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12.2. L'émergence du nouveau cycle en architecture :

 

Une nouvelle fois le fonctionnement de l'architecture va se montrer différent de celui des arts plastiques. Alors qu'au chapitre précédent on était confronté à l'absence d'évolution décelable pendant de la phase d'émergence, sauf, et très brusquement, à sa dernière étape, par différence dans l'architecture nous pourrons observer une évolution sensible étape après étape.

Pour les arts plastiques on avait justifié l'absence d'évolution par le fait qu'on était dans la première phase d'un nouveau cycle et que, par conséquent, aucune relation n'avait pu encore s'établir entre la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention : il allait de soi de ne pouvoir observer l'évolution de cette relation puisqu'elle était inexistante. Avec l'architecture, nous sommes à la même première phase du nouveau cycle, alors pourquoi pourrions-nous y déceler une évolution restée invisible dans les arts plastiques ?

Cela a à voir avec la différence fondamentale entre les arts plastiques et l'architecture lors de ce nouveau cycle. Au précédent, on avait dit qu'avec l'architecture on était du côté de la matière, à l'intérieur même de la matière construite, et qu'avec les arts plastiques on était du côté de l'esprit qui réalise la figuration d'une scène imaginaire peinte ou sculptée. La différence entre ces deux formes d'expression sera sensiblement différente dans le nouveau cycle. Par nature en effet, une architecture est un produit construit, fabriqué, et avec l'architecture nous serons donc toujours du côté des produits fabriqués. Au chapitre précédent, on avait dit aussi des œuvres d'art et les installations qu'elles étaient des produits fabriqués par l'artiste, mais il faut maintenant être plus précis : les œuvres d'art et les installations ne sont fabriquées que parce que l'artiste a eu l'intention de les fabriquer. Pour cette raison elles sont fondamentalement du côté de l'intention, et comme aucune relation n'a encore été établie entre la notion d'intention et la notion de produit-fabriqué, et puisque l'œuvre ne résulte que de l'intention de l'artiste, la notion d'intention qu'elle porte ne peut donc encore embrayer sur celle de produit-fabriqué. Par différence, si dans l'architecture on est fondamentalement du côté des produits fabriqués, nécessairement une architecture est aussi déterminée par l'intention de son architecte, et cela même à la première étape, si bien que dans l'architecture il y a la possibilité dès le commencement du cycle d'envisager une relation significative entre la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention.

On peut aussi justifier cette différence en soulignant que l'architecte intervient sur un produit fabriqué qui est de toute façon nécessaire pour fermer les espaces, pour abriter, pour servir à un usage quelconque, et c'est donc toujours sur un produit fabriqué pour son utilité qu'intervient l'architecte qui ne fait qu'y ajouter son intention particulière, tandis qu'une œuvre d'art ou une installation existe uniquement si un artiste éprouve l'intention de la fabriquer.

 

Puisque avec l'architecture on va pouvoir observer la progression étape par étape de la relation entre les deux notions, à la différence des arts plastiques il n'y aura pas lieu de confronter d'abord la première et la dernière étape de chaque filière afin d'en faire comprendre l'enjeu : nous ferons directement une présentation étape par étape.

Bien évidemment il y a aussi quatre filières en architecture, puisque leur existence résulte du fait que l'on est dans la première phase du nouveau cycle, que les deux notions n'ont pas encore eu l'occasion de s'adapter l'une à l'autre, et que tous les cas de figure possibles sont donc encore ouverts, en l'occurrence les quatre combinaisons possibles entre les types 1/x ou 1+1 dont peuvent relever chacune des deux notions. Bien évidemment aussi nous retrouverons des expressions analytiques et des expressions synthétiques, puisque ces deux modes d'expression sont intrinsèquement permis par les propriétés de notre perception. Pour raccourcir les développements, tous les effets plastiques ne seront pas analysés.

En architecture, il est plus commode et plus facilement compréhensible de parler de « bâtiment » que de « produit fabriqué », c'est donc ce terme de bâtiment qui sera le plus souvent utilisé, mais il faudra se souvenir qu'il vaudra pour la notion de produit-fabriqué. On prévient aussi que c'est sa réalité technique, structurelle, sa décomposition en divers bâtiments, ou sa répartition des espaces, qui correspondra à la notion de bâtiment, et pour sa part la notion d'intention correspondra souvent à « l'intention plastique », donc aux formes adoptées, parfois à une intention fonctionnelle. Il va de soi que c'est aussi l'architecte qui décide de la structuration du bâti, mais il faudra s'efforcer de la distinguer de l'intention plastique ou fonctionnelle manifestée par l'architecte.

 

 

 

12.2.1.  L'évolution de la 1re filière de la phase d’émergence de l'ontologie Produit-Fabriqué/intention, filière dans laquelle PF et i sont tous les deux du type 1+1 :

 



 

Ryue Nishizawa : Teshima Art Museum, Japon
(vue intérieure et vue extérieure
du bâtiment principal - livré en 2010)

Source des images : https://histoiredelartai2.wordpress.com/2017/11/27/
la-goute-qui-deborde-sur-la-nature/

 

 

À la première étape de la 1re filière, et pour des exemples d'expression analytique, nous allons au Japon. La phase d'émergence nous y emmènera d'ailleurs souvent. Peut-être cela résulte-t-il de l'acceptation plus facile que dans d'autres pays de formes d'architecture innovantes, mais cela tient aussi probablement à des habitudes de vie qui s'accommodent plus facilement qu'ailleurs des dispositions quelque peu contraignantes qu'implique la structuration de type 1+1 du bâtiment, ou qu'implique l'intention plastique de son architecte. Ainsi, pour la première étape, nous allons voir un bâtiment dont l'intérieur est complètement exposé aux intempéries, et un autre dont plusieurs pièces intérieures sont séparées les unes des autres par des surfaces en terre battue envahies par la végétation.

Nous commençons avec le Teshima Art Museum construit en 2010 par l'architecte japonais Ryue Nishizawa (né en 1966) sur l'île de Teshima. Il se compose d'un sol bétonné et d'une coque bétonnée largement ouverte de quelques trous qui, comme on l'a déjà signalé, laissent librement entrer les intempéries à l'intérieur même du bâtiment : le vent, la pluie, le froid, etc. Il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'un musée usuel contenant des sculptures ou des tableaux qui pourraient être endommagés, mais d'un musée qui contient une seule œuvre d'art : une installation de l’artiste Rei Naito intitulée « Matrix », laquelle consiste en un écoulement d'eau sur le sol qui se déplace de façon hasardeuse en grosses gouttes, tantôt isolées et tantôt se regroupant diversement. Les conditions météorologiques ne sont donc pas de nature à dégrader une telle œuvre, seulement à en modifier quelque peu l'apparence et le fonctionnement.

Ce bâtiment a été construit selon une technique qui relève du type 1+1 du fait de la façon dont se raccordent le sol et la coque du toit. En effet, si l'enveloppement sol/plafond avait été continu et visiblement décomposable en plusieurs parties distinctes, par exemple un sol auquel se raccorderait un mur périphérique auquel se raccorderait un plafond, on aurait pu ressentir que cet enveloppement était à la fois un, puisque continu, et multiple, puisque décomposé en plusieurs parties. Ici, le remarquable est que le sol et le plafond ne se prolongent pas mutuellement mais viennent se rejoindre en se tangentant, comme si cette rencontre avait lieu très loin, même à l'infini si l'on prend au sérieux cet effet de tangence. Dans ces conditions, plutôt que d'avoir un volume fermé par une enveloppe continue, on a un volume qui n'est que le résultat de l'addition d'un toit qui vient se poser en +1 au-dessus d'un sol.

Quant à l'intention formelle qu'a eue l'architecte concernant ce bâtiment, il est clair qu'elle a été d'ouvrir son toit par un large trou pour y faire pénétrer l'extérieur, puis de l'ouvrir par un autre large trou, et donc de répéter 1+1 fois son intention. Ces trous sont éloignés l'un de l'autre et ont des tailles très différentes, ce qui garantit que l'on ne pourra pas les lire comme un couple de trous semblables, et donc selon une lecture du type 1/x.

Comme on l'a dit en introduction, l'architecture étant à la fois un produit fabriqué et le résultat de l'intention de l'architecte, la notion de produit-fabriqué et la notion d'intention sont nécessairement en relation dès la première étape. Ici, cette relation se manifeste par le fait que l'intention de l'architecte a été de percer à plusieurs reprises la coque qui sert structurellement de couverture au bâtiment, et parce qu'il s'agit de caractéristiques qui ne vaudront que pour la première étape, on doit en noter deux aspects qui se modifieront au fil des étapes :

 - l'intention ne se manifeste que sur une petite partie du bâtiment : bien que constituant presque la moitié du bâtiment, le sol n'est pas du tout concerné par les percements, et la coque elle-même n'est percée qu'en de rares endroits. On verra aux étapes ultérieures que l'intention s'emparera de façon de plus en plus systématique de l'ensemble de l'apparence du bâtiment ;

 - il n'y a encore aucune coordination entre la façon dont le bâtiment est structuré et la façon dont l'intention se manifeste : ici, cela n'aurait fondamentalement rien changé à cette architecture si les ouvertures faites dans sa coque l'avaient été à un autre endroit quelconque de sa surface. Là aussi on verra, au fil des étapes, que la façon dont l'intention formelle de l'architecte se manifeste sera de moins en moins indépendante de la structuration du bâtiment.

Ces deux aspects ont été énoncés séparément, mais en fait ils sont interdépendants, car c'est seulement parce que l'intention ne porte encore que sur une partie restreinte du bâtiment que celui-ci et l'intention peuvent rester autonomes l'un de l'autre.

 

L'architecture de ce musée correspond à une expression analytique, car on peut décrire séparément la structure du bâtiment, faite d'une coque posée tangentiellement sur un sol, et l'intention de l'architecte qui a été d'ouvrir des trous plus ou moins grands dans cette coque.

Il reste à considérer les effets en jeu. Comme pour les arts plastiques, à la première étape de la 1re filière l'effet prépondérant est le centre/à la périphérie. On peut ici invoquer l'aspect « déstabilisant » de cet effet, car il est quelque peu déstabilisant de se trouver ainsi abrité par un toit largement ouvert aux intempéries et qui n'abrite donc pas. On peut aussi évoquer le fait que les éléments en présence trouvent chacun leur équilibre central en s'appuyant les uns sur les autres sur toute leur périphérie : la coque de la toiture s'appuie de toute sa périphérie sur toute la périphérie du sol du bâtiment.

L'effet de regroupement réussi/raté résulte directement de la présence des trous dans la couverture, des trous qui font rater le regroupement de l'enveloppement clos pourtant visuellement suggéré de façon efficace par la forme en coque. L'effet de fait/défait correspond aussi à cette coexistence paradoxale d'un toit en coque qui suggère un effet d'abri continu avec de larges trous qui défont l'efficacité de son abri. Enfin, un effet de relié/détaché puisque la coque se relie très loin au sol tout en étant bien détachée de lui puisque l'on peut se tenir debout entre ces deux éléments du bâtiment.

 


 

SANAA : Rolex Learning Center à Lausanne, Suisse (terminé en 2010)

Sources des images : https://www.dezeen.com/2010/02/17/rolex-learning-center-by-sanaa/ et https://cricursa.com/en/p177/rolex-learning-centre---epfl


 

 

En complément à ce musée, l'exemple du Rolex Learning Center de Lausanne, également terminé en 2010 et également conçu par Ryue Nishizawa, mais cette fois dans le cadre de l'agence SANAA où il est associé à l'architecte japonaise Kazuyo Sejima (née en 1956).

Cette fois, les larges trous qui affectent des soulèvements du bâtiment ne sont pas préjudiciables pour son usage intérieur puisqu'ils concernent des cours à caractère extérieur, mais on retrouve la même disposition de principe puisque les soulèvements du plafond affecté par ces trous prennent ici aussi la forme d'une coque allant tangenter le sol très loin. Et comme pour le musée l'intention de trouer une surélévation de la coque ne concerne qu'une partie de la toiture, tandis que l'on comprend bien que cela n'aurait pas changé grand-chose à cette architecture si l'emplacement des trous avait été différents. On retrouvera ce bâtiment dans la 2e filière, mais il s'agira alors d'examiner la conception de son étage et la façon dont le sol y est largement ouvert à la vue de tous côtés.

