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18.1.5.  L'architecture analogiste aux notions additives indépendantes menant au super-animisme :

 

En principe, cette filière correspond à la Méso-Amérique, mais son évolution a été bloquée à sa première étape du fait de la colonisation, laquelle a d'ailleurs détruit beaucoup de son architecture.

 

18.1.6.  L'architecture analogiste aux notions additives se complétant menant au super-animisme dans la civilisation chrétienne orthodoxe :

 

La première étape aux notions additives se complétant menant au super-animisme :

 


Église Sainte-Hripsime à Vagharshapat, Arménie (618-630) - Vue de l'état actuel et plan

Sources des images : https://eo.wikipedia.org
/wiki/Dosiero:Hripsime3.jpg
   et
https://commons.wikimedia.org
/wiki/File:Hripsime_church_plan.jpg


 

L'Arménie du VIIe siècle semble à l'origine de la filière architecturale propre à la civilisation chrétienne orthodoxe. Elle se prolongera à l'ouest jusqu'en Grèce et en Serbie, et vers le nord en Russie. Comme exemple pour la première étape, l'église Sainte-Hripsime à Vagharshapat, en Arménie, édifiée de 618 à 630.

Bien entendu, la notion de matière y est portée par sa masse matérielle compacte et presque aveugle dont le caractère unitaire est affirmé par sa forme strictement contenue dans un rectangle, par sa presque quadruple symétrie, et par son énorme coupole centrale qui recouvre une bonne partie de sa couverture. Quadruple symétrie, cela implique qu'elle est à la fois une et divisée en de multiples parties semblables, et donc du type 1/x.

La notion d'esprit est portée par les toitures à deux pentes des différents frontons qui attirent notre attention en se singularisant en partie haute, par la sortie de la coupole centrale qui se fait remarquer en s'extrayant de la masse du bâtiment, ainsi que par les arrondis des baies et des hautes arcades aveugles qui creusent verticalement chacun des pignons. À la différence de la masse matérielle dont on perçoit bien le caractère continu et compact, ces aspects qui attirent l'attention de notre esprit ne se regroupent pas d'emblée en ensemble cohérent, ils relèvent de registres de formes hétérogènes et ils sont disséminés sur toute la construction, ce qui relève du type 1+1. La notion de matière en 1/x et celle d'esprit en 1+1 : nous sommes dans une filière qui prépare le super-animisme.

Non seulement la dispersion et l'hétérogénéité des dispositions qui attirent l'attention de notre esprit contrastent avec la continuité et l'homogénéité de la masse construite, mais les jeux de formes qui y correspondent, émergences triangulaires, émergence centrale et creusement en arrondi, sont complètement indépendants de l'effet de continuité compacte horizontale produit par la masse matérielle, ce qui implique que les notions de matière et d'esprit font des choses complètement autonomes, sans correspondance ou écho mutuel, et qu'elles sont donc en situation additive.

Toutefois, les toitures dont les émergences triangulaires ou centrale attirent notre attention ne sont pas simplement rajoutées par-dessus la masse du bâtiment, ils en font entièrement partie, ils en sont même un élément indispensable puisqu'ils correspondent à la couverture inévitable de son volume intérieur : les notions de matière et d'esprit, bien qu'elles s'expriment de façons autonomes l'une de l'autre ne sont pas indépendantes, elles se complètent. On peut d'ailleurs ajouter que si les différentes séries de formes qui attirent l'attention de notre esprit s'ajoutent entre elles en 1+1, individuellement chacune est aussi organisée en quadri symétrie afin de s'adapter à la disposition en 1/x de la masse matérielle du bâtiment, ce qui contribue à renforcer le caractère 1/x de celle-ci.

Au total, nous sommes donc dans une filière qui prépare le super-animisme et les notions de matière et d'esprit sont dans une situation additive à l'intérieur de laquelle elles cherchent à se compléter.

Dans toute cette filière chrétienne orthodoxe on trouvera la même utilisation d'un contraste visuel prédominant entre une masse matérielle compacte concernant la partie basse du volume et des effets d'émergences en toiture nécessairement concentrés sur la partie haute du bâtiment. Toutefois, dans le cas de cette église, les grands creux aveugles en V arrondis à leur sommet ne relèvent pas du principe de complémentarité : ils n'ont aucune utilité fonctionnelle ou de stabilité, et par leur caractère dispersé et leur allure verticale ils contredisent le caractère massif continu et plutôt horizontal de la construction. Sauf pour leur participation à l'effet de quadri symétrie évoqué plus haut, ces arcades aveugles ne complètent donc pas l'effet produit par la masse matérielle mais le contredisent et correspondent ainsi à une affirmation d'indépendance mutuelle des notions de matière et d'esprit. Quant aux ouvertures arrondies des fenêtres, outre qu'elles ont une utilité fonctionnelle, elles respectent assez bien l'effet de continuité horizontale produit par la masse bâtie et pour leur part relèvent donc plutôt de la complémentarité des deux notions.

 

À la première étape, la notion de matière est portée par un effet de continu/coupé : la continuité matérielle du bâtiment est coupée en partie basse par les angles du bâtiment et par les défoncés des arcades aveugles, elle est coupée en partie haute par les émergences successives des pignons, et à chaque angle par l'émergence d'un massif cubique surmonté d'une petite tourelle.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant : les émergences des toitures portent des couvertures qui sont nécessairement liées à la masse matérielle du bâtiment tout en s'affirmant de façon indépendante, précisément pour attirer l'attention de notre esprit. Les hautes arcades aveugles sont des volumes indépendants qui se creusent dans la masse du bâtiment et qui lui sont donc complètement liés. Enfin, les fenêtres aux linteaux arrondis sont chaque fois des formes isolées, donc indépendantes les unes des autres, mais qui sont nécessairement liées à la masse matérielle qu'elles percent localement.

Les deux notions se différencient par un effet de même/différent : on a décrit plus haut la différence entre les deux types de formes associés à chacune des deux notions, on doit maintenant noter que ces deux registres sont associés dans un seul et même bâtiment.

Les deux notions font ensemble du relié/détaché : les frontons à deux pentes des pignons sont bien reliés à la masse de l'église mais s'en détachent visuellement, la même chose valant pour toutes les excroissances en toiture, notamment celle qui enveloppe le dôme central, et aussi pour les niches aveugles arrondies et pour toutes les fenêtres qui trouent les façades.

 

 

La deuxième étape aux notions additives se complétant menant au super-animisme :

 



 

À gauche, restitution de l'église septentrionale du monastère de Constantin Lips à Constantinople, Turquie (907) – à droite, monastère de Panagia Kosmosoteira à Pherrai (milieu du XIIe siècle)

Sources des images : https://www.pinterest.fr/pin/379357968589577351/?lp=true  et  https://www.emtgreece.com/de/monasteries-and-churches/dame-kosmosoteira-in-feres

 

La deuxième étape couvre approximativement la période qui va de 900 à 1200. Nous allons considérer deux bâtiments situés aux deux extrémités de cette période et dont les apparences extérieures sont organisées de façons très voisines malgré leur différence importante de dimension : l'église septentrionale du monastère de Constantin Lips à Constantinople, aujourd'hui Istanbul en Turquie, construite en 907, et l'église du monastère de Panagia Kosmosoteira à Pherrai, ville qui se dénommait Vera à l'époque byzantine et qui se situe à l'est de la Grèce, à assez grande proximité de l'ancienne Constantinople. Pour sa part, elle date du milieu du XIIe siècle.

Ces bâtiments sont fondamentalement conçus selon le même principe que l'église arménienne de l'étape précédente : une masse matérielle compacte en partie basse et de multiples émergences en toiture qui attirent l'attention de notre esprit. Du fait de cette analogie, il est inutile de répéter ce que l'on a dit à l'étape précédente pour justifier le caractère additif et complémentaire des notions de matière et d'esprit, ainsi que pour justifier le caractère animiste de leur relation. On ajoutera juste, concernant le Monastère de Constantin Lips, que les rangs de maçonnerie aux couleurs alternées de la moitié basse du bâtiment aident à ressentir le côté unitaire du bâtiment puisque ces rangs traversent tous ses reliefs, et qu'ils renforcent aussi le type 1/x de sa lecture puisque sa masse à l'unité renforcée se trouve aussi divisée en multiples couches alternées.

 

Par rapport à l'étape précédente la sortie des volumes et des édicules en toiture est plus clairement prononcée, car la forme autonome de chacune des émergences est plus affirmée. Cela correspond à la modification de l'effet qui porte la notion de matière et qui est maintenant le lié/indépendant : tous ces édicules, ces frontons et cette coupole centrale correspondent à des parties de la masse matérielle du bâtiment qui sont visualisables de façon bien indépendante de sa masse principale mais qui lui sont pourtant complètement liées.

La notion d'esprit s'affirme par un effet de même/différent qui, pour l'essentiel, concerne les excroissances de la partie haute du bâtiment dont les formes captivent notre esprit : les arrondis ou les coupoles des couvertures, les formes en lanterne des édicules des angles et de la grande coupole centrale, les arcades des fenêtres plus ou moins hautes et dont l'arrondi est amplifié visuellement par l'effet rayonnant des claveaux ou des moulures. Dans chacune de ces familles de formes, celles-ci sont à la fois toutes les mêmes par un aspect et différentes les unes des autres par un autre aspect. Ainsi, pour prendre le cas du monastère de Panagia Kosmosoteira, on y trouve des couvertures en coupole et des couvertures en arrondi, une grande coupole et plusieurs petites coupoles, une grande forme en lanterne pour soutenir la coupole principale et de plus petites formes en lanterne aux angles du bâtiment, de grandes fenêtres en arrondi autour de la coupole principale, des fenêtres encore plus hautes dans les frontons à toiture en arrondi, et de plus petites fenêtres sous les coupoles des angles. Quant aux fenêtres des pignons, elles sont regroupées par trois sous l'arrondi de leur toiture et, dans ce même ensemble de fenêtres, toutes les trois sont différentes : celle du centre est symétrique tandis que les fenêtres latérales sont dissymétriques, leur partie haute tantôt tournée à gauche et tantôt tournée à droite.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : en se démarquant par leur matériau, probablement d'abord en tuile ou en ardoise, en zinc pour leur réfection moderne, les couvertures se distinguent des maçonneries qui les portent ce qui permet de visualiser, au-dessus de la matière du bâtiment, des arches et des coupoles dont le creux intérieur se devine depuis leur extérieur ; les formes en lanterne des quatre édicules des angles ont leur extérieur qui est à l'intérieur de la masse matérielle globale et elles permettent aussi à l'extérieur de pénétrer à l'intérieur de la masse construite ; enfin, les ouvertures dont les jeux de formes attirent l'attention de notre esprit font pénétrer largement l'extérieur à l'intérieur de la matière même du bâtiment.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple : une masse unique en partie basse et de multiples émergences en partie haute ; pour ces émergences, de multiples répétitions d'une même forme, soit en toiture à deux pentes ou en arrondi, soit en lanterne avec couverture en coupole ; un même type d'arrondi pour les ouvertures reproduit en de multiples exemplaires ; dans le cas du monastère de Constantin Lips, une même masse de maçonnerie divisée en de multiples strates de matériaux différents.

Pour des raisons de concision, comme à l'étape précédente et aux suivantes, sauf à la dernière, nous n'envisageons pas les effets qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique de l'étape.

 

 

 


Cathédrale Saint-Dimitri à Vladimir, Russie (vers 1191 à 1197)

 

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Cath%C3%A9drale_Saint-Dimitri_de_Vladimir

 

 

Rapidement, une autre église qui relève de cette étape tout en proposant un jeu de formes très différent : la cathédrale Saint-Dimitri à Vladimir, en Russie, édifié vers 1191 à 1197 et qui fait partie de toute une famille d'églises assez semblables construites en Russie vers la même époque. Son aspect évoque fortement l'architecture romane de la même étape.

Par différence avec les exemples précédents, cette famille d'églises n'oppose pas une masse compacte en partie basse à des émergences seulement localisées dans sa partie haute, mais une masse compacte à une émergence unique en toiture et à des émergences latérales semi-cylindriques sur l'un des flancs. Les façades qui ne disposent pas de telles absides en saillie sont divisées en arcades bien séparées dont l'arrondi de la couverture vient légèrement déborder en partie haute.

Toutes ces dispositions vont dans le sens de visualiser des travées indépendantes liées ensemble (cas des arcades qui divisent les façades) ou des corps de bâtiments indépendants liés au bâtiment principal (cas des absides latérales et de la coupole haute centrale). On y retrouve donc l'effet de lié/indépendant qui porte la notion de matière.

Quant à la notion d'esprit, elle est portée par ces différentes formes en arrondi qui sont à la fois les mêmes et différentes entre elles puisque correspondant parfois à des volumes en cylindre et parfois à des reliefs linéaires courbes prolongés verticalement jusqu'au sol. Elle est aussi portée par les ouvertures oblongues qui se retrouvent différentes fois mais de façons différentes, puisque parfois vitrées et parfois opaques, et elle est enfin portée par des bandes d'arcatures horizontales qui sont de même type mais qui proposent des situations différentes, puisque parfois continues et parfois alternant entre des arcatures courtes et des arcatures descendant jusqu'au sol.

L'effet d'intérieur/extérieur différencie les deux notions : les formes des absides et du cylindre de la coupole centrale, qui toutes attirent l'attention de l'esprit, se démarquent de la masse courante du bâtiment en enveloppant des creux dont l'intériorité est perceptible depuis leur extérieur ; à l'intérieur de la façade d'entrée, les grandes arcades arrondies se différencient de la surface courante de la matière des murs en y dessinant le bord extérieur de travées verticales, et ces bords en redents échelonnés donnent en outre un caractère de creux intérieur à l'extérieur de la masse de chacune de ces travées. Quant aux bandes d'arcatures qui captent l'attention de notre esprit, assez équivalentes aux bandes lombardes que l'on avait envisagées pour l'architecture romane, elles se distinguent en générant à la surface de la masse matérielle construite des creux intérieurs en situation extérieure. Comme les bandes lombardes d'ailleurs, elles relèvent d'une relation d'indépendance entre les notions de matière et d'esprit puisqu'elles introduisent des effets de stricte horizontalité qui sont étrangers aux rythmes verticaux de la masse matérielle construite, mais elles participent toutefois aux effets de « une et multiples courbes » que les deux notions font ensemble. Il n'est pas besoin d'énumérer les autres effets d'un/multiple bien visibles que font ensemble les deux notions.

