Pour des analyses qui rendent davantage compte de la complexité de chaque architecture analysée, on pourra se reporter au texte complet de l'essai à son chapitre 11.2 du Tome 2.
Pour finir cette introduction, on rappelle qu'une architecture est toujours « le produit fabriqué » qui correspond aux consignes données par l'architecte qui l'a conçue.
De façon générale, la représentation des architectures placées dans l'espace public est autorisée par article L.122-5 (11°) du Code de la propriété intellectuelle dès lors que, comme ici, je suis une personne physique et que mon site internet n'a pas de but commercial : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ». C'est en se fondant sur le même principe qu'une une sculpture d'Anish Kapoor et une entrée de métro de Jean-Michel Othoniel situées en permanence sur une voie publique ont été reproduites dans les pages précédentes.
Étape D0-41 – Artistes né(e)s entre 1942 et 1957 :
Option e : confrontation en un/multiple des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :
Rudy Ricciotti : MUCCEM de Marseille (2004-2013) - vue d'ensemble et détail de sa résille en béton fibré à ultra-haute performance (BFUP)
Source des images : https://fri-archi.ch/fr/2015/01/23/rudy-ricciotti-bandole/
On commence par des associations de l'un/multiple avec regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e. Les deux premiers exemples utilisent le contraste entre d'une part l'effet produit à grande échelle par la masse matérielle du bâtiment et d'autre part l'intention de captiver l'esprit par une lecture à petite échelle qui contredit l'effet matériel de grande échelle, ce qui suggère l'autonomie de l'intention destinée à l'esprit par rapport à cet effet matériel.
D'abord le bâtiment du MUCCEM de Marseille, conçu en 2004 par l'architecte français Rudy Ricciotti (né en 1952) et livré en 2013. On ne considérera que sa toiture et celles de ses façades qui sont recouvertes d'une peau en résine de béton fibré très tourmentée dans le détail. À grande échelle, la paroi matérielle du bâtiment est toujours une surface simplement plane et d'aspect très uniforme, laquelle vaut d'ailleurs aussi bien pour l'ensemble de la surface de chaque façade et pour la toiture du bâtiment. À petite échelle, on constate que l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par la lecture d'une trame au dessin très varié et toujours différent d'un endroit à l'autre, ce qui révèle une intention très autonome de l'effet de surface matérielle dont l'expression est au contraire la simplicité et l'uniformité. Si la surface matérielle du bâtiment est unitaire et uniforme à grande échelle, notre esprit est donc captivé par son aspect multiple, et même extraordinairement multiple à petite échelle : c'est l'effet d'un/multiple qui régit la relation entre la matérialité des parois et ce qui relève de l'intention de l'architecte de captiver notre esprit. Malgré la grande diversité des méandres qui exigent de notre esprit une grande agilité visuelle pour suivre toutes leurs complexes évolutions, le matériau de cette résille réussit pourtant à se regrouper dans une densité homogène qui fait que la paroi ne semble nulle part s'ouvrir plus que la moyenne ni se compacter plus que la moyenne, si bien que l'effet d'un/multiple est ici associé à un effet de regroupement réussi/raté : réussite de l'homogénéité de la densité de la trame à grande échelle, ratage à petite échelle où domine au contraire une hétérogénéité très forte de son dessin.
On retrouve le même contraste entre la simplicité de la forme d'ensemble et la complexité dans le détail de la façade dans cet immeuble conçu par l'architecte français Jean Nouvel (né en 1945) à New York dans le quartier de Chelsea, construit entre 2005 et 2010. Côtés rues, la forme d'ensemble est une simple surface courbée reliant deux surfaces planes. Dans le détail, la façade est décomposée en une multitude de panneaux aux formes, aux couleurs et aux opacités très diverses. De plus, ces panneaux s'orientent horizontalement vers des directions très variées et s'inclinent verticalement selon des angles très variés, de telle sorte que la lumière du ciel se réfléchit d'une infinité de façons différentes d'un endroit à l'autre de la surface.
À grande échelle, la surface du bâtiment forme une trame matérielle d'aspect unifié et de densité uniforme, car elle se décompose en combinaisons assez semblables de formes assez semblables et souvent plusieurs fois répétées. À petite échelle, par contre, l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par une multiplicité et une complexité variée à l'extrême concernant le format, la couleur, l'opacité et l'inclinaison des panneaux qui construisent cette façade, une intention qui est donc très autonome de la régularité matérielle de l'aspect de la surface quand on l'observe à grande échelle. Aspect de la surface matérielle très unitaire à grande échelle, multiplicité complexe de la lecture de ses détails, c'est un effet d'un/multiple qui régit la relation entre ce qui relève de l'organisation matérielle et ce qui relève de la lecture par l'esprit voulue par l'intention de l'architecte. Regroupement réussi dans une trame de même type à grande échelle, raté à petite échelle à cause de la variété complexe du traitement de la façade à cette échelle, c'est encore l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à l'un/multiple. Comme pour le MUCCEM de Rudy Ricciotti, l'intention spécifiquement destinée à captiver l'esprit contredit l'effet produit par la surface matérielle du bâtiment, ce qui lui permet de faire preuve d'autonomie par rapport à la matérialité.
La « DC Tower 1 » de Vienne, en Autriche, conçue par l'architecte français Dominique Perrault (né en 1953), a été livrée en 2014. Il est prévu de l'accompagner d'une tour symétrique conçue de façon semblable mais un peu moins haute. La caractéristique principale de cette tour est la combinaison d'une façade fortement plissée avec trois autres façades parfaitement lisses et seulement marquées par une trame verticale ininterrompue.
Sa masse matérielle nous apparaît très compacte, du fait de la rectitude absolue de trois de ses façades, mais aussi parce que le même matériau vitré et pareillement coloré de sombre est utilisé pour l'ensemble des surfaces. En contraste avec la rigide massivité globale du bâtiment et avec l'uniformité de la couleur de son matériau, le traitement de la façade plissée montre l'intention de l'architecte de captiver son esprit et le nôtre par l'animation de puissantes ondulations variées qui creusent ou font se soulever comme aléatoirement cette façade, prouvant ainsi que la force de l'effet produit par la masse d'un bâtiment ou par la couleur uniforme de son matériau n'empêche pas une intention spécialement destinée à captiver l'esprit de s'y exprimer de façon autonome. Et là encore, l'intention de captiver l'esprit ne s'affirme qu'en contredisant l'effet porté par le matériau, ici par son effet d'unité et d'uniformité. Par sa compacité d'ensemble et par l'uniformité du matériau de ses façades, cette tour dispose d'un caractère fortement unitaire, mais sur sa façade plissée les creux succèdent aux reliefs de façon irrégulière dans le sens vertical comme dans le sens horizontal en générant une multitude de plis. Comme le veut cette étape, la confrontation de l'unicité de la masse matérielle de la tour et de la couleur de son matériau avec l'intention destinée à captiver l'esprit se fait donc par le moyen d'un effet d'un/multiple. Et puisque le matériau vitré de teinte sombre regroupe l'ensemble des façades tandis que les multiples plissements de sa façade d'entrée se distinguent chacun séparément et violemment, résistant à se fondre dans l'uniformité voulue par l'uniformité de leur matériau, c'est le regroupement réussi/raté qui est ici associé à l'un/multiple.
Nous aurons souvent l'occasion de citer des architectures conçues par Jean Nouvel. Nous le retrouvons d'abord pour deux exemples où l'un/multiple est associé au fait/défait dans le cadre de l'option e. La vue de dessus du bâtiment du Louvre Abu Dhabi, construit aux Émirats arabes unis de 2006 à 2017, montre une grande coupole que notre esprit lit comme l'affirmation du rassemblement symbolique autour d'elle de tout le bâtiment. Matériellement cependant, une partie des salles échappe à ce rassemblement et déborde plus ou moins de la coupole.
L'aspect matériel décousu, morcelé en petits bâtiments indépendants qui s'éparpillent un peu en tous sens, est très fortement contredit par l'affirmation d'unité et de regroupement collectif produit par la coupole dont l'aspect géométrique très régulier et le caractère très sophistiqué de sa surface signale évidemment une intention spécifique de l'esprit de l'architecte. À la différence de tous les exemples précédents, ici c'est l'intention de l'esprit qui produit un effet d'unité en contredisant l'aspect décousu, morcelé, et finalement multiple de l'organisation matérielle des bâtiments épars regroupés par la coupole. Comme ces exemples précédents toutefois, c'est par un effet d'un multiple que l'intention de l'esprit affirme son autonomie par rapport à la matière en contredisant l'agencement matériel du bâtiment, et comme cette intention de l'esprit vise à défaire la dispersion matérielle qui est faite à cause du morcellement du bâtiment, c'est un effet de fait/défait qui est ici associé à l'effet d'un/multiple.
La piscine « les Bains des Docks » conçue par Jean Nouvel a été construite entre 2004 et 2008 sur les anciens docks de la ville du Havre. Son bassin extérieur est entouré d'un mur continu échancré par de multiples niches aux formes complexes et variées. Cette muraille continue qui entoure le bassin en fait un lieu fermé mais ouvert sur le ciel, et sa paroi opaque est trouée par des niches et même par des fenêtres qui ouvrent sur le ciel.
Matériellement, la masse du bâtiment entourant le bassin se présente comme un simple front plat continu et monocolore, procurant à ce lieu un caractère très rigide et très unitaire. En contraste, on a vu que l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par une multitude des niches complexes et variées creusées dans cette continuité plate. Le caractère unitaire de l'enveloppement matériel du lieu est donc contrarié par l'aspect multiple et varié de ces nombreuses niches, et si l'on dit que la paroi côté bassin fait le continu et l'uniforme, alors on peut dire que ce continu et cet uniforme sont défaits par les trous complexes et variés qui y sont creusés pour répondre à l'intention de captiver l'esprit. Le fait/défait est donc encore ici associé à l'un/multiple, et c'est à nouveau l'intention liée à l'esprit qui compromet l'effet produit par la matérialité du lieu.
Dernier exemple de l'option e, cette fois dans un cas où l'un/multiple est associé au relié/détaché : la tour « Horizons » de Boulogne-Billancourt conçue par Jean Nouvel et construite de 2006 à 2011. Cette tour se divise en trois niveaux superposés d'aspects très différents, le premier étant même désaxé par rapport aux autres.