 

 


                 



 

Junya Ishigami : maison pour un couple à Tokyo
Sources des images : https://www.boumbang.com/junya-ishigami/

 

https://www.pinterest.fr/pin/481251910167151944/ , https://www.pinterest.fr/pin/834362268437207294/
et https://www.pinterest.fr/pin/476537204295328867/

 

 

Pour l'expression synthétique de la première étape de la 1re filière, un exemple également conçu par un architecte japonais, cette fois Junya Ishigami (né en 1974). Il s'agit d'une maison individuelle construite à Tokyo pour un jeune couple. Des plantes, mais aussi des arbres, ont été installés en pleine terre à l'intérieur même de la maison. Pour aller du séjour à la cuisine, ou pour aller du séjour à la salle d'eau et au sanitaire situé dans un petit bâtiment annexe, il faut franchir une petite surface de terre battue, ce qui vaut aussi pour accéder à l'escalier qui mène à la terrasse en étage. Pour ne pas avoir à marcher sur la terre battue, des « pas japonais » ont été installés.

La présence de terre battue plantée de végétaux à l'intérieur même de la maison empêche que son intériorité ne forme une continuité habitée, puisqu'elle l'interrompt à multiples reprises en divisant l'intérieur du bâtiment en 1+1 îlots séparés par des séquences à caractère d'espace extérieur végétal : un coin cuisine + un séjour + un bloc sanitaire + une terrasse à l'étage. Voilà pour ce qui concerne l'organisation structurelle du bâtiment. Quant à l'intention plastique de l'architecte, elle a consisté à faire s'interpénétrer en ondulant l'espace naturel en terre battue et l'espace utilisé pour préparer la cuisine et pour prendre les repas, ce qui s'est traduit par 1+1 ondulations de la limite entre le sol de la cuisine et le sol en terre battue, spécialement du côté de la table où l'espace végétal pénètre profondément à l'intérieur du sol habité, laissant cette table assez isolée au milieu d'une sorte de presqu'île entourée de tous côtés par de la terre battue. Comme ces ondulations ne s'intègrent pas dans une forme globale que l'on pourrait commodément repérer, elles s'ajoutent en 1+1.

De même qu'au musée de Teshima, l'intention de l'architecte ne concerne qu'une partie du bâtiment : tout le bâtiment est bien concerné par la division en lieux qui s'ajoutent en 1+1 car séparés par des espaces végétalisés, mais seule une partie restreinte de ce bâtiment est concernée par l'intention de faire s'interpénétrer l'espace humain et l'espace végétal au moyen d'une frontière ondulante.

Il s'agit d'une expression synthétique, car l'imbrication des surfaces en terre battue et des surfaces habitées intervient inséparablement dans le caractère 1+1 des ondulations correspondant à l'intention plastique de l'architecte et dans l'organisation en 1+1 séquences fonctionnelles.

L'effet prépondérant du centre/à la périphérie est complètement lié à la confrontation ondulante entre les surfaces en terre battue végétalisée et les surfaces adaptées au séjour des humains, car c'est sur toutes leurs périphéries respectives que ces deux types de surface se confrontent, le pourtour de l'une étant le pourtour de l'autre. C'est notamment le cas de la frontière qui ondule dans la cuisine entre la surface destinée aux repas et la surface en terre battue : chacune de ces deux surfaces semble pousser depuis toute sa périphérie sur toute la périphérie de l'autre pour aggraver sa pénétration à l'intérieur du territoire adverse, et la forme en presqu'île qui reçoit la table semble le résultat d'un équilibre fragile entre ces deux pressions contradictoires.

Un autre effet notable est ici le fait/défait : si l'on dit qu'une maison est un espace fait pour permettre le déroulement commode des activités humaines domestiques, alors on peut dire que la pénétration très profonde de l'espace végétal à l'intérieur de cette maison défait cette fonction, laquelle reste cependant faite puisqu'elle n'est pas empêchée, seulement entravée par des surfaces en terre battue malcommodes à franchir.

 

 


À gauche, Christophe Rousselle : Courbes à Colombes, France (2019)

Source de l'image :
https://www.rousselle.eu
/architecture

 

À droite, Farshid Moussavi : La Folie Divine à Montpellier, France (2017)

Source de l'image :
https://www.gsd.harvard.edu
/project/la-folie-divine/


 

 

Comme exemples analytiques de la deuxième étape de la 1re filière, deux immeubles de logements qui utilisent de façon similaire des ondulations variées en façade. L'un a été terminé en 2019 à Colombes, en France, conçu par l'architecte français Christophe Rousselle (né en 1976), l'autre a été terminé en 2017 à Montpellier, toujours en France, cette fois conçu par l'architecte d'origine iranienne Farshid Moussavi (née en 1965). Dans le premier ce sont les balcons qui ondulent, dans le second les ondulations sont partagées par les parois pleines et par les balcons.

Du fait de l'irrégularité des ondulations qui varient d'un étage à l'autre, et parfois même de façon très importante, ces immeubles ne disposent pas d'un volume global que l'on pourrait lire commodément mais se présentent structurellement comme un empilement de 1+1 étages.

L'intention plastique des architectes a été évidemment de faire onduler les façades, et comme ces ondulations ne laissent repérer aucun rythme régulier mais que chacune semble s'avancer ou se reculer pour son propre compte, dans chaque bande horizontale elles s'ajoutent les unes à côté des autres en 1+1 mouvements d'ondulation autonomes. À cette deuxième étape déjà, l'intention d'ondulations s'est emparée de la totalité de la forme du bâtiment et n'est plus cantonnée à une petite partie de celui-ci comme c'était le cas dans la maison couple de Tokyo : une évolution que l'on peut observer s'est donc bien produite dès la deuxième étape.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément qu'il s'agit d'un empilement de 1+1 étages ondulants et l'évolution des 1+1 ondulations à chacun de ces étages.

À la deuxième étape de la 1re filière l'effet prépondérant est celui d'entraîné/retenu. Comme souvent en architecture, ainsi qu'on l'a vu notamment avec l'architecture de Zaha Hadid dans la phase précédente, cet effet résulte de l'opposition entre le dynamisme visuel des formes qui entraînent notre regard à les suivre et la fixité inévitable du bâtiment qui nie la réalité de ce dynamisme en retenant les formes toujours dans la même position. Ce qui vaut pour ces deux immeubles, mais on peut aussi y faire valoir que cet effet joue de la concurrence visuelle que se font les multiples ondulations, car de fait nous ne savons pas où fixer notre regard : chaque fois que l'on se laisse entraîner à regarder spécialement l'une des ondulations, les autres nous en retiennent parce que, avec la même force, elles nous entraînent à plutôt nous intéresser à elles.

L'effet d'ensemble/autonomie va de soi : chaque partie du bâtiment se fait remarquer par une ondulation autonome, mais toutes ensemble elles font un effet général d'ondulation. Dans le bâtiment de Christophe Rousselle c'est l'alternance des lignes de façade des balcons et des lignes de vides en sous-face des balcons qui produit un effet d'ouvert/fermé. Dans celui de Farshid Moussavi, c'est la compacité globale du bâtiment qui donne l'impression d'un volume fermé tandis que les surfaces qui ondulent en s'avançant vers l'extérieur font un effet d'ouverture de ce volume. Dernier effet à envisager, le ça se suit/sans se suivre : d'un étage à l'autre, c'est-à-dire verticalement, les bandes d'ondulation se suivent, mais horizontalement les ondulations évoluent différemment, sans suivre ni le rythme et ni l'ampleur des ondulations de l'étage du dessus ou de l'étage du dessous.

 

 

 


Tatiana Bilbao : bâtiment du campus de l'université de Monterrey à Culiacán au Mexique (vue du projet de 2012)

Source de l'image : https://www.dezeen.com/2009/10/02/biotechnological-park-building-by-tatiana-bilbao/

 

 

Comme premier exemple synthétique pour la deuxième étape de la 1re filière, le bâtiment du campus de l'université de Monterrey à Culiacán au Mexique que l'on doit à l'architecte mexicaine Tatiana Bilbao (née en 1972). On analyse son projet de 2012, de préférence au bâtiment final moins intéressant livré en 2014.

Ce bâtiment ne propose pas de forme d'ensemble lisible et se présente structurellement comme un empilement de 1+1 parallélépipèdes très plats décalés les uns des autres. Ce décalage se fait chaque fois vers des directions différentes, et l'apparence des différents étages est également variée : parfois ils sont aveugles sur une face, parfois largement vitrés, parfois habillés d'une grille bidimensionnelle, et parfois habillés d'une trame métallique verticale. L'intention plastique de l'architecte a donc consisté à changer 1+1 fois le sens d'implantation du parallélépipède, ou bien ses proportions, ou bien son décalage par rapport au centre de gravité général, ou bien encore l'aspect de ses façades. Comme dans l'exemple précédent, l'intention s'empare de la totalité du bâtiment, ce qui confirme le cran de maturité acquis à la deuxième étape.

Il s'agit cette fois d'une expression synthétique, car l'accumulation en 1+1 des intentions qui différencient les étages est concomitante à leur accumulation structurelle en 1+1.

Le changement constant de la direction et de la position des différents plateaux correspond à l'effet d'entraîné/retenu qui est prépondérant à cette étape et dans cette filière : on ne sait jamais comment lire ce bâtiment puisque dès qu'on est entraîné à lire que sa longueur est plutôt dans un sens on en est retenu par la présence d'autres plateaux qui s'allongent dans un sens perpendiculaire, et dès qu'on est entraîné à percevoir qu'il est centré à tel endroit, on en est retenu par la vision d'un plateau fortement décentré qui s'avance sur le vide en porte-à-faux.

L'effet d'ensemble/autonomie est bien visible : tous les plateaux font ensemble un effet de plateau en porte-à-faux plus ou moins prononcé, mais chacun le fait d'une façon très autonome. L'effet d'ouvert/fermé résulte de l'aspect des étages qui ont tous l'aspect de boîtes à la fois fermées et très ouvertes du fait de la transparence de leurs parois. Enfin, le ça se suit/sans se suivre : tous les plateaux se suivent verticalement l'un sur l'autre, mais ils s'allongent vers des directions qui sont perpendiculaires entre elles et ne vont donc pas dans le même sens.

 

 


 

Sou Fujimoto : Tokyo apartment (2006-2009), maquette et vue de détail

Sources des images : https://duytran.wordpress.com/2009/04/17/interview-with-sou-fujimoto/ et https://www.despiertaymira.com/index.php/2013/06/tokyo-apartment/


 

 

Pour un dernier exemple synthétique de la deuxième étape de la 1re filière, nous revenons au Japon avec le groupe d'habitations « Tokyo apartment » livré en 2009 par l'architecte japonais Sou Fujimoto (né en 1971).

Les exemples précédents impliquaient des empilements les uns sur les autres de 1+1 étages plus ou moins plats. Structurellement, il s'agit cette fois d'un entassement de 1+1 « petites maisons », chacune dotée de son propre plancher et de son propre toit à deux pentes, l'accumulation de leurs volumes individuels ne générant pas une forme d'ensemble repérable.

Chacune de ces petites maisons correspond à une intention différente concernant l'orientation de son faîtage, la position de ses ouvertures et celle de son escalier d'accès. Tout comme le bâti est organisé par l'addition de 1+1 unités construites, les intentions de l'architecte se sont accumulées en 1+1 intentions sans générer une intention globale que l'on pourrait discerner concernant l'orientation, la position des ouvertures ou l'accès de ces unités. Et comme dans les exemples précédents de la deuxième étape, le cran de maturité obtenu à cette étape implique que ces 1+1 intentions concernent toutes les parties du bâtiment et non plus une partie limitée comme à la première étape.

Il s'agit d'une expression synthétique, car l'accumulation en 1+1 des intentions qui différencient les petites maisons les unes des autres est concomitante à leur accumulation structurelle en 1+1.

L'effet d'entraîné/retenu est à nouveau lié à l'affolement qui nous prend lorsque nous voulons savoir dans quel sens lire ce bâtiment : chaque fois qu'on se laisse entraîner à suivre la disposition de l'une de ces petites maisons comme point d'appui pour saisir l'ensemble du bâtiment, on en est retenu par la perception de celles qui vont vers des directions différentes et qui nous entraînent plutôt à se baser sur elles. L'effet d'ensemble/autonomie se lit clairement : toutes les parties du bâtiment font un effet de « petite maison », mais elles le font de façons très autonomes les unes des autres. Idem pour l'effet de ça se suit/sans se suivre : toutes les petites maisons s'appuient les unes sur les autres et se suivent donc en continu, mais leurs faîtages vont vers des directions chaque fois différente et elles ne se suivent donc pas sous cet aspect. L'ouvert/fermé est lié à la présence visuellement très brutale des trous des fenêtres dans le volume fermé de chaque maison, mais aussi au caractère d'unité autonome que présente chacune, ce qui permet aussi bien de percevoir le groupe fermé qu'elles font toutes ensemble que d'éclater visuellement ce groupe en de multiples unités indépendantes, et donc de l'ouvrir.