 

La masse principale du bâtiment a la forme d'un cube à quatre faces, chacune subdivisée en trois tronçons, ce qui relève du type 1/x pour la notion de matière, tandis que les diverses formes qui captivent notre esprit sont réparties en familles de formes étrangères les unes pour les autres qui s'ajoutent donc en 1+1 : cette filière prépare le super-animisme. La masse matérielle s’exhibant au moyen de surfaces planes tandis que l'esprit est captivé par des alignements courbes ou droits ou par des surfaces courbes, les notions de matière et d'esprit font des choses très différentes et sont donc en situation additive. On ne peut toutefois négliger les échos visuels entre les courbes de la toiture et celles des arcades de la façade et celle du cylindre de sa coupole, ni négliger l'enveloppement matériel procuré par les absides arrondies comme le rôle de protection assuré par les diverses couvertures, de telle sorte que les deux notions ne se comportent pas de façons indépendantes mais se complètent.

 

 

La troisième étape aux notions additives se complétant menant au super-animisme :

 

 


Église de Sainte Paraskevi, Tchernigov, Ukraine (1201)

Source de l'image : https://www.dreamstime.com/stock-images-church-st-paraskeva-chernigov-image11148584

 

 

La troisième étape correspond approximativement aux trois premiers quarts du XIIIe siècle. On y retrouve l'église ukrainienne de Sainte Paraskevi à Tchernigov qui nous avait servi d'exemple pour cette filière dans le chapitre d'introduction 18.0.

Encore une fois, on a ici une division très nette entre la masse matérielle compacte de la partie basse du bâtiment et les effets de toiture dont la variété et la complexité captivent notre esprit et qui se combinent avec la sortie du cylindre portant la coupole centrale.

La masse matérielle principale compacte, dont l'apparence est divisée en plusieurs façades et plus subtilement subdivisées par des massifs verticaux encadrant les porches ou marquant les angles, relève clairement d'une lecture du type 1/x. Quant à elles, les toitures ne forment pas une forme globalement repérable, d'autant que la coupole centrale est très éloignée des autres couvertures, elles forment donc une série de couvertures qui s'ajoutent les unes aux autres en 1+1 de telle sorte que l'on se trouve toujours dans une filière qui prépare au super-naturalisme.

L'effet massif du grand volume cubique en brique est très étranger à l'envolée des courbes des couvertures, ce qui fait que cet effet des couvertures ne peut que s'ajouter à celui de la masse construite et que les notions de matière et d'esprit sont en relation additive. Par contre, il ne fait pas de doute que les toitures complètent les masses construites, parce qu'elles complètent visiblement le haut du bâtiment et lui assurent sa couverture, parce que chaque arrondi de couverture s'associe à un ressaut arrondi de la maçonnerie et, pour ce qui concerne les couvertures en périphérie du bâtiment, parce que les divisions de la couverture s'accordent aux divisions verticales en relief de la masse de la maçonnerie et qu'elles les prolongent en toiture. Les deux notions font donc preuve ici de complémentarité.

 

À la troisième étape, la notion de matière est portée par un effet de même/différent : la maçonnerie comporte différentes façades qui ont fondamentalement le même aspect, mais aussi une façade (non visible sur la photographie) qui a un aspect différent puisqu'elle prend la forme de trois absides arrondies accolées assez similaires aux absides que l'on a vues à Saint-Dimitri de Vladimir. Par ailleurs, chaque même façade comporte différents tronçons qui sont différents les uns des autres : des angles en relief, une travée centrale en forme de grande arcade arrondie munie d'un porche et de différentes ouvertures en partie haute, et deux travées latérales beaucoup plus étroites, un peu plus basses et chacune dissymétrique, sans ouverture en partie basse.

La notion d'esprit est portée par des effets d'intérieur/extérieur : les décalages entre les diverses surfaces arrondies de la couverture laissent pénétrer l'extérieur à l'intérieur de la couverture, et des portions de frontons qui correspondent à une partie extérieure de la maçonnerie du bâtiment sont prises à l'intérieur de la couverture ; le cylindre qui sort pour porter la coupole centrale expose son extérieur à l'intérieur de la couverture puisqu'elle transporte sa coupole très haut au-dessus des autres surfaces de couverture ; bien entendu, les porches dont les arcades attirent l'attention de notre esprit font pénétrer l'extérieur à l'intérieur du bâtiment, cela au moyen d'arcs en redents successifs qui font que l'extérieur de chaque arc se retrouve à l'intérieur d'un arc plus grand ; enfin, la plupart des ouvertures en partie haute du bâtiment sont aveugles et ne constituent que des niches qui génèrent des creux intérieurs en situation extérieure.

Les deux notions se différencient par un effet d'un/multiple : alors que la masse matérielle principale du bâtiment se présente comme un unique cube bien compact, par différence les surfaces de couverture dont les arrondis et les décalages captivent notre esprit forment un groupe de multiples parties bien séparées les unes des autres.

Elles font ensemble des effets de regroupement réussi/raté : le regroupement compact de la masse de l'église est réussi, mais il est raté car complètement déchiqueté au niveau de la toiture, et par ailleurs il laisse échapper de son regroupement le cylindre de la coupole centrale ; toutes les surfaces de la couverture sont regroupées dans un effet de surface arrondie, mais l'uniformité de ce regroupement est raté car elles ont des formes différentes selon l'étage de couverture auquel elles appartiennent ; la surface extérieure de la maçonnerie est regroupée en continu dans un même matériau en brique, mais les reliefs verticaux qui la divisent font rater la continuité plastique de ce regroupement.

 

 

La quatrième étape aux notions additives se complétant menant au super-animisme :

 

 


Sainte-Catherine à Thessalonique, Grèce (vers 1300)

Source de l'image : https://slideplayer.com/slide/4298677/

 

 

La quatrième étape recouvre une période qui va approximativement 1275 à 1350. Nous envisageons d'abord rapidement l'église Sainte-Catherine de Thessalonique, en Grèce, construite vers 1300 et représentative des bâtiments construits dans ce pays à la même époque, tels que l'église de la Parigoritissa à Arta.

On ne peut manquer d'être frappé par la continuité des solutions adoptées dans cette filière si l'on se souvient des deux premiers exemples que l'on avait donnés pour la deuxième étape, mais on doit aussi constater deux évolutions notables : les édicules situés au coin du bâtiment sont maintenant davantage isolés, désormais franchement entourés par le vide, et l'arrêt horizontal des façades du bâtiment est beaucoup plus net car aucun fronton ne s'en échappe plus pour concurrencer l'émergence des édicules des angles. En fait, ces anciens frontons se sont comme agglomérés avec la base de l'émergence de la coupole centrale, très en retrait donc des façades.

Cette architecture correspond à une expression synthétique, c'est-à-dire que la perception de la notion d'esprit ne peut être séparée de la perception de la notion de matière puisque celle-ci est rendue par le jeu des masses, des volumes, tandis que la notion d'esprit est rendue par le dessin des arcades de toute nature qui animent ces volumes.

La notion de matière est portée par un effet d'intérieur/extérieur : les massifs qui sortent au-dessus de la toiture principale ont leur extérieur à l'intérieur du volume général occupé par la toiture, et par ailleurs leurs nombreuses ouvertures font pénétrer l'extérieur à l'intérieur du massif principal du bâtiment.

Quant à elle, la notion d'esprit est portée par un effet d'un/multiple : chaque arcade se divise en multiples arcades emboîtées, et les arcades formant corniche immédiatement sous les toitures sont divisées en multiples reliefs.

Les deux notions se différencient par un effet de regroupement réussi/raté : le regroupement de chaque masse matérielle en un volume simple que l'on devine est raté lorsqu'on prend en compte la complexité des multiples divisions et des multiples complications apportées par les jeux de courbes qui captivent notre esprit, et par conséquent c'est en faisant rater ce regroupement des masses matérielles que les jeux de courbes se font spécialement remarquer.

Elles font ensemble des effets de fait/défait : la compacité de la partie basse du bâtiment est complètement défaite dans sa partie haute puisque toutes ses émergences sont bien séparées les unes des autres, et la simplicité parallélépipédique de cette partie basse est défaite par la complexité et la multiplicité des arrondis des arcades et des volumes qui émergent en toiture.

Comme le système d'arcades emboîtées qui capte l'intérêt de notre esprit n'est nullement exigé par le choix d'organisation des masses construites, on en déduit que la notion d'esprit ajoute dans la masse construite sa volonté propre, et donc que la relation entre les notions de matière et d'esprit est du type additif. Ces arcades s'adaptent cependant strictement à la division en façades multiples des édicules polygonaux et à la forme ondulante des couvertures de ces édicules, tandis que sur les façades du bâtiment les ondulations de la corniche répondent au rythme des percements de la maçonnerie : les deux notions ont donc trouvé des moyens pour se rendre complémentaires.

 

 

On envisage maintenant le monastère de Gračanica, en Kosovo/Serbie, construit entre 1318 et 1321. On en donne une vue intérieure, qui vaut dans son principe pour toutes les églises précédemment envisagées et qui montre bien comment le volume matériel de l'édifice a un caractère à la fois unitaire et divisé en multiples parties, ce qui relève d'une lecture du type 1/x. Ce type de lecture ne vaut donc pas seulement pour l'aspect extérieur de l'architecture orthodoxe mais aussi pour sa volumétrie intérieure.

L'extérieur présente les mêmes caractéristiques que la plupart des églises envisagées aux étapes précédentes : sa partie basse est très compacte mais divisée en plusieurs pignons eux-mêmes subdivisés en plusieurs travées verticales, conférant ainsi le type 1/x à la notion de matière qu'elle porte. Comme précédemment aussi, la notion d'esprit est portée par les formes en toiture dont la complexité captive notre esprit et dont le complexe morcellement empêche toute lecture continue, conférant ainsi à l'esprit le type 1+1 propre à la préparation de l'ontologie super-animiste.

 


 

Monastère de Gračanica, Kosovo/Serbie (1318-1321) - vues de la voûte intérieure et de l'extérieur

Sources des images : https://es.m.wikipedia.org
/wiki/Archivo:Monasterio_Hercegovacka_Gracanica,_Trebinje,_Bosnia_y_Herzegovina,_2014-04-14,_DD_14-16_HDR.jpg

  et   https://www.tripadvisor.fr/Attraction_Review-g4212593-d4418525-Reviews-Gracanica_
Monastery-Gracanica.html#photos;aggregationId=101&albumid=101&filter=7&ff=75895863


 

La complexité des formes de la partie haute du bâtiment qui captive notre esprit est tout à fait indépendante de la simplicité de la forme matérielle massive de la partie basse qui n'était pas nécessairement destinée à se prolonger ainsi, ce qui révèle que la notion d'esprit dispose d'une autonomie grâce à laquelle elle s'est ajoutée à la notion de matière sans être contrainte par elle comme il en irait dans le cadre d'une relation de type couplé. Bien qu'en relation additive, il est clair que la notion d'esprit a cependant trouvé le moyen de compléter la notion de matière puisque, comme dans beaucoup d'exemples des étapes précédentes, elle s'est chargée de la fonction indispensable d'organiser la couverture du bâtiment, et puisque en outre elle le fait en autant de portions de couverture qu'il y a de fragmentations dans la masse construite.

Les façades sont chaque fois divisées en trois pignons arrondis de hauteurs différentes, une division qui se poursuit jusqu'au sol ce qui permet que l'extérieur de chaque travée soit repérable à l'intérieur de chacune des façades. Cet effet d'intérieur/extérieur propre à la notion de matière à la quatrième étape est spécialement visible dans la multiplication des émergences maçonnées au niveau de la couverture, l'extérieur de chacune apparaissant ainsi à l'intérieur du massif global de la partie haute du bâtiment.

La notion d'esprit est portée par l'effet d'un/multiple : les multiples morceaux de la couverture sont visiblement organisés en une forme générale symétrique et pyramidale, même si cette forme ne peut pas être saisie en tant que forme continue.

Les deux notions se différencient par un effet de regroupement réussi/raté : les couvertures en zinc dont les arrondis nous captivent déchiquettent la vision de la masse matérielle construite, et par conséquent c'est en empêchant celle-ci de se regrouper visiblement dans une grande forme pyramidale bien affirmée que les arrondis des couvertures se font spécialement remarquer.

Elles font ensemble des effets de fait/défait : la simplicité de volume de la partie basse est défaite par la complexité des toitures ; la compacité de cette partie basse est défaite par le morcellement du niveau des toitures en édicules séparés et chaque fois organisés sur plusieurs étages ; la continuité verticale des volumes situés aux angles de la couverture est défaite par leur modification à chaque étage, d'abord constitué de grands frontons arrondis, puis par des frontons similaires mais de beaucoup plus petite taille, puis par des formes de lanterne polygonale ; la même chose vaut pour la continuité de l'étagement des formes de la partie centrale de chaque façade qui ne cesse d'être défaite à chaque étage par des modifications d'aspect.

 

 

La cinquième et dernière étape aux notions additives se complétant menant au super-animisme :

 

 


Cathédrale du Sauveur du monastère Andronikov à Moscou, Russie (1425-1427)

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Cathedral_of_the_Holy_Mandylion_(Andronikov_Monastery)_16.jpg

 

 

La dernière étape de la filière orthodoxe va approximativement de 1350 à 1480. En Russie, elle voit notamment apparaître les grappes d'ogives pincées au sommet qui seront souvent reprises dans les églises orthodoxes ultérieures. L'exemple que nous prenons est celui de la cathédrale du Sauveur du monastère Andronikov à Moscou, construite de 1425 à 1427.

Une fois encore, la partie basse du bâtiment forme une masse carrée bien compacte et porte la notion de matière. L'abaissement de ses coins et l'organisation d'échelons intermédiaires dans la couverture, par ailleurs assez discrète, font que la maçonnerie prend globalement la forme d'une pyramide continue, et le cylindre qui porte la coupole centrale en semble alors le prolongement évident au lieu d'émerger brusquement au milieu des toitures comme aux étapes précédentes. La lecture en 1/x de cette masse pyramidale ne s'en impose que mieux, carrée à sa base et décomposée en partie haute en de multiples frontons de formes similaires.

Le dessin de ces frontons et leur assemblage complexe portent la notion d'esprit. Les modifications dans les détails de ces frontons et dans leur façon de se grouper à chaque étage empêche de les percevoir comme un ensemble cohérent continu, on les lit donc comme 1+1 frontons. Très normalement, nous sommes toujours dans une filière qui prépare le super-animisme.

Le choix de la forme d'ogive pincée à son sommet, qui est également celle des arcades des porches, est une décision tout à fait arbitraire de l'esprit des constructeurs, une décision qui est complètement indépendante du choix opéré pour l'organisation des masses construites. Autrement dit, une forme simplement arrondie ou en ogive aurait tout aussi bien convenu pour s'adapter au jeu des masses architecturales, ce qui implique que la notion d'esprit ajoute ici sa signature particulière à la façon dont sont traitées les masses construites, ce qui signale une relation de type additif entre la notion de matière et celle d'esprit. Comme aux étapes précédentes, les formes qui attirent l'attention de l'esprit et le captivent par leurs jeux complexes sont associées à la couverture et terminent le bâtiment qui doit nécessairement être couvert et terminé par le haut. Bien que s'ajoutant l'une à l'autre sans former couple, les deux notions ont donc trouvé le moyen de se rendre fonctionnellement complémentaires, et elles sont aussi plastiquement complémentaires puisque la couverture est décomposée en autant de petites toitures qu'il y a de décompositions dans la masse matérielle construite.