La masse matérielle du bâtiment nous apparaît comme très unitaire et compacte, formée qu'elle est par la superposition pyramidale de ces trois niveaux peu décalés les uns par rapport aux autres. En contraste, l'intention de l'architecte a été de captiver notre esprit par l'aspect très différent donné à chacun de ces niveaux, rendant ainsi ce bâtiment compact simultanément multiple. Les trois niveaux sont bien reliés entre eux puisqu'ils sont portés les uns par les autres, mais ils sont simultanément détachés les uns des autres par des retraits de façade et par des rideaux de végétaux à l'endroit de chacun de ces retraits : c'est l'effet de relié/détaché qui est associé à l'un/multiple, et c'est encore une fois la disposition adoptée avec l'intention de captiver l'esprit qui compromet l'effet d'unité matérielle et qui, ce faisant, affirme son autonomie par rapport à la notion de matière.
Option M : confrontation en un/multiple de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :
Premier exemple de l'option M qui associe l'un/multiple et le regroupement réussi/raté, la Fondation Cartier pour l'art contemporain a été construite dans le 14e arrondissement de Paris entre 1991 et 1994. La caractéristique de ce bâtiment conçu par Jean Nouvel est que son volume est insaisissable : côté boulevard Raspail, sa façade se décompose en trois grands pans de verre écartés les uns des autres, seul celui du milieu étant partiellement collé au bâtiment proprement dit. Côté arrière, un autre pan de verre, collé à la partie fermée du bâtiment, déborde lui aussi très largement au-delà de sa limite.
L'intention de l'architecte était de constituer matériellement un bâtiment qui ne soit pas défini par une clôture continue mais par une série d'écrans transparents décalés esquissant seulement la présence d'un lieu plus fermé. Traduite par l'organisation matérielle des lieux, cette intention contredit le ressenti usuel de notre esprit pour lequel un bâtiment est fondamentalement un lieu fermé qui délimite un intérieur et un extérieur, et ce faisant l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment fait donc la preuve de l'autonomie qu'elle peut avoir par rapport à l'attente de notre esprit. Notre esprit repère la similitude de toutes ces longues et hautes parois vitrées qui donnent son unité à l'architecture du bâtiment, mais l'intention de l'architecte de ne pas procurer une frontière matérielle continue et bien repérable au bâtiment l'a amené disperser cette frontière sur de multiples pans de clôture vitrés détachés les uns des autres, et c'est donc par un effet d'un/multiple que se manifeste ici le conflit entre la lecture de l'esprit et l'intention concernant l'organisation matérielle du bâti. Tous ces pans de vitrages n'en sont pas moins regroupés pour esquisser la présence d'un même lieu, mais puisque leur regroupement en continuité autour d'un bâtiment clos est raté, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est ici combiné à l'un/multiple.
Sans entrer dans son analyse de détail, on donne un autre exemple dans lequel notre esprit est dérouté par une configuration matérielle. Dans cette fenêtre de l'Hôtel Renaissance conçu pour Barcelone par Jean Nouvel et construit entre 2005 et 2012, ce qui est cette fois mis en défaut c'est l'attente de notre esprit de repérer un cerne continu lisible pour son ouverture dans le mur. La forme très déchiquetée de son contour et le caractère rayonnant de ses profondes découpes empêchent en effet que notre esprit puisse lire un contour quelconque cernant cette fenêtre. Ce faisant, la disposition matérielle correspondant à l'intention de l'architecte donne une autre preuve de son autonomie possible par rapport à l'attente de notre esprit.
Nous revenons à Dominique Perrault pour un autre exemple de la combinaison de l'un/multiple et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M. La paroi extérieure de l'usine Aplix, construite entre 1997 et 1999 au Cellier-sur-Loire près de Nantes, a la particularité d'avoir reçu un bardage plissé en inox poli miroir qui renvoie la vue du paysage environnant. Cette paroi opaque ferme le bâtiment, mais elle semble en même temps transparente du fait de son brillant et de sa propriété de constituer un miroir qui la fait comme disparaître à la vue.
L'intention de l'architecte était de procurer une paroi qui soit comme inexistante en tant que telle alors que notre esprit attend d'une paroi, du moins lorsqu'elle est fermée et non vitrée, qu'elle se caractérise par une présence opaque bouchant la vue. Encore une fois, dans le cadre de l'option M l'intention de l'architecte concernant l'aspect matériel du bâtiment se révèle donc autonome par rapport à l'attente de notre esprit. Le traitement matériel absolument uniforme de la paroi, allié à la forme parallélépipédique très simple du bâtiment, donne à celui-ci une allure très unitaire. En contraste, notre esprit constate la variété des multiples reflets renvoyés par ce rideau d'acier qui change d'aspect dès qu'on se déplace un peu ou lorsque les nuages se déplacent dans le ciel : c'est l'effet d'un/multiple qui régit la relation entre l'intention concernant l'aspect matériel en miroir des façades du bâtiment et la lecture qu'en fait notre esprit. Si le bâtiment a réussi à se regrouper dans une forme simple enfermée dans une paroi conçue de façon uniforme, le perpétuel changement d'aspect du paysage reflété par cette paroi en inox poli fait échouer son regroupement dans un volume à l'aspect permanent et bien fixé : c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à l'effet d'un/multiple.
Jean Nouvel : Musée national du Qatar (2008-2019) Source de l'image : http://www.jeannouvel.com/projets/musee-national-du-qatar/ ou https://www.theplan.it/eng/architecture/national-museum-of-qatar-by-ateliers-jean-nouvel
Pour le Musée national du Qatar, conçu en 2008 et achevé en 2019, Jean Nouvel a utilisé l'analogie formelle de la rose des sables, un clin d'œil au caractère désertique d'une bonne partie de ce pays. Ce musée propose cette fois l'association de l'un/multiple et du fait/défait dans le cadre de l'option M.
L'intention de l'architecte était de procurer un front matériel construit qui ne soit pas perçu comme une paroi continue, mais comme un enchevêtrement de disques indépendants les uns des autres et dont seul le regroupement génère un effet de paroi. Comme à la Fondation Cartier de Paris, cela va à rebours de ce qu'attend notre esprit pour lequel un bâtiment apparaît usuellement cerné par une paroi continue, qu'elle soit ou non complexe dans son apparence et qu'elle soit ou non trouée de portes et de fenêtres. Encore une fois ici, l'intention concernant la mise en forme matérielle de la paroi fait preuve d'autonomie vis-à-vis de l'attente de notre esprit. Bien que le bâtiment soit matériellement décomposé en une multitude de disques bien distincts imbriqués, notre esprit ne peut manquer de repérer que le traitement plastique utilisé pour parvenir à cet aspect fractionné est lui-même uniforme, unitaire, de telle sorte que c'est donc un effet d'un/multiple qui rend compte de la relation entre l'intention matérielle que traduit le caractère fractionné de la paroi, et la lecture qu'en fait notre esprit qui constate l'homogénéité continue de son traitement. S'il résulte de la continuité de son opacité que ce front bâti est matériellement très présent, et donc certainement fait, il est toutefois défait par le manque de continuité entre ses différents plans qui se défont les uns les autres puisqu'ils se pénètrent mutuellement, qu'ils se défoncent mutuellement, et qu'ils se cachent partiellement les uns les autres : c'est le fait/défait qui est combiné avec l'un/multiple.
Pour un second exemple de l'association de l'un/multiple et du fait/défait dans le cadre de l'option M, l'Université féminine Ewha conçue par Dominique Perrault pour Séoul et construite entre 2004 et 2008. Si le musée du Qatar déroutait notre esprit par une paroi spécialement agressive qui ne correspondait pas à l'attente d'un enveloppement continu, à l'inverse notre esprit est ici désarçonné par la dérobade complète du bâtiment. En effet, alors qu'un bâtiment correspond habituellement à un volume plein qui se dresse devant nous, celui-ci prend la forme d'un creux qui le fait disparaître.
L'intention de l'architecte était de proposer un bâtiment dont la matérialité disparaisse, prouvant ainsi qu'une intention matérielle peut être autonome de l'attente de notre esprit pour lequel un bâtiment correspond normalement à une masse matérielle se dressant au-dessus du sol. Fonctionnellement, tous les accès au bâtiment se font par les escaliers qui s'enfoncent dans la faille. Il n'y a pas de doute dans l'esprit des étudiantes comme dans celui de leurs enseignants et enseignantes que l'université forme une unité de vie centrée sur ce canyon qui en distribue les accès et qui procure la lumière naturelle à ses différentes salles. Toutefois, l'intention de renoncer à la présence matérielle d'un bâtiment s'érigeant au-dessus du sol a conduit à séparer l'université en deux unités souterraines complètement disjointes et se faisant face, de telle sorte que la relation entre l'effet d'unité ressenti par l'esprit des utilisateurs du lieu et l'intention matérielle qui s'est traduite par un bâtiment coupé en deux implique un effet d'un/multiple. D'une autre façon, on peut dire que si l'unité de ce bâtiment est bien faite, elle est aussi défaite par la faille qui le coupe en deux : le fait/défait est ici associé à l'un/multiple. Le bâtiment est d'ailleurs d'autant plus défait qu'il semble inexistant, bien qu'il soit là, et donc fait.
Deux exemples d'association de l'un/multiple avec le relié/détaché dans le cadre de l'option M, chacun concernant une nouvelle fois un bâtiment conçu par Dominique Perrault. Le bâtiment du Grand Théâtre d'Albi, construit entre 2009 et 2014, dispose de deux enveloppes extérieures bien distinctes. D'une part il est fait d'une boîte parallélépipédique entièrement recouverte d'un vitrage dans les tons rouges, partiellement opaque et partiellement transparent, d'autre part il est entouré d'une grille métallique tendue à quelque distance de cette boîte. Cette grille n'est pas parallèle aux façades vitrées, elle est décollée du sol pour permettre le passage des personnes, et elle dépasse largement au-dessus de la boîte cubique.