 

 


 

Wang Shu : bâtiment Wa Shan des invités de l'Académie d'Art de Hangzhou en Chine (2013)

Vue d'ensemble et détail du bâtiment en chantier

Sources des images : https://iwan.com/portfolio/wa-shan-guesthouse-hangzhou-china/ et https://aap.cornell.edu/news-events/wang-shu-and-lu-wenyu-recent-work-construct-natural-way


 

 

Pour la troisième étape de la 1re filière, deux réalisations de l'architecte chinois Wang Shu (né en 1963) qui exerce dans le cadre de « l'Amateur Architecture Studio » qu'il a créé avec sa femme, l'architecte Lu Wenyu. Comme exemple d'expression analytique, le bâtiment des invités de l'Académie d'Art de Hangzhou en Chine, tout au moins sa partie principale recouverte de toitures en tuiles, c'est-à-dire à l'exception de son extrémité traitée de façon cubique.

Le caractère d'accumulation structurelle en 1+1 du bâtiment a ici deux aspects. D'une part, il concerne l'accumulation côte à côte de bandes d'habitations parallèles entre elles et largement autonomes les unes des autres, parfois presque accolées, et parfois séparées par de vastes espaces de circulation qui traversent toute la masse construite. Sous cet aspect, on a donc une trame habitée + une bande de circulation + une autre trame habitée, etc. D'autre part, il concerne la grande autonomie qui existe entre ces trames d'habitation ou de circulation et le toit qui recouvre l'ensemble, puisque les plis que forme la toiture ne cherchent pas du tout à s'accorder avec le rythme des bâtiments situés au-dessous, d'autant que les pans de toiture dépassent largement au-delà des espaces qu'ils protègent, flottant largement au-delà d'eux et portés par une charpente apparente en petits éléments dont les grands rythmes semblent également se moquer du rythme des trames d'habitation qu'elle enjambe. Au total, on a donc affaire à une série horizontale et irrégulière de trames d'habitations et de circulations + un ensemble de vagues de couvertures, elles aussi irrégulières et déconnectées des bâtiments qu'elles protègent.

Chaque trame d'habitation ou de circulation correspond à une intention particulière de l'architecte concernant sa largeur, sa hauteur, et son retrait plus ou moins grand de la façade du bâtiment, une intention particulière qui conditionne aussi son rôle de trame d'habitation ou de trame de circulation. Et de la même façon, chaque pan de couverture correspond à une intention particulière de faire monter la toiture plus ou moins haut ou de la faire aller plus ou moins loin. Sous tous ces aspects, et en l'absence de toute régularité décelable, on a affaire à une accumulation de 1+1 intentions architecturales, qu'elles soient plastiques ou fonctionnelles, et comme à l'étape précédente toutes ces intentions affectent l'ensemble des 1+1 parties du bâtiment.

À la première étape, on a vu que les 1+1 intentions plastiques ne concernaient qu'une fraction du bâtiment qui se décomposait physiquement en 1+1 parties, ce qui correspondait à une mise en relation minimale entre l'intention et le bâtiment fabriqué. À la deuxième étape, et pour correspondre à une mise en relation plus systématique, on a vu que les intentions plastiques s'associaient désormais complètement à chacune des parties du bâtiment qui s'ajoutaient en 1+1 les unes à côté des autres ou les unes au-dessus des autres. Mais c'était toujours en continuité, c'est-à-dire en restant adhérentes les unes avec les autres, tandis qu'à la troisième étape on vient de voir que la mise en relation de l'intention plastique avec le bâtiment fonctionne désormais avec des parties de bâtiment qui sont séparées, écartées les unes des autres, puisque les différentes trames habitées sont séparées les unes des autres par les vides des circulations, et surtout puisque la toiture est tout à fait décollée des corps de bâtiments qu'elle protège. Il s'agit là d'une nouvelle progression de cette mise en relation, une progression qui caractérise cette troisième étape et justifie son utilité.

Cette architecture correspond à une expression analytique, car on peut considérer séparément la cohérence compacte du bâtiment dans son ensemble et l'autonomie des différentes intentions qui se cumulent pour lui donner sa forme dans le détail.

L'effet d'ensemble/autonomie est devenu prépondérant : les différentes parties du bâtiment sont écartées les unes des autres, et donc autonomes les unes des autres, ce qui vaut aussi bien pour l'étagement horizontal des diverses bandes construites que pour l'autonomie de la toiture par rapport aux lieux qu'elle couvre, et cela tout en faisant visiblement ensemble un même bâtiment global qui rassemble toutes ces parties. L'effet d'homogène/hétérogène est lié au contraste entre l'homogénéité du système de charpente et de couverture, et l'hétérogénéité de l'aspect des différentes trames des étages d'habitation. On peut évidemment citer aussi l'effet de rassemblé/séparé : les différentes trames d'habitation séparées les unes des autres sont rassemblées sous une même couverture continue. Et citer aussi l'effet de continu/coupé : la toiture forme une suite continue de pans de toiture qui sont coupés les uns des autres par des inversions de pente, et le bâtiment lui-même est formé d'une suite continue de trames d'habitation coupées les unes des autres par des trames de circulation. L'effet de synchronisé/incommensurable est lié à la superposition globalement réussie des trames d'habitation et de la couverture malgré la totale indépendance de leurs organisations respectives.

 

 

 


Wang Shu : pavillon Ningbo Tengtou à Shanghai Expo en Chine (2010)

Source de l'image : https://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=400398&page=16&langid=6

 

 

Comme expression synthétique de la troisième étape de la 1re filière, l'enfilade des découpes de murs réalisée par Wang Shu dans le pavillon Ningbo Tengtou qu'il a conçu pour l'expo 2010 de Shanghai.

Structurellement, ce bâtiment se présente comme une succession de murs épais, parallèles entre eux, chaque fois réalisés en matériau visiblement différent, tous troués par une grande échancrure centrale irrégulière, plutôt verticale, et reliés entre eux par divers cheminements d'escaliers. Ces différents murs ne génèrent ensemble aucune grande forme unitaire mais s'échelonnent en une suite de 1+1 murs parallèles. L'intention de l'architecte concernant la forme à donner à leurs échancrures s'est visiblement modifiée à chaque occurrence, de telle sorte que leur enfilade ne génère pas une sorte de grand tunnel continu reprenant la même découpe pour correspondre à une intention d'ensemble, elle s'égrène au contraire en 1+1 échancrures différentes les unes derrière les autres. On retrouve ici l'acquis de la troisième étape annoncé avec l'exemple précédent : pour s'exercer, la relation entre les caractéristiques physiques du bâtiment et les intentions plastiques qui s'y manifestent n'a plus besoin que les différentes parties concernées du bâti soient jointives.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer la succession des différentes intentions concernant la forme des ouvertures sans considérer la succession des différents murs dans lesquels elles sont percées.

Les différents murs percés sont écartés les uns des autres, et donc bien autonomes les uns des autres, mais ils font ensemble un effet d'enfilade d'échancrures, ce qui correspond à l'effet d'ensemble/autonomie qui est prépondérant à cette étape. Chaque mur est réalisé de façon homogène dans un même matériau, et les matériaux des différents murs sont hétérogènes entre eux. Un autre effet d'homogène/hétérogène se manifeste au niveau de chaque mur, puisque s'il est réalisé  de façon homogène dans un même matériau, la grande trouée expressive qui l'affecte y constitue une brutale hétérogénéité.

Rassemblées visuellement dans cet effet d'enfilade, les différentes échancrures sont séparées les unes des autres puisqu'elles affectent des murs écartés les uns des autres : c'est un effet de rassemblé/séparé. L'effet de synchronisé/incommensurable est lié à la synchronisation nécessaire à la réussite de l'effet d'enfilade des différentes échancrures malgré le fait qu'elles affectent des murs parallèles entre eux et dont les développements sont donc incommensurable les uns pour les autres. L'effet de continu/coupé va de soi : il s'agit d'une suite continue d'échancrures coupées les unes des autres par les grands vides qui les séparent.

 

 


 


 

Giancarlo Mazzanti avec Felipe Mesa : Sports Coliseum de Medellín en Colombie (2010)

Sources des images : https://www.archilovers.com/projects/26071/four-sport-scenarios.html,
https://www.archdaily.co/co/02-92222/escenarios-deportivos-giancarlo-mazzanti-felipe-mesa-planb
et
 
http://www.wikiwand.com/en/Medell%C3%ADn_Sports_Coliseum


 

 

Comme expression analytique de la quatrième étape de la 1re filière, le « Sports Coliseum » livré en 2010 à Medellín, en Colombie, conçu par l'architecte colombien Giancarlo Mazzanti (né en 1963), assisté d'un autre architecte colombien, Felipe Mesa (né en 1975).

Le dessin en perspective montre bien comment le bâtiment est généré : il s'agit de bandes indépendantes, strictement accolées les unes aux autres dans leur partie basse horizontale, et ondulant librement dans leur partie haute, toutes de façon différente. Du fait qu'elles ondulent sans régularité, ces différentes bandes ne génèrent pas une forme de voûte continue dont chacune ne serait qu'une partie : structurellement elles s'affirment donc comme autant de bandes ondulantes et s'accolant en 1+1 les unes à côté des autres.

L'intention plastique des architectes a été de donner à chaque ondulation une allure différente de celle de ses voisines et de faire varier l'allure de chacune tout au long de son parcours, et donc de créer plastiquement une addition de 1+1 ondulations autonomes ne générant aucun rythme d'ensemble repérable.

On peut noter une nouvelle évolution par rapport à l'étape précédente : les différentes structures qui interviennent dans l'effet plastique voulu par l'architecte ne sont plus complètement séparées les unes des autres, elles s'attachent localement les unes aux autres, ici sur les surfaces horizontales. En outre, les rythmes des ondulations, bien qu'autonomes sur chaque bande, s'accordent au moins pour s'interrompre puis repartir ensemble sur des alignements communs. Sur les surfaces qui ondulent, les bandes restent bien séparées et détachées les unes des autres, et à l'intérieur des bâtiments ce sont les tribunes qui servent de lien horizontal continu sur lequel s'attachent ces parties ondulantes de la couverture. On pourrait penser que cette attache locale des différentes parties du bâtiment correspond à un retour en arrière par rapport à l'étape précédente où leur écartement complet n'empêchait pas leur mise en relation avec une intention particulière. En fait, ce n'est pas un recul mais un nouveau pas en avant, car ces parties qui s'accolent ne se contentent pas d'être en contact ponctuel, de se toucher, elles forment une véritable continuité, de telle sorte que sur une partie du bâtiment, bien que les différentes bandes s'ajoutent en 1+1 elles forment également une continuité dont chacune n'est qu'une partie, ce qui permet dans cette partie restreinte du bâtiment de lire qu'elles s'assemblent aussi en 1/x. Tout comme à la première étape on avait vu la notion d'intention plastique se mettre en relation avec une partie de la structure du bâti avant que cette mise en relation ne se généralise à l'étape suivante, nous voyons maintenant une partie limitée du bâtiment et de l'intention permettre une lecture en 1/x tandis que le reste des dispositions relève toujours du type 1+1. On peut évidemment deviner que, à l'étape suivante, nous observerons la généralisation de cette évolution à l'ensemble du bâtiment.

Cette architecture correspond à une expression analytique, car on peut considérer séparément les parties continues du bâtiment qui se lisent en 1/x et les ondulations séparées qui s'ajoutent en 1+1.

À la quatrième étape, l'effet prépondérant est l'ouvert/fermé qui s'exprime de plusieurs façons. D'abord, on peut considérer le contraste entre les surfaces horizontales jointives qui forment une surface continue, donc fermée, et les surfaces ondulantes non jointives qui laissent entre elles de multiples ouvertures. Ensuite, on peut considérer le contraste entre les surfaces opaques des ondulations et les béances verticales vitrées qui s'ouvrent à la lumière entre deux ondulations voisines, ce qui s'observe bien depuis l'intérieur du bâtiment. Enfin, on peut considérer comment les différentes bandes de toiture se butent les unes contre les autres dans un sens (effet de bloqué, donc de fermé) et se prolongent comme à l'infini dans l'autre sens (effet d'ouverture vers le lointain).

Les autres effets plastiques sont aussi bien représentés : chaque bande de toiture ondule de façon indépendante sur une partie de son parcours tout en se liant aux voisines dans sa partie basse horizontale (effet de lié/indépendant) ; les différentes bandes font un même effet de bande ondulante mais elles le font d'une façon chaque fois différente (effet de même/différent) ; les limites extérieures de chaque bande se repèrent facilement à l'intérieur de la forme d'ensemble du bâtiment (effet d'intérieur/extérieur) ; les grands vitrages verticaux qui séparent ces bandes donnent à l'intérieur du bâtiment l'impression qu'il est largement ouvert sur l'extérieur (autre effet d'intérieur/extérieur) ; enfin, les multiples bandes ondulantes de la couverture génèrent un effet de groupe unitaire bien visible (effet d'un/multiple).