 

Puisqu'on est à la dernière étape, il convient toutefois que l'association des deux notions aille au-delà d'une simple complémentarité et qu'elles affirment former une unité globale malgré leur autonomie toujours présente.

Cela est d'abord obtenu par l'organisation de la masse matérielle de l'église en pyramide globale se décomposant en une multitude de plus petites masses et une multitude de frontons. Dans les étapes précédentes, dans les parties hautes du bâtiment, spécialement sur ses coins, il y avait toujours des émergences dont la masse construite attirait spécialement l'attention de l'esprit, ce qui créait une confusion, ou une superposition à leur endroit, des notions de matière et d'esprit. Désormais, toute la maçonnerie participe sans équivoque à la forme matérielle pyramidale, y compris le cylindre sommital qui porte la coupole puisque celui-ci apparaît comme la pointe de cette pyramide : suffisamment effilé pour se distinguer de la masse construite dont il émerge, mais sans surgir brusquement au-dessus des toitures comme il en allait aux étapes précédentes dans lesquelles il était impossible de saisir une continuité quelconque entre la masse matérielle de la partie basse du bâtiment et ce volume cylindrique qui surgissait au sommet de la construction. Débarrassée des émergences en toiture qui brouillaient sa continuité dans ses parties hautes, l'unité de la masse matérielle est donc obtenue ici sans ambiguïté puisqu'elle intègre désormais à sa masse le cylindre de la coupole centrale, et à cette unité matérielle globale bien affirmée et simultanément lue comme une addition de multiples parties grâce à sa décomposition en multiples frontons, il ne restait plus qu'à accompagner chacun de ces frontons par une mince ligne de crête pincée à son sommet pour lui faire aussi porter la notion d'esprit. Si chaque partie de matière est ainsi associée à une petite touche d'expression de la notion d'esprit, le caractère 1+1 de cette notion n'en n'est pas affecté car ces formes en accolades { basculées à l'horizontal ne forment pas une chaîne continue qui permettrait de lire leur caractère un/multiple indépendamment de la lecture un/multiple de la masse en pierre. Ainsi, l'association systématique d'un fronton maçonné et d'une ligne de crête en accolade permet d'affirmer l'association étroite de la notion de matière à la notion d'esprit, d'affirmer le couple que forment désormais ces deux notions, cela malgré l'autonomie préservée de leur affirmations visuelles, et malgré la préservation aussi de leur différence de type, 1/x pour la notion de matière et 1+1 pour la notion d'esprit.

En parfaite symétrie de ce qu'on a vu dans la filière super-naturaliste à la même dernière étape, par exemple dans la façade de la cathédrale de Strasbourg dont la grille transparente à la fois une et multiple attirait l'attention de l'esprit en affirmant clairement son unité globale au premier plan de la façade sans être aucunement gênée par la présence de la surface matérielle entièrement reléguée au second plan, dans cette filière super-animiste l'unité globale de la matière s'affirme désormais tout aussi clairement, sans être aucunement gênée cette fois par l'affirmation simultanée de la notion d'esprit reléguée au dessin en accolades des crêtes terminant sur son dessus la matière de chaque fronton.

 

À la dernière étape, la notion de matière s'affirme par un effet d'un/multiple déjà évoqué à plusieurs reprises.

La notion d'esprit est portée par un effet de regroupement réussi/raté. À cause de leur similitude nous regroupons visuellement toutes les formes en accolade, mais leurs différences font rater ce regroupement : elles ne sont pas toutes de la même taille, la plupart sont entières mais certaines ne forment qu'une demi-accolade, certaines se groupent par deux ou par trois autour d'un coin ou d'un fronton axial tandis que d'autres s'accolent en ronde et sur deux rangs tout autour du clocher, d'autres s'emboîtent en crans successifs autour des porches, et celle de la couverture de la coupole s'enroule autour de son axe pour devenir une surface de dôme pointu.

Les deux notions se différencient par un effet de fait/défait : la masse matérielle fait la continuité tandis que les ogives pointues qui captent l'intérêt de l'esprit font la discontinuité ; la matérialité du bâtiment s'affirme par des effets de surfaces planes et lisses, des effets qui sont défaits par les crêtes des couvertures qui ne proposent la plupart du temps que des effets linéaires ; ces effets linéaires ne sont d'ailleurs pas continus à la différence des surfaces planes, ils sont marqués par des inversions de courbe et par une brisure brutale à leur sommet.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché : toute la masse construite est reliée en continu, mais des volumes et des frontons s'en détachent ; les crêtes en accolade des frontons relient leurs deux côtés tout en se détachant visuellement sur le fond de la maçonnerie ; tout au long de son parcours, chaque crête en accolade fait un effet de lien linéaire sur lequel leur sommet en pointe se détache visuellement ; en leurs parties basses, les diverses crêtes sont reliées deux à deux, trois à trois ou en bande continue autour du clocher, mais elles se détachent les unes des autres en s'écartant les unes des autres dans leurs parties hautes ; le cylindre qui porte la coupole est relié à sa base au reste de la maçonnerie mais il s'en détache en surgissant vers le haut.

 

Cet effet de relié/détaché est aussi celui qui nous apparaît au premier coup d'œil. On peut ajouter que les fentes verticales des ouvertures se détachent visuellement tout en étant nécessairement bien reliées à la maçonnerie, et aussi que les volées d'escalier se détachent de la masse du bâtiment tout en y étant bien collées, et donc reliées.

La forme se répand par un effet de centre/à la périphérie : chaque fronton s'affirme comme un centre d'intérêt visuel autonome, parfois accentué par la présence d'une ouverture ou d'une image en son centre, et chacun de ces centres visuels est entouré sur toute sa périphérie de centres visuels semblables. On peut aussi attribuer à cet effet la concurrence visuelle que se font les diverses masses qui affirment spécialement leur autonomie : au centre, le cylindre du clocher, et répartis sur toute la périphérie du bâtiment, les différents pignons coiffés d'un fronton en accolade.

La forme se répand par un effet d'entraîné/retenu qui correspond à la concurrence visuelle que se font les multiples formes semblables en accolade : lorsqu'on se laisse entraîner à fixer le regard sur l'une, les autres nous en retiennent puisque, avec la même force, elles attirent notre regard vers elles.

Ces trois effets sont résumés par celui d'effet d'ensemble/autonomie : chaque fronton au profil en accolade est bien repérable de façon autonome, et tous font ensemble un effet de groupe tout autant repérable. À l'intérieur de cet effet de groupe, différents types de groupement autonomes sont également repérables : par couple, par trois, ou par couronne continue.

 

 

 

 

18.1.7.  L'architecture analogiste aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme en Chine :

 

La première étape aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme :

 

 


Pagode de Songye si, Mont Song, Henan, Période des Six dynasties (523)

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Songyue_Pagoda_in_Nov_2014.jpg

 

 

Dans le sud de la Chine, cette étape couvre la période des Jin Orientaux (317 à 420), celle des Dynasties du Sud (420 à 589) et celle des Sui (581 à 618). Dans le nord, elle commence avec les Wei du Nord (386 à 535) et se termine avec les Qi du Nord (550 à 577). Globalement, elle concerne donc les IVe, Ve et VIe siècles.

Lors de la phase précédente, on a vu que la Chine relevait de l'ontologie naturaliste et que les notions de matière et d'esprit y étaient couplées. Au chapitre 18.0 d'introduction, on a vu que le caractère couplé des notions impliquait que la dernière à acquérir son statut de notion globale par l'acquisition du type 1/x profitait de la force acquise par son type 1/x pour le conserver à l'amorce de la phase analogiste suivante. Dans ces conditions, puisqu'en Chine c'est la notion de matière qui a acquis en dernier son statut de notion globale, c'est elle qui a conservé son type 1/x à l'entrée de la phase analogiste  où elle préparera donc le super-animisme.

À l'étape juste précédente, lorsque la notion de matière combinait le type 1+1 avec le type 1/x, les constructions en hauteur, telles que les tours Han, prenaient nécessairement la forme d'un empilement de 1+1 étages pour se conformer à une lecture en 1+1, même si cet empilement pouvait aussi se lire en 1/x du fait du caractère à la fois unitaire et divisible qu'il portait aussi. Pour illustrer la première étape du basculement vers l'animisme, nous reprenons la pagode de Songye si sur le Mont Song dans le Henan, analysée rapidement dans le chapitre d'introduction. C'est la plus ancienne pagode en briques conservée, elle date de 523, pendant la période des Dynasties du Sud, dite aussi période des Six dynasties.

La notion de matière y est certainement portée par l'aspect massif, compact et continu du noyau de cette maçonnerie, tandis que l'attention de notre esprit est captée par les bandes horizontales des faux balcons qui sortent de cette masse et qui obligent, pour être visualisées, à la répétition fastidieuse de la lecture de 1+1 lignes horizontales. La notion de matière n'est donc plus ici, comme à l'étape précédente, traduite par l'addition de 1+1 étages indépendants, mais par la perception simultanée de l'érection unitaire de sa masse compacte et de sa division en multiples étages, ce qui relève clairement du type 1/x. Les faux balcons qui captent l'attention de l'esprit ne correspondent à aucune forme globale visible et se lisent seulement comme l'addition de 1+1 faux balcons les uns au-dessus des autres. Dès la première étape, on doit donc admettre que la civilisation chinoise a quitté le naturalisme de la phase précédente pour basculer clairement dans la préparation du super-animisme de la phase suivante.

L'imbrication des surfaces correspondant aux étages successifs de la maçonnerie avec les lignes de balcons dont les sous-faces sortent de façon répétée de cette maçonnerie empêche que l'on puisse considérer séparément les notions de matière et d'esprit puisqu'elles sont portées par l'une ou l'autre de ces deux dispositions imbriquées. Dit autrement : les divisions de la lecture 1/x de la matérialité de la tour coïncident exactement, du moins sur l'essentiel de son volume, aux endroits où se lit la répétition en 1+1 des lignes de balcons qui captent l'attention de notre esprit, et les deux notions sont donc certainement dans le cadre d'une relation de type couplé.

La notion de matière fait violemment un effet de verticalité tandis que la notion d'esprit répète régulièrement son effet d'horizontalité, et puisque les deux notions font des choses à ce point étrangères, contradictoires même, on peut conclure qu'elles s'expriment de façons indépendantes l'une de l'autre.

 

À la première étape la notion de matière est portée par un effet de continu/coupé : il va de soi que cette pagode forme un jet continu, coupé en partie basse par une division d'étages en relief, coupé sur l'essentiel de son parcours par la sortie répétée des balcons en porte-à-faux, et coupé dans sa partie finale par un brusque changement d'échelle qui fait démarrer une petite forme similaire à la suite de la forme principale de la pagode.

La notion d'esprit est portée par un effet de lié/indépendant qui est bien lisible dans la façon dont chaque ligne de balcon s'affirme comme étant bien séparée et bien indépendante des autres dans son trajet tout en étant complètement liée à la masse de la pagode puisque les redents successifs de sa sous-face oblique en briques prolongent la surface courante de la maçonnerie.

Les deux notions se différencient par un effet de même/différent : le corps de la pagode forme une seule et même masse matérielle continue tandis qu'il y a différentes lignes de balcons pour capter l'attention de notre esprit, des lignes qui sont d'ailleurs toutes différentes puisqu'elles n'ont jamais la même dimension à cause du rétrécissement progressif de la tour.

Elles font ensemble des effets de relié/détaché : les balcons sont reliés à la masse de la pagode par des surfaces continues dont ils se détachent en s'en écartant progressivement, et finalement chacun se détache visuellement de façon séparée ; tous les balcons sont reliés les uns aux autres par leur participation à un même parcours horizontal faisant le tour de la pagode, mais ils sont tous séparés, et donc tous détachés les uns des autres ; les lignes des redents successifs qui construisent la sous-face des balcons relient en continu cette surface dont elles font systématiquement le tour, mais elles se détachent visuellement les unes des autres.

 

 

 


Grande pagode de l'Oie Sauvage, Xi'an, Shaanxi (581/618, restaurée en 648)

Source de l'image : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Giant_Wild_Goose_Pagoda.jpg

 

 

La Grande pagode de l'Oie Sauvage à Xi'an, dans le Shaanxi, relève de la même étape. Elle a été édifiée de 581 à 618 puis restaurée en 648. Par différence avec celle de Songye si, l'effet de continu/coupé de la masse matérielle n'est pas obtenu par une absence brutale de matière au-dessus de chaque balcon mais par une nette réduction de la section de la tour au-dessus de chaque encorbellement, chacun de ces encorbellements comprenant une facette de dessous qui se détache en biais de la surface verticale de la tour et une facette qui s'y raccorde en biais par le dessus. Cette disposition permet de lire séparément l'effet de continuité produit par la succession des surfaces courantes de la tour et l'effet de coupure produit par les encorbellements, ce qui implique que cet effet a ici un caractère analytique tandis qu'il a un caractère synthétique dans la pagode de Songye si. Ce caractère analytique n'empêche toutefois pas que la notion de matière, portée par la continuité massive de la tour, ne peut se considérer sans être constamment confrontée aux coupures des encorbellements horizontaux qui attirent l'attention de l'esprit. Cette expression analytique n'empêche donc pas que l'on ait toujours affaire à une relation couplée entre les deux notions.

 

 

La deuxième étape aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme :

 

 


Pagode Xumi du monastère bouddhiste de Kaiyuan, province de Hebei (636)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/en/Xumi_Pagoda

 

 

La deuxième étape correspond à la période de la dynastie Tang (618 à 907), à celle des Cinq Dynasties au nord de la Chine (907 à 960) et à celle des Dix Royaumes au sud (902 à 979). Comme exemple, la pagode Xumi du monastère bouddhiste de Kaiyuan, dans la province de Hebei, qui date de 636.

Par rapport à l'étape précédente, on repère que la continuité verticale du corps maçonné de la pagode est beaucoup plus visible. Par différence à la Grande pagode de l'Oie Sauvage qui utilise le même principe de bandeaux horizontaux à deux pentes, on repère que le fût maçonné de la pagode ne connaît ici aucun rétrécissement à l'occasion du franchissement de ces bandeaux, et que toute la surface de chacune de ses faces est comprise dans un même plan continu qui est seulement incliné légèrement pour produire une réduction très progressive de la section de la tour. Cette continuité visuelle du noyau porteur vertical divisé en tronçons bien distincts rend d'autant plus présent le caractère 1/x de cette maçonnerie qui porte évidemment la notion de matière.

