuve d'autonomie vis-à-vis de l'attente de notre esprit.

Bien que le bâtiment soit matériellement décomposé en une multitude de disques bien distincts imbriqués, notre esprit ne peut manquer de repérer que le traitement plastique utilisé pour parvenir à cet aspect fractionné est lui-même uniforme, unitaire, de telle sorte que c'est donc un effet d'un/multiple qui rend compte de la relation entre l'intention matérielle que traduit le caractère fractionné de la paroi, et la lecture qu'en fait notre esprit qui constate l'homogénéité continue de son traitement. S'il résulte de la continuité de son opacité que ce front bâti est matériellement très présent, et donc certainement fait, il est toutefois défait par le manque de continuité entre ses différents plans qui se défont les uns les autres puisqu'ils se pénètrent mutuellement, qu'ils se défoncent mutuellement, et qu'ils se cachent partiellement les uns les autres : c'est le fait/défait qui est combiné avec l'un/multiple.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas saisir l'uniformité du traitement de ce front bâti sans avoir à surmonter l'effet produit par l'interpénétration des divers disques qui le construisent tout en le détruisant et en se cassant mutuellement.

 

 

 


Dominique Perrault : Université féminine Ewha à Séoul (2004-2008)

Source de l'image : http://www.perraultarchitecture.com/fr/projets/2459-universite_feminine_ewha.html

 

 

Pour un second exemple d'expression synthétique de l'association de l'un/multiple et du fait/défait dans le cadre de l'option M, l'Université féminine Ewha conçue par Dominique Perrault pour Séoul et construite entre 2004 et 2008.

Si le musée du Qatar déroutait notre esprit par une paroi spécialement agressive qui ne correspondait pas à l'attente d'un enveloppement continu, à l'inverse notre esprit est ici désarçonné par la dérobade complète du bâtiment. En effet, alors qu'un bâtiment correspond habituellement à un volume plein qui se dresse devant nous, celui-ci prend la forme d'un creux qui le fait disparaître.

L'espèce de canyon qui descend entre deux légères collines est évidemment complètement ouvert sur le ciel, et il est aussi ouvert à ses deux extrémités. Par contraste, il dispose de deux parois continues parfaitement fermées sur chacun de ses côtés, des parois qui correspondent, en fait, aux façades du bâtiment dont les deux moitiés sont enfouies sous les jardins qui ferment le bâtiment par-dessus : c'est un effet d'ouvert/fermé.

Les immenses escaliers opposés qui traversent la faille creusée dans le sol servent d'accès à l'ensemble des salles de l'université. Pour les étudiantes comme pour leurs enseignants et enseignantes, il n'y a pas de doute dans leur esprit que l'université est tout entière regroupée dans ce canyon. Matériellement toutefois, elle est coupée en deux moitiés non contiguës, le regroupement de l'université dans un seul corps de bâtiment s'en trouvant donc raté : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de la relation matière/esprit.

L'intention de l'architecte était de proposer un bâtiment dont la matérialité disparaisse, prouvant ainsi qu'une intention matérielle peut être autonome de l'attente de notre esprit pour lequel un bâtiment correspond normalement à une masse matérielle se dressant au-dessus du sol.

Fonctionnellement, tous les accès au bâtiment se font par les escaliers qui s'enfoncent dans la faille. Comme on l'a déjà dit, il n'y a pas de doute dans l'esprit des étudiantes comme dans celui de leurs enseignants et enseignantes que l'université forme une unité de vie centrée sur ce canyon qui en distribue les accès et qui procure la lumière naturelle à ses différentes salles. Toutefois, l'intention de renoncer à la présence matérielle d'un bâtiment s'érigeant au-dessus du sol a conduit à séparer l'université en deux unités souterraines complètement disjointes et se faisant face, de telle sorte que la relation entre l'effet d'unité ressenti par l'esprit des utilisateurs du lieu et l'intention matérielle qui s'est traduite par un bâtiment coupé en deux implique un effet d'un/multiple. D'une autre façon, on peut dire que si l'unité de ce bâtiment est bien faite, elle est aussi défaite par la faille qui le coupe en deux : le fait/défait est ici associé à l'un/multiple. Le bâtiment est d'ailleurs d'autant plus défait qu'il semble inexistant, bien qu'il soit là, et donc fait.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer l'unité fonctionnelle et symbolique que forme cette université sans avoir à surmonter l'effet de division produit par la faille qui la coupe en deux.

 

 

 


Dominique Perrault : Grand Théâtre d'Albi (2009-2014)

Source de l'image : http://www.perraultarchitecture.com/fr/projets/2545-grand_theatre_dalbi.html

 

 

Deux exemples d'association de l'un/multiple avec le relié/détaché dans le cadre de l'option M, chacun concernant une nouvelle fois un bâtiment conçu par Dominique Perrault. Le bâtiment du Grand Théâtre d'Albi, construit entre 2009 et 2014, dispose de deux enveloppes extérieures bien distinctes. D'une part il est fait d'une boîte parallélépipédique entièrement recouverte d'un vitrage dans les tons rouges, partiellement opaque et partiellement transparent, d'autre part il est entouré d'une grille métallique tendue à quelque distance de cette boîte. Cette grille n'est pas parallèle aux façades vitrées, elle est décollée du sol pour permettre le passage des personnes, et elle dépasse largement au-dessus de la boîte cubique.

La grille enveloppe et enferme donc le bâtiment cubique, mais pas dans sa partie basse, et la distance qui sépare la façade vitrée de la grille permet aussi que le bâtiment cubique n'y soit pas véritablement enfermé puisque sa façade extérieure reste ouverte sur l'extérieur. Par ailleurs, si la grille forme bien une paroi continue, en tant que grille elle est constamment percée, et donc largement ouverte. Par tous ces aspects, le bâtiment fait de l'ouvert/fermé.

La grille tendue et la façade en vitrage sont associées, et donc regroupées, pour faire ensemble l'enveloppe matérielle du bâtiment. Notre esprit ne peut toutefois manquer de constater qu'elles sont décalées l'une de l'autre et qu'elles ont des aspects très différents, ce qui fait rater leur regroupement en une seule enveloppe compacte : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de la relation matière/esprit.

L'intention de l'architecte était de procurer un bâtiment dont l'enveloppe matérielle extérieure soit répartie sur deux parois distinctes qui se complètent autant qu'elles se font concurrence. Cette intention matérielle ne s'accorde pas avec l'attente de notre esprit pour lequel la paroi d'un bâtiment est normalement unique, de la même façon que notre esprit ressent que notre corps est enfermé dans une peau continue et unique. Une nouvelle fois, l'intention correspondant à l'organisation matérielle d'une architecture fait la preuve qu'elle peut être autonome par rapport aux attentes de notre esprit.

Puisque notre esprit considère qu'il n'y a là qu'un seul bâtiment mais que celui-ci s'affirme matériellement par la concurrence de deux enveloppes distinctes, cet édifice est à la fois un et multiple, et c'est donc un effet d'un/multiple qui porte la relation entre notre esprit et l'intention relative à l'organisation matérielle de l'architecture. Ces deux parois sont liées l'une à l'autre puisque l'une enveloppe l'autre et que toutes les deux enveloppent le même bâtiment, mais elles sont aussi séparées l'une de l'autre, et donc détachées l'une de l'autre : c'est un effet de relié détaché qui est combiné avec celui d'un/multiple.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément qu'il y a là un seul et même bâtiment et que ce bâtiment dispose de deux enveloppes distinctes et séparées l'une de l'autre.

 

 

 


Dominique Perrault : Bibliothèque nationale de France à Paris 13e - BnF (1989-1995)

Source de l'image : https://culturebox.francetvinfo.fr/livres/la-bibliotheque-nationale-de-france-a-du-mal-a-trouver-son-nouveau-president-237409

 

 

Il y aurait beaucoup à dire sur le bâtiment de la BnF conçu par Dominique Perrault et construit dans le 13e arrondissement de Paris entre 1989 et 1995, par exemple que la place que forment, par leur regroupement, ses quatre tours en « livres ouverts », est à la fois fermée et ouverte, et aussi que leur regroupement en paroi continue est à la fois réussi (quant à l'alignement de leurs façades) et raté (du fait des larges trous béants laissés entre elles), mais nous nous concentrerons ici sur la particularité des façades de ces tours qui sont vitrées, et donc transparentes, mais aussi pleines, et donc opaques. En effet, si l'on excepte leurs tranches recouvertes d'un grillage métallique derrière lequel se dissimulent les escaliers, toutes les façades des quatre tours qui s'élèvent au-dessus du socle de la BnF sont entièrement vitrées, tandis que des parois opaques, couleur or, à quelque distance derrière ce vitrage, empêchent complètement la vue de passer. Dans la pratique, la présence de ces panneaux opaques est destinée à protéger du soleil les livres qui sont stockés dans les tours, et ce n'est que dans les pièces servant de bureaux que ce principe est remplacé par des panneaux de même type mais pivotants.