 

 

 


Barbosa & Guimarães Architectos : Piscine municipale de Povoação, Portugal (2004)

Source de l'image : http://www.barbosa-guimaraes.com/recent-projects/povoacao-municipal-pool-s-complex/

 

 

Autre exemple d'expression analytique pour la quatrième étape de la 1re filière, le bâtiment de la piscine municipale de Povoação au Portugal livré en 2004, conçu par les architectes portugais José António Barbosa (né en 1967) et Pedro Lopes Guimarães (né en 1969). Certes, ce bâtiment est de dimension plus modeste que l'énorme Coliseum de Medellín, mais on y retrouve le même principe d'organisation en bandes parallèles partiellement reliées les unes aux autres en continu et très visiblement indépendantes les unes des autres sur d'autres parties de leur parcours.

En fait, plutôt que de bandes, il convient ici de parler de volumes ou de tubes à sections rectangulaires. Structurellement, ce bâtiment est en effet construit par l'addition de 1+1 tubes rectangulaires les uns à côté des autres, et cela sans qu'ils fassent ensemble une plus grande forme que l'on pourrait repérer. L'intention plastique des architectes a concerné l'importance du retrait ou de l'avancement en façade de chacun de ces tubes, leur hauteur, leur largeur, leur aspect de tube plein ou de tube creux, et l'ampleur de leur esplanade. Tous ces aspects varient fortement d'un tube à l'autre, et ces différentes intentions s'ajoutent en 1+1 sans que l'on puisse repérer une intention globale qui les résumerait en permettant de lire une logique claire à leur alternance.

Les bandes ondulantes de Medellín se raccordaient en continuité sur leur partie horizontale basse, ici les tubes rectangulaires sont très indépendants du côté de la façade d'entrée et c'est sur l'arrière qu'ils se rassemblent en continuité, un côté où ils s'enfoncent tous dans la colline dont la pelouse vient même recouvrir en continuité leurs toitures. De ce côté-là, il n'est donc plus question de tubes autonomes s'ajoutant l'un à côté de l'autre en 1+1, mais d'un traitement unitaire de leurs toitures et de leur raccordement à la colline, un traitement dans lequel chaque trame du bâtiment apparaît comme une partie fondue en 1/x dans ce traitement d'ensemble. Comme au Coliseum de Medellín, on retrouve donc la caractéristique de l'évolution propre à la quatrième étape de la 1re filière : malgré son organisation globale par addition de 1+1 corps de bâtiment autonomes, une partie du bâtiment peut également se lire en 1/x.

On n'analysera pas davantage le bâtiment de Povoação car une telle analyse ne serait pas bien différente de celle que l'on a faite pour le bâtiment de Medellín.

 

 



 

A-Lab : bureau Statoil à Fornebu en Norvège (2012)

Sources des images : https://www.flickr.com/photos/wojtekgurak/14853979431 (auteur : Wojtek Gurak) et https://www.flickr.com/photos/33027180@N00/16938562981/ (auteur : Martin Maleschka)

 

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 1re filière, nous allons d'abord en Norvège. Les deux architectes principaux du cabinet A-Lab basé à Oslo sont les Norvégiens Odd Klev (né en 1969) et Geir Haaversen (né en 1977). En 2012, ils ont livré les bureaux de la société Statoil à Fornebu. Ceux-ci sont structurellement formés par de grands tubes parallélépipédiques qui se chevauchent, posés l'un sur l'autre un peu comme au hasard et cet empilement ne générant aucune forme d'ensemble lisible en dehors de cet effet d'empilement irrégulier de 1+1 tubes. L'intention plastique des architectes a concerné les directions données à ces tubes qui, là encore, ne correspondent à aucune intention commune décelable, ce qui relève donc là aussi d'un processus d'accumulation de 1+1 intentions.

Malgré cette simple accumulation de tubes parallélépipédiques partant vers des directions qui semblent se moquer des directions prises par les autres, dans la partie centrale de leur entassement une grande verrière a été créée qui les relie ensemble et génère sous elle et sous cette partie-là des tubes un grand volume commun. À cet endroit, les différents tubes font quelque chose ensemble et chacun n'est alors qu'une partie de ce volume commun qui correspond à une intention commune. On retrouve donc ici la caractéristique de la quatrième étape : bien que les différents tronçons du bâtiment s'ajoutent en 1+1 et s'implantent de façon très variée selon des intentions d'orientation qui s'ajoutent en 1+1, sur une partie du bâtiment, celui-ci peut aussi le lire en 1/x.

Cette architecture relève d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer son effet d'empilement de tubes sans faire l'expérience de la variété de leurs orientations.

L'effet prépondérant d'ouvert/fermé correspond au contraste entre le blocage vertical des formes les unes contre les autres et l'ouverture de leur trajet dans le sens horizontal : il semble que ce trajet pourrait se continuer à l'infini puisqu'il reste ouvert à chaque extrémité des tubes, tandis qu'il est fermé dans le sens croisé à l'endroit où les tubes se butent les uns contre les autres. Chaque tube est d'ailleurs lui-même ouvert et fermé : ses extrémités sont complètement vitrées, mais le reste de ses parois est largement opaque, et donc fermé.

On retrouve les quatre autres effets : les tubes sont très indépendants les uns des autres mais liés entre eux à l'endroit de la verrière qui les relie (effet de lié/indépendant) ; différents tubes identiques forment ensemble un même bâtiment et ils partent vers des directions différentes tout en ayant tous la même forme (deux effets de même/différent) ; l'extérieur de chaque tube se repère facilement à l'intérieur de leur ensemble (effet d'intérieur/extérieur) ; enfin, chacun se lit comme un tube parallélépipédique appartenant à un groupe de plusieurs tubes semblables (effet d'un/multiple).

 

 



 

Ole Scheeren (OMA) : The Interlace à Singapour (2013)

Sources des images :
https://foolsjournal2.wordpress.com/2015/11/09/architettura-the-interlace-di-singapore-e-ledificio-dellanno/https://www.denooyer.nl/portfolio/various-projects-clients/attachment/140901-cdn_0650-small/

 

 

On donne un autre exemple d'expression synthétique de bâtiment généré par l'accumulation de parallélépipèdes très indépendants les uns des autres et s'appuyant localement les uns sur les autres.

Il s'agit d'un énorme ensemble d'habitations situé à Singapour, livré en 2013. Son architecte principal en était l'allemand Ole Scheeren (né en 1971) qui intervenait alors en tant que partenaire principal de l'OMA, l'agence de Rem Koolhaas. Depuis, Ole Scheeren a créé sa propre agence, le Büro Ole Scheeren.

Cet exemple est donné pour montrer que la partie du bâtiment qui se lit en 1/x n'a pas besoin d'avoir une forme autonome comme il en allait pour la verrière réunissant les tubes parallélépipédiques dans les bureaux Statoil. Ici, le nombre des tubes qui s'additionnent en 1+1 en oblique les uns sur les autres est suffisant pour que des effets de régularité apparaissent à certains endroits de leur empilement. Ainsi, dans le détail que montre la photographie de gauche, deux blocs se trouvent exactement en surplomb l'un sur l'autre tout en étant séparés par deux autres blocs qui partent vers des directions exactement symétriques, et dans ces conditions la trouée ouverte entre ces quatre morceaux de bâtiments forme une sorte de grand porche qui est une figure que l'on peut lire pour elle-même et dont chacun de ces quatre morceaux de bâtiments n'est qu'une partie. À cet endroit, la figure de ce grand porche se lit donc en 1/x à l'intérieur d'un entassement qui se lit globalement en 1+1.

 

 



 

Ma Yansong (MAD Architects) : Chaoyang Park Plaza à Pékin (2017)
À gauche, vue de la maquette
À droite, vue des bâtiments réalisés depuis le carrefour

Sources des images : https://www.designboom.com/architecture/mad-works-ma-yansong-architects-monograph-book-12-16-2016/ et https://www.dezeen.com/2017/09/08/chaoyang-plaza-mad-architects-photographed-khoo-guo-jie/

 

 

Pour la cinquième et dernière étape de la 1re filière dans son expression analytique, nous allons d'abord en Chine pour la Chaoyang Park Plaza livrée à Pékin en 2017 par l'agence MAD Architects de l'architecte chinois Ma Yansong (né en 1975).

L'une des intentions plastiques de l'architecte a consisté à revêtir tous les bâtiments d'un matériau noir brillant qui les regroupe en ensemble unitaire. Si l'on se réfère à l'unité donnée par cette couleur noire brillante, chaque bâtiment en est une partie bien distinctive relevant d'une lecture 1/x : un ensemble à l'unité visuelle bien repérable constitué de x parties distinctes. Cela correspond à l'évolution annoncée à l'étape précédente : à la dernière étape de la 1re filière, ce n'est plus seulement une partie mais la totalité du bâtiment ou du groupe de bâtiments qui peut désormais se lire en 1/x.

Toutefois, on est toujours dans la 1re filière, car si l'on néglige le coloris noir brillant qui réunit tous les bâtiments, on doit constater qu'ils s'ajoutent structurellement en 1+1 blocs autonomes les uns à côté des autres sans se réunir une grande forme commune. Ainsi, dans un coin on a deux tours très hautes qui se décomposent en tranches arrondies variées mais qui affirment toutes leur verticalité, dans un autre coin on a un empilement de plateaux très horizontaux dont les formes s'arrondissent localement de façon irrégulière, dans un autre coin encore on a un gros bloc aux flancs verticaux lisses qui se terminent par une courte jupe oblique en partie basse, un gros bloc qui subit des retraits en gradins à l'une de ses extrémités et qui se fait coiffer par des formes accusant leur horizontalité, ailleurs encore on a une forme dont la façade s'incline pour s'arrondir à son sommet et qui est échancrée par de larges loggias horizontales, etc. Non seulement ces différents blocs s'ajoutent en 1+1 sans construire ensemble un plus grand bâtiment, mais il est clair que l'architecte a manifesté 1+1 intentions différentes concernant la forme à leur donner et qu'il les a affectées chaque fois à un bâtiment différent : ici des verticales, là des horizontales, là du massif, là de la pente, etc., et cela sans que son intention plastique ne se manifeste par l'affirmation d'une forme globale qui aurait pu rassembler ces diverses formes dans une lecture unitaire.

En résumé, on a donc ici des corps de bâtiment qui s'ajoutent en 1+1 et des intentions concernant leur forme qui se lisent aussi en 1+1, et comme par-dessus ces dispositions, on a aussi une intention générale de mise en couleur uniforme qui permet que l'ensemble de ces blocs et l'ensemble de leurs formes soient également lus en 1/x, ce qui met donc en complète relation l'organisation structurelle du bâtiment et l'intention plastique qui s'y manifeste, ce qui est bien le but que devait atteindre cette filière au moment de son évolution finale.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément ces deux modes de lecture.

À la cinquième étape de la 1re filière, l'effet prépondérant est le ça se suit/sans se suivre : si l'on ne considère que la couleur, tous les bâtiments se suivent effectivement dans une uniformité continue qui va de l'un à l'autre, mais si l'on considère leurs formes, alors on doit constater que les bâtiments ne se suivent pas mais font chacun des choses différentes en se dressant chacun dans l'espace de façon différente, tantôt verticalement, tantôt horizontalement, tantôt obliquement, et tantôt plutôt en forme de gros bloc sans orientation bien définie.

Un autre effet à considérer est le regroupement réussi/raté : tous les bâtiments sont bien regroupés dans une même couleur, mais leur regroupement dans un même registre de formes est raté. Autre effet bien affirmé, le fait/défait : l'unité de l'ensemble est faite si l'on considère l'uniformité de leur couleur, elle est défaite si l'on s'attache à la forme des bâtiments qui sont hétéroclites et ne génèrent aucun effet d'unité. L'effet de relié/détaché se repère séparément sur chaque bâtiment, puisque chaque bâtiment est fait de parties qui se détachent visuellement les unes des autres tout en étant reliées dans une même couleur, voire dans une même surface continue.