Les bandeaux horizontaux rendent toujours compte de la notion d'esprit et s'ajoutent toujours en 1+1 puisqu'ils ne forment pas ensemble une forme unitaire repérable indépendamment de leur régulière répétition en 1+1 bandeaux bien distincts les uns des autres.

Toutefois, et c'est là une possibilité ouverte par la situation couplée des deux notions, la massivité des bandeaux transversaux permet de les ressentir également en tant que masse matérielle, donc également en tant que porteurs de la notion de matière, ce qui permet de lire très clairement l'effet de lié/indépendant qui caractérise la notion de matière à la deuxième étape : chaque bandeau forme une masse matérielle indépendante qui est liée au noyau de la pagode puisqu'elle est accrochée à lui.

Si l'on considère maintenant ces bandeaux indépendamment de leur attache sur la maçonnerie, c'est-à-dire si on les considère seulement comme des traits horizontaux qui attirent l'attention de l'esprit en contrariant la lecture verticale du noyau de la pagode, alors on a affaire à l'effet de même/différent qui porte la notion d'esprit : un même bandeau se retourne sur les différents côtés de la pagode et comporte des surfaces différentes, certaines en pente descendante et d'autres en pente montante, et différents bandeaux de même type se répètent sur toute la longueur de la tour, des bandeaux qui ont cependant des longueurs différentes et qui sont différemment écartés les uns des autres à mesure que l'on s'élève.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : les bandeaux qui captent l'attention de l'esprit sont à l'extérieur du noyau qui porte principalement la notion de matière, et ce noyau matériel est divisé en étages dont l'extérieur est chaque fois à l'intérieur du creux formé par deux bandeaux successifs.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple : une seule et unique tour verticale est divisée en de multiples tronçons par des bandeaux horizontaux, et chacun de ces bandeaux est divisé en multiples facettes dont les pentes se dirigent vers de multiples directions.

 

On ne l'a pas évoqué, mais il va de soi que l'interpénétration répétée du noyau de la tour et des bandeaux en encorbellement rend impossible de percevoir séparément ce qui porte chacune des deux notions, et que la répétition horizontale de ces bandeaux contredit complètement l'affirmation verticale du noyau qui les porte, ce qui implique un caractère à la fois couplé et indépendant des notions de matière et d'esprit.

 

 

 



À gauche, Pagode sanctuaire de Fangshanxian, Yunjusi (711 à 727)

Source de l'image : L'art de la Chine, éditions Citadelles & Mazenod (1997)

 

À droite, l'une des pagodes jumelles de Kunming, Yunnan (825 à 895)

Source de l'image : https://chineautrement.files.wordpress.com/2015/02/pict03721.jpg

 

 

Rapidement, deux autres pagodes qui relèvent de la même étape mais qui traitent leurs bandeaux un peu différemment, étant toutefois précisé que la continuité de la forme du noyau qui les porte est toujours bien lisible, ce qui correspond à une différence essentielle par rapport aux pagodes de la première étape.

Dans la petite pagode de Fangshanxian, au Yunjusi (711 à 727), qui correspond à un reliquaire ou à une chambre mortuaire, les bandeaux ont la forme de surfaces presque plates. Cela permet de bien séparer leur apparence de celle du noyau porteur, et donc de bien séparer ce noyau qui fait effet de matière et les tranches horizontales de ces bandeaux qui attirent l'attention de l'esprit par la gêne qu'ils occasionnent à la lecture de la verticalité du noyau.

Dans les pagodes jumelles de Kunming, au Yunnan (825 à 895), l'effet est plus subtil puisqu'il est occasionné par la légère courbure des extrémités des bandeaux. Globalement, la souplesse visuelle de cette courbure fait que la présence des bandeaux ne gêne pas beaucoup la lecture de la verticalité du noyau et permet d'assimiler l'essentiel de ces bandeaux à la matière de celui-ci. Le basculement de l'attention de notre esprit vers cet effet de courbure, ou plutôt de ligne courbée à ses extrémités, contribue à mieux séparer que dans la pagode Xumi les effets de matière et ceux qui captivent notre esprit.

 

 

 


Dessin des éléments de l'ossature en bois du pavillon de l'Est du Temple de Foguang si sur le mont Wutai, Shenxi (857, dynastie Tang), par Lui Dunzhen

Source de l'image : L'Architecture Chinoise, Éditions Philippe Picquier (2005)

 

 



 

Deux vues de détail du Pavillon de l'Est du Temple de Foguang si sur le mont Wutai, Shenxi (857)

Sources des images : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Wutai_Foguang_Si_2013.08.28_11-20-17.jpg et https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Foguang_Temple_5.JPG

 

 

À plusieurs occasions, et dans plusieurs filières, on a vu que les caractères indépendant ou complémentaire n'étaient pas étanches et qu'ils pouvaient se rencontrer dans une même filière ou dans une même architecture. Cette coexistence est particulièrement importante dans le cas de la Chine car, autant ses constructions en maçonnerie relèvent d'une situation où les notions de matière et d'esprit sont clairement indépendantes l'une de l'autre, autant ses constructions en ossature bois utilisent la possibilité de les rendre complémentaires. À l'occasion de plusieurs étapes, on suivra donc cette filière de la construction en bois, une filière qui a d'ailleurs son équivalent au Japon.

Pour la deuxième étape, nous considérons l'ossature en bois du pavillon de l'Est du Temple de Foguang si sur le mont Wutai, dans le Shenxi, construit en 857 et dont nous donnons le dessin dans une vue en perspective ainsi que deux photographies de détails du haut de sa façade. Ce dessin montre la hauteur considérable et l'importance visuelle considérable prise par les jeux de consoles qui soutiennent les poutres et la couverture, et les photographies montrent comment les consoles se ramifient et se supportent mutuellement pour aller depuis les poteaux jusqu'aux pannes qui portent la bordure du toit, cela par un jeu d'emboîtements successifs de petites consoles qui constituent à la fois une technique spécialement adaptée à la construction de bâtiments en bois soumis à des séismes et un principe esthétique de morcellement et de ramification clairement perceptible. Notamment parce que ces parties en consoles tranchent visuellement avec la simplicité des croisements orthogonaux des poteaux et des poutres qui forment l'ossature principale du bâtiment.

Venons-en à l'expression ontologique qui correspond à cette technique. La notion de matière s'y trouve certainement dans les poteaux et les poutres en bois qui portent le bâtiment, dans les cloisonnements en maçonnerie qui remplissent les intervalles laissés entre ces éléments porteurs afin de clore le bâtiment, et dans les grandes surfaces de couverture qui ferment celui-ci par le dessus. Mais les jeux de consoles, parce qu'ils contribuent à porter cette couverture, parce qu'ils prolongent les poteaux porteurs et les ramifient pour recueillir et transmettre vers eux les charges de la couverture, font eux aussi partie de la matière portante.

Toutefois, parce que le jeu complexe de leurs ramifications est ce qui captive notre esprit, les assemblages des consoles correspondent également à la notion d'esprit, d'autant qu'il transparaît clairement que la complexité raffinée de ces assemblages résulte de l'habileté et du savoir-faire de l'esprit des constructeurs du bâtiment.

Le couplage, sur un même jeu de formes, des notions de matière portante et de richesse formelle pour l'esprit, rappelle que nous sommes dans une filière dans laquelle les deux notions sont couplées, mais contrairement au croisement conflictuel des effets de matière et d'esprit dans les pagodes précédemment envisagées, ici l'effet qui captive notre esprit ne vient nullement contrarier l'effet de support affirmé par la trame orthogonale des poteaux et des poutres de l'ossature, il n'est nullement indépendant de cet effet puisque, au contraire, il le complète, il l'enrichit visuellement dans la partie qui sépare les poteaux de la toiture. On est donc ici dans une situation où les deux notions sont couplées et font des effets complémentaires.

On avait déjà vu une situation similaire dans la filière musulmane, en particulier à sa troisième étape avec la chapelle de Villaviciosa de la Grande Mosquée de Cordoue. On y avait vu que l'effet décoratif des entrecroisements complexes d'arcs polylobés, tout en participant à l'effet de paroi matérielle portante l'enrichissait de jeux visuels qui captivaient l'attention de l'esprit. Mais on était alors dans une filière qui préparait le super-naturalisme, tandis qu'avec la Chine nous sommes dans une filière qui prépare le super-animisme, et comme on va maintenant l'envisager c'est bien cette différence de filière que traduit la différence des dispositifs. À Cordoue les arcs polylobés étaient porteurs, mais leur forme outrepassée, leur décomposition en lobes successifs, l'inhomogénéité de leurs croisements, leurs effets bicolores et de contrastes entre surfaces planes et surfaces finement sculptées ne correspondaient à aucune logique constructive : toutes ces caractéristiques n'étaient là que pour faire des effets plastiques à l'intention de notre esprit car on était dans une filière où c'était la notion d'esprit qui procurait l'aspect unitaire de la construction et qui relevait du type 1/x. La notion de matière n'y disposait pas de ce caractère et en était réduite à accompagner l'effet visuel unitaire procuré par la notion d'esprit. En Chine, par différence, c'est la notion de matière qui donne son unité à la construction, c'est elle qui relève du type 1/x, et la notion d'esprit, qui n'a pas cette possibilité de dominer l'apparence de la construction en l'unifiant, doit se contenter d'accompagner la notion de matière, ce qu'elle fait en utilisant d'une façon un peu complexe, mais techniquement viable et solide, un procédé de consoles porteuses ramifiées. Cette technique de consoles ramifiées apparaît donc comme un moyen d'enrichir l'effet matériel par des effets visuels qui captivent notre esprit mais qui sont pleinement et rigoureusement soumis à l'exigence matérielle d'efficacité et de solidité.

 

Il reste à voir comment les deux notions en situation couplée et complémentaires s'expriment ici par des effets qui sont caractéristiques de la deuxième étape.

La notion de matière, on l'a dit, est portée par des effets de lié/indépendant, ce qui correspond parfaitement, à grande échelle, aux deux parties de la structure en bois : de grands poteaux et de grandes poutres en partie basse, et les jeux complexes des moyennes et petites consoles en partie haute. Ces deux parties peuvent être visualisées indépendamment l'une de l'autre, et bien entendu elles sont liées l'une à l'autre puisqu'elles construisent ensemble la structure de l'édifice. À petite échelle aussi, chaque console est individuellement repérable alors qu'elles sont toutes liées les unes aux autres pour construire de complexes échafaudages de consoles.

La notion d'esprit est portée par des effets de même/différent : chaque groupe de consoles est constitué de l'assemblage de différentes consoles, d'ailleurs différentes entre elles, et les différents groupes de consoles sont également différents entre eux puisque les principaux sont situés au-dessus des poteaux et que les secondaires, plus petits, sont situés entre les poteaux. Des groupes différents entre eux dont on peut également dire qu'ils sont construits selon le même principe, celui de l'assemblage de multiples consoles.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : les consoles assemblées se portent les unes sur les autres, parfois en longues séries de consoles portées par des consoles portées par des consoles, etc., ce qui permet de dire que chaque console démarre après celle qui la porte, et donc que l'extérieur de chaque console est repérable à l'intérieur du groupe de consoles auquel elle appartient. Cet effet d'intérieur/extérieur vaut pour la partie de la structure qui captive notre esprit, mais par différence il ne vaut pas pour les poteaux de la partie inférieure du bâtiment qui font seulement un effet de matière : les poteaux ne se portent pas les uns au-dessus des autres, et le début de l'un ne se repère donc pas après la fin du précédent. Certes, on peut individuellement les repérer à l'intérieur de l'ossature, mais dans l'assemblage de poteaux et de poutres que forme cette ossature cette indépendance visuelle correspond strictement à l'effet de lié/indépendant propre à la notion de matière.

Les deux notions font ensemble des effets d'un/multiple qui sont tellement évidents qu'il n'est pas utile d'en décrire tous les aspects.

 

 

La troisième étape aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme :

 




De gauche à droite :

 

La pagode de la Colline du Tigre (ou pagode Yunyan) à l'ancien temple Yunyan de Suzhou (907/961, surélevée entre 1628 et 1644)

 

La pagode Longhua du temple Longhua de Shanghai (977)

 

La pagode de Fer du Temple Youguo à Kaifeng, province du Henan (1049)

 

Sources des images : https://www.wikiwand.com
/fr/Pagode_de_la_colline_du_tigre
,
https://www.wikiwand.com/en/Longhua_Temple
et https://www.shafir.info/plain/china~
kaifeng~youguo_temple~iron_pagoda_1.htm

 

 

 


Pagode Fan (ou Fanta) à Keifeng (977)

Source de l'image : https://www.alamy.com/the-po-pagoda-of-kaifeng-henan-china-built-in-977-it-is-the-most-ancient-building-in-kaifeng-the-walls-are-inlaid-with-10000-brick-statues-of-th-image239826659.html

 

 

La troisième étape correspond à l'époque des dynasties des Liao (907 à 1125) et des Song du Nord (960 à 1126). Pour cette étape, trois pagodes relevant des mêmes effets mais qui les font de manières très différentes : la pagode dite de la Colline du Tigre à l'ancien temple Yunyan de Suzhou (907/961) dont nous ne considérerons pas la partie haute qui a été surélevée beaucoup plus tard, la pagode Longhua de Shanghai (977), et la pagode de Fer du Temple Youguo à Kaifeng (1049).

Chaque fois la notion de matière y est portée principalement par le haut noyau continu en maçonnerie. Comme dans le cas de la pagode Xumi de l'étape précédente, les ouvrages horizontaux qui recoupent régulièrement ce noyau participent aussi à la notion de matière, ce qui est assez courant dans le cas d'une relation couplée entre les notions. Ici, cela permet à la notion de matière de s'exprimer par des effets de même/différent : on trouve bien sûr différents étages dans une même tour, mais on lit également qu'une même tour comporte des parties très différentes entre elles, son noyau, et d'autre part les ouvrages horizontaux qui s'accrochent sur ce noyau. Dans le cas de la pagode Longhua, ces derniers contiennent eux-mêmes de nombreux ouvrages différents rassemblés en un même étage : des éléments de couverture courbes, de multiples consoles en bois pour porter ces couvertures, des balcons avec leurs gardes corps, et la découpe d'une structure en bois qui est peinte en rouge à la surface du noyau de la tour.