Cette paroi à la fois opaque et vitrée est ouverte puisque son vitrage est transparent, mais elle est aussi fermée par ses panneaux pleins : effet d'ouvert/fermé.

Comme dans le théâtre d'Albi, l'enveloppe extérieure du bâtiment regroupe matériellement deux parois distinctes, mais ce regroupement est raté par l'écart qui sépare ces deux parois, et parce que notre esprit repère que leurs propriétés sont très différentes, inverses l'une de l'autre : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui rend compte de la relation matière/esprit.

Comme à Albi, l'intention de l'architecte était de procurer un bâtiment dont l'enveloppe matérielle soit répartie sur deux parois distinctes, à la fois séparées et superposées, déconcertant ainsi notre esprit pour lequel une enveloppe est normalement « une » enveloppe, c'est-à-dire une paroi unique et continue, non pas deux parois. D'autant plus si, comme ici, elles font des choses contradictoires puisque l'une fait la transparence quand l'autre fait l'opacité.

Une enveloppe matériellement faite de deux parois distinctes mais ressentie par notre esprit comme une seule enveloppe, c'est là un effet d'un/multiple qui rend compte de l'autonomie que s'accorde ici l'organisation matérielle correspondant à l'intention de l'architecte par rapport à l'attente de notre esprit. La séparation de ces deux parois, détachées l'une de l'autre mais reliées entre elles du fait de leur accompagnement parallèle sur toutes leurs surfaces, implique que c'est à nouveau l'effet de relié/détaché qui est associé à l'un/multiple.

Par différence avec ce qui valait pour le théâtre d'Albi où les deux parois pouvaient être perçues assez distinctement l'une de l'autre, il n'est pas possible, ici, de voir les panneaux opaques sans voir qu'ils sont situés à quelque distance derrière un vitrage transparent. Il s'agit donc, cette fois, d'une expression synthétique.

 

 

 

11.2.2.  La 2e étape de la maturité :

 

À cette nouvelle étape, l'effet principal d'un/multiple est remplacé par celui de regroupement réussi/raté pour ce qui est de rendre compte des relations entre la notion d'intention et les notions de matière ou d'esprit, tandis que les effets récurrents sont maintenant le fait/défait pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit et le centre/à la périphérie pour résumer l'énergie de la relation encore embryonnaire produit-fabriqué/intention.

En combinaison avec l'effet de regroupement réussi raté, nous aurons à envisager successivement l'un/multiple, le fait/défait et le relié/détaché.

 

Option e : confrontation en regroupement réussi/raté des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :

 

 


Herzog & De Meuron : Vitra Haus à Weil-am-Rhein (2006-2010)

Source de l'image : https://www.lemoniteur.fr/article/herzog-et-de-meuron-empilent-un-tas-de-maisons-pour-vitra-1123824

 

 

Comme expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, la Vitra Haus des architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron (nés en 1950). Il s'agit d'un magasin d'exposition conçu pour la société Vitra, édifié entre 2006 et 2010 à Weil-am-Rhein en Allemagne. Ce bâtiment est constitué d'une série de prismes allongés se recoupant les uns les autres, et les uns partiellement au-dessus des autres.

Le croisement de ces prismes qui se détruisent mutuellement en se défonçant mutuellement correspond à l'effet de fait/défait qui rend compte de la relation matière/esprit, puisque chaque prisme est suffisamment fait pour que notre esprit le repère malgré la destruction partielle de sa forme matérielle par les prismes qui le traversent. Le contraste entre la matérialité de la surface courante aveugle des prismes de teinte uniformément sombre et le vitrage de leurs extrémités qui captivent notre esprit par les vues qu'ils donnent sur l'intérieur du bâtiment correspond à ce même effet de fait/défait : la variété et l'intérêt visuel pour notre esprit qui sont faits aux extrémités sont défaits en partie courante des prismes du fait de leur monotone et terne aspect matériel.

L'effet du centre/à la périphérie nous déstabilise ici du fait de l'incapacité où nous sommes de comprendre sur quoi s'appuie chacun des prismes, une bonne partie de leur sol semblant flotter en l'air sans aucun appui repérable pour lutter contre la pesanteur. Outre cette déstabilisation liée à l'absence apparente d'appui, cet effet se manifeste aussi par une disposition en rapport direct avec son nom, puisque chaque extrémité vitrée des prismes correspond à un centre d'intérêt visuel et que des centres d'intérêt semblables sont répartis sur toute la périphérie du bâtiment.

Ce paquet de prismes entassés fait un effet de masse matérielle globale assez informe et agglutinée de façon très aléatoire, ce qui contraste avec l'intention des architectes qui était de permettre à notre esprit de lire distinctement la forme régulière et bien nette de chacun des prismes qui participent à cet entassement, et cela aussi bien dans leur partie courante qu'à l'endroit de leurs pignons vitrés. Comme le veut l'option e, l'intention de l'esprit des architectes (procurer des formes nettes et régulières à chaque partie du bâti) est ici contredite par la configuration matérielle du bâtiment (un entassement irrégulier et informe), ce qui fait la preuve de l'autonomie possible de l'intention de l'esprit vis-à-vis de ce qui relève de la matière.

Pour donner cet aspect informe et irrégulier à la masse matérielle du bâtiment, les différents prismes réussissent à se regrouper en un paquet massif grâce à leurs recoupements mutuels et à l'uniformité de leur teinte sombre. Pour contrecarrer cet effet, l'intention des architectes a été que notre esprit puisse bien repérer que ces prismes ont des directions et des positions relatives très différentes, et donc très autonomes, ce qui fait rater l'indifférenciation informe de leur regroupement : c'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui prend en charge la relation entre la configuration matérielle et l'intention des architectes que repère notre esprit. Si on lit leur regroupement, tous les prismes ne font ensemble qu'un seul et même bâtiment, mais l'autonomie préservée de la disposition de chacun permet aussi qu'on les lise comme de multiples prismes indépendants : c'est un effet d'un/multiple qui est associé à celui de regroupement réussi/raté.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément l'effet de paquet produit par le recoupement des différents prismes et l'autonomie de la disposition de chacun à l'intérieur de ce paquet.

 

 

 


Steven Holl : Ignatius Church à la Seattle University (1997)

Source de l'image : https://www.archdaily.com/115855/ad-classics-chapel-of-st-ignatius-steven-holl-architects

 

 

Exemple d'expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté avec le fait/défait dans le cadre de l'option e, l'Ignatius Church de la Seattle University qui a été conçue par l'architecte américain Steven Holl (né en 1947) et terminée en 1997. Nous examinons une partie de sa façade latérale et envisagerons son ambiance intérieure à l'occasion d'une autre sous-option.

Cette façade a matériellement l'aspect d'un assemblage hétéroclite de panneaux préfabriqués en béton. Sur les longueurs où ils ne sont pas jointifs, le vide laissé entre eux est occupé par une fenêtre. L'absence de régularité dans la découpe des liaisons entre panneaux s'accompagne d'une absence de régularité dans la découpe du haut du mur : tantôt horizontale, tantôt oblique, tantôt arrondie, tantôt absente et remplacée par le haut d'une baie, lequel se transforme aussitôt en appui d'une autre baie, lequel est rapidement défoncé par l'échancrure imprévue d'une petite baie verticale qui s'échappe de la précédente. Au total, donc, bien que cette façade soit évidemment faite, notre esprit repère que ses aspects matériels sont comme déstructurés, ce qui correspond à un effet de fait/défait qui rend compte ici de l'état de la relation matière/esprit.

Si nous considérons la fenêtre située à gauche du pan oblique de la toiture, nous pouvons lire que son contour dessine un rectangle vertical dont le trajet est continu. Mais nous pouvons tout aussi bien considérer que le bord vertical gauche de cette fenêtre est seulement une partie du joint vertical qui sépare les deux panneaux, un joint qui se retourne horizontalement puis verticalement en redevenant alors le joint de séparation de ces panneaux. La lecture du contour de cette fenêtre et la lecture du contour des panneaux sont donc indépendantes, elles ne partagent qu'occasionnellement le même parcours, et cela vaut de la même façon pour toutes les autres baies. L'effet de déstabilisation propre au centre/à la périphérie s'appuie sur cette incertitude quant à la logique du découpage des panneaux : est-ce là une partie du contour d'une fenêtre ou bien est-ce une simple ligne d'interruption de panneau, voire une ligne d'interruption de la façade dans le cas de la ligne verticale qui descend depuis l'arrondi de la toiture ? Et pourquoi l'appui de la grande baie s'effondre-t-il soudain pour se laisser traverser par une fenêtre verticale dont on ne sait dire si elle fait ou non partie de cette grande baie ?