 

 


 

Ci-dessus, FR-EE / Fernando Romero : projet pour le Musée d'Art latino-américain à Miami, USA

Ci-dessous, FR-EE / Fernando Romero : proposition pour une galerie du design à Mexico (2013)

Sources des images : https://www.archdaily.com/574602/fr-ee-fernando-romero-enterprise-reveals-latin-american-art-museum-for-miami/547f6ad5e58ece4f80000074-fr-ee_fernando_romero_laam_07-jpg   https://www.archdaily.com/474438/archivo-a-cultural-exoskeleton-for-mexico-city-by-zeller-and-moye



 


Vincent Callebaut: Asian Cairns, projet pour Shenzhen

Source de l'image :
https://vincent.callebaut.org/zoom/projects
/130104_asiancairns/asiancairns_pl006

 

Studio Gang : tour One Hundred à St Louis aux USA

Source de l'image : https://www.stlmag.com/design/studio-gang%E2%80%99s-one-hundred/

 

 

Pour l'expression synthétique de la cinquième étape de la 1re filière, plusieurs projets de bâtiments plus ou moins générés de la même façon : de l'architecte mexicain Fernando Romero (né en 1971 et fondateurs de l'agence FR-EE), d'une part son projet pour le Musée d'Art latino-américain prévu à Miami, d'autre part sa proposition de 2013 pour une galerie du design à Mexico ; de l'architecte belge Vincent Callebaut (né en 1977), sa proposition « Asian Cairns » de 2013 pour la ville de Shenzhen en Chine ; et enfin, de l'architecte états-unienne Jeanne Gang (née en 1964 et exerçant dans le cadre du Studio Gang), la tour One Hundred livrée en 2020 à St Louis aux USA.

Ces bâtiments partagent certaines dispositions. D'une part, ils sont formés par la répétition de formes semblables, plateaux anguleux ou arrondis chez Fernando Romero, formes de galets enveloppés d'une résille à grandes mailles et surmontés de végétations chez Vincent Callebaut, formes plissées en éventails s'ouvrant vers le haut chez Jeanne Gang. L'utilisation d'une même forme répétée n'est toutefois pas suffisante pour que leur répétition soit lue en 1/x. On peut se rappeler, par exemple, à la deuxième étape, le « Tokyo apartment » dont les petites maisons, bien que très semblables entre elles, ne formaient au total qu'un paquet de petites maisons posées les unes sur les autres sans faire ensemble une grande forme bien lisible dans laquelle chacune serait apparue comme une partie bien distincte. Une autre disposition commune à ces quatre projets vient faire la différence : toutes ces formes semblables se répètent en s'alignant les unes au-dessus des autres, et c'est leur alignement qui permet une lecture simultanée en 1+1 et en 1/x :

 - cet alignement permet en effet la lecture d'un empilement de 1+1 formes élémentaires semblables, car chacune peut se lire isolément et ne faisant rien de commun avec ses voisines. Ainsi, les plateaux arrondis ou anguleux de Fernando Romero se succèdent les uns au-dessus des autres sans avoir aucune partie de leur forme qui soit tangente ou liée de quelque façon avec celle du dessous ou celle du dessus ; les galets de Vincent Callebaut ont des formes fermées et ils s'entassent simplement les uns sur les autres ; enfin, la forme plissée en éventail ouvert vers le haut de chaque étage de la tour de Jeanne Gang implique que l'étage suivant démarre après un fort recul de façade par rapport à l'étage précédent, de telle sorte que sa forme ne semble pas suivre la forme de l'étage du dessous mais démarrer comme « à neuf » après lui.

 - mais cet alignement permet aussi le passage privilégié et commode de la lecture d'une forme à la lecture de la suivante, et donc de lire l'empilement comme une suite unitaire de multiples formes semblables, ce qui relève d'une lecture en 1/x.

Ces architectures relèvent d'une expression synthétique, car on ne peut repérer le caractère 1/x de l'empilement de leurs formes alignées sans s'affronter au caractère 1+1 de leurs répétitions. Ce caractère synthétique empêche que l'on puisse séparer ce qui, dans ces répétitions, relève de la structuration technique des bâtiments et ce qui relève de l'intention plastique d'y répéter des formes semblables alignées, mais cette confusion permet par contre de conclure que l'on est bien à la dernière étape de la phase, celle où la structuration du bâtiment et son intention plastique se trouvent enfin mises en relation sur l'ensemble du bâtiment.

L'effet prépondérant de ça se suit/sans se suivre va de soi : toutes les formes élémentaires se suivent sur un même alignement vertical, mais elles ne se suivent pas réellement puisque aucune ne se prolonge dans la suivante. Dans le cas de la tour de Jeanne Gang, cet effet est accentué par le départ de chaque forme à l'arrière de la forme du dessous, et donc pas à sa suite. Dans les autres cas, c'est le balancement incessant des directions qui ne se suivent pas l'une l'autre qui accentue cet effet.

L'effet de regroupement réussi/raté résulte également de cette disposition en enfilades mâtinées de non-continuité : le regroupement dans la file est réussi, mais la continuité de la file est ratée, que ce soit à cause des décalages entre les formes ou que ce soit à cause de leurs directions différentes. Cette disposition correspond aussi à l'effet de fait/défait : l'alignement est toujours fait mais sa continuité physique est sans arrêt défaite. Un effet de relié/détaché s'ensuit également : toutes les formes sont à la fois détachées les unes des autres et reliées dans un même alignement vertical. Dans le cas de la tour de Jeanne Gang, l'effet du centre à la périphérie utilise le fait que chaque forme élémentaire s'affirme comme un centre d'intérêt visuel qui est entouré sur toute sa périphérie par des centres visuels semblables. Dans les autres cas, c'est en nous déstabilisant que cet effet intervient : du fait de l'instabilité apparente des formes en galets de Vincent Callebaut qui semblent toujours sur le point de basculer, et du fait des incessants changements de direction qui ne cessent de nous désarçonner dans les bâtiments de Fernando Romero.

 

 

Si l'on fait un bilan rapide de la 1re filière, on a donc vu quelle a progressivement supprimé les situations de pure accumulation en 1+1 pour les remplacer par des regroupements pouvant également se lire en 1/x.

À la première étape une relation entre les dispositions structurelles et les intentions concernant les formes n'est établie que localement. À la deuxième étape, c'est sur l'ensemble du bâtiment qu'une telle relation est établie. À la troisième, elle reste établie même lorsque les différentes parties sont écartées les unes des autres. À la quatrième commence la contamination de la lecture 1+1 par la lecture en 1/x, mais cette double lecture n'est encore établie que sur une partie du bâtiment. À la dernière étape, cette double lecture se généralise à l'ensemble du bâtiment, et cela en permettant simultanément de mettre en relation la structure du bâtiment, et donc son aspect « produit-fabriqué », avec l'intention plastique qu'a voulu y manifester son ou ses architectes.

 

 

 

12.2.2.  L'évolution de la 2e filière de la phase d’émergence de l'ontologie Produit-Fabriqué/intention, filière dans laquelle PF et i sont tous les deux du type 1/x :

 

Dans la première filière, il a fallu cinq étapes pour faire passer la structure du bâtiment et l'intention plastique de l'architecte du type 1+1 au type 1/x afin qu'elles puissent être mises en relation dans le cadre d'une unité globale. Dans la deuxième filière, on démarre directement avec ces deux aspects relevant du type 1/x. Le problème, cette fois, est que le caractère 1/x du bâti n'a aucune relation avec l'aspect 1/x de l'intention plastique de l'architecte, cela par différence avec la 1re filière où une telle relation était au moins établie sur une partie du bâtiment à la première étape. En l'absence de toute relation entre les deux notions à la première étape de la 2e filière, nécessairement elles s'y confrontent d'abord comme en face-à-face, et le cheminement des étapes suivantes leur servira d'abord à se croiser quelque peu, puis à s'accompagner de plus en plus systématiquement pour que leur fusion finisse par envahir l'ensemble du bâtiment, sans toutefois que ne disparaisse le caractère 1/x propre à chacune.

 


 

Studio Velocity : « Maison/Forêt dans la ville » à Toyokawa, Japon (2012)

Source des images : http://www.studiovelocity.jp/works/029-2012-matinimoriwotukuruie/works-matinimoriwotukuruie.html

 


 



 

Pour l'expression analytique de la première étape de la 2e filière, une maison individuelle que leurs architectes japonais, Kenturo Kuihara et Miho Iwatsuki (tous deux nés en 1977 et exerçant dans le cadre du Studio Velocity), ont appelée « Maison/Forêt dans la ville ». Elle se situe à Toyokawa au Japon et a été livrée en 2012.

Cette maison a la forme d'un cube dont les faces latérales se creusent, et chacune des alvéoles ainsi formées est envahie par des arbres. Un bâtiment compact dont la masse construite est régulièrement répartie en quatre pointes et creusée de quatre cours, cela lui donne certainement un caractère 1/x.

Quant à elle, l'intention des architectes a été visiblement de mettre en scène le plus fortement possible le face-à-face entre ce bâtiment, donc ses habitants, et la végétation. Lorsque les arbres auront poussé et qu'ils formeront une petite forêt continue cernant la maison, cette rencontre des habitants avec la végétation relèvera également d'une intention à la fois une et multiple car, pour satisfaire l'unique intention de ressentir la présence et la puissance de la végétation, le bâtiment se creuse à plusieurs reprises pour lui faire de la place, il ouvre de multiples et larges baies vers elle, notamment dans les angles pour mieux ressentir comment il pénètre profondément vers son intérieur, et il avance même un balcon très loin de son volume pour mieux la ressentir de tous côtés.

On peut donc dire que l'intention, ici portée par la végétation qu'il faut observer et pénétrer, est en relation avec le bâtiment dès la première étape de la 2e filière puisque le bâtiment a précisément été construit de façon à mettre en valeur cette relation, mais à ce stade cette relation a une limite : la végétation qui porte l'intention et le bâtiment construit sont ici radicalement face-à-face. Or, si un face-à-face est certainement une forme de relation, c'est une relation particulière puisque les deux parties y restent complètement étrangères l'une pour l'autre, c'est donc à ce stade une sorte de relation minimale. Ce sera l'objet des étapes ultérieures de cette filière que de l'amplifier progressivement, en faisant d'abord en sorte que la notion d'intention traverse et croise tout le bâtiment, puis qu'elle s'associe à lui le plus complètement possible.

Il s'agit d'une expression analytique puisqu'on peut considérer séparément la présence de la végétation tout autour du bâtiment et les dispositions du bâtiment destinées à lui faire face : creusement des façades, ouverture de larges baies dans les angles, longue avancée d'un balcon.

À la première étape de la 2e filière, l'effet prépondérant est le synchronisé/incommensurable. Il correspond au fait que toutes les façades se creusent de la même façon, et donc de façon synchronisée, alors qu'on ne peut pas les percevoir ensemble et que leurs courbures sont donc incommensurables pour notre perception. Bien entendu, on ne prend pas en compte ici la vue d'avion mais celle d'un piéton qui tourne autour du bâtiment. Un autre effet méritant d'être souligné est celui du centre/à la périphérie : le creusement d'une façade amène à y ressentir la présence d'un centre de courbure, et de tels centres se rencontrent sur toute la périphérie du bâtiment.

 

 


 

SANAA : Musée d'art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa (2004)

Sources des images : https://www.wikiwand.com/fr/Mus%C3%A9e_d%27art_

contemporain_du_XXIe_si%C3%A8cle_de_Kanazawa  et

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Interior,_21st_Century_Museum_of_Contemporary_Art.jpg


 

Comme expression synthétique de la première étape de la 2e filière, le Musée d'art contemporain du XXIe siècle ouvert en 2004 à Kanazawa, au Japon, dont les concepteurs ont été les architectes japonais du cabinet SANAA dont nous avions examiné le Rolex Learning Center de Lausanne à l'occasion de la 1re filière.

Ce bâtiment se présente structurellement comme une sorte de galette horizontale, vitrée en continu sur sa périphérie et offrant ainsi un vis-à-vis continu entre l'intérieur du bâtiment et le paysage végétal alentour. Comme dans l'exemple précédent, l'intention des architectes a donc été d'établir une confrontation en face-à-face entre le bâtiment et son environnement végétal. Pour mettre en jeu cette relation, cette fois le bâtiment ne se creuse pas mais il se manifeste par une paroi vitrée la plus invisible possible, car en effet on ne constate aucun point porteur en façade, ni même aucune menuiserie apparente pour tenir le vitrage, ni en partie haute, ni en partie basse. N'apparaissent que les limites latérales de chaque morceau de vitrage, et l'on se doute que si cela avait été techniquement possible le vitrage aurait été parfaitement continu sur tout le périmètre du bâtiment. Une chose par contre se perçoit bien : la limite du bâtiment lui-même, son sol et son plafond s'interrompant simultanément selon une courbe continue, une courbe en deçà de laquelle on est dans le bâtiment et au-delà de laquelle se situe l'environnement végétal que les architectes ont donc eu l'intention de nous faire contempler dans un face-à-face le plus parfait possible.