Du fait de leur complexité ou de la richesse de leurs détails, les ouvrages horizontaux qui divisent la tour en étages sont ce qui attire l'attention de notre esprit. Chaque fois, comme il convient pour cette troisième étape, ces ouvrages sont mis en forme de telle sorte qu'ils produisent des effets d'intérieur/extérieur. Dans le cas de la pagode de la Colline du Tigre, chaque ceinture extérieure à la tour divisant les étages est elle-même divisée en deux rangs en porte-à-faux de façon à créer entre eux un creux horizontal enfermant à son intérieur une partie de l'extérieur de la tour. On donne aussi l'exemple de la pagode Fan de Keifeng dans laquelle ce n'est pas un creux intérieur qui est généré entre les deux niveaux mais une sorte de dos en relief qui fait voir une surface en enveloppement extérieur située à l'intérieur de deux bandes de petits reliefs chaque fois répartis sur deux lignes. Dans le cas de la pagode Longhua, le relèvement prononcé de chaque coin de la couverture transforme la surface extérieure de celle-ci en une série de creux intérieurs tandis que sa sous-face a par elle-même la qualité d'un abri intérieur en situation extérieure, et les balcons qui cernent la tour sont aussi des lieux extérieurs qui ont des qualités de lieux intérieurs puisqu'ils sont enclos par des gardes corps et qu'ils sont abrités sous des toitures. Dans le cas de la pagode de Fer, les éléments de couverture sont des surfaces extérieures qui sont prises à l'intérieur de bandes dentelées, et le retroussement de leurs coins y génère des surfaces creuses, comme dans la pagode Longhua, et donc des creux intérieurs qui sont en situation extérieure.

Les notions de matière et d'esprit se différencient par des effets d'un/multiple : le noyau qui porte la notion de matière est ressenti comme une continuité unique par différence aux bandes horizontales qui portent la notion d'esprit et qui se répètent à multiples reprises les unes au-dessus des autres. Outre cette différence, on peut aussi repérer que les deux notions font toutes les deux du un/multiple mais pas de la même façon : la matière propose une forme de tour unique seulement divisée en quelques étages, mais pour la notion d'esprit c'est la notion de multitude qui est la mieux appropriée. Ainsi, dans la pagode de la Colline du Tigre, chaque bandeau horizontal comporte une multitude de fausses consoles imitant des consoles en bois et chacune de ces consoles est elle-même divisée en de multiples éléments de consoles. Dans le cas de la pagode Longhua, chaque toiture est divisée par de multiples coins surélevés qui laissent apparaître des éléments de charpente où fourmillent une multitude de consoles en bois, chaque élément de gardes corps comporte une multitude de détails et l'ossature peinte en rouge qui se dessine sur le fond de la maçonnerie la divise en une multitude de compartiments. Dans le cas de la pagode de Fer, c'est aussi une multitude dentelée qui habille chaque tranche encadrant les éléments de toiture, ce qui contraste fortement avec la nudité simple du noyau en brique qui ne rend compte que de la notion de matière.

Les deux notions font ensemble des effets de regroupement réussi/raté : chaque fois est réussi le regroupement des divers étages dans un effet de répétition continue, mais ce regroupement est raté car les tours s'amincissent à mesure que l'on monte ; nécessairement, les bandes horizontales qui divisent chaque tour sont matériellement regroupées avec le noyau maçonné qui les porte, mais ce regroupement est visuellement raté puisque l'on distingue bien la séparation entre le noyau et ces bandes horizontales. Dans le cas de la pagode de la Colline du Tigre et dans celui de la pagode de Fer, le regroupement en unité de chaque bande horizontale est réussi, mais il est raté puisque chacune est visiblement divisée en plusieurs bandes horizontales, qu'elles soient séparées par un creux ou par une bande de toitures.

 

Comme aux étapes précédentes, le noyau maçonné qui porte la notion de matière s'affirme comme un jet vertical compact divisé en multiples étages, ce qui lui confère le type 1/x, tandis que pour leur part les éléments horizontaux qui portent la notion d'esprit ne s'assemblent pas dans une forme globalement lisible mais ils se lisent comme 1+1 bandes horizontales, ce qui confirme que cette filière se dirige vers le super-animisme.

Comme aux étapes précédentes, puisqu'on ne peut considérer ces éléments horizontaux sans considérer le noyau vertical qui les porte du fait de leur constante imbrication visuelle, les notions de matière et d'esprit sont dans une relation couplée, tandis que l'indépendance des effets produits par les divisions horizontales par rapport à l'effet de continuité verticale du noyau maçonné correspond au fait que, bien que couplées, les deux notions agissent de façons indépendantes.

 

 


 

Schéma de l'ossature en bois d'un pavillon de haut rang, selon la technique Song, Liao puis Jin, du Xe au XIIIe s,

Source de l'image : Source de l'image : L'Architecture Chinoise, Éditions Philippe Picquier (2005)


 

Détail du pavillon Guanyinge du monastère Dulesi, province du Hebei (984, dynastie Liao)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/en/Dule_Temple

 

 

Rapidement, on évoque l'évolution de la technique de construction en bois dont on a vu, à l'étape précédente, qu'elle relevait d'une relation de type complémentaire entre les deux notions.

Comme le montre ce schéma d'ossature que l'on peut comparer avec celui de l'étape précédente, le contraste s'est simplifié entre l'ossature porteuse en poutres et portiques et les jeux des consoles qui portent les parties latérales de la couverture. On remarque aussi que les mêmes jeux de consoles que ceux utilisés pour les débords extérieurs de la toiture sont maintenant utilisés à l'intérieur. La photographie du pavillon Guanyinge construit en 984 au monastère Dulesi, dans la province du Hebei, montre aussi que ces jeux de consoles sont maintenant répétés un plus grand nombre de fois.

Comme pour les pagodes envisagées précédemment, la notion de matière est portée par un effet de même/différent qui est ici obtenu par la combinaison, dans une même construction, de plusieurs parties clairement différentes : le système des poteaux et poutraisons avec remplissage en maçonnerie de ses panneaux, le système des consoles multiples se soutenant les unes les autres, et les plans des couvertures. Quant à elle, la notion d'esprit est portée par la multitude des consoles dont la complexité attire l'attention de notre esprit et dont la multitude des jours qui s'ouvrent entre elles fait pénétrer l'air extérieur à l'intérieur de leur volume. Cet effet d'intérieur/extérieur correspond aussi au fait que l'extérieur de chaque console se repère bien à l'intérieur de son groupe.

Les deux notions se différencient par un effet d'un/multiple qui correspond ici, plus clairement encore que dans les pagodes, au fait que l'ossature des murs et leur remplissage en maçonnerie ainsi que les grandes surfaces matérielles de toiture forment des continuités assez lisses et uniformes, tandis que les assemblages des consoles génèrent des myriades d'éléments visuellement bien distincts les uns des autres.

Les deux notions font ensemble du regroupement réussi/raté puisque les éléments constructifs qui y correspondent réussissent à se regrouper dans une même construction tandis que leurs différences d'aspect permettent de bien les différencier, ce qui fait rater leur regroupement. Par ailleurs, toutes les consoles de la charpente sont regroupées dans un effet de jeux de consoles multiples, mais on peut toujours y différencier des consoles principales portées par les poteaux de l'ossature et des consoles secondaires à mi-distance des précédentes et ne prolongeant donc pas des poteaux, et ces consoles secondaires sont en outre parfois plus petites que les principales de telle sorte qu'est raté le regroupement des consoles dans un groupe de consoles uniforme. Enfin, le rebroussement des coins des toitures fait rater le rassemblement de ces coins dans la continuité plane de la surface des toitures dans laquelle elles sont pourtant rassemblées.

 

 

La quatrième étape aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme :

 

 



 

Pagode du temple de Tianning à Beijing (1100 à 1120), vues d'ensemble et de détail

Source des images : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Tianning_Temple_Pagoda.jpg

 

 

La quatrième étape recouvre l'époque de la dynastie des Jin au nord-est de la Chine (1115 à 1234) et celle des Song du Sud (1127 à 1260). La pagode du temple de Tianning à Beijing, construite de 1100 à 1120, au tout début donc de cette période, nous servira de référence, mais nous aurions pu tout aussi bien prendre les exemples un peu plus tardifs des Cinq pagodes de la Forêt de la Montagne d'Argent dans le Temple de Yanshou, près de Beijing (Dynastie Jin, environ 1125), ou de la pagode Chengling (dite aussi pagode grise) de Zhengding, dans la province du Hebei (1161 à 1189).

Comme aux étapes précédentes, c'est la massivité compacte et continue du noyau de la pagode qui porte la notion de matière, tandis que notre esprit a son attention attirée par les lignes de détails horizontales qui se succèdent sur le socle, par les sculptures qui ornent son massif intermédiaire, par les bandes horizontales serrées des toitures qui divisent sa partie haute, et par la multitude des fausses consoles de charpente qui remplissent les interstices entre ces toitures. Puisqu'il est impossible de ressentir la continuité matérielle de la tour sans se confronter à tous ces détails qui attirent l'attention de l'esprit, la relation entre la notion de matière et celle d'esprit est de type couplé. Puisque l'une fait la continuité verticale et l'unicité compacte tandis que l'autre fait constamment des coupures horizontales et des multitudes d'éclats souvent disloqués, les deux notions interviennent de façons indépendantes.

Puisque la matière fait du un divisé, sa lecture est du type 1/x, et puisque les aspects qui attirent l'attention de notre esprit ne génèrent ensemble aucune forme globale clairement lisible, ils relèvent d'une lecture en 1+1.

En résumé, nous sommes toujours dans une filière qui prépare le super-animisme et dans laquelle les notions de matière et d'esprit sont couplées mais indépendantes.

 

À la quatrième étape, la notion de matière s'affirme par un effet d'intérieur/extérieur qui s'exprime différemment selon l'étage de la pagode. Dans le soubassement, chaque bande en retrait ou en avancée par rapport à la précédente a ses limites extérieures hautes et basses qui sont bien repérables à l'intérieur de l'ensemble du volume de ce socle. L'extérieur sculpté du niveau intermédiaire est compris dans le creux à caractère d'intériorité que forment la dernière rangée du soubassement et la première rangée du niveau des toitures. En partie haute, bien qu'en fait on ne puisse pas le voir, on comprend que l'extérieur de son noyau maçonné poursuit le volume qu'il occupe au niveau intermédiaire et qu'il est donc pris à l'intérieur des bandes de toitures et de consoles qui le recouvrent.

La notion d'esprit s'affirme par des effets d'un/multiple. Dans le soubassement, ce sont plusieurs bandes formées chaque fois de multiples répétitions d'un même motif qui attirent notre esprit. À la surface de l'étage intermédiaire ce sont les multiples détails de sculptures en bas-relief. Dans la partie supérieure, ce sont les multiples bandes de toitures horizontales, et de chacune on voit la multitude des embouts de tuiles et les frises des multiples chevrons qui les portent ainsi que la multitude des paquets de fausses consoles de charpente, chacun de ces paquets comprenant lui-même de multiples éléments de consoles.

Les deux notions se différencient par des effets de regroupement réussi/raté. Dans le soubassement, les multiples motifs en relief ou en creux qui attirent l'attention de notre esprit sont bien intégrés à la matière de la maçonnerie, mais ils ne concernent qu'une partie de ses bandes horizontales et ne sont donc pas complètement regroupés avec elle. Dans le niveau intermédiaire, les sculptures en bas-relief sont de même matériau et de même couleur que la masse du mur duquel elles se détachent et sont donc regroupées avec le matériau du noyau de la pagode, mais leur regroupement avec la surface du mur est raté puisque, précisément, elles se détachent devant elle. Dans la partie haute de la tour, son noyau porteur est nécessairement regroupé avec les toitures et les éléments de charpente qu'il porte, mais il est complètement dissimulé et n'est donc pas visuellement regroupé avec eux.

Les deux notions font ensemble des effets de fait/défait : l'élan vertical de la pagode est défait par la division de son soubassement et de son étage supérieur en bandes horizontales serrées ; la perception du corps de la pagode est complètement défaite dans sa partie haute par la présence des éléments de toiture et de charpente qui le cachent ; à chaque angle de la partie haute, des amas spécialement importants de consoles forment des alignements visuels verticaux qui se remarquent très bien, mais ces effets de verticalité sont défaits par la lecture horizontale que l'on peut également faire des alignements de consoles lorsqu'on prend aussi en compte celles qui ne sont pas dans les angles.

 

 

La cinquième et dernière étape aux notions couplées indépendantes menant au super-animisme :

 

 


Pagode Blanche du monastère du Miaoyingsi, Beijing (1272 à 1288)

Source de l'image : Source de l'image : L'Architecture Chinoise, Éditions Philippe Picquier (2005)

 

 

La dernière étape recouvre la période qui va approximativement de 1267 à 1330, ce qui correspond à la durée de la dynastie Yuan des Mongols sinisés (1271 à 1368) sauf ses quarante dernières années. La principale pagode que l'on peut attribuer à cette période est la Pagode Blanche du monastère du Miaoyingsi à Beijing, construite entre 1272 et 1288 par l'artiste népalais Araniko qui s'était initié au Tibet à la vie monastique, ce qui explique que cette pagode mérite tout aussi bien d'être qualifiée de stupa.

C'est l'ensemble de la masse de cette massive et compacte construction qui produit un effet de matière, tandis que l'attention de notre esprit est spécialement attirée par les redents verticaux des deux étages à base carrée, par les sculptures réparties sur la première terrasse, par les rayures circulaires de la partie finale conique, et par l'ombrelle métallique dont la couleur et la matière légère tranchent avec le reste de l'édifice.

La masse matérielle de cette pagode est clairement réunie dans une forme pyramidale continue tout en étant tout aussi clairement divisée en étages successifs différents les uns des autres, ce qui relève d'une lecture du type 1/x. Les effets visuels qui captent l'attention de notre esprit sont répartis en des endroits discontinus et ils ne forment pas ensemble une forme globale repérable, ce qui relève du type 1+1 et qui, ajouté à la lecture 1/x de la notion de matière, implique que l'on est dans une filière qui basculera dans le super-animisme dès le début de l'étape suivante.

Il est impossible de percevoir la compacité du volume matériel de la pagode sans percevoir les effets visuels qui, sur certaines de ses parties, attirent l'attention de notre esprit, d'autant qu'un niveau à base carrée crénelée s'intercale entre le sol support et la grosse masse centrale presque cylindrique évoquant une fleur de lotus retournée, puis à nouveau entre cette masse centrale et celle de son cône final : les deux notions sont en situation couplée. Puisque les effets de redents verticaux et celui de la retombée de l'ombrelle qui captent l'intérêt de notre esprit sont totalement étrangers aux effets des masses matérielles en rotation horizontale, les notions de matière et d'esprit, bien qu'en situation couplée, interviennent ici de manières indépendantes.

 

Pour cette dernière étape on peut toutefois repérer une modification dans la façon dont les deux notions sont couplées. À toutes les étapes précédentes, le noyau massif de la pagode qui portait la notion de matière était continu et regroupé en un seul jet vertical, et du fait de sa division par les bandes horizontales liées à la notion d'esprit il était impossible de percevoir isolément ce noyau matériel. Dans le cadre de notions couplées, cela ne posait pas problème et correspondait même à une façon très commode d'imposer leur couplage. Comme on l'a dit à l'occasion de la filière musulmane, à la dernière étape, lorsque le groupement en unité des deux notions devient le plus intense, le risque est que la situation couplée des deux notions conduise à leur fusion, ce qui ferait alors perdre de vue que le groupement en unité concerne deux notions bien distinctes qui doivent être perçues séparément l'une de l'autre.