Les panneaux en béton et les vitrages sont matériellement rassemblés dans un même plan continu, lequel a donc réussi à regrouper les pleins et les vides dans une même continuité de façade. Par contraste, et comme détaillé précédemment, il apparaît que l'intention de l'architecte a été que notre esprit ne lise pas cette façade comme une façade habituelle, c'est-à-dire une façade pleine percée de fenêtres, mais de le captiver en faisant en sorte qu'il lise que les trous des fenêtres et les panneaux préfabriqués cohabitent dans un même plan sans rien y faire ensemble, qu'ils y soient comme étrangers les uns pour les autres, avec chacun son propre trajet de contour, bref, qu'ils ne soient pas regroupés dans une répartition bien lisible entre contours des panneaux pleins et contours des trous des fenêtres. C'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui régit l'autonomie entre l'effet de surface matérielle et la lecture que fait notre esprit des divisions internes à cette surface telle que l'a voulue l'intention de l'architecte.

Lorsqu'on ignore le découpage des panneaux, la continuité de sa surface matérielle est bien faite et les percements des fenêtres jouent très normalement le rôle de trous qui la ponctuent pour faire pénétrer la lumière dans le bâtiment. Par contre, si l'on suit l'intention de l'architecte de proposer à notre esprit une concurrence entre la lecture du découpage des panneaux et la lecture du contour des fenêtres, celles-ci cessent d'être perçues comme des trous aux contours continus percés dans le mur en béton pour ne devenir que des sortes de résidus vides entre panneaux trop écartés entre eux à certains endroits pour y rester continus. La perception des fenêtres comme trous dans le mur ou comme écarts résiduels entre panneaux étant ainsi faites ou défaites selon le mode de lecture adopté, c'est le fait/défait qui est ici associé au regroupement réussi/raté.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la continuité réelle de la surface du mur et l'ambivalence de la lecture de ses joints entre panneaux.

 

 



 

Herzog & De Meuron : Stade de Bordeaux (livré en 2015)

Source de l'image de gauche : https://www.architecturaldigest.com/story/2017-ad100-herzog-and-de-meuron
Image de droite : photographie de l'auteur

 

 

 

En 2015 un nouveau stade a été inauguré à Bordeaux, conçu par les architectes Herzog & De Meuron, il est un exemple d'expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e.

Extérieurement, l'apparence matérielle de ce stade a la forme d'une grande cuvette striée horizontalement et supportée par une forêt de fins poteaux en acier lus par notre esprit « du bout des yeux ». Entre ces poteaux serpentent les hautes surfaces matérielles des coursives, et le tout est uniformément de couleur blanche.

La verticalité insistante de cette forêt de poteaux contraste violemment avec l'horizontalité tout autant insistante des bandes en gradins inversés qui sculptent le dessous de la cuvette et qui se poursuivent en symétrique dans les emmarchements d'accès, tandis que la souplesse ondulante des hautes coursives qui se faufilent entre les poteaux fait directement contraste avec le systématisme de la rigidité de ceux-ci. L'effet de verticalité lu du bout des yeux par notre esprit défait donc celui d'horizontalité, tout comme l'effet de souplesse défait celui de rigidité : ces effets de fait/défait rendent compte de l'état de la relation matière/esprit.

Chaque poteau vertical se veut un centre d'effet visuel, et chacun de ces centres est entouré de centres visuels similaires sur toute sa périphérie : c'est un effet de centre/à la périphérie.

Le recouvrement de toutes les surfaces par la même couleur blanche fait que le stade apparaît globalement comme une masse matérielle blanche. En contraste avec ce rassemblement réussi de toute la matière dans une même couleur, l'intention des architectes a été de captiver notre esprit en lui permettant de distinguer, à l'intérieur de cette matière blanche, des formes très contrastées et bien séparées visuellement : des lignes horizontales en gradins, une forêt de tracés verticaux, de larges ondulations horizontales. Et puisque la lecture par notre esprit de ces formes contrastées fait rater leur regroupement pourtant réussi en une seule matière blanche, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui régente la relation entre la disposition matérielle de l'architecture et l'autonomie de l'intention relative à sa lecture par notre esprit. Alors que cette matérialité blanche uniforme relie toutes les formes entre elles dans une même continuité blanche, accentuant par cela l'effet des colonnes qui relient réellement le bas et le haut de l'édifice, sa lecture par notre esprit détache visuellement les formes horizontales des formes verticales et des formes ondulantes, chacun de ces registres de formes correspondant lui-même à un ensemble de formes détachées les unes des autres : les poteaux sont franchement détachés les uns des autres, les lignes en gradins se décalent les unes des autres, les avancées des tribunes ondulantes se détachent à distance les unes des autres. Pour toutes ces raisons, c'est le relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément le regroupement des formes dans une même couleur blanche et leur séparation visuelle due à leurs très fortes différences d'aspect.

 

 

 


Herzog & de Meuron : Stade National de Beijing (JO de 2008)

Source de l'image : https://trieuhaotravel.vn/Du-lich-Bac-Kinh-Trung-Quoc-Tham-quan-Van-Ly-Truong-Thanh-8-2017

 

 

Autre stade des architectes Herzog & De Meuron, celui des Jeux Olympiques de 2008, couramment dénommé « le nid d'oiseau » du fait de sa ressemblance avec un nid tressé à l'aide de brindilles entrelacées. Il s'agit d'une expression synthétique de la même association du regroupement réussi/raté avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e.

Matériellement l'enveloppe du bâtiment est faite puisque nous pouvons dire à quel endroit elle se trouve et la suivre en continu, mais pour notre esprit elle est défaite puisqu'elle est pleine de trous et que son tressage ne permet de lire qu'un fouillis de tracés : c'est l'effet de fait/défait qui rend donc compte de l'état de la relation matière/esprit.

Les lignes entrelacées de ce tressage se croisent sur toute la périphérie du bâtiment, ce qui donne lieu à quantité de centres de croisements qui sont répartis sur toute cette périphérie : effet de centre/à la périphérie.

Le bâtiment est matériellement enveloppé en continu, mais les architectes ont eu l'intention d'empêcher notre esprit de lire la surface de cette enveloppe et de le captiver en l'obligeant à plutôt y lire un entrelacement de lignes, affirmant ainsi l'autonomie de l'intention concernant la lecture par l'esprit par rapport à la disposition matérielle. Si la paroi extérieure du bâtiment est matériellement regroupée sur une enveloppe continue, ce regroupement est raté puisque notre esprit ne lit que des lignes qui se croisent en partant dans toutes les directions et en laissant entre elles de grandes béances vides, ce qui ne génère aucune continuité, sauf aux furtifs instants de leurs croisements : c'est donc l'effet de regroupement réussi/raté qui régit la relation entre l'effet d'enveloppe matérielle et l'intention des architectes concernant la lecture que pourra en faire notre esprit. Le tressage de cette enveloppe correspond de façon évidente à un effet de relié/détaché puisqu'il est formé des lignes détachées les unes des autres et se reliant entre elles, c'est donc encore le relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.

Il s'agit cette fois d'une expression synthétique, car on ne peut lire l'effet de surface enveloppante créé par l'entrecroisement de ces lignes sans lire, précisément, qu'il s'agit d'un entrecroisement de lignes et non pas d'une surface continue.

 

 

Option M : confrontation en regroupement réussi/raté de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :

 



 

Steven Holl : Bellevue Arts Museum (2001)

Source de l'image : https://www.thestranger.com/locations/24679/bellevue-arts-museum

 

Manuelle Gautrand : Cité des Affaires de Saint-Étienne (2005-2011)

Source de l'image :http://manuelle-gautrand.com/projects/cite-des-affaires/

 

Comme expressions analytiques de l'association du regroupement réussi/raté et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M, deux exemples d'une disposition similaire, d'abord utilisée par Steven Holl au Bellevue Arts Museum inauguré en 2001 dans la ville de Bellevue (État de Washington, USA), puis par l'architecte française Manuelle Gautrand (née en 1961) à la Cité des Affaires de Saint-Étienne en France, construite entre 2005 et 2011. Dans les deux cas, le matériau utilisé en façade ne se continue pas sur ses retours qui sont traités avec un matériau et un coloris franchement différents de ceux de la façade.

La présence d'un matériau très différent d'aspect sur les façades principales et sur leurs retours n'empêche pas que le volume matériel du bâtiment soit bien fait. Toutefois, en contrariant la perception de l'enveloppement continu de ce volume par une même paroi se pliant, elle défait la possibilité pour notre esprit de lire ce volume : c'est un effet de fait/défait qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

Puisque cette disposition déstabilise notre capacité à ressentir le volume du bâtiment qui est en face de nous, il s'agit aussi d'une expression de l'effet du centre/à la périphérie qui est spécialisé dans la déstabilisation de notre capacité à saisir comment un bâtiment se dresse sur le sol ou dans l'espace.