Tout en étant de forme parfaitement circulaire, et donc unitaire, le bâtiment est structurellement divisé en multiples lieux internes, relevant ainsi du type 1/x. L'environnement paysager est continu et fait le tour du bâtiment, ce qui implique un aspect unitaire qui s'accompagne de la mise en valeur de multiples arbres remarquables isolés les uns des autres, ce qui lui permet de relever également du type 1/x. On peut aussi faire valoir que les fines lignes verticales qui séparent chaque élément de vitrage participent à la perception du caractère 1/x du bâtiment à l'endroit même de son vis-à-vis avec son environnement, et aussi à la perception du caractère 1/x de cet environnement puisqu'il apparaît ainsi comme un paysage continu divisé en multiples sections. Bâtiment 1/x et intention concernant un paysage 1/x, on est dans la 2e filière.

Il s'agit d'une expression synthétique, car la situation de face-à-face intégral entre le bâtiment et son environnement végétal ne peut être saisie sans les prendre en compte en même temps.

L'effet prépondérant de synchronisé/incommensurable est lié à l'interruption comme miraculeuse du bâtiment dans son face-à-face avec son environnement paysager : le plafond horizontal s'avance vers le paysage extérieur, le sol horizontal fait de même, et le caractère parallèle de ces deux surfaces implique que leurs progressions respectives sont incommensurables, mais, et comme par miracle, c'est en parfaite synchronie qu'elles s'interrompent brutalement à l'aplomb l'une de l'autre. Une interruption simultanée qui se produit sans qu'une quelconque retombée de poutre ne vienne soutenir le plafond et nous aider à comprendre pourquoi il s'arrête ici plutôt qu'un peu moins loin ou un peu plus loin, et sans qu'un quelconque point porteur intégré à la façade ne justifie une continuité quelconque entre le sol et le plafond qui pourrait justifier la synchronisation de leurs brutales interruptions.

L'effet de relié/détaché est spécialement significatif : grâce au vitrage continu et grâce à l'absence d'allège et de retombée en plafond, l'intérieur du bâtiment est relié de façon parfaitement continue avec le paysage végétal qui l'entoure, mais il en est aussi parfaitement détaché puisqu'on peut précisément dire à quel endroit il s'interrompt pour laisser place à la pelouse périphérique.

 

 

 


SANAA : intérieur du Rolex Learning Center à Lausanne, Suisse (terminé en 2010)

Source de l'image : https://www.andreaflak.de/epfl-rolex-learning-center-lausanne/

 

 

Pour un autre exemple d'expression synthétique de la première étape de la 2e filière, on revient rapidement sur le Rolex Learning Center, cette fois pour en examiner la disposition intérieure. Comme pour le musée de Kanazawa, toutes les périphéries de ce bâtiment sont réalisées au moyen d'un vitrage continu sans aucune retombée de poutre et sans aucune allège en partie basse, ce qui recrée la situation de face-à-face direct et complet entre l'intérieur du bâtiment et son environne-ment.

Par différence avec le musée, on peut toutefois signaler que le caractère 1/x de la structure du bâtiment et le caractère 1/x de l'intention de le mettre directement en face et en continuité avec son environnement y sont plus accusés : le volume intérieur forme en effet une grande unité parfaitement continue sans aucun cloisonnement opaque, et cette unité est visiblement divisée en espaces bien différenciés les uns des autres par les pentes et les creux que forment simultanément le sol et le plafond qui évoluent de concert, et aussi par les étranglements ou les élargissements impliqués par la présence des diverses grandes trouées qui percent verticalement le volume du bâtiment ; quant à l'extérieur, il est également ressenti comme une unité continue qui environne de tous côtés l'intérieur du bâtiment, mais il se divise ici entre un extérieur que l'on aperçoit d'un côté et un extérieur que l'on aperçoit de l'autre côté.

 

 


 

 

 


 

Sou Fujimoto : maquette d'un projet de maison en spirale (2007) et plan de la bibliothèque de l'université d'art de Musashino au Japon (livrée en 2010)

Sources des images : https://www.designboom.com/architecture/designboom-interview-sou-fujimoto/ et https://www.dezeen.com/2011/05/12/musashino-art-university-libraryby-sou-fujimoto-architects/

 

 

Pour la deuxième étape de la 2e filière, après le brutal face-à-face du bâtiment et de l'intention plastique sur toute la périphérie du bâtiment, mais sur cette seule périphérie, nous allons maintenant les voir se croiser dans toute l'épaisseur du bâtiment.

 

Comme expression analytique de ce croisement, deux bâtiments conçus par l'architecte japonais Sou Fujimoto (né en 1971). D'une part, un projet de maison en spirale qui date de 2007 et dont on donne la maquette, d'autre part la bibliothèque de l'université d'art de Musashino qu'il a livrée en 2010 et dont on donne le plan, lequel permet de bien comprendre la similitude de sa disposition en spirale avec celle du projet de maison.

Le caractère 1/x de la structure de chacun des deux bâtiments se déduit directement de la disposition en spirale de leur cloisonnement, puisque ainsi leur espace interne forme une unité continue divisée en multiples étapes d'enroulement. Quant à l'intention de l'architecte, elle a concerné les multiples vues ouvertes d'un enroulement sur l'autre par des percements dans leur cloisonnement, des vues qui sont d'ailleurs parfois alignées afin de ménager des perspectives en enfilade à travers l'ensemble des enroulements. Ce principe de vues perpendiculaires à l'enroulement répété à de multiples reprises implique le type 1/x pour l'intention qu'a manifesté l'architecte dans ces deux bâtiments.

Comme on en a prévenu, le bâtiment et l'intention ne sont plus ici face-à-face puisque l'intention traverse tout le bâtiment, depuis son centre, qui est le centre de sa spirale, jusqu'à sa périphérie. De façon générale, c'est ce progrès-là qu'apporte la deuxième étape dans la relation entre la disposition constructive et l'intention plastique dont l'architecte y fait preuve : elles ne sont plus en vis-à-vis et extérieures l'une pour l'autre, désormais elles se croisent.

Il s'agit d'une expression analytique, car on peut considérer séparément la disposition en enroulement du bâtiment et les multiples vues ouvertes dans les cloisons pour correspondre à l'intention de l'architecte de mettre en relation visuelle ses divers enroulements.

L'effet prépondérant à cette deuxième étape est évidemment celui qui fait que ça se suit/sans se suivre : à travers les ouvertures chaque enroulement est en communication avec ses deux enroulements adjacents, et ces enroulements se suivent donc puisqu'on peut voir en continu depuis l'un vers l'autre, et parfois même passer de l'un à l'autre, mais fondamentalement les enroulements se suivent dans le sens de la spirale qui les relie et ils ne se suivent pas dans le sens croisé.

L'effet d'ouvert/fermé est spécialement décelable : la spirale se referme si l'on part de l'extérieur vers son centre, tandis qu'à l'inverse elle ouvre l'espace si on part de son centre pour aller vers sa périphérie ; par ailleurs, si le cloisonnement en spirale crée une fermeture entre deux enroulements, les nombreuses ouvertures ouvrent simultanément chaque enroulement sur ses voisins. On peut aussi évoquer l'effet d'ensemble/autonomie : tous les enroulements font ensemble un même effet de spirale continue, mais on peut distinguer l'autonomie de chacun puisqu'ils sont rigidement séparés par des cloisons.

 

 

 


BIG : musée d’horlogerie Audemars Piguet au Brassus, Suisse (livré en 2020 – vue du projet)

Source de l'image : https://www.dezeen.com/2018/05/24/watch-our-talk-with-bjarke-ingels-and-hans-ulrich-obrist-live-from-venice/

 

 

La spirale est aussi l'occasion d'expressions synthétiques à cette deuxième étape de la 2e filière. Nous envisageons d'abord le musée d'horlogerie Audemars Piguet livré en 2020 au Brassus, en Suisse. Il a été conçu par BIG, l'agence de l'architecte danois Bjarke Ingels (né en 1974). Il ne comporte pas une seule spirale mais deux spirales décalées qui montent toutes les deux depuis le sol extérieur et qui forment ensemble la toiture du bâtiment.

Le caractère 1/x du bâtiment construit va de soi puisque sa structure est celle d'un mouvement en spirale divisé en deux rampes. Comme dans les exemples précédents l'intention de l'architecte a consisté à donner des vues depuis l'intérieur du bâtiment vers l'extérieur. Ici, ces vues se font par les fentes laissées entre deux étages de spirale, et entre le sol et la première rampe en spirale. Cette intention a un caractère général qui unifie l'ensemble des vues et se matérialise au moyen de multiples bandes de vitrages, ce qui correspond donc aussi au type 1/x.

Comme dans les exemples précédents de Sou Fujimoto, les vues qui correspondent à l'intention de mise en relation de l'intérieur avec le paysage alentour sont dans un sens croisé à celui de l'enroulement des spirales, l'intention se croisant donc encore ici avec la disposition structurelle du bâtiment, et la disposition pyramidale du bâtiment permet que ce croisement concerne l'ensemble de l'édifice, depuis ses parties les plus périphériques jusqu'aux parties centrales de son enroulement.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer séparément les béances ouvertes entre les rampes en spirale et la disposition de croisement des spirales qui occasionne ces béances.

L'effet de ça se suit/sans se suivre est à nouveau concerné. D'une part, on peut considérer que les deux rampes se succèdent puisqu'elles quittent le sol extérieur l'une à la suite de l'autre, mais l'une se retrouve rapidement au-dessus de l'autre et elles ne se suivent pas puisqu'elles sont décalées sur des étages différents. D'autre part, les deux rampes se suivent puisqu'elles se continuent l'une l'autre après un brusque virage en épingle à cheveux dans leurs parties terminales, mais par ce virage elles se croisent puis montent en sens inverse, elles ne se suivent donc pas.

L'effet d'ensemble/autonomie est évident : les deux rampes sont visiblement bien autonomes l'une de l'autre tout en faisant ensemble le même effet d'enroulement en spirale. Comme dans les exemples précédents la forme en spirale induit naturellement un effet d'ouvert/fermé, et la conjugaison de deux spirales renforce cet effet puisque leur conjonction referme le bâtiment dans sa partie haute tout en l'ouvrant vers l'extérieur dans leurs parties basses dont le sol se prolonge dans le sol extérieur sans qu'aucune limite au bâtiment ne soit perceptible. Par ailleurs, les spirales enferment le bâtiment dans une sorte d'empaquetage serré tandis que les béances qu'elles laissent entre elles ouvrent son intérieur sur le lointain.

 

 



 

Sou Fujimoto : projet pour le Beton Hala Waterfront Centre à Belgrade, Serbie (lauréat du concours de 2012)

Sources des images : https://i.pinimg.com/originals/52/e5/f4/52e5f469f959c027baab15ceccd17c15.jpg et https://afasiaarchzine.com/2012/10/sou-fujimoto-architects-12/

 

 

Dernier exemple d'expression synthétique pour une construction en spirale où nous retrouvons Sou Fujimoto : son projet pour le Beton Hala Waterfront Centre de Belgrade, en Serbie, lequel a été lauréat du concours lancé en 2012 pour reconfigurer ce front de mer.

Pour la même raison que dans l'exemple précédent il s'agit d'une expression synthétique, mais il y a cette fois une multitude de spirales qui s'entrecroisent. Il n'y a rien d'autre à dire que pour les analyses précédentes, celui-ci étant seulement destiné à montrer que le dispositif de spirales, bien adapté aux enjeux de la deuxième étape de la 2e filière, n'est pas limité à l'utilisation de seulement une ou deux spirales. On peut spécialement y observer comment c'est à travers tout le volume construit que les spirales, ici prévues pour la déambulation piétonne, croisent l'intention qui consiste ici à permettre de multiples vues (type 1/x de l'intention) à travers tous les intervalles laissés par les multiples rampes (type 1/x de la structure de la construction).

 

 

À la troisième étape de la 2e filière, un nouveau cran est franchi dans la mise en relation de l'intention avec la structure du bâtiment construit. Après leur face-à-face à la première étape, puis leur croisement à la deuxième, les deux notions émergentes vont maintenant commencer à fusionner, mais d'abord sur une partie seulement du bâtiment. Cela rappelle la façon avec laquelle, à la quatrième étape de la 1re filière, les deux notions de type 1+1 avaient commencé à acquérir un caractère 1/x sur une partie du bâtiment. Cette fusion commence donc une étape plus tôt dans la 2e filière, mais le caractère 1/x des deux notions facilite ce processus.