Dans cette pagode en forme de stupa nous ne retrouvons pas le conflit des étapes précédentes entre l'unité d'un noyau matériel et ses divisions horizontales, mais une pure alternance de formes pleinement matérielles et de formes dont les divisions attirent l'attention de notre esprit. Ainsi, la grosse masse matérielle presque cylindrique qui occupe l'étage principal de la pagode est exclusivement utilisée pour faire un effet de masse matérielle, et la perception de cette masse n'est aucunement gênée par la présence des redents verticaux des autres étages de la pagode. En l'examinant on est totalement dans la contemplation d'une masse matérielle, tout comme en examinant les étages à redents verticaux on peut très bien oublier qu'ils correspondent à des masses matérielles participant à la compacité du bâtiment pour se concentrer sur l'effet de leurs divisions verticales, ou pour se concentrer sur les bandes de corniches horizontales qui rythment leur surface. De la même façon, dans le cas du cône terminal, la présence de ses rainures circulaires n'empêche nullement de percevoir la masse matérielle conique dont elles ne font que rayer la surface.

Comme dans les autres filières couplées, on voit donc ici que la dernière étape se caractérise par une séparation visuelle bien nette entre ce qui porte la notion de matière et ce qui porte la notion d'esprit, cela afin que leur situation couplée ne fasse pas oublier l'autonomie des deux notions au moment de finalement les regrouper en unité.

 

À la dernière étape, la notion de matière s'affirme par un effet d'un/multiple qui recouvre ce que l'on a dit plus haut concernant le type 1/x de sa lecture. Y participent aussi la division en redents verticaux des étages à base carrée ainsi que la division du cône en multiples bandes horizontales successives.

La notion d'esprit s'affirme par des effets de regroupement réussi/raté : les deux étages à base carrée réussissent à se regrouper dans cette forme, puisqu'on la devine, mais la présence des redents qui entament leur volume fait rater ce regroupement ; les sillons qui divisent le cône en bandes successives n'empêchent pas le regroupement de ces bandes dans une forme de cône clairement lisible, mais ils empêchent que ce cône soit regroupé dans une forme lisse continue ; nécessairement, l'ombrelle sommitale est rassemblée avec la forme globale de la pagode, mais sa couleur différente et son matériau très léger fait rater son rassemblement visuel avec les parties maçonnées claires qui forment la partie principale du bâtiment ; les pétales de lotus qui ornent la base du massif cylindrique principal sont rassemblés avec cette masse dont ils contribuent à l'élargissement de la base, mais leur rassemblement parfait avec cette masse est raté puisqu'ils s'en distinguent visuellement ; enfin, les files de statues qui garnissent le pourtour de la première terrasse sont nécessairement rassemblées avec le bâtiment qui les porte, mais ce rassemblement est raté puisqu'elles s'en distinguent du fait de leur couleur foncée.

Les deux notions se différencient par des effets de fait/défait, ce qui permet d'opposer par couples les parties qui font des effets de matérialité et celles qui captent l'intérêt de notre esprit : le lisse horizontal continu de l'étage principal et du cône terminal est défait par la répétition des cassures des étages à base carrée ; l'horizontalité du tracé des sillons du cône est défaite par la verticalité des tranches de ces cassures ; la verticalité de ces tranches est elle-même défaite par l'horizontalité des corniches et des bandes en relief des maçonneries concernées par ces tranches ; le plan circulaire de l'étage principal et celui du cône sont défaits par le plan carré des autres étages ; la lisibilité de la forme du cône terminal, pourtant clairement faite, est défaite par l'ombrelle qui en casse la pointe.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché : les différents étages de la pagode sont reliés par leur continuité physique et par leur assemblage dans une forme pyramidale globale, mais ils se détachent visuellement les uns des autres à chaque transition d'étage du fait de leurs brutales différences de forme ; les différents plans verticaux des redents des étages à base carrée forment des plis de matière qui se relient en continu tout en se détachant visuellement du fait de la brutalité de leurs décalages ; les sillons creusés à la surface du cône la relient de leurs tracés circulaires qui se détachent visuellement ; l'ombrelle sommitale est reliée au sommet du cône d'où elle pend tout en se détachant visuellement par sa forme et par sa couleur ; les statues qui bordent la terrasse du premier niveau sont reliées les unes aux autres en une file continue tandis qu'elles se détachent visuellement du fait de leur écartement les unes des autres et du fait de leur couleur.

 

Cet effet de relié/détaché est aussi celui qui apparaît d'emblée.

La forme se répand par un effet de centre/à la périphérie qui utilise ici sa dimension de déstabilisation : à chaque fois que l'on croit avoir saisi de quelle façon lire la forme, elle s'avère inefficace pour en lire la partie voisine ce qui ne cesse de nous déstabiliser. Ainsi, l'enveloppement cylindrique et arrondi sur ses bords de la surface lisse de la partie centrale disparaît complètement sur les niveaux aux redents verticaux répétés, et il ne peut même pas être retrouvé dans la surface du cône qui ne cesse de s'amincir. Quant à l'ombrelle sommitale, la lecture de sa finesse et de sa légèreté est complètement étrangère à la lourde massivité des autres parties du bâtiment.

La forme s'organise par un effet d'entraîné/retenu qui utilise le contraste entre les surfaces lisses des deux étages principaux sur lesquels notre regard se laisse entraîner à glisser, en tous sens pour ce qui concerne le gros massif cylindrique et en sens circulaire pour ce qui concerne le massif du cône, tandis qu'il est constamment arrêté sur les étages à base carrée puisqu'il n'arrête pas d'y buter sur leurs redents verticaux. Globalement, l'ensemble de la forme nous entraîne à la lire comme une pyramide qui se termine en cône, mais notre regard bute sur l'ombrelle sommitale qui nous retient finalement de considérer qu'il s'agit d'une forme conique.

Ces trois effets sont résumés par celui d'effet d'ensemble/autonomie : la forme d'ensemble pyramidale est obtenue par l'addition, les unes sur les autres, de formes qui sont très différentes, et donc très autonomes les unes des autres ; la forme en étage à base carrée grignotée par des redents est un effet que produisent ensemble des étages très autonomes entre eux et d'ailleurs de tailles très différentes ; la même chose vaut pour les différents sillons du cône, très autonomes les uns des autres mais qui font ensemble un effet de rayures circulaires occupant toute la surface du cône.

 

 

 


Pavillon Sanqingdian du monastère taoïste du Yonglegong (XIIIe-XIVe siècles)

 

Source de l'image : https://mapio.net/pic/p-58876086/

 

 

Pour finir, nous examinons ce que devient à la dernière étape la construction en ossature bois dans laquelle les notions couplées se rendent complémentaires. Le pavillon Sanqingdian du monastère taoïste du Yonglegong, construit à la charnière des XIIIe et XIVe siècles, est l'un des rares bâtiments de la dynastie Yuan encore debout.

Aux étapes précédentes, on a toujours eu affaire au contraste entre une très simple ossature en poteaux et poutres et une bande de consoles portant un large débord de toit attirant l'attention de notre esprit par sa complexité. Ce principe n'avait pas besoin de modification majeure pour permettre une claire séparation, à la dernière étape, entre d'une part l'ossature et ses remplissages en maçonnerie ou menuiserie portant la notion de matière, et d'autre part la bande des consoles complexes portant la notion d'esprit.

Tout au plus peut-on dire que cette bande a ici unifié son apparence en renonçant à l'alternance entre groupes de consoles principales et groupes de consoles secondaires, et aussi en rapprochant ces différents groupes les uns des autres. Désormais, tous les assemblages de consoles sont de même dimension, et chaque poutre de la façade porte deux consoles intermédiaires au lieu d'une seule précédemment.

 

 

 


Détail du rouleau « La Régate du Bateau Dragon », peinture de Wang Zhenpeng (actif de 1280 à 1329, pendant la dynastie Yuan)

 

Source de l'image : https://theme.npm.edu.tw/khan/Article.aspx?sNo=03009143&lang=2

 

 

Il subsiste encore quelques bâtiments de cette époque disposant de deux niveaux successifs de couverture, telle la salle Dening du temple Beiyue (ou temple de la Montagne du Nord), construite en 1270 à Quyang, dans le Hebei, mais nous allons plutôt considérer la représentation de bâtiments contemporains par le peintre Wang Zhenpeng, actif de 1280 à 1329, c'est-à-dire pendant la période de la dynastie Yuan qui nous intéresse. Cette représentation fait partie d'un rouleau qui relate une fête nautique et qui est intitulé « La Régate du Bateau Dragon ».

Si l'on examine de bas en haut le pavillon central, on trouve d'abord un socle maçonné aux parois lisses, mieux visible d'ailleurs sur le bâtiment voisin, puis un soubassement formé par des groupes de consoles en encorbellement les unes sur les autres, puis l'étage principal formé d'une ossature simple par poteaux et poutraisons accompagné d'un balcon au garde-corps lui aussi simplement construit sur une ossature orthogonale, puis une rangée de consoles dans lesquelles sont régulièrement intercalées des extrémités pointues de chevrons, puis une bordure de couverture très retroussée dont on remarque surtout les myriades de petits bois et de tuiles de rive, puis la partie haute de cette couverture, traitée simplement et comme soulignée à son sommet par une bande horizontale que l'on peut supposer en tuiles vernissées, puis une nouvelle bande de consoles alternant avec des extrémités pointues de chevrons, puis une nouvelle bordure de toiture très retroussée, puis enfin l'étirement de la surface assez simple du toit sommital.

Il n'est pas douteux que les trois rangées successives de consoles, parfois parsemées de pointes de chevrons, sont ce qui attire l'attention de notre esprit, mais aussi les retroussements violents des toitures dans les angles et que complexifient les tuiles d'arêtier figuratives. Par contraste, et en alternance avec les bandes que l'on vient d'évoquer, les parties qui portent la notion de matière s'abstiennent d'exacerber leur présence visuelle par des complications de détails, affirmant seulement leur effet de masse (le socle), de portance (la structure orthogonale de l'étage principal) ou de surface (la partie haute des toitures). Cette alternance des parties qui portent la notion de matière et des parties qui portent la notion d'esprit correspond bien sûr au caractère couplé de la relation entre les deux notions puisque, ainsi intercalées de façon répétée, nous ne pouvons pas commodément considérer les unes sans percevoir les autres. Toutefois, le caractère structurel des niveaux qui correspondent à la notion de matière est toujours repérable de façon claire, de même que l'aspect quasi complètement décoratif des niveaux qui attirent l'attention de l'esprit, les jeux de consoles n'apparaissant nullement comme des éléments essentiels à la tenue de la charpente, plutôt comme des décorations froufroutant sous la couverture, de même que les rebroussements des débords de celle-ci n'apparaissent nullement comme des exigences fonctionnelles destinées à mieux protéger de la pluie, seulement des caprices destinés à complexifier ces parties-là du bâtiment. En résumé donc, on est bien toujours dans l'affirmation d'une relation couplée entre les notions de matière et d'esprit, mais à cette étape chaque partie du bâtiment porte exclusivement l'une ou l'autre de ces deux notions de telle sorte que leur imbrication pour constituer un bâtiment globalement compact, et donc unitaire, n'empêche pas de percevoir la contribution séparée de chacune des deux notions.

On peut d'ailleurs remarquer que ce pavillon reprend une disposition similaire à celle de la Pagode Blanche, celle d'une accumulation, l'une sur l'autre, de formes successivement consacrées à l'expression de la notion de matière et à la notion d'esprit, par différence aux pagodes des étapes précédentes dont le noyau matériel était continu et en une seule pièce sur toute la hauteur de l'édifice.

 

 

 

 

18.1.8.  L'architecture analogiste aux notions couplées se complétant menant au super-animisme dans la civilisation khmère :

 

La première étape aux notions couplées se complétant menant au super-animisme :

 


Reconstitution en image de synthèse du Temple-Montagne Rong Chen dans le massif du Phnom Kulen, construit dans la ville de Mahendraparvata fondée par Jayavarman II en 802    Source de l'image : photo d'écran d'un documentaire diffusé début 2017 sur Arte concernant les découvertes de l'archéologue Jean-Baptiste Chevance

 

La première étape de la civilisation khmère s'étend approximativement de 635 à 825. Comme il ne reste plus de bâtiments entiers en bon état de cette époque, nous allons nous appuyer sur une reconstitution en image de synthèse du Temple-Montagne Rong Chen dans le massif du Phnom Kulen, construit dans la ville de Mahendraparvata fondée par Jayavarman II en 802. Pour l'essentiel, c'est l'évolution d'étape en étape de ce principe de Temple-Montagne que nous verrons par la suite, jusqu'à son expression finale dans les tours/visages du Bayon d'Angkor Thom à la fin du XIIe siècle.

Ce Temple-Montagne Rong Chen se présente comme une succession pyramidale de terrasses qui culmine dans un massif central brusquement saillant. S'y imbriquent des constructions assez linéaires qui suivent à distance les lignes de retrait des différentes terrasses et qui s'affirment essentiellement par leurs toitures continues portées par des poteaux régulièrement espacés.

Il ne fait pas de doute que ce sont les différentes terrasses échelonnées qui portent la notion de matière, celle d'esprit étant portée par les bâtiments destinés aux usages des humains dotés d'un esprit, des bâtiments dont les toitures ont des formes strictement géométriques et comme artificiellement soulevées par des poteaux régulièrement espacés.

L'imbrication des bâtiments et des retraits successifs des terrasses, notamment celle de la grande galerie qui fait tout le tour de l'avant-dernière terrasse, exactement encastrée au-dessus d'une terrasse et au pied de la terrasse suivante, fait que l'on ne peut pas considérer la disposition concentrique des terrasses sans prendre en compte l'alternance de leurs gradins avec les volumes des toitures : on est dans une filière où les notions de matière et d'esprit sont en relation couplée. Et comme les bâtiments suivent sagement les alignements des tranches des terrasses, se contentant de les accompagner, et en quelque sorte d'offrir des abris au bord de ces terrasses, les deux notions ne se comportent pas ici en indépendance l'une par rapport à l'autre, elles se complètent.

Enfin, tandis que la disposition hiérarchique et centrée des terrasses permet qu'on les ressente comme une pyramide assez plate divisée en multiples gradins, et donc comme une disposition du type 1/x, les bâtiments à toiture ne forment pas globalement une forme d'ensemble repérable et ne s'ajoutent qu'en 1+1 par-dessus les terrasses de la pyramide.

En résumé, on est dans une filière qui prépare le super-animisme, dans laquelle les notions de matière et d'esprit sont en relation couplée et en situations complémentaires.

 

À la première étape la notion de matière s'affirme par un effet de continu/coupé : les terrasses successives forment une suite continue de gradins coupés les uns des autres par une brusque dénivellation.