Normalement, notre esprit s'attend à ce que la masse matérielle du bâtiment apparaisse sous la forme d'un volume en trois dimensions lisible en tant que tel, mais ici cette attente est déçue par l'intention de l'architecte d'organiser matériellement le bâtiment comme une combinaison de plans indépendants entre eux. Cela n'empêche pas que le regroupement du volume du bâtiment est bien là, mais la lecture de ce volume est ratée puisqu'il est décomposé en plans d'aspects trop différents pour être lus en continuité : c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui sert ici à affirmer l'autonomie entre l'attente de notre esprit et l'intention de l'architecte concernant l'apparence matérielle du bâtiment, et comme la lecture d'un même et unique volume se fait par le biais de la lecture de multiples plans autonomes, c'est l'un/multiple qui est associé au regroupement réussi/raté.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément l'existence du volume du bâtiment et sa lecture par addition de plans séparés qui est suggérée à notre esprit.

 

 

 


Steven Holl : salle d'accueil des D.E. Shaw & Co. Offices à New York (1992)

Source de l'image : http://www.stevenholl.com/projects/de-shaw-offices

 

 

Autre exemple d'expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M, l'aménagement des locaux de la firme de trading D.E. Shaw & Co. à New York, en 1992, qui a probablement beaucoup fait pour lancer la carrière de Steven Holl. Le traitement de sa salle d'accueil utilise des effets d'éclairage indirect que nous analyserons davantage dans l'Ignatius Church de Seattle que nous retrouverons plus loin. Ce que nous allons principalement considérer ici est la façon dont ont été traités les angles des pièces. Par différence avec son Bellevue Arts Museum, pour casser la perception du retournement en angle des murs, Steven Holl n'a pas contrasté fortement les deux plans se rencontrant, plus radicalement il a supprimé une partie de la réalité même de l'angle qu'ils forment. On remarquera que ce principe ne vaut pas que pour le coin vertical de la pièce, mais aussi pour la rencontre de chaque mur avec le sol et avec le plafond.

Dans chaque cas une partie matérielle de l'angle entre les deux parois est réellement faite, mais notre esprit considère que cet angle est défait sur le reste de leur rencontre dès lors que l'une de ces deux parois se continue au-delà de cette rencontre : c'est l'effet de fait/défait qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

Cette disposition, ajoutée aux effets de lumière colorée jaillissant à l'endroit de ces « rencontres ratées », fait que tous ces trous dans la matière sont autant de centres d'intérêt visuel qui attirent notre attention, et ces centres d'intérêt sont entourés de centres semblables sur toute la périphérie de chaque mur, sur toute la périphérie du sol et du plafond, et même sur la périphérie des diverses ouvertures percées dans les murs. Il s'agit donc d'un effet de centre/à la périphérie, un effet auquel on peut aussi rattacher l'éblouissement que provoque l'éclairage coloré indirect à l'arrière de la cloison de gauche, puisque cet éblouissement nous déstabilise en nous empêchant de percevoir à quelle distance est la cloison située en arrière-plan, et même d'être bien sûr qu'il y en a une.

Il y a certainement là une pièce cubique fermée, mais notre esprit est surpris par la disposition matérielle de ses parois qui, conformément à l'intention de l'architecte, ne forment aucun angle continu entre elles ainsi qu'il en va normalement pour les parois d'un volume fermé. Bien que le regroupement des diverses parois entre elles et avec le sol et le plafond génère donc globalement le volume fermé d'une pièce, pour notre esprit ce regroupement est matériellement raté du fait de l'intention de l'architecte de casser les liaisons entre ces diverses surfaces : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui sert ici à faire valoir l'autonomie de l'intention concernant l'organisation matérielle du lieu par rapport à l'attente de notre esprit. L'intention de l'architecte de concurrencer la lecture du volume unique de la pièce par la lecture de plusieurs plans autonomes venant seulement buter localement les uns contre les autres correspond à un effet d'un/multiple, lequel est donc associé au regroupement réussi/raté.

Comme dans les deux exemples précédents il s'agit d'une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément l'existence du volume de la pièce et la décomposition de son enveloppe en plans autonomes.

 

 

 


Herzog & de Meuron : extension de la Tate Modern (2016)

Source de l'image : http://www.tate.org.uk/about-us/projects/tate-modern-project/design

 

 

Comme exemple d'expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté et du fait/défait dans le cadre de l'option M, l'extension de 2016 conçue par Herzog & de Meuron de la Tate Modern de Londres, initialement conçue par ces mêmes architectes. Cette extension a la forme d'un bâtiment voilé, tordu, au volume proprement insaisissable.

Si c'est avec nos yeux que nous percevons un bâtiment, c'est dans notre corps que notre esprit reconstitue ses formes pour en lire les relations et les continuités ou les discontinuités, or il est impossible, avec un bâtiment ainsi irrégulièrement tordu, de faire entrer dans notre corps la perception de son volume. Si nous percevons bien qu'un volume est matériellement présent, pour notre esprit il est complètement déformé, cassé, défait, c'est donc un volume qui engendre en nous un effet de fait/défait, lequel rend compte ici de l'état de la relation matière/esprit.

Et puisque nous sommes déstabilisés par cette présence insaisissable, puisque nous sommes incapables de ressentir comment ce volume se dresse dans l'espace et à quelle distance il est de nous puisque sa surface se dérobe vers de multiples directions à la fois, ce volume engendre en nous une déstabilisation qui est le propre de l'effet du centre/à la périphérie.

L'intention des architectes a donc été de rendre la masse matérielle du bâtiment impossible à saisir par notre esprit. Si nous concevons bien que le bâtiment est matériellement regroupé devant nous, l'impossibilité de saisir son volume dans notre perception fait rater ce regroupement, et puisque son volume peut être à la fois considéré comme fait, à cause de sa présence réelle, et comme défait, à cause de l'impossibilité où nous sommes de vraiment le saisir dans notre perception, c'est le fait/défait qui apparaît associé au regroupement réussi/raté pour rendre compte de l'autonomie que peut avoir l'intention concernant la disposition matérielle d'un lieu par rapport à la possibilité qu'a notre esprit d'en prendre pleinement connaissance.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la présence réelle du bâtiment et la difficulté qu'il y a pour saisir son volume.

 

 

 


Steven Holl : Nelson-Atkins Museum of Art à Kansas City (2007)

Source de l'image : http://www.stevenholl.com/projects/nelson-atkins-museum-of-art

 

 

Pour une expression synthétique de l'association du regroupement réussi/raté et du fait/défait dans le cadre de l'option M, encore une œuvre de Steven Holl, le Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City, terminé en 2007 et qui illustre l'emploi très récurrent de parois translucides par cet architecte.

Une paroi pleine se rend normalement présente à notre esprit par son opacité, et une paroi vitrée disparaît habituellement à notre vue du fait de sa transparence. Quant à elle, une paroi translucide a la particularité de se rendre physiquement présente bien qu'elle ne soit pas opaque, car si comme une paroi opaque elle ne se laisse pas traverser par la vue, elle se laisse traverser par la lumière. Par nature donc, quand la présence matérielle d'une paroi translucide est faite, y est défaite l'opacité que notre esprit attend normalement d'une paroi qui ne laisse pas passer la vue : effet de fait/défait pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit.

L'effet d'immatérialité généré par une paroi translucide nous déstabilise : une paroi est-elle bien là ou est-ce seulement une illusion de paroi ? Et quelle est la position précise de cette paroi dès lors que la lumière qui en émane nous éblouit quelque peu ? Effet de déstabilisation, effet de doute sur la position réelle d'une paroi, ce sont là des caractéristiques de l'effet du centre/à la périphérie.

Il y a réellement là une paroi, un mur, un volume fermé, mais l'intention de l'architecte a été de procurer à la matérialité de cette paroi un caractère paradoxalement immatériel, de la faire irradier de lumière plutôt que de la faire marquer une limite, une frontière entre un dedans et un dehors. Bien qu'une paroi soit matériellement regroupée devant nous, qu'elle ferme bien un espace, qu'elle le clôt, pour notre esprit ce regroupement est raté puisque son aspect translucide la rend immatérielle, évanescente, faite de lumière et non de matière. Et puisque la paroi est faite alors qu'elle peut aussi bien être perçue comme une simple présence lumineuse, et donc matériellement défaite, c'est l'effet de fait/défait qui est associé au regroupement réussi/raté pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la propriété matérielle de la paroi vis-à-vis de l'attente de notre esprit lorsqu'il est confronté à une paroi opaque à la vue.

Il s'agit d'une expression synthétique, puisque l'on ne peut pas saisir la présence réelle d'une paroi translucide sans être conscient que cet aspect translucide lui procure une sorte d'immatérialité qui la transforme en phénomène lumineux plutôt que matériel.

 

 

 


Steven Holl : Ignatius Church à la Seattle University (1997)

Source de l'image : http://www.architecturerevived.com/st-ignatius-chapel-seattle-washington/

 

 

Pour une expression analytique de l'association du regroupement réussi/raté et du relié/détaché dans le cadre de l'option M, nous retrouvons l'Ignatius Church de la Seattle University conçue par Steven Holl, cette fois pour la disposition du mur intérieur situé au-dessus de l'autel et qui cache la source de la lumière ambiante.