L'intention de l'architecte était de procurer un bâtiment dont l'enveloppe matérielle extérieure soit répartie sur deux parois distinctes qui se complètent autant qu'elles se font concurrence. Cette intention matérielle ne s'accorde pas avec l'attente de notre esprit pour lequel la paroi d'un bâtiment est normalement unique, de la même façon que notre esprit ressent que notre corps est enfermé dans une peau continue et unique. Une nouvelle fois, l'intention correspondant à l'organisation matérielle d'une architecture fait la preuve qu'elle peut être autonome par rapport aux attentes de notre esprit. Puisque notre esprit considère qu'il n'y a là qu'un seul bâtiment mais que celui-ci s'affirme matériellement par la concurrence de deux enveloppes distinctes, cet édifice est à la fois un et multiple, et c'est donc un effet d'un/multiple qui porte la relation entre notre esprit et l'intention relative à l'organisation matérielle de l'architecture. Ces deux parois sont liées l'une à l'autre puisque l'une enveloppe l'autre et que toutes les deux enveloppent le même bâtiment, mais elles sont aussi séparées l'une de l'autre, et donc détachées l'une de l'autre : c'est un effet de relié détaché qui est combiné avec celui d'un/multiple.
Il y aurait beaucoup à dire sur le bâtiment de la BnF conçu par Dominique Perrault et construit dans le 13e arrondissement de Paris entre 1989 et 1995, par exemple que la place que forment, par leur regroupement, ses quatre tours en « livres ouverts », est à la fois fermée et ouverte, et aussi que leur regroupement en paroi continue est à la fois réussi (quant à l'alignement de leurs façades) et raté (du fait des larges trous béants laissés entre elles), mais nous nous concentrerons ici sur la particularité des façades de ces tours qui sont vitrées, et donc transparentes, mais aussi pleines, et donc opaques. En effet, si l'on excepte leurs tranches recouvertes d'un grillage métallique derrière lequel se dissimulent les escaliers, toutes les façades des quatre tours qui s'élèvent au-dessus du socle de la BnF sont entièrement vitrées, tandis que des parois opaques, couleur or, à quelque distance derrière ce vitrage, empêchent complètement la vue de passer. Dans la pratique, la présence de ces panneaux opaques est destinée à protéger du soleil les livres qui sont stockés dans les tours, et ce n'est que dans les pièces servant de bureaux que ce principe est remplacé par des panneaux de même type mais pivotants.
Comme à Albi, l'intention de l'architecte était de procurer un bâtiment dont l'enveloppe matérielle soit répartie sur deux parois distinctes, à la fois séparées et superposées, déconcertant ainsi notre esprit pour lequel une enveloppe est normalement « une » enveloppe, c'est-à-dire une paroi unique et continue, non pas deux parois. D'autant plus si, comme ici, elles font des choses contradictoires puisque l'une fait la transparence quand l'autre fait l'opacité. Une enveloppe matériellement faite de deux parois distinctes mais ressentie par notre esprit comme une seule enveloppe, c'est là un effet d'un/multiple qui rend compte de l'autonomie que s'accorde ici l'organisation matérielle correspondant à l'intention de l'architecte par rapport à l'attente de notre esprit. La séparation de ces deux parois, détachées l'une de l'autre mais reliées entre elles du fait de leur accompagnement parallèle sur toutes leurs surfaces, implique que c'est à nouveau l'effet de relié/détaché qui est associé à l'un/multiple.
Étape D0-42 – Artistes né(e)s entre 1947 et 1966 :
Option e : confrontation en regroupement réussi/raté des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :
Comme exemple de l'association du regroupement réussi/raté avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, la Vitra Haus des architectes suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron (nés en 1950). Il s'agit d'un magasin d'exposition conçu pour la société Vitra, édifié entre 2006 et 2010 à Weil-am-Rhein en Allemagne. Ce bâtiment est constitué d'une série de prismes allongés se recoupant les uns les autres, et les uns partiellement au-dessus des autres.
Ce paquet de prismes entassés fait un effet de masse matérielle globale assez informe et agglutinée de façon très aléatoire, ce qui contraste avec l'intention des architectes qui était de permettre à notre esprit de lire distinctement la forme régulière et bien nette de chacun des prismes qui participent à cet entassement, et cela aussi bien dans leur partie courante qu'à l'endroit de leurs pignons vitrés. Comme le veut l'option e, l'intention de l'esprit des architectes (procurer des formes nettes et régulières à chaque partie du bâti) est ici contredite par la configuration matérielle du bâtiment (un entassement irrégulier et informe), ce qui fait la preuve de l'autonomie possible de l'intention de l'esprit vis-à-vis de ce qui relève de la matière. Pour donner cet aspect informe et irrégulier à la masse matérielle du bâtiment, les différents prismes réussissent à se regrouper en un paquet massif grâce à leurs recoupements mutuels et à l'uniformité de leur teinte sombre. Pour contrecarrer cet effet, l'intention des architectes a été que notre esprit puisse bien repérer que ces prismes ont des directions et des positions relatives très différentes, et donc très autonomes, ce qui fait rater l'indifférenciation informe de leur regroupement : c'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui prend en charge la relation entre la configuration matérielle et l'intention des architectes que repère notre esprit. Si on lit leur regroupement, tous les prismes ne font ensemble qu'un seul et même bâtiment, mais l'autonomie préservée de la disposition de chacun permet aussi qu'on les lise comme de multiples prismes indépendants : c'est un effet d'un/multiple qui est associé à celui de regroupement réussi/raté.
Comme exemple de l'association du regroupement réussi/raté avec le fait/défait dans le cadre de l'option e, l'Ignatius Church de la Seattle University qui a été conçue par l'architecte américain Steven Holl (né en 1947) et terminée en 1997. Nous examinons une partie de sa façade latérale et envisagerons plus loin son ambiance intérieure. Cette façade a matériellement l'aspect d'un assemblage hétéroclite de panneaux préfabriqués en béton. Sur les longueurs où ils ne sont pas jointifs, le vide laissé entre eux est occupé par une fenêtre. L'absence de régularité dans la découpe des liaisons entre panneaux s'accompagne d'une absence de régularité dans la découpe du haut du mur : tantôt horizontale, tantôt oblique, tantôt arrondie, tantôt absente et remplacée par le haut d'une baie, lequel se transforme aussitôt en appui d'une autre baie, lequel est rapidement défoncé par l'échancrure imprévue d'une petite baie verticale qui s'échappe de la précédente. Au total, donc, bien que cette façade soit évidemment faite, notre esprit repère que ses aspects matériels sont comme déstructurés, ce qui correspond à un premier aspect de fait/défait.
Les panneaux en béton et les vitrages sont matériellement rassemblés dans un même plan continu, lequel a donc réussi à regrouper les pleins et les vides dans une même continuité de façade. Par contraste, et comme détaillé précédemment, il apparaît que l'intention de l'architecte a été que notre esprit ne lise pas cette façade comme une façade habituelle, c'est-à-dire une façade pleine percée de fenêtres, mais de le captiver en faisant en sorte qu'il lise que les trous des fenêtres et les panneaux préfabriqués cohabitent dans un même plan sans rien y faire ensemble, qu'ils y soient comme étrangers les uns pour les autres, avec chacun son propre trajet de contour, bref, qu'ils ne soient pas regroupés dans une répartition bien lisible entre contours des panneaux pleins et contours des trous des fenêtres. C'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui régit l'autonomie entre l'effet de surface matérielle et la lecture que fait notre esprit des divisions internes à cette surface telle que l'a voulue l'intention de l'architecte. Lorsqu'on ignore le découpage des panneaux, la continuité de sa surface matérielle est bien faite et les percements des fenêtres jouent très normalement le rôle de trous qui la ponctuent pour faire pénétrer la lumière dans le bâtiment. Par contre, si l'on suit l'intention de l'architecte de proposer à notre esprit une concurrence entre la lecture du découpage des panneaux et la lecture du contour des fenêtres, celles-ci cessent d'être perçues comme des trous aux contours continus percés dans le mur en béton pour ne devenir que des sortes de résidus vides entre panneaux trop écartés entre eux à certains endroits pour y rester continus. La perception des fenêtres comme trous dans le mur ou comme écarts résiduels entre panneaux étant ainsi faites ou défaites selon le mode de lecture adopté, c'est le fait/défait qui est ici associé au regroupement réussi/raté.
En 2015 un nouveau stade a été inauguré à Bordeaux, conçu par les architectes Herzog & De Meuron, il est un exemple de l'association du regroupement réussi/raté avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e. Extérieurement, l'apparence matérielle de ce stade a la forme d'une grande cuvette striée horizontalement et supportée par une forêt de fins poteaux en acier lus par notre esprit « du bout des yeux ». Entre ces poteaux serpentent les hautes surfaces matérielles des coursives, et le tout est uniformément de couleur blanche. La verticalité insistante de cette forêt de poteaux contraste violemment avec l'horizontalité tout autant insistante des bandes en gradins inversés qui sculptent le dessous de la cuvette et qui se poursuivent en symétrique dans les emmarchements d'accès, tandis que la souplesse ondulante des hautes coursives qui se faufilent entre les poteaux fait directement contraste avec le systématisme de la rigidité de ceux-ci.
Le recouvrement de toutes les surfaces par la même couleur blanche fait que le stade apparaît globalement comme une masse matérielle blanche. En contraste avec ce rassemblement réussi de toute la matière dans une même couleur, l'intention des architectes a été de captiver notre esprit en lui permettant de distinguer, à l'intérieur de cette matière blanche, des formes très contrastées et bien séparées visuellement : des lignes horizontales en gradins, une forêt de tracés verticaux, de larges ondulations horizontales. Et puisque la lecture par notre esprit de ces formes contrastées fait rater leur regroupement pourtant réussi en une seule matière blanche, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui régente la relation entre la disposition matérielle de l'architecture et l'autonomie de l'intention relative à sa lecture par notre esprit. Alors que cette matérialité blanche uniforme relie toutes les formes entre elles dans une même continuité blanche, accentuant par cela l'effet des colonnes qui relient réellement le bas et le haut de l'édifice, sa lecture par notre esprit détache visuellement les formes horizontales des formes verticales et des formes ondulantes, chacun de ces registres de formes correspondant lui-même à un ensemble de formes détachées les unes des autres : les poteaux sont franchement détachés les uns des autres, les lignes en gradins se décalent les unes des autres, les avancées des tribunes ondulantes se détachent à distance les unes des autres. Pour toutes ces raisons, c'est le relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.
Autre stade des architectes Herzog & De Meuron, celui des Jeux Olympiques de 2008, couramment dénommé « le nid d'oiseau » du fait de sa ressemblance avec un nid tressé à l'aide de brindilles entrelacées. Il s'agit à nouveau d'une association du regroupement réussi/raté avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e.