La notion d'esprit s'affirme par un effet de lié/indépendant : les toitures qui forment les bâtiments sont des volumes clairement indépendants reliés au sol par des séries de poteaux.

Les deux notions se différencient par des effets de même/différent : l'ensemble de la disposition consiste en une même forme pyramidale assemblant deux parties différentes, les terrasses successives en gradins matériels et les bâtiments qui abritent les humains dotés d'un esprit. Par ailleurs, ces terrasses en gradins génèrent ensemble une même continuité de sols et de talus tandis que les bâtiments constituent autant de parties différentes séparées les unes des autres.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché : toutes les terrasses sont reliées en continu les unes aux autres par des talus, et ces talus les détachent aussi les unes des autres ; les toitures des bâtiments sont reliées au sol des terrasses par des séries de poteaux, elles en sont détachées par un décalage de hauteur.

 

 

La deuxième étape aux notions couplées se complétant menant au super-animisme :

 

 


Vue aérienne du temple Phnom Bakleng sur le site d'Angkor (vers 893)

Source de l'image : Angkor, dans la collection Architecture universelle aux Éditions Office du Livre (1970)

 

 

Pour la deuxième étape, nous reprenons le temple Phnom Bakleng construit vers 893 sur le site d'Angkor, déjà évoqué dans le chapitre 18.0 d'introduction. Cette deuxième étape de la civilisation khmère va approximativement de 825 à 900.

La notion de matière massive et pesante y est naturellement portée par les terrasses et gradins qui forment la pyramide tandis que la notion d'esprit est apportée par les alignements géométriques des prasats et des échiffres portant des sculptures de lions en bordure des escaliers.

Le caractère unitaire de la pyramide est clairement visible, tout comme sa division en multiples gradins, ce qui correspond à une lecture du type 1/x. De leur côté, les édicules qui attirent l'attention de notre esprit par leur surgissement vertical ne forment pas globalement une forme lisible continue, ils s'ajoutent les uns aux autres en 1+1. De ces deux observations on déduit que l'on est dans une filière qui prépare le super-animisme.

Il est impossible de considérer la forme globale de la pyramide sans percevoir la présence des alignements de prasats qui occupent ses terrasses. À l'inverse, il est impossible de lire ces alignements sans remarquer que leur progression ascendante dépend de la progression des gradins qui les portent : les notions de matière et d'esprit sont en relation couplée.

Bien que les alignements de prasats soient perpendiculaires aux pentes de la pyramide, ils ne génèrent pas des formes qui la contredisent. Au contraire, spécialement du fait de la présence de tels alignements dans les angles des terrasses, ils forment comme une série de vagues successives rythmées sur l'échelonnement des gradins de la pyramide et les accompagnant. Globalement, la présence des prasats et des échiffres des escaliers enrichit donc la forme de la pyramide, elle aide à percevoir l'échelonnement de ses gradins successifs car ils se dressent verticalement et rendent donc mieux visibles l'existence, la continuité et la régularité de leurs retraits. Les formes purement matérielles et les formes qui portent la notion d'esprit ne font donc pas indépendantes mais s'accompagnent l'une l'autre : les deux notions ont trouvé le moyen de se rendre complémentaires.

 

À la deuxième étape, la notion de matière s'affirme par un effet de lié/indépendant : les différents gradins de la pyramide sont liés les uns aux autres sur toute la longueur de leur périmètre, mais ils sont visuellement bien indépendants les uns des autres.

La notion d'esprit s'affirme par un effet de même/différent : différents prasats s'assemblent dans un même alignement, différents alignements de prasats s'organisent pour former ensemble un même effet pyramidal, un effet pyramidal dans lequel ils sont d'ailleurs dans des situations différentes puisque certains sont en partie courante des gradins et d'autres sur leurs angles, et ce même effet pyramidal combine également différentes formes, celle des prasats est celle des échiffres d'escalier surmontés de sculptures de lions.

Les deux notions se différencient par un effet d'intérieur/extérieur : les prasats et les échiffres des escaliers sont à l'intérieur de la forme globale du temple, et même souvent à l'intérieur des creux formés par ses décalages de niveaux, mais ils sont clairement posés par-dessus les gradins de la pyramide et ils se distinguent donc grâce à leur situation à l'extérieur de celle-ci.

Elles font ensemble des effets d'un/multiple : nous avons ici une seule et même pyramide faite de multiples étages en gradins avec de multiples fois une même forme de prasat ou d'échiffre, et ceux-ci s'organisent chaque fois à plusieurs pour faire un même alignement qui est répété de multiples fois.

 

 

 


Temple Phnom Bakleng sur le site d'Angkor (vers 893), l'un de ses prasats en grès. Celui-ci est situé au pourtour de la terrasse

 

Source de l'image : Angkor, dans la collection Architecture universelle aux Éditions Office du Livre (1970)

 

 

Rapidement, nous envisageons la forme d'un prasat individuel dans laquelle se retrouvent les mêmes caractéristiques que dans la forme d'ensemble du temple.

La notion de matière correspond à la masse compacte de cet édicule dont on repère bien qu'il semble constitué d'étages successifs enfoncés les uns dans les autres, et donc liés les uns aux autres tout en étant indépendants les uns des autres.

La notion d'esprit est portée par la forme en kudu surmonté de flammes du linteau de la porte, laquelle se répète à chaque étage en dimension chaque fois plus petite, et donc chaque fois avec la même forme mais d'une taille différente. L'attention de notre esprit est également attirée par les décrochements verticaux en série qui affectent les angles du bâtiment, chacun y faisant le même effet de retrait mais selon des profondeurs différentes.

Cette fois, ce sont les masses qui portent la notion de matière qui se différencient en faisant un effet d'intérieur/extérieur puisque, du fait de l'effet d'enfoncement des étages les uns dans les autres, l'extérieur de chacun semble être pour partie à l'intérieur de celui qui le précède. Par ailleurs, les retraits verticaux des angles qui attirent l'attention de notre esprit forcent l'extérieur de la masse construite à se retrouver à l'intérieur des creux formés par ces retraits. Les effets d'un/multiple produits par les deux notions n'ont pas besoin d'être décrits.

 

 

La troisième étape aux notions couplées se complétant menant au super-animisme :

 

 


 

Temple Prè Rup, Angkor (vers 961, sous le roi Rājendreśvara), état actuel et plan

Sources des images : https://www.trip.com/things-to-do/detail/21802897  et https://www.wikiwand.com/fr/Pr%C3%A8_Rup


 

 



Dessin et état actuel d'un prasat du temple d'Ishvarapura à Banteay Srei (967)

Sources des images : Angkor, dans la collection Architecture universelle aux Éditions Office du Livre (1970) et http://nslaxx.blogspot.com/2012/07/travel-009-cambodia-25-dec-banteay-srei.html

 

 

La troisième étape va approximativement de 920 à 980. Le plan du temple de Prè Rup à Angkor, construit vers 961, montre que le système de Temple/Montagne des étapes précédentes se complexifie encore, s'enrichissant notamment d'enceintes successives franchies par des systèmes de portails et par l'adjonction de nombreux longs bâtiments établis de chaque côté de l'enceinte intérieure. On retrouve toutefois la même généralisation de la disposition en pyramide des terrasses successives et le même principe de quadruple symétrie, seulement un peu déformée par la forme légèrement rectangulaire des enceintes.

Plutôt que ce temple, dont l'état dégradé ne permet pas une visualisation correcte de son état initial, nous allons examiner l'un des prasats du temple d'Ishvarapura construit à Banteay Srei en 967, et donc exactement à la même époque. Il peut être précisé que, sur ce site de Banteay Srei, trois prasats assez semblables sont alignés sur une même terrasse, celui du centre un peu plus haut que ses deux voisins, ce qui donne un principe de configuration assez proche de celui des prasats situés au sommet du temple de Prè Rup lorsqu'on parvient sur leur terrasse, c'est-à-dire un prasat principal encadré de deux prasats secondaires. Celui que nous examinons est l'un des prasats latéraux.

Globalement il ressemble beaucoup à celui du Phnom Bakleng de l'étape précédente, mais il s'enrichit d'une collection de prasats en réduction qui ornent la plate-forme supérieure de chacun de ses étages, des étages qui sortent d'ailleurs davantage au-dessus les uns des autres pour laisser suffisamment de place aux prasats miniatures.

Comme dans le prasat du Phnom Bakleng, la notion de matière est apportée par la masse pesante continue de l'édifice. Les impostes ornées de kudus flammés captent l'attention de notre esprit, mais ces kudus sont plus développés en hauteur qu'à Phnom Bakleng, et sur chaque côté ils ont maintenant un point de rebroussement nettement marqué avant d'arriver à l'anse supérieure. Bien entendu, les prasats miniatures captent également l'intention de notre esprit et l'on peut remarquer qu'ils sont de deux sortes : les uns reproduisent réellement la forme d'un prasat entier avec des divisions horizontales correspondant aux étages ornés de kudus flammés, les autres ont leur surface occupée par une statue de personnage (non représentées sur le dessin) cernée par des flammèches.

L'imbrication des effets qui captivent l'esprit et des étages successifs de la forme qui porte la notion de matière implique que les deux notions sont en situation couplée. Les kudus flammés enrichissent chacune des façades en s'adaptant parfaitement au rythme de leur évolution, et les prasats miniatures s'alignent avec les différents étages tout en remplissant parfaitement les volumes vides que la matière du bâtiment dégage entre chacun de ces étages. Les notions de matière et d'esprit n'agissent donc pas de façons indépendantes mais, au contraire, elles se complètent pour produire la forme du prasat.

Globalement, c'est toutefois la matière et ses divisions successives qui donnent principalement sa forme au bâtiment et qui relèvent d'une lecture du type 1/x. Pour leur part, les formes qui captent l'attention de l'esprit ne sont pas réunies dans une forme globale et ne s'ajoutent qu'en 1+1 formes par-dessus la matière qui les porte. On est donc dans une filière qui prépare le super-animisme, et les notions de matière et d'esprit en situation couplée sont aussi complémentaires.

 

À la troisième étape, la notion de matière s'affirme par un effet de même/différent : un même prasat est fait de différents étages qui ont tous la même forme mais des dimensions différentes.

La notion d'esprit s'affirme par un effet d'intérieur/extérieur : les petits prasats ont leur extérieur qui est à l'intérieur du volume général du grand prasat qui les porte, et ils sont également posés sur ses terrasses, donc à l'extérieur de son volume réel. Quant aux kudus enflammés, leur bordure extérieure est à l'intérieur des flammèches qui les cernent tandis que leur bordure intérieure cerne à leur intérieur un fronton sculpté qui est en situation extérieure puisque à l'air libre.

Les deux notions se différencient par un effet d'un/multiple : chaque fois qu'un étage de la masse matérielle se termine, de multiples prasats miniatures apparaissent au-dessus de lui et un kudu cerné de multiples flammèches apparaît en dessous du bord de cet étage.

Elles font ensemble des effets de regroupement réussi/raté. Tout le volume du prasat est regroupé dans une forme vaguement pyramidale compacte, mais ce regroupement est raté car on distingue bien les vides qui sont laissés dans ce volume au niveau de la séparation de chaque étage ainsi qu'entre le socle et le haut du premier étage. Toutes les formes posées sur les étages du prasat sont regroupées dans une même allure de prasat miniature, mais ce regroupement est raté car certains n'ont que la forme générale d'un prasat mais correspondent en fait à une statue humaine entourée de flammèches. Chaque kudu est regroupé dans la forme linéaire d'une arcade continue, mais ce regroupement est raté à cause du brusque rebroussement de cette forme de chaque côté de la base de son anse supérieure. Les formes qui virevoltent au-dessus du parcours de chaque kudu sont regroupées dans un effet de flammes, mais ce regroupement est raté car la forme des flammes est différent d'un endroit à l'autre du parcours, notamment à son départ où les flammes semblent se retourner.

 

 

 


Le Temple Yudhishtir (ou Dharmaraja) sur le site des Cinq Ratha, à Mahabalipuram au Tamil Nadu, sud de l'Inde (630 à 668)

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Cinq_Ratha

 

 

On fait un écart vers l'Inde du sud pour un bâtiment qui correspond à la même étape et qui, trois cents ans plus tôt, était édifié de façon très semblable. Cette allusion à l'Inde est faite pour justifier, dans le tableau d'introduction du chapitre 18.0, le classement de cette filière parmi les filières qui préparent le super-animisme avec des notions en relation couplée et complémentaires.

Le Temple Yudhishtir (ou Dharmaraja) est l'un des cinq temples monolithiques sculptés à Mahabalipuram sous le règne du roi Narasimhavarman Ier (630 à 668).

L'effet de même/différent qui porte la notion de matière est spécialement accusé ici par l'association de trois parties différentes superposées pour faire un même bâtiment : le soubassement très ouvert, le niveau intermédiaire sur trois étages, la coupole terminale.

L'effet d'intérieur/extérieur qui porte la notion d'esprit s'exprime au niveau du soubassement par la large pénétration de l'extérieur à l'intérieur du bâtiment à l'occasion des piliers (jamais terminés) qui attirent l'attention de l'esprit, et au niveau intermédiaire par des petites constructions dont l'extérieur est parfaitement repérable à l'intérieur de la masse sculptée.

L'imbrication alternée des files de ces petites constructions avec les planchers horizontaux qui soulignent la présence continue de la masse construite rend impossible de saisir séparément ce qui fait effet de matière et ce qui capte l'intérêt de notre esprit, justifiant ainsi le caractère couplé de ces deux notions.

La façon dont le volume de ces petites constructions remplit les vides entre les plateaux pour donner à la masse matérielle globale une allure pyramidale justifie pour sa part que l'on considère que les deux notions n'interviennent pas ici de façons indépendantes mais complémentaires.

 

 

La quatrième étape aux notions couplées se complétant menant au super-animisme :

 

 


Angkor Vat (1113-1150), maquette d'ensemble

 

Source de l'image : https://www.wikiwand.com/fr/Angkor_Vat

 

 



 

Angkor Vat (1113-1150) : la tour centrale vue depuis l'une des cours et une vue plus éloignée depuis l'extérieur de l'enceinte

Source des images : Angkor, dans la collection Architecture universelle aux Éditions Office du Livre (1970)

 

La quatrième étape va approximativement de 980 à 1150, commençant avec le temple inachevé Ta Keo à Angkor (980-1013) et se terminant avec celui d'Angkor Vat (1113-1150) qui nous servira d'exemple.

Le système initial du temple-montagne s'est maintenant complètement combiné avec celui des enceintes successives de Prè Rup : les enceintes sont de plus en plus hautes quand on se rapproche du prasat principal, et des prasats de plus en plus hauts se dressent au coin de chacune des enceintes.