L'éclairage naturel de cette partie de l'édifice est matériellement fait, mais il est défait pour notre esprit puisque sa source nous est cachée. La continuité matérielle des parois est également faite dès lors que la cloison qui masque la lumière est reliée aux murs et au plafond en plusieurs endroits, mais notre esprit remarque aussi qu'elle est défaite puisque cette même cloison est coupée de ces parois en d'autres endroits : l'effet de fait/défait rend compte de ces deux façons de l'état de la relation matière/esprit.

Comme dans la salle d'accueil des Shaw & Co. Offices, l'effet du centre à la périphérie correspond au contre-jour qui polarise notre attention, et donc notre centre d'intérêt, sur toute la périphérie de l'écran surmontant l'autel. On peut aussi rattacher à cet effet l'incertitude déstabilisante que nous avons quant à la position réelle du mur du fond de l'autel, puisqu'on dispose pour lui de deux positions décalées l'une devant l'autre et qui se font concurrence pour être « la » position de ce mur.

Alors que pour notre esprit un lieu fermé est normalement le résultat d'un enveloppement continu de parois, éventuellement percées localement par des ouvertures, ici il est dérouté de ne percevoir aucune continuité dans les parois, et dérouté aussi de ne pas parvenir à localiser la position des ouvertures faisant pénétrer la lumière depuis l'extérieur. Évidemment, c'était précisément l'intention de l'architecte que d'empêcher notre esprit de ressentir que la masse matérielle des murs forme un enveloppement continu franchement percé d'ouvertures.

Matériellement les parois se regroupent bien pour former ensemble un volume fermé éclairé par la lumière naturelle, mais pour notre esprit ce regroupement est raté puisqu'il constate que ces parois sont détachées les unes des autres et qu'il ne parvient pas à repérer l'endroit où pénètre la lumière naturelle : c'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui fait valoir l'autonomie de l'intention d'aménagement matériel conçu par l'architecte par rapport à l'attente de notre esprit. Et puisque c'est en se détachant des murs voisins et du plafond, tout en y restant toutefois quelque peu relié, que l'écran à contre-jour empêche de lire la continuité matérielle des parois et qu'il occasionne un éclairage indirect du lieu, c'est l'effet de relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément les endroits où la paroi à contre-jour est reliée aux autres et les endroits où elle en est détachée.

 

 

 


Herzog & de Meuron : CaixaForum à Madrid (2008)

Source de l'image :
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Pour finir cette étape, un exemple d'expression synthétique de l'association du regroupement réussi/raté et du relié/détaché dans le cadre de l'option M. À plusieurs occasions les architectes Herzog & de Meuron ont utilisé l'effet de déstabilisation que provoque sur nous la vue d'un bâtiment qui semble tenir en l'air tout seul, c'est-à-dire sans être supporté par le sol. On a déjà envisagé cet effet dans l'exemple de la Vitra Haus, mais la surprise d'un bâtiment qui semble en lévitation au-dessus du sol est tout spécialement forte dans le bâtiment du CaixaForum de Madrid, achevé en 2008.

Bien évidemment, la déstabilisation que provoque en nous l'absence d'appui du bâtiment sur le sol correspond ici à l'effet du centre/à la périphérie.

L'effet de fait/défait correspond lui à la partie haute de l'ancien bâtiment en maçonnerie qui a été utilisé et surélevé : le dessin des toitures à deux pentes est bien fait sur son fronton, et la corniche du bas de la toiture est bien visible sur sa façade latérale, avec même un retour en fronton, mais l'utilité de ces dispositions architecturales est défaite puisque le bâtiment continue au-dessus par une surélévation neuve en métal. Le haut du bâtiment ancien est donc à la fois fait pour notre esprit qui y repère les signes caractéristiques de la présence d'un toit, et matériellement défait par la présence de la surélévation qui nie cette présence : l'effet de fait/défait rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

Notre esprit voit bien que le bâtiment ne s'effondre pas, mais il s'étonne de ce comportement étrange de la matière du bâtiment qui flotte en l'air sans appui apparent sur le sol, et c'est précisément ce qu'a voulu l'intention des architectes pour faire valoir l'autonomie possible de l'intention matérielle par rapport à l'attente de notre esprit. Même si nous ne comprenons pas de quelle façon, nous savons bien que la masse du bâtiment se relie au sol d'une façon ou d'une autre pour s'appuyer sur lui, mais l'intention des architectes a été de faire visuellement rater ce regroupement de la matière du bâtiment avec le sol en le détachant apparemment de lui. L'effet de relié/détaché est donc ici étroitement associé à celui de regroupement réussi/raté pour régir la relation entre l'attente de notre esprit et l'intention des architectes concernant le comportement matériel apparent du bâtiment dans son rapport avec le sol sur lequel il s'appuie.

Il s'agit d'une expression synthétique puisqu'on ne peut pas percevoir que la masse du bâtiment semble flotter en l'air sans s'apercevoir qu'il ne s'appuie pas au sol.

 

 

 

11.2.3.  La 3e étape de la maturité :

 

À cette étape les choses vont devenir un cran plus conflictuelles puisque, en s'associant soit à l'esprit soit à la matière, l'intention ne fera rien de moins que détruire ce que l'autre notion cherchera à faire. C'est en effet le fait/défait qui dominera les relations de la matière ou de l'esprit avec la notion d'intention, celle-ci se caractérisant alors par une « intention de nuire » destinée à prouver qu'il y a autre chose d'engagé dans ces relations que les seules notions de matière et d'esprit. En combinaison avec l'effet principal de fait/défait, nous aurons à envisager successivement l'un/multiple, le regroupement réussi/raté et le relié/détaché.

À cette nouvelle étape, les effets plastiques récurrents seront désormais le relié/détaché pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit et l'entraîné/retenu pour  résumer l'énergie de la relation encore embryonnaire produit-fabriqué/intention. Le relié/détaché devra donc s'exprimer de deux façons différentes dans le cas des sous-options où il intervient.

Comme nous l'avions déjà fait avec Oscar Niemeyer, une seule architecte nous servira à illustrer toutes les options de cette troisième étape, l'irako-britannique Zaha Hadid (1950- 2016).

 

Option e : confrontation en fait/défait des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :

 

 


Zaha Hadid : siège de la compagnie maritime CMA CGM à Marseille (2005-2010)

Source de l'image : https://www.la-croix.com/Culture/Zaha-Hadid-diva-architecture-eteinte-2016-04-01-1200750524

 

 

Comme expression analytique de l'association du fait/défait avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, la tour conçue par Zaha Hadid à Marseille, construite entre 2005 et 2010 pour servir de siège social à la compagnie maritime CMA CGM.

Elle dispose d'un noyau central au vitrage très sombre, et sur ses angles des bandes de vitrage bleuté nettement plus claires se rapprochent d'abord les unes des autres pour ensuite s'écarter après une inflexion bien marquée. Bien que toutes les parties de la tour soient matériellement reliées les unes aux autres, notre esprit repère que les bandes bleutées latérales sont d'abord écartées du noyau sombre de la tour au niveau du sol, qu'elles se relient ensuite à ce noyau tout en se rapprochant les unes des autres au point de presque se toucher, puis qu'elles se détachent à nouveau les unes des autres en s'écartant de plus en plus. Par ailleurs, si ces quatre bandes claires sont plus ou moins détachées les unes des autres quand on va du bas vers le haut, elles sont toujours reliées ensemble par leur attache commune au noyau central sombre de la tour. C'est matériellement que toutes les surfaces de la tour sont reliées, et c'est notre esprit qui, en lisant les lignes de séparations entre surfaces, constate que les plus claires se détachent plus ou moins les unes des autres : l'effet de relié/détaché rend compte de cette façon de l'état de la relation matière/esprit.

L'effet d'entraîné/retenu est lié à la dynamique contrariée de ces bandes latérales bleutées : depuis le sol elles s'élancent vers la tour, mais elles sont brusquement retenues dans cet élan et se contentent ensuite de monter verticalement. Leurs formes en biseaux inverses, rétrécies au niveau du sol puis à nouveau vers le haut de la tour, ajoutent à cet effet de dynamisme contrarié en donnant l'impression que ces bandes, non seulement montent verticalement après leur rebroussement, mais aussi qu'elles s'écartent désormais les unes des autres alors qu'elles étaient précédemment entraînées les unes vers les autres dans un mouvement de rapprochement.