Le bâtiment est matériellement enveloppé en continu, mais les architectes ont eu l'intention d'empêcher notre esprit de lire la surface de cette enveloppe et de le captiver en l'obligeant à plutôt y lire un entrelacement de lignes, affirmant ainsi l'autonomie de l'intention concernant la lecture par l'esprit par rapport à la disposition matérielle. Si la paroi extérieure du bâtiment est matériellement regroupée sur une enveloppe continue, ce regroupement est raté puisque notre esprit ne lit que des lignes qui se croisent en partant dans toutes les directions et en laissant entre elles de grandes béances vides, ce qui ne génère aucune continuité, sauf aux furtifs instants de leurs croisements : c'est donc l'effet de regroupement réussi/raté qui régit la relation entre l'effet d'enveloppe matérielle et l'intention des architectes concernant la lecture que pourra en faire notre esprit. Le tressage de cette enveloppe correspond de façon évidente à un effet de relié/détaché puisqu'il est formé des lignes détachées les unes des autres et se reliant entre elles, c'est donc encore le relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.
Option M : confrontation en regroupement réussi/raté de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :
Pour l'association du regroupement réussi/raté et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M, deux exemples d'une disposition similaire, d'abord utilisée par Steven Holl au Bellevue Arts Museum inauguré en 2001 dans la ville de Bellevue (État de Washington, USA), puis par l'architecte française Manuelle Gautrand (née en 1961) à la Cité des Affaires de Saint-Étienne en France, construite entre 2005 et 2011. Dans les deux cas, le matériau utilisé en façade ne se continue pas sur ses retours qui sont traités avec un matériau et un coloris franchement différents de ceux de la façade, ce qui contrarie ainsi la perception de l'enveloppement continu du volume par une même paroi se pliant.
Normalement, notre esprit s'attend à ce que la masse matérielle du bâtiment apparaisse sous la forme d'un volume en trois dimensions lisible en tant que tel, mais ici cette attente est déçue par l'intention de l'architecte d'organiser matériellement le bâtiment comme une combinaison de plans indépendants entre eux. Cela n'empêche pas que le regroupement du volume du bâtiment est bien là, mais la lecture de ce volume est ratée puisqu'il est décomposé en plans d'aspects trop différents pour être lus en continuité : c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui sert ici à affirmer l'autonomie entre l'attente de notre esprit et l'intention de l'architecte concernant l'apparence matérielle du bâtiment, et comme la lecture d'un même et unique volume se fait par le biais de la lecture de multiples plans autonomes, c'est l'un/multiple qui est associé au regroupement réussi/raté.
Autre exemple de l'association du regroupement réussi/raté et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M, l'aménagement des locaux de la firme de trading D.E. Shaw & Co. à New York, en 1992, qui a probablement beaucoup fait pour lancer la carrière de Steven Holl. Le traitement de sa salle d'accueil utilise des effets d'éclairage indirect que nous analyserons davantage dans l'Ignatius Church de Seattle que nous retrouverons plus loin. Ce que nous allons principalement considérer ici est la façon dont ont été traités les angles des pièces. Par différence avec son Bellevue Arts Museum, pour casser la perception du retournement en angle des murs, Steven Holl n'a pas contrasté fortement les deux plans se rencontrant, plus radicalement il a supprimé une partie de la réalité même de l'angle qu'ils forment. On remarquera que ce principe ne vaut pas que pour le coin vertical de la pièce, mais aussi pour la rencontre de chaque mur avec le sol et avec le plafond.
Il y a certainement là une pièce cubique fermée, mais notre esprit est surpris par la disposition matérielle de ses parois qui, conformément à l'intention de l'architecte, ne forment aucun angle continu entre elles ainsi qu'il en va normalement pour les parois d'un volume fermé. Bien que le regroupement des diverses parois entre elles et avec le sol et le plafond génère donc globalement le volume fermé d'une pièce, pour notre esprit ce regroupement est matériellement raté du fait de l'intention de l'architecte de casser les liaisons entre ces diverses surfaces : c'est un effet de regroupement réussi/raté qui sert ici à faire valoir l'autonomie de l'intention concernant l'organisation matérielle du lieu par rapport à l'attente de notre esprit. L'intention de l'architecte de concurrencer la lecture du volume unique de la pièce par la lecture de plusieurs plans autonomes venant seulement buter localement les uns contre les autres correspond à un effet d'un/multiple, lequel est donc associé au regroupement réussi/raté.
Comme exemple de l'association du regroupement réussi/raté et du fait/défait dans le cadre de l'option M, l'extension de 2016 conçue par Herzog & de Meuron de la Tate Modern de Londres, initialement conçue par ces mêmes architectes. Cette extension a la forme d'un bâtiment voilé, tordu, au volume proprement insaisissable, car si c'est avec nos yeux que nous percevons un bâtiment, c'est dans notre corps que notre esprit reconstitue ses formes pour en lire les relations et les continuités ou les discontinuités, et il est impossible, avec un bâtiment ainsi irrégulièrement tordu, de faire entrer dans notre corps la perception de son volume.
L'intention des architectes a donc été de rendre la masse matérielle du bâtiment impossible à saisir par notre esprit. Si nous concevons bien que le bâtiment est matériellement regroupé devant nous, l'impossibilité de saisir son volume dans notre perception fait rater ce regroupement, et puisque son volume peut être à la fois considéré comme fait, à cause de sa présence réelle, et comme défait, à cause de l'impossibilité où nous sommes de vraiment le saisir dans notre perception, c'est le fait/défait qui apparaît associé au regroupement réussi/raté pour rendre compte de l'autonomie que peut avoir l'intention concernant la disposition matérielle d'un lieu par rapport à la possibilité qu'a notre esprit d'en prendre pleinement connaissance.
Pour une autre association du regroupement réussi/raté et du fait/défait dans le cadre de l'option M, encore une œuvre de Steven Holl, le Nelson-Atkins Museum of Art de Kansas City, terminé en 2007 et qui illustre l'emploi très récurrent de parois translucides par cet architecte. Une paroi pleine se rend normalement présente à notre esprit par son opacité, et une paroi vitrée disparaît habituellement à notre vue du fait de sa transparence. Quant à elle, une paroi translucide a la particularité de se rendre physiquement présente bien qu'elle ne soit pas opaque, car si comme une paroi opaque elle ne se laisse pas traverser par la vue, elle se laisse traverser par la lumière. Par nature donc, quand la présence matérielle d'une paroi translucide est faite, y est défaite l'opacité que notre esprit attend normalement d'une paroi qui ne laisse pas passer la vue : c'est un premier effet de fait/défait.
Il y a réellement là une paroi, un mur, un volume fermé, mais l'intention de l'architecte a été de procurer à la matérialité de cette paroi un caractère paradoxalement immatériel, de la faire irradier de lumière plutôt que de la faire marquer une limite, une frontière entre un dedans et un dehors. Bien qu'une paroi soit matériellement regroupée devant nous, qu'elle ferme bien un espace, qu'elle le clôt, pour notre esprit ce regroupement est raté puisque son aspect translucide la rend immatérielle, évanescente, faite de lumière et non de matière. Et puisque la paroi est faite alors qu'elle peut aussi bien être perçue comme une simple présence lumineuse, et donc matériellement défaite, c'est l'effet de fait/défait qui est associé au regroupement réussi/raté pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la propriété matérielle de la paroi vis-à-vis de l'attente de notre esprit lorsqu'il est confronté à une paroi opaque à la vue.
Pour l'association du regroupement réussi/raté et du relié/détaché dans le cadre de l'option M, nous retrouvons l'Ignatius Church de la Seattle University conçue par Steven Holl, cette fois pour la disposition du mur intérieur situé au-dessus de l'autel et qui cache la source de la lumière ambiante.
Alors que pour notre esprit un lieu fermé est normalement le résultat d'un enveloppement continu de parois, éventuellement percées localement par des ouvertures, ici il est dérouté de ne percevoir aucune continuité dans les parois, et dérouté aussi de ne pas parvenir à localiser la position des ouvertures faisant pénétrer la lumière depuis l'extérieur. Évidemment, c'était précisément l'intention de l'architecte que d'empêcher notre esprit de ressentir que la masse matérielle des murs forme un enveloppement continu franchement percé d'ouvertures. Matériellement les parois se regroupent bien pour former ensemble un volume fermé éclairé par la lumière naturelle, mais pour notre esprit ce regroupement est raté puisqu'il constate que ces parois sont détachées les unes des autres et qu'il ne parvient pas à repérer l'endroit où pénètre la lumière naturelle : c'est donc un effet de regroupement réussi/raté qui fait valoir l'autonomie de l'intention d'aménagement matériel conçu par l'architecte par rapport à l'attente de notre esprit. Et puisque c'est en se détachant des murs voisins et du plafond, tout en y restant toutefois quelque peu relié, que l'écran à contre-jour empêche de lire la continuité matérielle des parois et qu'il occasionne un éclairage indirect du lieu, c'est l'effet de relié/détaché qui est associé au regroupement réussi/raté.
Pour finir cette étape, un autre exemple de l'association du regroupement réussi/raté et du relié/détaché dans le cadre de l'option M. À plusieurs occasions les architectes Herzog & de Meuron ont utilisé l'effet de déstabilisation que provoque sur nous la vue d'un bâtiment qui semble tenir en l'air tout seul, c'est-à-dire sans être supporté par le sol, mais la surprise d'un bâtiment qui semble en lévitation au-dessus du sol est tout spécialement forte dans le bâtiment du CaixaForum de Madrid, achevé en 2008. Puisque l'on a déjà introduit cet effet à l'occasion de la dernière étape des arts plastiques, on signale que la déstabilisation que provoque en nous l'absence d'appui du bâtiment sur le sol correspond bien évidemment à l'effet du centre/à la périphérie.
Notre esprit voit bien que le bâtiment ne s'effondre pas, mais il s'étonne de ce comportement étrange de la matière du bâtiment qui flotte en l'air sans appui apparent sur le sol, et c'est précisément ce qu'a voulu l'intention des architectes pour faire valoir l'autonomie possible de l'intention matérielle par rapport à l'attente de notre esprit. Même si nous ne comprenons pas de quelle façon, nous savons bien que la masse du bâtiment se relie au sol d'une façon ou d'une autre pour s'appuyer sur lui, mais l'intention des architectes a été de faire visuellement rater ce regroupement de la matière du bâtiment avec le sol en le détachant apparemment de lui. L'effet de relié/détaché est donc ici étroitement associé à celui de regroupement réussi/raté pour régir la relation entre l'attente de notre esprit et l'intention des architectes concernant le comportement matériel apparent du bâtiment dans son rapport avec le sol sur lequel il s'appuie.