La notion de matière est portée par les longues galeries continues, notamment leurs hauts soubassements et leur couverture à deux pentes, et aussi par les noyaux compacts des divers prasats. Comme à l'étape précédente, ce qui attire l'attention de notre esprit ce sont les prasats miniatures portés en couronnes par le dessus de chaque étage des grands prasats, mais il est également attiré, c'est nouveau, par les formes en blason des pignons qui s'alignent les uns avec les autres, faisant des séries continues qui se transforment progressivement pour devenir les kudus flanquant chaque côté des prasats en y prenant la place des petits prasats.

L'imbrication des petits prasats dans les creux laissés entre les étages des grands ainsi que l'imbrication des différents étages de pignons avec les séries étagées des galeries couvertes font que les formes qui portent la notion de matière et celles qui portent la notion d'esprit ne peuvent être perçues sans que l'on perçoive leur imbrication : les deux notions sont en relation couplée.

Les petits prasats, en remplissant partiellement les vides laissés entre les étages des grands, aident à percevoir la forme globale de ceux-ci puisqu'ils en complètent le volume, et les alignements des kudus des tours avec les frontons et les toitures des galeries soulignent des continuités entre les constructions matérielles d'allure horizontale et les regroupements verticaux des formes qui captent l'intérêt de notre esprit. Au total, les formes qui captivent notre esprit complètent donc les formes esquissées par la masse matérielle du bâtiment, ce qui correspond au fait que les deux notions couplées ont trouvé dans cette architecture le moyen de se rendre complémentaires.

L'unité globale du bâtiment est certainement apportée par ses dispositions matérielles qui se divisent en enceintes successives faisant surgir leurs prasats selon un échelonnement régulier dans une disposition globalement pyramidale, de telle sorte que la notion de matière relève ici d'une lecture du type 1/x. Les éléments qui attirent l'attention de notre esprit sont comme rajoutés en +1 sur les bâtiments et ils ne génèrent pas ensemble une forme globalement lisible en dehors de leur accumulation de place en place, si bien qu'ils s'ajoutent les uns aux autres en 1+1 : on est dans une filière qui prépare le super-animisme.

 

À la quatrième étape, la notion de matière s'affirme par des effets d'intérieur/extérieur : l'extérieur de chaque enceinte est à l'intérieur d'une enceinte plus grande et les galeries se croisent pour générer des cours intérieures qui sont en situation extérieure ; la masse des prasats et des excroissances moins importantes, telles que les bâtiments marquant chaque croisement de galeries, fait partie de l'ensemble de l'édifice tout en étant à l'extérieur du système de galeries qui forme l'essentiel de sa masse matérielle ; comme on le voit notamment au pied de la tour centrale, les divers étages de galeries s'enfoncent les uns sous les autres, l'extérieur caché de chacun étant donc à l'intérieur du suivant.

La notion d'esprit s'affirme par des effets d'un/multiple : répartis tout autour des étages des grands prasats, les prasats miniatures forment collectivement un groupe de multiples formes semblables qui sont d'ailleurs également semblables à la forme unique de grande échelle qui les rassemble ; sur chaque flanc de chacun des prasats, les frontons flammés et les kudus flammés forment une série de multiples formes quelque peu semblables et bien distinctes les unes des autres.

Les deux notions se différencient par des effets de regroupement réussi/raté : les petits prasats réussissent à se regrouper à l'intérieur du volume des grands, d'autant qu'ils s'alignent avec les redents en retraits successifs bien lisibles à la base de ceux-ci, mais ce regroupement est raté car on repère bien l'autonomie de leur forme de petite échelle à l'intérieur de la masse de la forme de grande échelle ; en se transformant en alignements de kudus flammés, les alignements de frontons flammés parviennent à se regrouper en continuité avec la masse matérielle des grands prasats, mais ce regroupement est raté car ces alignements se distinguent visuellement du reste de la masse de ces prasats.

Elles font ensemble des effets de fait/défait : l'effet général d'horizontalité fait par les galeries couvertes est défait par la verticalité des formes des prasats et par les alignements verticaux des frontons flammés et des kudus flammés ; la continuité des toitures des galeries couvertes est constamment défaite par la présence de sections de galerie de plus grande hauteur à chacune de leurs intersections ; la compacité de la forme « en pomme de pin » de chaque prasat est bien faite, mais les jours qui circulent à sa surface entre les petits prasats qui l'occupent défont la lecture de cette compacité ; les galeries qui s'encastrent les unes dans les autres, spécialement au pied du prasat principal, se brisent mutuellement, se défont mutuellement.

 

 

La cinquième et dernière étape aux notions couplées se complétant menant au super-animisme :

 



 

Le Bayon d'Angkor Thom (1191-1219), plan et vue partielle de son état actuel

Sources des images : https://www.orientalarchitecture.com/sid/20/cambodia/angkor/bayon-temple  et  https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Bayon

 

 



 

Quelques-uns des visages sculptés dans les tours du Bayon d'Angkor Thom

Sources des images : https://www.evisacambodge.com/blog/les-temples-dangkor-dans-votre-salon/  et  http://www.revelations-of-the-ancient-world.com/fr/temples-dangkor-angkor-wat-angkor-thom-ta-prohm/

 

La dernière étape de la civilisation classique khmère est assez brève puisqu'elle peut être estimée à la période qui va de 1180 à 1220, soit approximativement la période de construction du Bayon d'Angkor Thom, de 1191 à 1219. Avant de s'effondrer, la civilisation médiévale khmère a donc eu la possibilité d'aller jusqu'au terme de sa phase analogiste.

Comme le montre le plan du Bayon, la disposition d'ensemble des enceintes successives, des cours successives et des tours successives s'est encore systématisée par rapport à l'étape précédente, mais la dégradation des galeries et des portiques ne permet plus de l'apprécier correctement. Par contre, ses visages sculptés dans les tours et regardant vers toutes les directions sont restés dans un état de conservation suffisant pour y reconnaître la marque de la dernière étape de la phase analogiste. Ces tours à visages sont organisées pour former globalement une structure pyramidale dont la plus haute occupe évidemment le centre du temple.

La notion de matière est portée par la masse matérielle des galeries couvertes et des tours qui en émergent.

Bien entendu, ces visages sereins attirent spécialement l'attention de notre esprit, mais aussi les frontons flammés des galeries qui viennent buter sur les tours à visages, et aussi les formes en kudu flammé qui couronnent les têtes et celles qui s'échelonnent en série au-dessus de certaines têtes pour monter jusqu'à la forme de lotus épanouie qui couronne chaque tour.

 

Puisqu'il est impossible de considérer la matière des tours sans prendre en compte la présence des visages qui lui donnent forme de façon répétée, on a affaire à une relation couplée entre la notion de matière et la notion d'esprit. La position de ces visages n'est pas indépendante de l'organisation matérielle des tours : ils occupent systématiquement toutes leurs quatre faces et se dirigent vers les quatre directions, ce qui les met ainsi en phase avec la disposition orthogonale de l'ensemble du bâtiment. Les notions de matière et d'esprit ne s'affirment donc pas de façons indépendantes mais ont trouvé le moyen de se compléter mutuellement, au point que l'on peut presque dire que les visages, qui semblent évidemment dotés d'un esprit, ancrent la notion d'esprit dans la matérialité même de la pierre en la faisant sourire.

Comme aux étapes précédentes, c'est l'organisation matérielle d'ensemble du temple qui, disposant de la capacité d'affirmer simultanément son unité et sa division en multiples parties, peut se lire en 1/x. Les visages sont seulement plaqués sur les tours, ajoutés en +1 sur leur matière, et ils ne forment pas ensemble une forme globale repérable distinctement de leur accumulation de place en place, ce qui relève d'une lecture en 1+1.

Très normalement, à cette dernière étape nous repérons donc toujours que cette filière se dirige vers une ontologie super-animiste, que les notions de matière et d'esprit y sont toujours en situation couplée, et que la civilisation khmère a choisi préférentiellement d'utiliser dans son architecture la complémentarité possible de ces deux notions.

À la dernière étape, dans toutes les autres filières aux notions couplées, pour éviter que les deux notions ne se fondent l'une dans l'autre au moment de leur assemblage final en unité compacte, on a vu que la solution était d'affirmer clairement et distinctement leurs différences en les plaçant clairement et distinctement l'une à côté de l'autre, et chacune avec une expression que l'on pourrait qualifier de « pure », c'est-à-dire sans aucun mélange avec l'expression de l'autre notion. Et c'est bien ce que l'on voit à nouveau ici. Certes, il existe encore des successions verticales de kudus qui correspondent à l'affirmation de divisions dans la masse matérielle des tours et qui attirent simultanément l'attention de notre esprit par la finesse des détails de leurs sculptures. Certes, il existe encore des frontons flammés qui, tout en attirant l'attention de l'esprit par leur surgissement à l'endroit précis des décalages de toiture, font aussi partie de la matérialité de ces toitures. Mais les visages qui sourient aux quatre horizons sont de purs visages, de pures incarnations dans la pierre d'êtres divins dotés d'un esprit, tandis qu'en contraste l'autonomie de la notion de matière est suffisamment affirmée par la massivité des tours, par les surfaces continues des longues toitures arrondies, et par les linteaux et les poteaux qui les portent.

On se souvient que, dans la filière musulmane aux notions couplées et complémentaires se préparant au super-naturalisme, la claire séparation des deux notions à la dernière étape s'était traduite par l'affirmation de surfaces de matière nue encadrant de purs thèmes décoratifs captivant l'esprit, par exemple dans la tour Hassan de Rabat, ce qui remplaçait la combinaison des étapes précédentes, dans un même jeu de formes, des effets de matière portante et des effets purement visuels destinés à captiver l'esprit. Juste avant que la matière ne soit reléguée par l'esprit à un rôle subordonné au départ de la phase ultérieure, on avait donc une claire affirmation de son caractère de notion pleine et entière et ayant des propriétés spécifiques. À l'inverse cette fois, avant de basculer dans la phase super-animiste où la notion d'esprit aura un rôle subordonné par rapport à la notion de matière, on a ici la claire affirmation de son caractère de notion pleine et entière aux propriétés spécifiques. D'où par conséquent ces visages mis en forme dans la pierre et qui ne sont que visages.

 

À la dernière étape, la notion de matière s'affirme par un effet d'un/multiple auquel satisfait l'ensemble de la disposition du bâtiment : sa forme d'ensemble bien affirmée est divisée en de multiples enceintes concentriques, chacune est recoupée par de multiples galeries avec un bâtiment en excroissance à l'endroit de chaque croisement pour en souligner la présence. Le massif des tours répond aussi de cet effet puisque cet ensemble de tours associe de multiples tours en combinaison hiérarchique. Enfin, chaque tour elle-même forme un jet vertical bien repérable divisé en de multiples étages par le moyen de sa décomposition en kudus successifs en retrait les uns sur les autres, et elle se divise aussi en redents verticaux successifs bien décalés les uns des autres.

La notion d'esprit s'affirme par un effet de regroupement réussi/raté. Inévitablement, on lit que tous les visages des tours forment un groupe de visages et qu'ils sont donc tous regroupés dans cet ensemble. Toutefois, tous ne regardent pas dans la même direction, et tous ne sont pas dans la même situation puisque certains sont plutôt à la base de leur tour, d'autres en partie médiane, et d'autres tout en haut. En outre, comme certains sont nécessairement sur des côtés que l'on ne peut pas voir puisqu'ils sont à l'opposé de notre position, jamais ils ne sont tous regroupés dans notre vision. Pour toutes ces raisons donc leur regroupement est raté. De la même façon, toutes les autres formes sculptées forment des séries de formes qui sont à la fois similaires et dans des situations différentes, ce qui vaut notamment pour les fleurs de lotus en haut des tours, qui n'ont pas toujours la même forme et qui sont souvent établis à des hauteurs très différentes ce qui gêne la perception de leur groupe. Autant de groupes qui sont donc chaque fois réussis, et simultanément ratés.

Les deux notions se différencient par un effet de fait/défait : la décomposition en étages successifs de la masse matérielle des tours et sa décomposition en redents verticaux successifs sont complètement défaites par les visages qui suppriment ces divisions horizontales et verticales sur l'ensemble de la surface qu'ils occupent.

Les deux notions font ensemble des effets de relié/détaché dont on n'envisagera que quelques-uns : les visages sont complètement reliés à la masse des tours puisqu'ils en font partie, mais ils se détachent visuellement de cette masse compacte ; chaque tour, dans son ensemble, forme une émergence qui se détache de la masse construite des niveaux bas du temple ; la forme des fleurs de lotus se détache au sommet de chaque tour à laquelle elle est pourtant reliée par une grande surface de contact et par sa situation sur l'axe même de cette tour ; les kudus en série verticale sont détachés en façade les uns des autres tandis qu'ils sont complètement reliés latéralement à la masse de la tour ; les toitures des galeries sont constamment décalées en hauteur les unes des autres, ce qui les détache les unes des autres alors qu'elles sont simultanément reliées les unes aux autres sur le même parcours.

 

Puisqu'on est à la dernière étape, on décrit les effets qui ne sont pas directement liés à l'évolution ontologique. Celui qui apparaît en premier est le relié/détaché que l'on vient d'envisager.

La forme se répand par un effet de centre/à la périphérie. Globalement, la disposition du temple est celle d'un contraste entre le massif des tours qui occupe sa partie centrale, dominé par une tour centrale particulièrement haute, et d'autre part une enceinte horizontale qui fait le tour périphérique du bâtiment. De chaque visage on peut dire qu'il se propose à nous comme un centre d'intérêt visuel captant notre attention et qui est entouré, sur toute sa périphérie, par de semblables centres visuels. De chaque tour on peut dire qu'elle dispose d'un axe central de quadruple symétrie, matérialisé par sa fleur de lotus sommitale, et que des visages similaires sont établis sur chacun des quatre côtés de sa périphérie.

La forme s'organise par un effet d'entraîné/retenu qui résulte principalement de l'affolement que l'on peut ressentir au milieu de ces galeries, de ces tours et de ces visages si semblables que l'on a du mal à s'y repérer : chaque fois que l'on se laisse entraîner à privilégier une partie du bâtiment qui semble pouvoir nous aider à organiser notre perception, on en est retenu par l'une ou l'autre des parties du bâtiment qui lui font concurrence du fait de leur similitude.

Ces trois effets sont résumés par un effet d'ensemble/autonomie dont on n'envisagera que quelques aspects : l'effet d'ensemble du bâtiment résulte de la combinaison de deux registres de formes très autonomes, celui des galeries couvertes et celui des tours-visages ; ces tours font nécessairement un effet d'ensemble du fait de leur similitude, mais leur écartement dans l'espace, leurs orientations différentes, leurs différences de hauteur et leur éloignement différent de la tour centrale font que chacune fait également un effet autonome ; sur chaque tour, chaque visage apparaît de façon autonome en occupant spécialement l'une de ses faces, mais tous ensemble ils font un effet de groupe de visages dirigés vers les quatre directions de l'horizon.

 

> Suite du chapitre 18 – Analogisme