 

 


Wang Shu : Musée Historique de Ningbo, en Chine (livré en 2008)

Sources des images : https://vernaculaire.com/slow-architecture-de-wang-shu/ 

 

 

Pour l'expression analytique de la troisième étape, nous allons principalement considérer le Musée Historique de Ningbo livré en 2008 par l'architecte chinois Wang Shu. Ce bâtiment se présente comme une maçonnerie très massive en petits éléments, assez homogène dans sa partie basse et très crénelée dans sa partie haute dont les parties émergentes s'inclinent bizarrement et comportent des modifications de matériaux très visibles. Ainsi, certaines des parties hautes sont en béton brut à la différence des pierres utilisées sur le reste du bâtiment, et elles penchent vers l'extérieur à partir d'une ligne de démarcation oblique qui sépare de la partie en pierre. D'autres parties hautes sont toujours réalisées principalement en pierre, mais elles sont affectées de pans coupés, et une partie des pierres y est remplacée par des tuiles en terre cuite, rouges ou gris foncé.

La massivité compacte de ce bâtiment et son très prédominant coloris gris lui donnent un caractère d'unité certain, tandis que les énormes brèches ouvertes en partie haute entre ses différents créneaux permettent aussi de le considérer comme un bâtiment divisé en multiples parties. Au total, sa structure est donc du type 1/x.

L'intention plastique de l'architecte se manifeste dans les multiples déformations des parties hautes du bâtiment et dans l'hétérogénéité des matériaux qui y sont utilisés. Le caractère unitaire de ces déformations résulte du fait qu'elles se manifestent systématiquement par des pentes ou par des biais donnés aux parois extérieures, et l'hétérogénéité de l'emploi de matériaux multiples n'empêche pas la continuité unitaire de leurs surfaces, si bien que l'intention relève aussi du type 1/x.

La massivité monolithique de la partie basse du bâtiment se prolonge dans les parties hautes où, comme on l'a vu, se manifeste l'intention de déformer le bâtiment et d'en varier le matériau. Dans ces parties hautes, l'effet de massivité propre au bâtiment et l'effet de variété qui relève de l'intention de l'architecte trouvent donc le moyen de s'accorder, de fusionner, tandis que l'architecte n'a manifesté aucune intention de déformer la massivité de la moitié inférieure du bâtiment. Comme on en a prévenu, à la troisième étape de la 2e filière l'aspect massif de la structure du bâtiment et l'intention plastique de l'architecte ont bien fusionné, mais sur une partie seulement du bâtiment.

 

 


 

Ci-dessus, Jakob + Macfarlane Architects : extension du FRAC Centre à Orléans (2013)

À droite, Juergen Mayer H. : Checkpoint frontalier à Sarpi, entre Turquie et Géorgie (2011)

Sources des images :  https://www.archdaily.com/424754/the-turbulences-frac-centre-jakob-macfarlane-architects et https://www.archdaily.com/184315/sarpi-border-checkpoint-in-georgia-j-mayer-h-architects


 

 

Le même principe se retrouve sur les deux autres bâtiments que l'on envisage maintenant :

 - l'extension du FRAC Centre à Orléans, livrée en 2013, est conçue comme le musée de Ningbo : sa partie basse forme un volume massif compact suggérant une forme de voûte abritée sous ce volume, et son matériau se poursuit en partie haute vers trois excroissances obliques (la plus petite est cachée par celle de droite sur la photographie) qui manifestent l'intention des architectes d'y fabriquer des sortes de « canons à lumière », pour utiliser une expression inventée par Le Corbusier. Ses architectes sont la Française Dominique Jakob (née en 1966) et le Néo-zélandais Brendan MacFarlane (né en 1961).

 - le Checkpoint de Sarpi, à la frontière entre la Turquie et la Géorgie, livré en 2011 par l'architecte allemand Jürgen Hermann Mayer (né en 1965), présente une configuration différente : la partie monolithique qui assure l'effet de continuité du bâti est ici verticale, et les excroissances variées qui correspondent à l'intention de l'architecte d'animer le bâtiment par des prolongements arrondis très différents entre eux en épaisseur et en longueur sont maintenant horizontales.

Dans ces trois exemples, il s'agit chaque fois d'une expression analytique, car on peut toujours considérer séparément la partie qui affirme la continuité uniforme du bâti et les multiples parties en excroissance bien séparées qui affirment des intentions différentes les unes des autres.

Chaque fois l'effet prépondérant est l'homogène/hétérogène, car chaque fois un même matériau homogène se répand sur l'ensemble du bâtiment tandis que ses excroissances forment autant d'hétérogénéités qui se tranchent dans l'homogénéité de ce matériau. Dans le musée de Ningbo cette hétérogénéité s'étend même au matériau qui se transforme dans les excroissances de la partie haute, mais sans toutefois cesser de produire un effet de massivité homogène qui prolonge celle de la partie basse du bâtiment.

Chaque fois aussi, l'effet de rassemblé/séparé est mis à contribution : les excroissances séparées sont toutes rassemblées sur une partie du bâtiment, laquelle reste d'ailleurs bien rassemblée en continu. On peut aussi invoquer l'effet de continu/coupé : la partie massive qui reçoit les excroissances est continue tandis que les différentes excroissances sont coupées les unes des autres. Dans le cas du poste-frontière de Sarpi, cet effet se manifeste aussi dans la continuité de la répétition verticale d'excroissances horizontales franchement coupées les unes des autres.

 

 

 


Juergen Mayer H. : commissariat de police de Mastia, en Géorgie (2012)

Source de l'image : https://www.archdaily.com/226171/mestia-police-station-j-mayer-h-architects

 

 

Comme expression synthétique de la troisième étape de la 2e filière, un autre bâtiment construit en Géorgie par Jürgen Hermann Mayer, le commissariat de police de la ville de Mastia, terminé en 2012. Ce bâtiment a la forme d'un parallélépipède dont les parois extérieures ondulent quelque peu sur deux faces opposées ainsi que sur la toiture qui relie ces deux faces. Par ailleurs, de multiples vitrages perforent toutes les façades au moyen de formes souples qui ne sont jamais connectées entre elles.

Structurellement, ce bâtiment est compact, unitaire, tandis que ses ondulations et les divisions de ses surfaces en bandes séparées par les trouées vitrées lui donnent aussi un caractère multiple, il est par conséquent du type 1/x. Quant à la forme des vitrages, elle correspond à l'intention de l'architecte de trouer les façades par des formes ondulantes et variées, une intention d'ondulation qui s'est aussi portée sur une partie de la surface des façades et sur la toiture, et comme les multiples formes correspondant à l'intention plastique de l'architecte ont une même allure ondulante, cette intention est aussi du type 1/x.

Les ondulations sont l'aspect sur lequel la structure compacte du bâtiment et l'intention plastique de l'architecte cohabitent, les surfaces de ce bloc unitaire ondulant en effet de la même façon qu'ondulent les découpes des vitrages. Mais si toutes les découpes de vitrages ondulent, toutes les surfaces du bâti n'ondulent pas, et même celles qui ondulent ne le font que localement. Surtout, autant les vitrages sont des formes ondulantes bien séparées les uns des autres, autant la surface de la maçonnerie reste bien reliée en continu, le bâti ne cédant donc jamais sur son aspect massif et compact. Les intentions d'ondulations multiples et variées des vitrages ne partagent donc avec la structure du bâtiment que leur aspect ondulant, et cela parcimonieusement pour ce qui concerne le bâti, bâti avec lequel elles ne partagent pas du tout par contre leur aspect fractionné et dispersé, ce qui rejoint ce que l'on avait observé dans les exemples précédents : à la troisième étape, bâti et intentions ne se réunissent encore que partiellement et que sur une partie seulement des dispositions construites.

Il s'agit d'une expression synthétique, car on ne peut constater que l'ondulation des découpes des vitrages est systématique sans faire l'expérience de l'absence de ce systématisme pour ce qui concerne l'ondulation des surfaces de façades.

L'effet prépondérant d'homogène/hétérogène est bien lisible : la maçonnerie a une paroi d'épaisseur homogène et d'aspect homogène, tandis que l'ondulation de certaines de ses surfaces crée des hétérogénéités dans cette homogénéité. L'hétérogénéité principale est toutefois celle des trous vitrés dont le contour ondule avec une épaisseur homogène mais selon un parcours qui ne cesse de faire alterner de grands arrondis très lâches avec de courts arrondis plus serrés, et donc selon un parcours très hétérogène.

L'effet de rassemblé/séparé concerne les vitrages dont les trouées sont rassemblées sur les façades du bâtiment, mais toujours nettement séparées les unes des autres. Les contours de ces vitrages suivent des directions très variées, incommensurables entre elles puisque ne suivant aucun rythme commun perceptible, ce qui n'empêche pas que les écarts entre eux restent toujours à peu près constants et qu'ils sont donc synchronisés sous cet aspect : c'est un effet de synchronisé/incommensurable. Quant à l'effet de continu/coupé, de la peau de la maçonnerie on peut dire qu'elle est toujours continue bien que fréquemment coupée par la présence des vitrages, des vitrages eux-mêmes qu'ils se répandent en continu sur toutes les façades mais qu'ils sont toujours coupés les uns des autres, et aussi que leurs contours ondulants forment un tracé continu constamment coupé par des changements de direction plus ou moins brusques.

 

 

 


Zhang Lei (AZL architects) : CIPEA à Nanjing en Chine, maison n° 4 (2008)

Source de l'image : https://www.archdaily.com/368000/cipea-no-4-house-azl-architects

 

 

À la quatrième étape de la 2e filière, la structuration du bâtiment et l'intention plastique vont désormais fusionner sur l'ensemble du bâtiment. Toutefois, ce mariage ne pourra pas encore se faire de façon continue et il impliquera des fractures ou des coupures qui entameront la continuité de la construction.

La maison n° 4 livrée en 2008, dans le cadre du CIPEA de Nanjing, par l'architecte chinois Zhang Lei (né en 1964 et exerçant dans le cadre de AZL architects), est un parfait exemple d'expression analytique correspondant à cette étape.

De façon très claire, le bâtiment a la forme d'un parallélépipède vertical dont les façades sont tronçonnées en étages séparés les uns des autres par une mince fente, un peu comme le seraient les tiroirs superposés d'une grande commode. L'intention plastique de l'architecte a été de donner à chacun de ces tiroirs une forme particulière à l'endroit des fentes qui les séparent, y creusant des arrondis chaque fois différents dans leur ampleur et dans leur position, parfois du côté inférieur de la maçonnerie d'un étage, parfois sur son côté supérieur. Entre le premier et le deuxième niveau, l'arrondi est remplacé par une nuée de petits trous, lesquels se dispersent de façon plus ténue sur toute la hauteur du bâtiment.

Structurellement, le bâtiment a certainement un caractère 1/x puisque c'est un grand bloc compact découpé en multiples tranches, et l'intention plastique de donner une forme particulière à chacune de ces tranches relève également du type 1/x puisque la même intention de creusement arrondi se répète à de multiples reprises et de diverses façons. Aucun étage n'échappe à cette intention, mais cette généralisation de la fusion de l'intention plastique avec la structure du bâtiment construit s'accompagne à cette étape de coupures bien marquées entre les diverses parties du bâtiment, comme on en avait prévenu.

Cette architecture correspond à une expression analytique, puisque l'on peut considérer séparément la forme parallélépipédique tronçonnée en étages du bâtiment et la façon dont l'intention donne des formes particulières à la découpe de chaque étage.

À la quatrième étape de la 2e filière, l'effet prépondérant est le rassemblé/séparé : toutes les tranches du bâtiment sont bien séparées les unes des autres par une nette faille tout en étant visuellement rassemblées dans la forme bien nette d'un parallélépipède régulier. De ces tranches on peut dire aussi qu'elles sont bien indépendantes les unes des autres tout en étant liées à cette forme générale de parallélépipède : c'est effet de lié/indépendant. Ces tranches ont même couleur et même aspect global mais sont différentes dans le détail de leurs contours : c'est un effet de même/différent, un effet qui se retrouve aussi dans le fait que les différents étages forment ensemble un même bâtiment. L'extérieur de chaque étage se repère bien à l'intérieur de la forme d'ensemble : effet d'intérieur/extérieur. Enfin, dernier effet concerné, le bâtiment est à la fois clairement un et clairement multiple.

 

 

 


Alejandro Aravena : Bureaux de la Sté Novartis à Shanghai en Chine (2017)

Source de l'image : https://www.dwell.com/article/chilean-architect-alejandro-aravena-wins-this-years-pritzker-prize-a2f68515/6133586217280495616

 

 

Comme autre exemple d'expression analytique de cette quatrième étape, les bureaux de la société Novartis à Shanghai, livrés en 2017 par l'architecte chilien Alejandro Aravena (né en 1967). Le caractère 1/x de la structure du bâtiment est bien sensible puisque sa forme parallélépipédique d'ensemble est découpée en de multiples plus petits parallélépipèdes. Même type 1/x pour la répétition de l'intention plastique qui a consisté à donner systématiquement des dimensions différentes à chacun de ces parallélépipèdes.