Étape D0-43 – Artistes né(e)s entre 1947 et 1973 :
À cette étape les choses vont devenir un cran plus conflictuelles puisque, en s'associant soit à l'esprit soit à la matière, l'intention ne fera rien de moins que détruire ce que l'autre notion cherchera à faire. C'est en effet le fait/défait qui dominera les relations de la matière ou de l'esprit avec la notion d'intention, celle-ci se caractérisant alors par une « intention de nuire » destinée à prouver qu'il y a autre chose d'engagé dans ces relations que les seules notions de matière et d'esprit.
Comme nous l'avions déjà fait avec Oscar Niemeyer, une seule architecte nous servira à illustrer toutes les options de cette troisième étape, l'irako-britannique Zaha Hadid (1950- 2016).
Option e : confrontation en fait/défait des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et de la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :
Comme exemple de l'association du fait/défait avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, la tour conçue par Zaha Hadid à Marseille, construite entre 2005 et 2010 pour servir de siège social à la compagnie maritime CMA CGM. Elle dispose d'un noyau central au vitrage très sombre, et sur ses angles des bandes de vitrage bleuté nettement plus claires se rapprochent d'abord les unes des autres pour ensuite s'écarter après une inflexion bien marquée.
Globalement, cette tour apparaît massive, bien regroupée, compacte. C'est là l'effet que produit sa masse matérielle. En contraste, l'intention de l'architecte a été d'amener notre esprit à ne pas pouvoir lire commodément cette masse globale en train de monter d'un jet vertical, mais de devoir plutôt lire, à chaque coin de la tour, des lames bleutées écartées les unes des autres et qui montent ensemble pour s'écarter en bouquet. L'unicité massive de la configuration matérielle de la tour est ainsi disloquée, défaite, par la lecture de sa décomposition en plusieurs étroites formes verticales qui s'impose à notre esprit du fait de l'intention de l'architecte : c'est l'effet de fait/défait qui valorise ici l'autonomie de l'intention concernant sa lecture par notre esprit vis-à-vis de la disposition matérielle du bâtiment. Et puisque la lecture de l'unité de la masse de la tour est concurrencée par sa décomposition en multiples lames verticales, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé à celui de fait/défait.
Pour une autre association du fait/défait avec l'un/multiple dans le cadre de l'option e, une autre construction de Zaha Hadid à l'allure massive, très massive même, le bâtiment Pierresvives de Montpellier, construit de 2002 à 2012 et qui sert simultanément d'archives municipales et de médiathèque.
Ce bâtiment s'affirme donc matériellement très massif, voire lourd, pesant, et contredisant cette massivité globale l'intention de l'architecte a été d'obliger notre esprit à lire sa décomposition en une multitude de lanières, tantôt horizontales et tantôt obliques, détachées les unes des autres par des vitrages et semblant ainsi tenir en l'air sans s'appuyer les unes sur les autres, comme si elles étaient soustraites aux effets de la pesanteur. L'effet de massivité pesante de la matière du bâtiment est donc contredit, défait, par le découpage en multiples formes dynamiques et comme en apesanteur qui s'impose à notre esprit pour lire le bâtiment. Et comme cette séparation en multiples lanières dynamiques n'empêche pas de lire quelles sont autant de parties d'un même bâtiment, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé au fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention liée à la lecture par notre esprit vis-à-vis de l'aspect matériel du bâtiment.
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Zaha Hadid : opéra de Guangzhou en Chine Source des images : https://houseextensiondesigns.co.uk/zaha-hadid/ et https://www.designboom.com/architecture/zaha-hadid-architects-guangzhou-opera-house/
Pour l'association du fait/défait avec le regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e, l'opéra de Guangzhou, construit de 2003 à 2010 et toujours conçu par Hadid. On y a affaire à un groupe de bâtiments très compacts et à la surface lisse au point de presque ressembler à des galets. La masse de ces bâtiments semble s'incliner, comme si elle était entraînée à s'effondrer sur le côté, mais on voit bien qu'elle ne s'effondre pas et qu'elle est donc retenue dans son mouvement (nota : l'angle de prise de vue ne permet pas de distinguer cet effet sur la photographie de gauche, mais il est bien visible sur celle de droite).
La surface des bâtiments est regroupée dans une même continuité lisse qui se poursuit même sur le toit qui ne se différencie pas des murs latéraux, ce qui génère une peau matérielle qui enveloppe en continuité l'ensemble du volume de chacun des deux bâtiments, d'où cet effet de gros galet massif et compact que produit leur masse matérielle. En contraste, l'intention de l'architecte a été de forcer notre esprit à lire que cette peau, bien que continue, est divisée en deux matériaux bien tranchés l'un de l'autre, d'une part une peau en céramique recouvrant l'essentiel de la surface, d'autre part une peau vitrée, plus sombre et plus colorée dans la journée, transparente et lumineuse pendant les moments d'éclairage nocturne. Pour notre esprit qui lit cette séparation en deux surfaces très différentes, le regroupement de chacun des bâtiments dans une masse compacte à la surface continue est évidemment raté, et comme cette division en deux aspects très différents défait la continuité des surfaces qui est pourtant matériellement faite, le fait/défait et le regroupement réussi/raté sont ici associés pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture par notre esprit de l'enveloppe du bâtiment vis-à-vis de sa configuration matérielle.
L'architecture du Riverside Museum of Transport de Glasgow, construit de 2004 à 2011, n'est vraiment compréhensible que depuis le ciel. Il est un autre exemple d'association du fait/défait avec le regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e. Vu du ciel donc, le bâtiment apparaît comme un ensemble de plis, eux-mêmes pliés deux fois dans le sens transversal à leur développement. La déformation de ces plis est très irrégulière d'un pli à l'autre et d'un endroit à l'autre d'un même pli : celui le plus à gauche est le plus détendu, par conséquent le plus aplati, tandis que l'avant-dernier sur la droite est le plus resserré, le plus compressé, de telle sorte que son arête supérieure monte plus haut que celle des autres plis.
Matériellement, les plis qui forment la toiture du bâtiment sont stablement regroupés dans une forme immobile d'allure compressée. En leur donnant cette apparence de plis anormalement compressés au point de se déformer mutuellement, certains s'étalant quand d'autres sont excessivement pincés, l'intention de l'architecte a été de défaire visuellement la stabilité matérielle du bâtiment, car puisque ces formes sont comprimées à l'excès, notre esprit peut s'attendre à ce que les plis trop compressés de la partie droite en viennent à s'étaler et à élargir le bâtiment pour atteindre le même degré de détente que les plis de la partie gauche. Ainsi, le regroupement matériel réussi des toitures, immobiles et comme compressées, est défait dans notre esprit par notre impression que l'ensemble des toitures va se détendre au moyen d'un écartement de leurs plis trop resserrés. Regroupement matériel des plis fait et réussi, mais défait et raté dans notre esprit, c'est donc l'effet de regroupement réussi/raté associé à celui de fait/défait qui font valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture du bâtiment que notre esprit sera conduit à faire par rapport à sa disposition matérielle.
On passe à l'association du fait/défait avec le relié/détaché dans le cadre de l'option e. Le Wangjing Soho de Beijing est un ensemble de bureaux divisé en trois grands ensembles que l'on pourrait prendre pour des galets plats coupés en deux et installés verticalement sur la tranche de cette coupure. Cet ensemble a été construit de 2009 à 2014. Ses surfaces sont striées par des bandes horizontales blanches dont la hauteur varie beaucoup d'un endroit à l'autre de leur longueur, au point parfois de se réduire à une très fine ligne.
La forme en galet de la masse matérielle de chacun des bâtiments est compacte et très simple. L'intention de l'architecte a été de gêner la lecture de cette simplicité et de captiver notre esprit en le forçant à lire une grande multitude de bandes horizontales aux hauteurs toujours changeantes. La lecture de la simplicité de la forme de chaque bâtiment étant défaite par ce striage de sa surface, et ces striures n'étant rien d'autre que des bandes détachées les unes des autres qui relient en continu tout son périmètre, c'est l'effet de relié/détaché qui est associé à celui de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la lecture de la surface des bâtiments que notre esprit sera conduit à faire par rapport à la configuration matérielle de leur forme.
Autre exemple de l'association du fait/défait et du relié/détaché dans le cadre de l'option e, l'Al Janoub Stadium, à Al-Wakrah au Quatar, conçu par Zaha Hadid en 2015 et inauguré en 2019. La peau matérielle de ce stade est entièrement découpée en lamelles visuellement détachées les unes des autres que notre esprit peut suivre des yeux et qui relient toute la surface. Cette peau, légèrement translucide qui relie donc en continu toute la surface du volume, notre esprit constate qu'elle se déchire dans la partie centrale amovible du toit où elle se détache franchement en deux moitiés. Ce sont là deux effets de relié/détaché.
Globalement, ce stade dispose d'une enveloppe matérielle continue de forme assez simple. L'intention de l'architecte a été de contrarier cette simplicité en empêchant notre esprit de la lire commodément, et de le captiver en le forçant plutôt à lire sa décomposition en multiples bandes et lanières très hétérogènes entre elles, une hétérogénéité qui est obtenue par l'affirmation de renflements collectifs regroupant chacun des lamelles bien détachées les unes des autres dans leur partie centrale et liés entre elles à leurs extrémités. À grande échelle, notre esprit repère que ces divers renflements se font et se défont, et aussi qu'ils se détachent l'un de l'autre par leurs décalages mais tout en restant reliés l'un à l'autre par de larges bandes ondulantes. Puisque ce sont des effets de relié/détaché et de fait/défait qui forcent notre esprit à lire que cet enveloppement recèle une forte complexité dynamique, c'est leur association qui fait valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la complexité de la lecture à laquelle notre esprit sera conduit par rapport à la simplicité de la forme matérielle d'ensemble du bâtiment.
Option M : confrontation en fait/défait de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :
Le projet de 2007 conçus par Zaha Hadid pour le Performing Arts Center d'Abu Dhabi ne sera peut-être jamais construit, mais peu importe. Il correspond à l'association du fait/défait et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M.