Globalement, cette tour apparaît massive, bien regroupée, compacte. C'est là l'effet que produit sa masse matérielle. En contraste, l'intention de l'architecte a été d'amener notre esprit à ne pas pouvoir lire commodément cette masse globale en train de monter d'un jet vertical, mais de devoir plutôt lire, à chaque coin de la tour, des lames bleutées écartées les unes des autres et qui montent ensemble pour s'écarter en bouquet. L'unicité massive de la configuration matérielle de la tour est ainsi disloquée, défaite, par la lecture de sa décomposition en plusieurs étroites formes verticales qui s'impose à notre esprit du fait de l'intention de l'architecte : c'est l'effet de fait/défait qui valorise ici l'autonomie de l'intention concernant sa lecture par notre esprit vis-à-vis de la disposition matérielle du bâtiment. Et puisque la lecture de l'unité de la masse de la tour est concurrencée par sa décomposition en multiples lames verticales, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé à celui de fait/défait.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la compacité globale de la tour et la lecture en multiples lames verticales qui nous est imposée.

 

 

 


Zaha Hadid : Pierresvives à Montpellier (2002-2012)

Source de l'image : http://www.zaha-hadid.com/architecture/pierrevives/

 

 

Pour une expression synthétique de l'association du fait/défait avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, une autre construction de Zaha Hadid à l'allure massive, très massive même, le bâtiment Pierresvives de Montpellier, construit de 2002 à 2012 et qui sert simultanément d'archives municipales et de médiathèque.

Il ne manque pas de relié/détaché dans ce bâtiment pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit : ses divers morceaux sont matériellement détachés les uns des autres tandis que notre esprit repère qu'ils se relient sur une même trame dynamique horizontale et oblique, et aussi que leurs excroissances obliques les amènent à se rapprocher localement les uns des autres, c'est-à-dire à se relier au bloc du dessus ou du dessous tout en en restant écartés, c'est-à-dire détachés. Si de grandes saignées horizontales détachent complètement la partie basse et la partie haute des massifs qu'elles traversent, notre esprit suit aussi des yeux leurs rayures horizontales qui génèrent un énergique effet de reliure, parfois local, mais aussi général pour ce qui concerne les rayures de la saignée la plus haute qui relient en continu l'avant et l'arrière du bâtiment.

L'effet d'entraîné/retenu est lié au dynamisme d'ensemble des formes. Pour en suivre le dynamisme, notre regard s'élance, il monte ou descend en oblique, ou il suit plus longuement un trajet filant horizontal. Or, ce dynamisme visuel qui entraîne notre regard à se mouvoir avec vélocité est contredit par la réalité incontournable du bâtiment qui est que ses formes ne peuvent pas bouger, qu'elles sont irrémédiablement figées et retenues dans la fixité.

Comme on l'a déjà dit, ce bâtiment s'affirme matériellement très massif, voire lourd, pesant. Contredisant cette massivité globale, l'intention de l'architecte a été d'obliger notre esprit à lire sa décomposition en une multitude de lanières, tantôt horizontales et tantôt obliques, détachées les unes des autres par des vitrages et semblant ainsi tenir en l'air sans s'appuyer les unes sur les autres, comme si elles étaient soustraites aux effets de la pesanteur. L'effet de massivité pesante de la matière du bâtiment est donc contredit, défait, par le découpage en multiples formes dynamiques et comme en apesanteur qui s'impose à notre esprit pour lire le bâtiment. Et comme cette séparation en multiples lanières dynamiques n'empêche pas de lire quelles sont autant de parties d'un même bâtiment, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé au fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention liée à la lecture par notre esprit vis-à-vis de l'aspect matériel du bâtiment.

Par différence avec la tour de Marseille où le caractère vitré de la totalité de la tour permettait de saisir son volume global indépendamment de son découpage vertical, il est très difficile ici de saisir la forme d'ensemble du bâtiment sans s'affronter à son découpage en multiples lanières de maçonneries séparées par des vitrages. Il s'agit donc, cette fois, d'une expression synthétique.

 

 



 

Zaha Hadid : opéra de Guangzhou en Chine  Source des images : https://houseextensiondesigns.co.uk/zaha-hadid/ et https://www.designboom.com/architecture/zaha-hadid-architects-guangzhou-opera-house/

 

Pour une expression analytique de l'association du fait/défait avec le regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e, l'opéra de Guangzhou, construit de 2003 à 2010 et toujours conçu par Hadid.

On y a affaire à un groupe de bâtiments très compacts et à la surface lisse au point de presque ressembler à des galets. La masse de ces bâtiments semble s'incliner, comme si elle était entraînée à s'effondrer sur le côté, mais on voit bien qu'elle ne s'effondre pas et qu'elle est donc retenue dans son mouvement : voilà pour l'effet d'entraîné/retenu. (nota : l'angle de prise de vue ne permet pas de distinguer cet effet sur la photographie de gauche, mais il est bien visible sur celle de droite)

Sur la peau matérielle continuellement lisse de ces sortes de galets, notre esprit lit que de grandes bandes vitrées se détachent visuellement de la surface recouverte de carreaux en céramique, et cela tout en étant reliées en continu avec elle. Voilà, cette fois, pour l'effet de relié/détaché qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

La surface des bâtiments est regroupée dans une même continuité lisse qui se poursuit même sur le toit qui ne se différencie pas des murs latéraux, ce qui génère une peau matérielle qui enveloppe en continuité l'ensemble du volume de chacun des deux bâtiments, d'où cet effet de gros galet massif et compact que produit leur masse matérielle. En contraste, l'intention de l'architecte a été de forcer notre esprit à lire que cette peau, bien que continue, est divisée en deux matériaux bien tranchés l'un de l'autre, d'une part une peau en céramique recouvrant l'essentiel de la surface, d'autre part une peau vitrée, plus sombre et plus colorée dans la journée, transparente et lumineuse pendant les moments d'éclairage nocturne. Pour notre esprit qui lit cette séparation en deux surfaces très différentes, le regroupement de chacun des bâtiments dans une masse compacte à la surface continue est évidemment raté, et comme cette division en deux aspects très différents défait la continuité des surfaces qui est pourtant matériellement faite, le fait/défait et le regroupement réussi/raté sont ici associés pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture par notre esprit de l'enveloppe du bâtiment vis-à-vis de sa configuration matérielle.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la continuité physique de la peau extérieure des bâtiments et leur séparation visuelle en deux types de surface aux aspects très tranchés.

 

 

 


Zaha Hadid : Riverside Museum of Transport à Glasgow (2004-2011)

Source de l'image : https://www.archdaily.com/161343/over-500000-visitors-to-the-riverside-museum-in-its-first-weeks/501557d028ba0d02f0000e69-over-500000-visitors-to-the-riverside-museum-in-its-first-weeks-photo?next_project=no

 

 

L'architecture du Riverside Museum of Transport de Glasgow, construit de 2004 à 2011, n'est vraiment compréhensible que depuis le ciel. Il est un exemple d'expression synthétique d'association du fait/défait avec le regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e. Vu du ciel donc, le bâtiment apparaît comme un ensemble de plis, eux-mêmes pliés deux fois dans le sens transversal à leur développement. La déformation de ces plis est très irrégulière d'un pli à l'autre et d'un endroit à l'autre d'un même pli : celui le plus à gauche est le plus détendu, par conséquent le plus aplati, tandis que l'avant-dernier sur la droite est le plus resserré, le plus compressé, de telle sorte que son arête supérieure monte plus haut que celle des autres plis.

En s'accolant côte à côte sur toute leur longueur, les différents plis de la toiture se trouvent matériellement reliés les uns les autres, mais notre esprit lit qu'ils se détachent les uns des autres en surgissant isolément chacun à côté des autres. Par ailleurs, les lignes de crête de ces plis sont matériellement détachées les unes des autres tandis que nous lisons qu'elles relient en continu les deux extrémités du bâtiment. Ce sont là deux façons de faire du relié/détaché pour rendre compte de l'état de la relation matière/esprit.

Notre impression est que le plissement des toitures n'est pas « naturel », qu'il est le résultat d'une contrainte appliquée sur le bâtiment, le forçant à se plisser, et surtout à se tordre. Apparemment entraîné dans un mouvement de compression, le bâtiment reste toutefois figé, retenu dans cet état compressé, tel un ressort dont la détente serait empêchée. Par ailleurs, si l'œil se laisse entraîner à suivre rapidement les plis dans leurs parties droites, il est ralenti, retenu, dans les brusques virages alternés qui affectent leur parcours. Cette fois, ce sont deux façons de faire de l'entraîné/retenu.

Matériellement, les plis qui forment la toiture du bâtiment sont stablement regroupés dans une forme immobile d'allure compressée. En leur donnant cette apparence de plis anormalement compressés au point de se déformer mutuellement, certains s'étalant quand d'autres sont excessivement pincés, l'intention de l'architecte a été de défaire visuellement la stabilité matérielle du bâtiment, car puisque ces formes sont comprimées à l'excès, notre esprit peut s'attendre à ce que les plis trop compressés de la partie droite en viennent à s'étaler et à élargir le bâtiment pour atteindre le même degré de détente que les plis de la partie gauche. Ainsi, le regroupement matériel réussi des toitures, immobiles et comme compressées, est défait dans notre esprit par notre impression que l'ensemble des toitures va se détendre au moyen d'un écartement de leurs plis trop resserrés. Regroupement matériel des plis fait et réussi, mais défait et raté dans notre esprit, c'est donc l'effet de regroupement réussi/raté associé à celui de fait/défait qui font valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture du bâtiment que notre esprit sera conduit à faire par rapport à sa disposition matérielle.