Comme dans l'exemple précédent, le mariage généralisé de la forme du bâtiment construit avec cette intention implique que le bâtiment soit affecté par de nombreuses failles qui séparent chacune de ses parties. On peut facilement y retrouver les effets plastiques que l'on a détaillés pour la maison du CIPEA de Nanjing.

 

 

 


Barbosa & Guimarães : bureaux Vodafone à Porto (2006)

Source de l'image : https://www.flickr.com/photos/wojtekgurak/5806566638 (auteur : Wojtek Gurak)

 

 

Pour l'expression synthétique de la quatrième étape de la 2e filière, les bureaux de la société Vodafone, livrés en 2006 à Porto par les architectes Barbosa & Guimarães dont nous avions déjà analysé la piscine municipale de Povoação.

À la différence des exemples précédents la forme d'ensemble de ce bâtiment n'est pas commodément lisible car il se déhanche dans tous les sens, mais son aspect global reste celui d'un bâtiment compact, ici divisé en multiples étages séparés par des vitrages bleutés en forme de losange. Il correspond donc au type 1/x.

L'ondulation de la façade correspond à l'intention plastique des architectes qui ont voulu plisser le bâtiment en tous sens, aussi bien dans le sens horizontal que dans le sens vertical, et puisque ce système de plis se retrouve de façon unitaire sur toute la façade et de multiples façons différentes, leur intention est aussi du type 1/x.

Ici aussi l'intention plastique s'est répandue sur tout le bâtiment, c'est-à-dire qu'elle s'est mariée avec la structuration du bâti sur l'ensemble de celui-ci, et comme dans les exemples précédents la généralisation de ce mariage se paye au prix de multiples déchirures dans la continuité du bâti. Ces déchirures sont ici les vitrages qui séparent les étages, sans toutefois les disjoindre complètement puisqu'ils restent à se toucher à l'endroit des pointes de leurs panneaux trapézoïdaux.

Il s'agit d'une expression synthétique puisque, en l'absence de possibilité de saisir commodément la forme globale du bâtiment, on ne peut la lire qu'en lisant la succession des ondulations variées qui parcourent sa façade, ce qui implique que l'on ne peut pas saisir la compacité du bâti sans s'affronter aux impulsions variées données à sa façade par l'intention des architectes.

Les effets plastiques concernés s'analysent comme pour les exemples analytiques.

 

 

À la cinquième et dernière étape de la 2e filière, l'intention plastique accompagne maintenant la totalité de la structure du bâtiment sans qu'il ne soit plus contraint de se découper en tronçons séparés. À cette étape est donc complètement corrigée l'indépendance de ces deux aspects qui, à la première étape ne pouvaient que se regarder face à face, à la deuxième se sont ensuite croisées dans toute la profondeur du bâtiment, à la troisième ont commencé à s'accompagner sur une partie restreinte du bâtiment, et à la quatrième n'ont pu enfin s'accompagner sur toute l'étendue du bâtiment qu'à la condition que celui-ci se tronçonne en parties séparées. Bien entendu, cette mise en relation complète de la structure du bâtiment et de l'intention plastique de l'architecte à la dernière étape n'implique nullement une perte de leur caractère 1/x.

 



 

 

Ma Yansong (MAD Architects) : Fausses Collines à Beihai en Chine

(à gauche projet d'ensemble, à droite, réalisation partielle en 2015)

Sources des images : https://welcometochina.com.au/modern-architecture-tourism-in-china-5939.html
et
https://divisare.com/projects/309052-mad-architects-xia-zhi-fake-hills-beihai-china

 


 

 

Pour l'expression analytique de la dernière étape de la 2e filière, on retrouve l'architecte Ma Yansong de MAD Architects avec un immense bâtiment d'habitation à Beihai qu'il justifie en disant qu'il a la forme de fausses collines telles qu'on en voit dans les montagnes chinoises. En 2015, seule une partie du bâtiment était réalisée. On s'intéressera à son aspect côté plage, sachant que l'autre façade est découpée en fortes cannelures ainsi qu'on le devine sur la photographie aérienne, cette façade arrière relevant de la 4e filière.

Le caractère unitaire et continu de la structure du bâtiment ne fait pas de doute puisqu'il est fait d'une longue surface divisée de façon uniforme par une grille en maçonnerie. Cette grille résulte du croisement de multiples horizontales et de multiples verticales, elle est systématiquement obturée par des vitrages sombres et parsemée de multiples saillies de balcons, principalement rassemblées autour des grands percements qui trouent la façade, comme pour amortir la brutalité de ceux-ci. Ne serait-ce que pour cet aspect de sa surface, le bâtiment relève donc du type 1/x. Mais il se caractérise aussi par les grandes vagues de sa crête qui, en s'associant aux arches ouvertes en sa partie basse dont les sommets coïncident avec les creux de ces vagues, le divisent en unités bien repérables mais liées entre elles dans l'unité globale de la forme du bâtiment, ce qui relève également du type 1/x.

Comme le bâti les intentions plastiques sont du type 1/x puisqu'elles se confondent étroitement à ses caractéristiques : en partie courante, on repère l'intention de proposer une trame de surface régulière, seulement diversifiée par des effets de reliefs qui se concentrent autour des grands percements de la façade, tandis qu'au niveau de la forme globale du bâtiment on repère l'intention de donner à sa découpe l'allure de vagues ondulantes variées qui pourraient rappeler l'aspect irrégulier de montagnes irrégulièrement érodées.

Sur le principe, il est utile de bien distinguer la structure du bâti et l'intention plastique de l'architecte, même si elles sont étroitement associées : en partie courante, le bâti correspond à une trame maçonnée régulièrement trouée par des vitrages et l'intention consiste à procurer une surface régulière ; à l'échelle globale, le bâti est lu continu et divisé en tronçons par des étranglements hauts et bas synchronisés, et l'intention consiste à donner l'allure de vagues irrégulières à cette division en tronçons. Cette confusion du bâti avec l'intention, et la généralisation de cette confusion à l'ensemble du bâtiment, résultent de l'état de la relation entre la structuration du bâti et l'intention plastique à la dernière étape de la 2e filière : comme à l'étape précédente le mariage de ces deux aspects de type 1/x est général, mais, à la différence de l'étape précédente, leur fusion ne se paie plus de l'obligation de tronçonner le bâtiment en parties écartées les unes des autres.

Pour ce qui concerne la silhouette générale du bâtiment cette architecture relève d'une expression analytique, puisqu'on peut considérer séparément sa division en tronçons successifs et la forme d'ondulation donnée à cette division pour correspondre à l'intention de l'architecte. Pour ce qui concerne l'allure de la surface courante, il s'agit cette fois d'une expression synthétique, car on ne peut pas considérer séparément la grille maçonnée construite et l'intention de produire une surface uniforme divisée en multiples parties.

À la dernière étape de la 2e filière, l'effet prépondérant est le synchronisé/incommensurable. Il se repère au contraste entre la surface courante quadrillée de façon régulière, donc synchronisée, et la découpe des grandes ondulations qui relève d'une échelle et d'un registre de formes complètement distincts de celui du quadrillage et qui est donc incommensurable avec lui. Il correspond aussi à la synchronisation des ondulations venues du sol avec celles de la crête du bâtiment qui savent se mouvoir en cadence pour que les sommets des premières coïncident avec les creux des secondes, alors que leurs évolutions sont complètement irrégulières, sans aucune correspondance d'ampleur entre le haut et le bas du bâtiment, et qu'elles sont incommensurables les unes pour les autres.

L'effet de regroupement réussi/raté se lit dans le regroupement réussi de toute la surface du bâtiment dans l'uniformité d'une même continuité régulière, un regroupement que fait rater son découpage en tronçons d'ondulations, et il est aussi raté du fait des saillies irrégulières des balcons qui ne respectent pas la régularité de la trame horizontale dont ils procèdent. L'effet de fait/défait relève des mêmes dispositions : la régularité uniforme de la façade est faite en partie courante, elle est défaite par l'irrégularité de la découpe de son pourtour et par l'irrégularité de la sortie des balcons. L'effet de relié/détaché se rapporte notamment au fait que toute la façade est reliée en continu dans une même surface tout en étant divisée en tronçons que détachent visuellement les conjonctions entre les ondulations hautes et les ondulations basses de son contour. La maçonnerie de la grande trouée qui perce la façade est également bien reliée au quadrillage maçonné de cette façade, ce qui n'empêche pas que cette trouée s'en détache visuellement de façon très brutale.

 

 

 


Studio Gang : tour Mira, Folsom Street à San Francisco, USA (dessin du projet)

Source de l'image : https://www.dezeen.com/2018/08/20/mira-skyscraper-san-francisco-studio-gang-twisting-bay-windows/

 

 

Comme exemple d'expression synthétique de la dernière étape de la 2e filière, nous retrouvons le Studio Gang avec la « tour Mira » livrée en 2020 à San Francisco aux USA. Elle se caractérise par la division de ses façades en cordons verticaux bien séparés les uns des autres et qui se tordent en hélice tout le long de leur parcours.

Le caractère uniforme de la structuration de sa peau extérieure divisée en multiples colonnes correspond à une expression du type 1/x, et la même chose peut être dite pour chaque colonne prise individuellement puisque, bien que traitée de façon très unitaire du bas en haut, elle se divise en multiples portions de torsions successives. L'intention plastique de l'architecte correspond évidemment à cet effet de torsion et, puisque l'on est à la dernière étape de la 2e filière, cette intention est complètement fusionnée avec la structuration du bâti et partage donc avec lui le type 1/x.

Comme pour les fausses collines de Ma Yansong, on trouve ici un mélange d'expression analytique et d'expression synthétique. En effet, on peut considérer séparément la division horizontale du bâti en plusieurs colonnes verticales et l'évolution différente de leur torsion d'une colonne à l'autre, et cette séparation possible de la disposition du bâti et de l'effet de l'intention plastique correspond à une expression analytique. Par contre, dans le sens vertical cette fois, la division de chaque colonne torsadée en multiples tours de torsades successifs ne permet pas de séparer ces deux aspects qui sont ici complètement conjugués, ce qui correspond à une expression synthétique.

L'effet prépondérant de synchronisé/incommensurable se lit dans la façon dont les diverses torsions s'effectuent selon des rythmes dont on ne parvient pas à lire commodément la régularité et qui sont donc incommensurables pour nous, mais qui parviennent pourtant à se synchroniser pour produire ensemble un effet de plissement tordu régulier. Cet effet de plissement réussit à regrouper toutes les surfaces, mais les torsions ont pour conséquence d'en individualiser chaque portion ce qui leur permet d'échapper à tout regroupement visuel. Les torsions continues des façades défont continuellement leur forme, ce qui est une expression de fait/défait, et chaque portion de chaque torsion se détache visuellement des autres portions auxquelles elles sont pourtant reliées en continu, ce qui correspond à un effet de relié/détaché. Enfin, puisque chaque portion de torsion peut être lue comme un centre d'intérêt visuel se démarquant de ses voisines, il en résulte que chacun de ces centres visuels est entouré sur toute sa périphérie de centres visuels semblables, ce qui correspond à l'effet du centre/à la périphérie. À cet effet on peut également ajouter que nous sommes déstabilisés par l'impossibilité de saisir la position et l'orientation de la façade du fait de ses continuelles contorsions.

 

 

On peut maintenant récapituler l'évolution de la 2e filière de la phase d'émergence de l'ontologie produit-fabriqué/intention, ou plus exactement ici, celle de bâtiment-construit/intention.

Dans cette filière la structuration du bâti et l'intention plastique des architectes sont toutes les deux du type 1/x, et elles sont d'abord complètement étrangères l'une pour l'autre comme il se doit au début d'un cycle. Étant étrangères, elles se font d'abord face, brutalement opposées l'une à l'autre en un vis-à-vis direct, elles se croisent ensuite lors de la deuxième étape, puis à la troisième elles trouvent le moyen de fusionner localement leurs types 1/x, puis à la quatrième elles le fusionnent sur l'ensemble du bâtiment, mais c'est alors au prix de l'obligation de découper le bâtiment en tronçons physiquement séparés. Enfin, dans une cinquième et dernière étape, elles fusionnent sur l'ensemble du bâtiment mais celui-ci peut désormais rester continu.

La mise en relation de la structuration du bâti et de l'intention plastique dans les cas où elles sont simultanément du type 1/x étant désormais complète, il sera possible de passer à la phase ontologique suivante, laquelle s'appuiera sur cette mise en relation qui est le minimum préalable pour aller plus loin dans la complexification de cette relation.

 

> Fin du chapitre 12