On s'intéressera à sa façade d'extrémité qui comporte deux niveaux principaux reliés par des diagonales et subdivisés par un réseau de branches obliques, un réseau lui-même subdivisé par les branches d'un réseau de plus petite échelle, ce qui implique donc trois échelles superposées de réseaux ramifiés dont notre esprit peut suivre des yeux les parcours hiérarchiques et les multiples embranchements, mais ce sont toutefois les vitrages translucides qui s'intercalent entre les réseaux les plus fins qui forment la véritable paroi matérielle du bâtiment. Pour notre esprit, il y a évidemment là une paroi qui est faite, d'autant qu'elle se manifeste sur ses deux niveaux par la présence d'une surface vitrée translucide, mais l'intention de l'architecte a été de défaire la présence de cette surface en forçant notre esprit à plutôt y lire un réseau hiérarchique de nervures qui se lisent du bout des yeux comme autant de lignes la traversant, le plus souvent en biais. Une seule surface que notre esprit est obligé de lire comme trois réseaux linéaires d'échelles différentes, c'est donc l'effet d'un/multiple qui est associé au fait/défait, et ensemble ils font valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant l'organisation matérielle de la façade en réseaux linéaires hiérarchiques par rapport à l'attente de notre esprit de plutôt percevoir une paroi affirmée en tant que surface.
Autre exemple de l'association du fait/défait et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M, le Galaxy Soho construit à Beijing de 2009 à 2012. Par différence au Wangjing Soho de Beijing analysé précédemment, il n'est pas seulement un ensemble de bureaux mais contient aussi des galeries commerciales et des équipements de loisirs. L'originalité de sa disposition tient à sa distribution en divers plots matériellement indépendants plus ou moins arrondis qui, de place en place, sont énergiquement et souplement reliés entre eux par des bandes d'étages dont les allèges, que notre esprit suit des yeux, poursuivent en continu les allèges horizontales qui cernent ces divers plots. Ces bandes lancées entre les immeubles les relient, mais en dehors de ces liaisons ils restent détachés les uns des autres.
À cause de leur dynamisme qui se singularise de façon expressive, les passerelles reliant les divers immeubles captivent notre esprit. L'intention de l'architecte a été de contrarier notre perception de la continuité qu'elles suggèrent en faisant en sorte que la masse matérielle de chacun des bâtiments apparaisse malgré tout autonome et s'érigeant isolément dans l'espace. L'effet de masse autonome produit par chacun des plots arrondis défait ainsi la continuité que s'attend à lire notre esprit du fait des liaisons existant entre les bâtiments, et quand notre esprit croit comprendre que les bâtiments sont regroupés dans une même continuité, la vision de leurs masses matérielles autonomes fait rater l'efficacité de ce regroupement visuel qui reste limité à quelques liaisons ponctuelles. L'effet de regroupement réussi/raté s'associe donc ici à l'effet de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte, laquelle morcelle l'organisation matérielle afin de décevoir la lecture des continuités attendue par notre esprit.
Dernier exemple de l'association du fait/défait et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M, l'Heydar Aliyev Center de Baku, en Azerbaijan, édifié entre 2007 et 2012.
Le grand enveloppement blanc du bâtiment démarre sur le sol extérieur et se poursuit en continuité sur ses côtés et sur sa couverture, regroupant ainsi la totalité de son volume. L'intention de l'architecte a été de contrarier l'enveloppement complet du volume auquel s'attend notre esprit par la présence d'ouïes latérales qui déchirent sa surface, d'une grande brèche qui sépare le massif principal de la façade de l'enveloppement situé derrière lui, et aussi par l'absence de retournement de l'enveloppe en façade qui fait que l'intérieur du bâtiment y est complètement ouvert sur l'extérieur par des vitrages. Le regroupement du bâtiment dans un même enveloppement continu qui se prolonge jusque très loin au sol est ainsi à la fois globalement fait, réussi, et localement raté, donc défait : le regroupement réussi/raté est associé au fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte d'organiser matériellement des ratages locaux de l'enveloppement continu auquel s'attend notre esprit.
Pour terminer cette étape consacrée à Zaha Hadid, une association du fait/défait et du relié/détaché dans le cadre de l'option M, le bâtiment de la gare routière et terminus d'Hoenheim du tramway de Strasbourg (1998-2001). Matériellement il se présente comme une dalle de toiture horizontale qui, sur l'un de ses côtés, s'incline puis vient tangenter le sol. Sur l'essentiel de sa surface cette dalle est détachée du sol, elle s'y relie par des poteaux plus ou moins inclinés que notre esprit peut suivre des yeux, soit isolément, soit par groupes. C'est là un premier effet de relié/détaché.
L'intention de l'architecte a été de nous donner l'impression que la matière du bâtiment s'effondre alors que tout naturellement notre esprit s'attend à ce qu'un bâtiment nous protège et qu'il tienne stablement debout. Puisque la matière de ce bâtiment semble se ruiner, se défaire devant nous, et comme cette impression provient de l'affaissement apparent des poteaux qui relient le sol à la dalle du plafond qui en est détachée, c'est l'effet de relié/détaché qui est ici associé à l'effet de fait/défait pour faire valoir l'autonomie de l'intention de l'architecte concernant la disposition matérielle des lieux par rapport à l'attente de notre esprit.
Étape D0-44 – Artistes né(e)s entre 1953 et 1974 :
Dans cette quatrième étape, après le fait/défait, associée tour à tour à l'esprit puis à la matière, et pour faire valoir son incompatibilité avec chacune de ces notions, l'intention va désormais s'emparer de l'effet plastique le plus énergétique, le relié/détaché. Puisque dans les arts plastiques on a affaire à une mise en scène quelque peu à l'écart du réel il est possible d'y prendre de la distance par rapport à ce qui y est figuré ou réalisé, c'est-à-dire de s'en détacher comme on l'a vu dans les expressions plastiques caractéristiques de cette étape. Dans l'architecture en revanche, on est complètement immergé dans la matière réelle et, comme il n'y a donc pas de possibilité de se détacher de la réalité d'une œuvre architecturale construite, c'est seulement par les effets de relié/détaché de l'architecture elle-même que l'effet de détachement peut s'y manifester.
En introduction au chapitre consacré aux arts plastiques de la même étape, il a été expliqué pourquoi la notion d'intention y saturait, selon l'option, la notion de matière ou la notion d'esprit. Il est renvoyé à cette introduction car on verra que ce principe fonctionne aussi pour l'architecture.
Option e : confrontation en relié/détaché des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :
Nous commençons par l'association du relié/détaché et de l'un/multiple dans le cadre de l'option e. Les deux architectes néerlandais Willem Jan Neutelings (né en 1959) et Michiel Riedijk (né en 1964) exercent dans le cadre de la société « Neutelings Riedijk Architects ». En 2003, ils ont livré un ensemble de bâtiments de logements identiques, qu'ils ont dénommé « Les Sphinx », sur le bord du lac Gooi à Huize, en Hollande. Chacun de ces blocs, bien que matériellement compact, se décompose en un socle et une « tête » qui forme une partie clairement distincte du fait de sa teinte plus sombre, de ses grandes surfaces vitrées et de son avancée en porte-à-faux enfoncée comme un coin dans ce socle. Chaque bloc de logement correspond donc à une unité matérielle compacte faite de deux parties que notre esprit repère bien distinctement l'une de l'autre, c'est là un premier effet d'un/multiple.
Chacun des blocs est détaché de la rive du lac, et il s'enfonce loin dans l'étendue lacustre tout en restant relié à la rive par une passerelle. Ces cinq blocs sont bien séparés les uns des autres, et donc bien détachés les uns des autres, mais un très strict alignement les relie. Ce sont là deux effets de relié/détaché et, puisque ces blocs reliés/détachés répètent à de multiples exemplaires une seule et même forme, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé à celui de relié/détaché. Un parfait alignement visuel relie à intervalles parfaitement réguliers les différents blocs détachés les uns des autres, et chaque fois répétés de façon absolument identique, ce qui signe l'organisation de la matière de cette architecture par un esprit humain. C'était évidemment l'intention des architectes que de faire en sorte que toute la matière de leur architecture soit soumise à cette répétition identique caractéristique d'un esprit humain et qui captive notre esprit, cela afin d'affirmer la capacité autonome de l'esprit humain de saturer l'apparence matérielle de ce groupe de bâtiments.
Autre association du relié/détaché et de l'un/multiple dans le cadre de l'option e. Aires Mateus est une agence d'architecture fondée par deux frères portugais, Manuel Rocha Mateus (né en 1963) et Francisco Xavier Mateus (né en 1964). En 2010, ils ont livré une maison de retraite à Alcacer do Sal, au Portugal, formée par une alternance très stricte et très nette de formes cubiques pleines et de creux parallélépipédiques laissés entre ces pleins. Les façades de ce bâtiment se présentent comme un front matériel continu unifié, et notre esprit repère bien qu'il est divisé en multiples plots cubiques selon une géométrie de découpe régulière. C'est là un premier effet d'un/multiple.
Une telle régularité et un tel systématisme dans l'alternance ne peuvent résulter que de l'intention des architectes de complètement saturer l'apparence matérielle du bâtiment par une géométrisation absolue qui ne peut résulter que d'un esprit humain. Bien que distincts et séparés visuellement les uns des autres, les plots aveugles se relient au minimum par leurs angles, quelquefois par une partie de leurs arêtes, très souvent par leur sous-face oblique qui vient se raccorder avec le retour latéral des plots du dessous, ce qui les fait donc à la fois détachés les uns des autres et reliés les uns aux autres. L'effet de saturation visuelle étant obtenu par la multitude des répétitions d'un même principe de plot cubique raccordé à ses angles aux plots de son voisinage, c'est l'un/multiple qui est ici associé au relié/détaché pour faire valoir la capacité autonome de l'esprit humain d'imposer sa géométrie à la matière d'une architecture.