Il s'agit d'une expression synthétique car on ne peut pas lire que certains plis semblent seulement provisoirement compressés de façon excessive sans constater que, à l'inverse, c'est stablement qu'ils sont tassés les uns contre les autres.

 

 

 


Zaha Hadid : Wangjing SOHO à Beijing (2009-2014)

Source de l'image : https://www.archdaily.com/782814/winners-of-the-inaugural-2016-china-tall-building-awards/56d08c43e58eceb1cf000206-winners-of-the-inaugural-2016-china-tall-building-awards-photo

 

 

On passe à l'association du fait/défait avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e, d'abord dans une expression analytique.

Le Wangjing Soho de Beijing est un ensemble de bureaux divisé en trois grands ensembles que l'on pourrait prendre pour des galets plats coupés en deux et installés verticalement sur la tranche de cette coupure. Cet ensemble a été construit de 2009 à 2014. Ses surfaces sont striées par des bandes horizontales blanches dont la hauteur varie beaucoup d'un endroit à l'autre de leur longueur, au point parfois de se réduire à une très fine ligne.

Le premier effet de relié/détaché à considérer et qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit concerne le groupe que forment les immeubles : ils sont bien détachés matériellement les uns des autres, mais notre esprit ne peut s'empêcher de les relier dans une même vision du fait des rayures semblables qui recouvrent leurs surfaces.

L'effet d'entraîné/retenu, maintenant : horizontalement, notre regard est entraîné à lire à toute vitesse les bandes blanches qui se poursuivent sans interruption avec fluidité, mais si nous essayons de lire la même surface de bas en haut, cette fois il est sans arrêt retenu par l'alternance des bandes de vitrages sombres et d'allèges blanches qui interrompent systématiquement notre lecture.

La forme en galet de la masse matérielle de chacun des bâtiments est compacte et très simple. L'intention de l'architecte a été de gêner la lecture de cette simplicité et de captiver notre esprit en le forçant à lire une grande multitude de bandes horizontales aux hauteurs toujours changeantes. La lecture de la simplicité de la forme de chaque bâtiment étant défaite par ce striage de sa surface, et ces striures n'étant rien d'autre que des bandes détachées les unes des autres qui relient en continu tout son périmètre, c'est l'effet de relié/détaché qui est associé à celui de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture de la surface des bâtiments que notre esprit sera conduit à faire par rapport à la configuration matérielle de leur forme.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut commodément repérer la simplicité de la forme en galet des bâtiments indépendamment de la lecture de leurs striures horizontales.

 

 

 


Zaha Hadid : dessin de présentation du stade Al Janoub à Al-Wakrah, près de Doha, Quatar (2015-2019)

Source de l'image : http://www.slate.fr/story/116285/zaha-hadid-scandales

 

 

Exemple d'expression synthétique de l'association du fait/défait et du relié/détaché dans le cadre de l'option e, l'Al Janoub Stadium, à Al-Wakrah au Quatar, conçu par Zaha Hadid en 2015 et inauguré en 2019.

La peau matérielle de ce stade est entièrement découpée en lamelles visuellement détachées les unes des autres que notre esprit peut suivre des yeux et qui relient toute la surface. Cette peau, légèrement translucide qui relie donc en continu toute la surface du volume, notre esprit constate qu'elle se déchire dans la partie centrale amovible du toit où elle se détache franchement en deux moitiés. Ces deux effets de relié/détaché rendent compte de l'état de la relation matière/esprit.

Comme souvent chez Zaha Hadid, l'effet d'entraîné/retenu est porté par le dynamisme de la lecture des formes. Ici, notre regard se laisse entraîner à lire à toute vitesse la partie courante des méandres principaux ainsi que la ceinture périphérique du stade, mais il est ralenti, et donc retenu, à l'endroit de leurs virages un peu trop serrés. Notre regard est surtout retenu lorsqu'il suit le trajet des lamelles intermédiaires qui se coincent mutuellement à leurs extrémités et qu'il vient se faire bloquer avec elles. Par ailleurs, autant notre regard peut glisser facilement dans le sens de la longueur de ces lamelles, autant il est fastidieux de lire leur succession dans le sens perpendiculaire. En résumé, le dynamisme fluide de la partie courante des lignes de cette architecture entraîne notre regard à les suivre, mais il est freiné, bloqué, retenu, sur certaines parties de ces lignes ou selon certaines directions de lecture.

Globalement, ce stade dispose d'une enveloppe matérielle continue de forme assez simple. L'intention de l'architecte a été de contrarier cette simplicité en empêchant notre esprit de la lire commodément, et de le captiver en le forçant plutôt à lire sa décomposition en multiples bandes et lanières très hétérogènes entre elles, une hétérogénéité qui est obtenue par l'affirmation de renflements collectifs regroupant chacun des lamelles bien détachées les unes des autres dans leur partie centrale et liés entre elles à leurs extrémités. À grande échelle, notre esprit repère que ces divers renflements se font et se défont, et aussi qu'ils se détachent l'un de l'autre par leurs décalages mais tout en restant reliés l'un à l'autre par de larges bandes ondulantes. Puisque ce sont des effets de relié/détaché et de fait/défait qui forcent notre esprit à lire que cet enveloppement recèle une forte complexité dynamique, c'est leur association qui fait valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la complexité de la lecture à laquelle notre esprit sera conduit par rapport à la simplicité de la forme matérielle d'ensemble du bâtiment.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas lire la simplicité de l'enveloppe globale du bâtiment sans devoir s'affronter à la complexité du dynamisme des différentes surfaces qui s'assemblent pour générer sa forme.

 

 

Option M : confrontation en fait/défait de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :

 

 


Zaha Hadid : Abu Dhabi Performing Arts Center (projet de 2007)

Source de l'image : http://www.zaha-hadid.com/architecture/abu-dhabi-performing-arts-centre/

 

 

Le projet de 2007 conçus par Zaha Hadid pour le Performing Arts Center d'Abu Dhabi ne sera peut-être jamais construit, mais peu importe. C'est une expression synthétique de l'association du fait/défait et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M.

On s'intéressera à sa façade d'extrémité qui comporte deux niveaux principaux reliés par des diagonales et subdivisés par un réseau de branches obliques, un réseau lui-même subdivisé par les branches d'un réseau de plus petite échelle, ce qui implique donc trois échelles superposées de réseaux ramifiés dont notre esprit peut suivre des yeux les parcours hiérarchiques et les multiples embranchements. Ce sont toutefois les vitrages translucides qui s'intercalent entre les réseaux les plus fins qui forment la véritable paroi matérielle du bâtiment. Ces réseaux sont nécessairement reliés à cette paroi puisqu'ils en sont les nervures, mais ils s'en détachent aussi visuellement du fait qu'ils sont opaques et non translucides comme la paroi. Pour sa part, le réseau de plus grande échelle est physiquement détaché de cette paroi puisqu'il est en avancée sur elle, et ainsi détaché il relie le sol au plancher intermédiaire, puis celui-ci à la toiture. Entre la surface matérielle de la paroi translucide et les divers réseaux hiérarchique de lignes que notre esprit suit des yeux, on a donc affaire ici à un complexe jeu de relié/détaché pour rendre compte de la relation matière/esprit.

L'effet d'entraîné/retenu fonctionne de façon différente pour le réseau des nervures de grande échelle et pour les deux autres. Pour le réseau principal en relief sur la façade, il concerne le dynamisme de sa lecture, puisque notre regard est entraîné à lire rapidement ses longues nervures lisses mais qu'il se trouve stoppé, et donc retenu, à l'extrémité de chacune de ses branches lorsqu'il doit brusquement rebrousser chemin ou changer de direction. Pour les réseaux secondaires, que la continuité apparente de leur trame nous entraîne à lire en continu, c'est le réseau en relief qui passe devant eux qui gêne leur lecture continue et qui nous retient donc de la faire. Le dynamisme d'ensemble de la façade génère un autre effet d'entraîné/retenu : la torsion de l'extrémité gauche du niveau bas et l'allure de ses extrémités de droite font qu'elle semble entraînée à s'incliner vers la droite, mais elle ne bouge pas et son mouvement d'inclinaison est donc retenu.

Pour notre esprit, il y a évidemment là une paroi qui est faite, d'autant qu'elle se manifeste sur ses deux niveaux par la présence d'une surface vitrée translucide, mais l'intention de l'architecte a été de défaire la présence de cette surface en forçant notre esprit à plutôt y lire un réseau hiérarchique de nervures qui se lisent du bout des yeux comme autant de lignes la traversant, le plus souvent en biais. Une seule surface que notre esprit est obligé de lire comme trois réseaux linéaires d'échelles différentes, c'est donc l'effet d'un/multiple qui est associé au fait/défait, et ensemble ils font valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant l'organisation matérielle de la façade en réseaux linéaires hiérarchiques par rapport à l'attente de notre esprit de plutôt percevoir une paroi affirmée en tant que surface.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas tenter de percevoir la continuité de la paroi de cette façade sans s'affronter à sa décomposition en un réseau linéaire hiérarchique.