Pour un exemple de l'association du relié/détaché et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e, à nouveau les architectes d'Aires Mateus avec le bâtiment du siège social de la société EDP à Lisbonne, livré en 2015. L'aspect des façades est complètement conditionné par la présence de brise-soleil verticaux, orientés en biais par rapport au plan de la façade et dont la profondeur varie de façon importante. Les lames ayant même profondeur sont regroupées par grands panneaux qui se repèrent à la présence plus ou moins visible des vitrages à leur endroit, et grâce aux ombres plus ou moins profondes générées par la réflexion du soleil. L'uniformité du traitement matériel de la surface par ce système de lames verticales lui donne son unité, mais notre esprit repère les différences de profondeur des lames qui la divisent en multiples rectangles : c'est un effet d'un/multiple qui rend compte de la relation matière/esprit, un effet que l'on retrouve aussi dans la division de la surface matérielle en multiples lames verticales qui rayent uniformément la surface et que notre esprit peut suivre des yeux, soit individuellement, soit en groupe.
Cet effet de rayure est produit par la stricte rectitude et la stricte régularité des lames brise-soleil, des caractéristiques signalant l'intervention ici d'un esprit humain, et cet effet de rayure sature l'expression de la façade et ne laisse à notre esprit rien d'autre à examiner. C'était évidemment l'intention des architectes que de saturer l'apparence matérielle des façades du bâtiment par un système de rayures régulières caractéristique d'une intervention de l'esprit humain, de façon à affirmer sa capacité autonome à imposer la marque de l'esprit à la matière. Les lames relient toute la surface par des rayures détachées les unes des autres, et par ailleurs les panneaux de diverses profondeurs qui se dessinent sur la surface se détachent visuellement les uns des autres, soit horizontalement, soit verticalement, reliés les uns aux autres par la continuité des lames, même à l'endroit de leur changement de profondeur. Ce sont là autant d'effets de relié/détaché et, comme toute la surface est regroupée dans cet effet de rayure mais que ce regroupement est raté pour ce qui concerne la profondeur des lames, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est ici associé au relié/détaché pour saturer l'apparence de la matière par un effet de rayure.
Toujours pour l'association du relié/détaché et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option e, deux bâtiments d'habitation conçus par des architectes français. L'un est l'immeuble de la rue de Pelleport à Paris conçu par Frédéric Borel (né en 1958) et construit entre 1996 et 2000, l'autre est un immeuble livré en 2014 dans la ZAC du Coteau à Arcueil par les architectes Emmanuel Combarel (né en 1961) et Dominique Marrec (née en 1957), associés au sein de l'agence ECDM Architectes. Ces exemples utilisent des effets de bandes, verticales dans le cas du bâtiment de Borel, horizontales dans l'autre. La masse matérielle de l'immeuble de Frédéric Borel se présente comme une grappe de formes plus ou moins plates, plus ou moins verticales, plus ou moins anguleuses, plus ou moins pliées et plus ou moins perpendiculaires à la rue. Comme notre esprit peut distinguer séparément les multiples lames qui s'assemblent en ce grand bouquet unitaire, nous avons affaire à un effet d'un/multiple. Dans l'immeuble d'ECDM, les multiples bandes de balcons ondulent de façon chaque fois différente et elles s'additionnent dans un effet de superposition très unitaire du fait de l'homologie de leurs formes. Là aussi, cela correspond à un effet d'un/multiple. Comme dans l'immeuble de Frédéric Borel, le volume matériel du bâtiment n'est pas perceptible de façon claire et bien affirmée, il est seulement suggéré par le rassemblement des multiples effets linaires que notre esprit lit comme du bout des yeux.
L'effet plastique produit par les voiles porteurs en bouquet ou par les bandes de balcons ondulantes conditionne et sature l'expression des façades. Si l'on excepte l'espèce de volume en guérite à gauche de l'immeuble de la rue de Pelleport, rien d'autre n'est laissé à l'attention de notre esprit, ce qui correspond évidemment à l'intention des architectes. Dans le cas de l'immeuble de Frédéric Borel, les lames en béton détachées les unes des autres relient de bas en haut la façade, et dans le cas de l'immeuble d'ECDM les balcons filants sont visuellement bien détachés les uns des autres et chacun relie tout le périmètre du bâtiment. Dans les deux cas, les formes se regroupent en paquet de formes similaires, mais leur regroupement en paquet de formes identiques est raté du fait de leurs différences, très fortes dans le premier cas mais bien visibles aussi dans le second car les ondulations se modifient nettement d'un étage à l'autre. Dans les deux cas donc, un effet de regroupement réussi/raté est associé à celui de relié/détaché, cela pour saturer l'apparence matérielle de l'immeuble de trajets suivis des yeux par notre esprit comme l'a voulu l'intention des architectes.
Pour finir, un exemple de l'association du relié/détaché et du fait/défait dans le cadre de l'option e, un autre bâtiment de Frédéric Borel, construit entre 2007 et 2014 à Rouen dans l'îlot Huysmans du quartier du Châtelet. Cet immeuble superpose plusieurs registres de formes très différentes. D'abord, une fine lame horizontale qui se rehausse localement pour servir d'entrée à l'immeuble, puis un niveau dans lequel se distinguent des poteaux gris foncé, puis un bloc de quatre niveaux qui renouent avec l'horizontalité par l'effet de ses planchers mais qui font ensemble un effet de damier par le décalage irrégulier de leurs panneaux, puis enfin un dernier niveau dans lequel domine la verticalité.
L'apparence de ce bâtiment est complètement conditionnée, saturée, par cette lutte entre des registres de formes très différents les uns des autres, concurrents entre eux, voire contradictoires, puisque l'horizontalité des niveaux médians est contredite par la verticalité des autres niveaux. C'était bien sûr l'intention de l'architecte que notre esprit ne puisse échapper à ces conflits visuels qui correspondent tous à des effets de relié/détaché : la lame horizontale du bas relie le pourtour du bâtiment, elle se détache visuellement et elle se détache même du sol à l'endroit de l'entrée ; les horizontales des dalles de plancher relient tout le périmètre du bâtiment en s'arrondissant à leurs angles, et elles sont détachées les unes des autres ; les blocs maçonnés parallélépipédiques qui s'intercalent entre ces dalles y sont nécessairement reliés, et ils sont également reliés les uns aux autres par l'effet de damier irrégulier qu'ils font ensemble, cela tout en étant bien détachés visuellement les uns des autres ; les hautes formes verticales du niveau supérieur se relient ensemble par leur participation à un même groupe compact de formes similaires, cela aussi tout en étant bien détachées les unes des autres. Comme on l'a déjà dit, ces divers registres de formes se combattent mutuellement : l'horizontalité faite par la fine lame inférieure est aussitôt défaite par la plus ou moins grande verticalité des poteaux gris qui en sortent, une verticalité qui est elle-même défaite par l'horizontalité affirmée des dalles de plancher du massif médian, lequel effet de lignes horizontales est simultanément défait par l'effet de surface en damier irrégulier des blocs maçonnés encastrés entre elles, et cet effet d'horizontales est également défait par la verticalité prononcée des formes de la toiture. C'est donc le fait/défait qui est ici associé au relié/détaché pour affirmer la capacité autonome de l'intention de l'architecte de saturer l'apparence matérielle de son bâtiment par des jeux de formes qui captivent l'esprit et qui sont basés sur des effets de contraste et de fragmentation qui sont spécialement lus par l'esprit.
Option M : confrontation en relié/détaché de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :
Kengo Kuma & Associates : Musée de Xinjin Zhi (vue d'ensemble et détail de la façade de deux corps de bâtiments)
Source des images : https://www.archdaily.com/220685/xinjin-zhi-museum-kengo-kuma-associates
Comme exemple de l'association du relié/détaché et de l'un/multiple dans le cadre de l'option M, le musée de Xinjin Zhi, dans le Hunan en Chine, terminé en 2011 et conçu par l'architecte japonais Kengo Kuma (né en 1954). Les façades de ses divers corps de bâtiments sont revêtues de tuiles arrondies en terre cuite suspendues à des câbles en acier, créant des rideaux ajourés dans lesquels les tuiles sont espacées en largeur et décalées en hauteur.
Comme le même effet de rideau est répété sur de multiples façades, l'intention de l'architecte a été de saturer complètement l'apparence matérielle du bâtiment par ce rideau de tuiles fortement écartées les unes des autres qui se substitue à la présence de la paroi matérielle continue et stable à laquelle s'attend notre esprit. Ces tuiles sont matériellement reliées du sol au plafond par des câbles, et elles se relient visuellement par leur commune participation à l'effet de rideau, et comme elles sont également détachées les unes des autres, car écartées les unes des autres, elles produisent ensemble un effet de relié/détaché. Comme c'est un même modèle de tuiles qui est répété une multitude de fois, c'est l'effet d'un/multiple qui est associé au relié/détaché pour saturer l'apparence des façades, cela afin de faire la preuve que l'intention concernant la mise en œuvre matérielle de tuiles très écartées les unes des autres peut produire une façade d'aspect très autonome de ce qu'attend normalement notre esprit en pareille circonstance.
Pour l'association du relié/détaché et du regroupement réussi/raté dans le cadre de l'option M, nous retrouvons Neutelings Riedijk Architects avec le musée MAS (Museum aan de Stroom, soit Musée sur le cours d'eau), construit au bord d'un bassin de l'ancien port d'Anvers et inauguré en 2011.
La particularité la plus spectaculaire de ce bâtiment est certainement que des niveaux ayant l'aspect de blocs très pesants semblent flotter en l'air, n'étant apparemment soutenus que par des vitrages ondulés trop fragiles pour cela. Cette disposition apparemment contraire aux propriétés de la matière résulte de l'intention des architectes de surprendre notre esprit en donnant l'impression que les lois de la pesanteur sont ici déjouées. L'apparence du bâtiment est complètement soumise à cette impression qui s'impose à notre esprit et qui sature notre perception puisque aucune autre expression de sa matière n'a assez de force pour la faire oublier. Les trois grands blocs rougeâtres qui se succèdent verticalement sont reliés les uns aux autres par leur participation à une même tour parallélépipédique, et simultanément ils sont complètement détachés les uns des autres par les niveaux vitrés qui les séparent. Ce que l'on peut également décrire en disant que ces trois blocs réussissent à se regrouper visuellement en forme de tour mais que les écarts vitrés qui les séparent les empêchent de se regrouper de façon continue : l'effet de regroupement réussi/raté s'associe donc au relié/détaché pour provoquer cet effet surprenant de matière qui semble flotter en l'air, un effet qui fait ainsi la preuve que l'intention concernant l'organisation matérielle du bâtiment peut être très autonome de ce que notre esprit croit possible.