 

 



 

Zaha Hadid : Galaxy Soho à Beijing (2009-2012)

Source des images :https://www.archdaily.com/294549/
galaxy-soho-zaha-hadid-architects-by-hufton-crow

 

 

Comme exemple d'expression analytique de l'association du fait/défait et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M, le Galaxy Soho construit à Beijing de 2009 à 2012. Par différence au Wangjing Soho de Beijing analysé précédemment, il n'est pas seulement un ensemble de bureaux mais contient aussi des galeries commerciales et des équipements de loisirs.

L'originalité de sa disposition tient à sa distribution en divers plots matériellement indépendants plus ou moins arrondis qui, de place en place, sont énergiquement et souplement reliés entre eux par des bandes d'étages dont les allèges, que notre esprit suit des yeux, poursuivent en continu les allèges horizontales qui cernent ces divers plots. Ces bandes lancées entre les immeubles les relient, mais en dehors de ces liaisons ils restent détachés les uns des autres. Par ailleurs, les allèges horizontales blanches superposées que notre esprit suit des yeux et qui font le tour de chacun des bâtiments relient en continu leur périmètre tout en étant franchement détachées matériellement les unes des autres, un détachement qu'accentue visuellement la teinte sombre des vitrages. Il y a donc ici quantité de relié/détaché pour rendre compte de la relation matière/esprit.

Encore une fois l'effet d'entraîné/retenu provient du dynamisme de la lecture des formes : à l'endroit des lignes qui raccordent les divers immeubles notre regard est entraîné à lire en continu les allèges qui passent d'un immeuble à l'autre, mais en dehors de ces passerelles il est nécessairement retenu sur la forme de l'immeuble qu'il examine. Et là aussi joue le contraste entre la lecture horizontale des allèges que nous sommes entraînés à suivre des yeux avec fluidité et leur fastidieuse lecture dans le sens vertical qui retient notre regard sur chacune des lignes de coursive successives.

À cause de leur dynamisme qui se singularise de façon expressive, les passerelles reliant les divers immeubles captivent notre esprit. L'intention de l'architecte a été de contrarier notre perception de la continuité qu'elles suggèrent en faisant en sorte que la masse matérielle de chacun des bâtiments apparaisse malgré tout autonome et s'érigeant isolément dans l'espace. L'effet de masse autonome produit par chacun des plots arrondis défait ainsi la continuité que s'attend à lire notre esprit du fait des liaisons existant entre les bâtiments, et quand notre esprit croit comprendre que les bâtiments sont regroupés dans une même continuité, la vision de leurs masses matérielles autonomes fait rater l'efficacité de ce regroupement visuel qui reste limité à quelques liaisons ponctuelles. L'effet de regroupement réussi/raté s'associe donc ici à l'effet de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte, laquelle morcelle l'organisation matérielle afin de décevoir la lecture des continuités attendue par notre esprit.

Il s'agit d'une expression analytique puisque l'on peut considérer séparément la présence de la masse matérielle isolée de chacun des bâtiments et la présence, de place en place, de leurs liaisons locales.

 

 

 


Zaha Hadid : Heydar Aliyev Center à Baku en Azerbaijan (2007-2012)

Source des images : https://www.la-croix.com/Culture/Zaha-Hadid-diva-architecture-eteinte-2016-04-01-1200750524 et https://houseextensiondesigns.co.uk/zaha-hadid/

 

 

 

 

 

 


 

 

 

Expression synthétique de l'association du fait/défait et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M, l'Heydar Aliyev Center de Baku, en Azerbaijan, édifié entre 2007 et 2012.

Son enveloppe blanche est une surface matérielle ondulée continue qui se poursuit loin sur le sol. Cette surface relie donc matériellement toutes les parties du bâtiment et le relie même au sol environnant, mais notre esprit ne peut manquer de repérer les franches découpes qui détachent l'une de l'autre certaines parties de cette surface, notamment l'arrière du soulèvement central qui se détache devant le reste de la couverture, et aussi les espèces d'ouïes successives qui s'ouvrent de chaque côté du bâtiment et qui détachent diverses bandes successives dans la continuité de sa surface. Cet effet de relié/détaché rend compte de la relation matière/esprit : l'enveloppe matérielle est reliée en continu, mais notre esprit y repère des failles qui détachent entre elles des parties de sa surface.

Sur le côté droit du bâtiment, au niveau de ces ouïes, le volume semble entraîné à tomber. Mais l'on constate qu'il ne bouge pas et qu'il est donc retenu dans sa bascule. En façade, on est entraîné à suivre des yeux la découpe du voile qui ondule sur le bâtiment, mais notre regard est retenu plusieurs fois pendant son parcours, à chaque inflexion de la forme et à son extrémité lorsque le voile vient buter contre lui-même après être monté, redescendu, puis reparti à l'horizontale. Ce sont là deux effets d'entraîné/retenu.

Le grand enveloppement blanc du bâtiment démarre sur le sol extérieur et se poursuit en continuité sur ses côtés et sur sa couverture, regroupant ainsi la totalité de son volume. L'intention de l'architecte a été de contrarier l'enveloppement complet du volume auquel s'attend dès lors notre esprit par la présence d'ouïes latérales qui déchirent sa surface, d'une grande brèche qui sépare le massif principal de la façade de l'enveloppement situé derrière lui, et aussi par l'absence de retournement de l'enveloppe en façade qui fait que l'intérieur du bâtiment y est complètement ouvert sur l'extérieur par des vitrages. Le regroupement du bâtiment dans un même enveloppement continu qui se prolonge jusque très loin au sol est ainsi à la fois globalement fait, réussi, et localement raté, donc défait : le regroupement réussi/raté est associé au fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte d'organiser matériellement des ratages locaux de l'enveloppement continu auquel s'attend notre esprit.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas constater que l'enveloppement matériel continu est presque réussi sans s'affronter aux endroits où il est raté.

 

 

 


Zaha Hadid : Terminus d'Hoenheim du tramway de Strasbourg

Source des images : https://thebeautyoftransport.com/2014/10/22/patterns-of-force-hoenheim-nord-terminus-and-car-park-strasbourg-light-rail-system-france/ et  https://www.amc-archi.com/photos/equerre-d-argent-2001-mention-speciale-zaha-hadid-parking-et-terminus-de-tramway,2721/poteaux-inclines-parking-et.3

 

 

 

 

 

 


 

 

 

Pour terminer cette étape consacrée à Zaha Hadid, une expression synthétique de l'association du fait/défait et du relié/détaché dans le cadre de l'option M, le bâtiment de la gare routière et terminus d'Hoenheim du tramway de Strasbourg (1998-2001).

Matériellement il se présente comme une dalle de toiture horizontale qui, sur l'un de ses côtés, s'incline puis vient tangenter le sol. Sur l'essentiel de sa surface cette dalle est détachée du sol, elle s'y relie par des poteaux plus ou moins inclinés que notre esprit peut suivre des yeux, soit isolément, soit par groupes. C'est là un premier effet de relié/détaché, celui qui rend compte de l'état de la relation matière/esprit.

L'inclinaison de la partie de dalle qui rejoint le sol donne l'impression que la dalle s'affaisse de ce côté-là, qu'elle est entraînée par son poids, sinon à s'effondrer, du moins à s'écarter vers le côté opposé. Mais on voit bien qu'elle ne s'effondre pas, ni même qu'elle ne se déplie pour s'écarter, bref, qu'elle est bien retenue dans sa position actuelle ce qui la fait à la fois apparemment entraînée et retenue. La forêt de poteaux inclinés en tous sens qui portent cette dalle donne aussi l'impression que le bâtiment est entraîné à s'effondrer puisque ses supports s'inclinent et tombent vers diverses directions. Mais là encore on voit bien qu'elle est stablement retenue dans sa position actuelle.

L'intention de l'architecte a donc été de nous donner l'impression que la matière du bâtiment s'effondre alors que tout naturellement notre esprit s'attend à ce qu'un bâtiment nous protège et qu'il tienne stablement debout. Puisque la matière de ce bâtiment semble se ruiner, se défaire devant nous, et comme cette impression provient de l'affaissement apparent des poteaux qui relient le sol à la dalle du plafond qui en est détachée, c'est l'effet de relié/détaché qui est ici associé à l'effet de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la disposition matérielle des lieux par rapport à l'attente de notre esprit.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer la façon dont les poteaux portent stablement la dalle de toiture sans s'affronter à leur position oblique qui donne l'impression qu'ils s'inclinent sous son poids.

 

> Fin du chapitre 11