Pour un exemple de l'association du relié/détaché et du fait/défait dans le cadre de l'option M, une maison d'habitation construite entre 2000 et 2007 dans le paysage rural du Vall de Bianya, dans la région de Gérone en Espagne. On la doit à RCR Arquitectes, un collectif d'architectes catalans créé par Rafael Aranda, Carme Pigem et Ramon Vilalta (nés de 1960 à 1962). Caché derrière le haut de son talus un cheminement semi-enterré relie toutes les parties de cette habitation, mais notre esprit ne le perçoit pas et il est dérouté par ce qui ne semble de prime abord qu'une collection de corps de bâtiment matériellement autonomes, tous réalisés en acier Corten.
L'intention des architectes a été bien évidemment de procurer un maximum d'indépendance matérielle aux différents volumes de cette habitation, cela afin de déjouer notre esprit qui ne s'attend pas à ce que des volumes aussi isolés les uns des autres forment ensemble un même bâtiment continu, une affirmation de l'indépendance de volumes semblables qui domine notre lecture au point de la saturer. Tous ces volumes parallélépipédiques verticaux en acier Corten sont visuellement détachés les uns des autres, ils sont aussi reliés les uns aux autres par leur participation à un même alignement, et tous reliés aussi au même talus végétal duquel ils émergent. Bien que d'un point de vue fonctionnel la continuité du volume de cette habitation soit faite grâce au cheminement caché derrière le haut du talus, visuellement elle est complètement défaite : c'est donc l'effet de fait/défait qui est ici associé au relié/détaché pour correspondre à l'intention des architectes, une intention qui est ici de déjouer la continuité attendue par notre esprit et qui affirme l'autonomie possible de l'intention concernant l'organisation matérielle du bâtiment par rapport à l'attente de notre esprit.
Dernier exemple d'association du relié/détaché et du fait/défait dans le cadre de l'option M, un autre immeuble de logements conçu par l'architecte Frédéric Borel, construit dans la ville française de Béthune de 2007 à 2011.
Un peu comme il en allait du MAS de Neutelings et Riedijk, le caractère surprenant de ce bâtiment est la façon dont ses dispositions semblent ignorer superbement la logique constructive : il est coupé en deux dans le sens vertical, sa moitié haute flottant en l'air au-dessus d'une bande en zigzag qui ne sert visiblement à rien mais qui est toutefois soutenue par de hautes quilles alors que les volumes habités au-dessus et au-dessous ne disposent d'aucun soutien apparent. Manifestement, l'intention de l'architecte a été de surprendre notre esprit en faisant en sorte que toute la matérialité du bâtiment soit dominée, saturée, par la négation de la logique constructive qui veut qu'un bâtiment repose sur le sol et ne flotte pas en air, et aussi par la négation de la logique fonctionnelle qui veut qu'on ne donne pas une importance essentielle à des éléments qui ne servent à rien, tel qu'il en va pour la bande en zigzag.
Les formes du bâtiment sont reliées/détachées de plusieurs façons : les deux parallélépipèdes qui forment l'angle du premier plan ont leurs faces qui se prolongent et sont donc reliés l'un à l'autre par leur participation à un même volume parallélépipédique, mais ils sont aussi bien détachés l'un de l'autre par les vitrages qui les séparent et par le passage de la bande zigzagante, et la même chose vaut pour les volumes situés en arrière-plan du même côté du bâtiment ; les parallélépipèdes de la partie haute forment des lames qui sont écartées les unes des autres, détachées les unes des autres, ce qui permet à leurs parties supérieures de se poursuivre en escalier de plus en plus haut, mais elles sont toutefois reliées l'une à l'autre par des bandes de plancher, et toutes tracent des verticales qui relient le bas de leur groupe au ciel. Comme l'effet massif des épais volumes verticaux est défait par la finesse des quilles plus ou moins verticales de la partie basse, et puisque la logique verticale prédominante de ces deux registres est défaite par le zigzag horizontal et oblique de la bande qui les sépare, c'est l'effet de fait/défait qui est ici associé à celui de relié/détaché pour affirmer que l'intention concernant l'organisation matérielle du bâtiment peut être très autonome de ce notre esprit considère comme une logique constructive normale et adaptée à l'effet de la pesanteur.
Étape A1-10 – Artistes né(e)s entre 1954 et 1979 :
Comme à l'étape précédente, la notion d'intention va utiliser l'effet de relié/détaché pour faire valoir son incompatibilité avec les notions d'esprit et de matière en s'associant tour à tour avec l'une ou l'autre de ces deux notions. L'approfondissement de cette incompatibilité impliquera que la notion en situation infériorisée sera tellement dégradée que son expression sera maintenant visiblement détachée de son comportement normal, ce qui n'empêchera toutefois pas, comme à l'étape précédente, que l'effet de relié/détaché se manifeste aussi à travers ses effets plastiques produits par les formes de l'architecture.
Puisque, comme pour les arts plastiques, l'architecture de cette étape voit la notion d'intention se montrer totalement incompatible avec celle d'esprit ou de matière, on aura affaire à des dispositions parfois extrêmes. Lorsque l'intention s'associera à la notion d'esprit pour montrer l'incohérence qui en résulte pour la matière de l'architecture, il faudra même parfois s'attendre à des dispositions à la limite du constructible ou de l'habitable.
Option e : confrontation en relié/détaché des intentions voulues par l'architecte pour captiver l'esprit et la disposition matérielle de son architecture, cela afin de révéler l'autonomie des intentions liées à l'esprit par rapport à la notion de matière :
Édouard François : réfection des façades de l'Hôtel Fouquet's Barrière à Paris (2003-2006) - Photographies de l'auteur
Exemple de l'option e dans laquelle le relié/détaché est associé au regroupement réussi/raté, la rénovation complète de la façade de l'Hôtel Fouquet's Barrière à Paris, près des Champs-Élysées, conçue par l'architecte français Édouard François (né en 1958). Elle est un excellent exemple de la façon dont une intention propre à l'esprit peut rendre complètement caduque la cohérence constructive de la matière de l'architecture. Cette façade a été obtenue en moulant en béton la façade d'un bâtiment de type haussmannien, de telle sorte que toutes les épaisseurs ont été écrasées, les baies de l'immeuble bouchées, et la transparence des gardes corps en métal remplacée par des reliefs opaques. Par ailleurs, des baies rectangulaires ont été percées sans aucun respect, au rez-de-chaussée de la position des poteaux supposés porteurs de la façade en pierre telle que reconstituée, en étage de la position des parties pleines, des encadrements supposés porteurs, des corniches et des gardes corps, au niveau du comble de la position des lucarnes qui se trouvent ainsi entaillées sans scrupule.
L'intention de l'architecte de reproduire en béton une façade haussmannienne s'est donc accompagnée de l'intention de réduire à néant la logique de la construction matérielle d'une telle façade : les ouvertures ne correspondent pas à la position des fenêtres, les jours normalement laissés entre les fers des gardes corps sont bouchés, les parties porteuses sont coupées sans aucun respect pour la transmission du poids du bâtiment d'un étage à l'autre, les lucarnes sont coupées sans aucun respect pour leur logique constructive. À cette étape par conséquent, lorsque l'intention de l'architecte est de capter l'intérêt de notre esprit, cela implique qu'il réduise à néant la cohérence de la matière, de son apparence et de ses nécessités intrinsèques. On est encore dans le cycle matière/esprit puisque ces deux notions sont encore en jeu et en relation, mais on est bien à sa dernière étape, celle où l'association de la notion d'intention avec la volonté de l'esprit provoque suffisamment d'incohérence dans l'organisation et le comportement de la matière pour que l'intention soit désormais reconnue comme une notion bien distincte de celle de matière. Principalement, c'est la position anormale des baies ouvrantes en relief qui crée l'anomalie de cette façade puisqu'elle ne respecte pas la position des fenêtres, des planchers et des autres parties porteuses telle qu'indiquée par la modénature moulée en béton. Ces baies vitrées incrustées dans la façade en béton y sont nécessairement reliées, mais elles s'en détachent visuellement de façon très forte : c'est un effet de relié/détaché. Par ailleurs, l'ensemble de la façade est regroupé en une continuité très compacte malgré ses anomalies, mais comme celles-ci font rater le regroupement cohérent de ses parties pleines et de ses ouvertures, c'est l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à celui de relié/détaché pour faire valoir l'autonomie de l'intention voulue par l'esprit de l'architecte par rapport à la matérialité suggérée de son bâtiment.
Diller Scofidio + Renfro : « Blur Building » à l'expo 2002 sur le lac de Neuchâtel en Suisse
Source de l'image : https://www.archdaily.com.br/br/796383/quando-gotas-criam-espacos-um-olhar-sobre-arquitetura-liquida/57daa0b3e58ece9bdd000020-when-droplets-create-space-a-look-at-liquid-architecture-photo
Autre exemple de l'option e dans laquelle le relié/détaché est associé au regroupement réussi/raté. Plus haut, on a dit qu'il fallait s'attendre à des dispositions parfois à la limite de l'habitable. C'est précisément le cas de ce pavillon d’exposition construit pour l’expo 2002 sur le lac de Neuchâtel à Yverdon-les-Bains en Suisse. Certes, en tant que pavillon d'exposition il n'a pas pour fonction d'être habitable, mais il est tellement peu confortable qu'il faut s'équiper d'un imperméable pour le visiter. Ce « Blur Building » a été conçu par les architectes américains du cabinet Diller Scofidio + Renfro (Élisabeth Diller, d'origine polonaise, est née en 1954, Ricardo Scofidio est né en 1935, Charles Renfro est né en 1964). Blur Building, cela veut dire « bâtiment flou, brouillé », et c'est exactement ce dont il s'agit. Dans l'exemple précédent on a vu que l'intention liée à l'esprit pouvait nier la logique constructive de la matière, ici elle en vient même à nier la consistance solide dont dispose normalement un bâtiment. Dans la pratique, celui-ci est réalisé au moyen d'une armature métallique très ajourée garnie de jets à haute pression qui diffusent une fine bruine obtenue à partir de l'eau du lac qui est pompée, filtrée puis pulvérisée. Rien de solide, tout est vaporeux, comme sans masse, sans aucune forme précise et stable : tout le contraire d'un bâtiment qui se manifeste normalement au moyen d'une matière pesante et à la forme bien déterminée et repérable.
L'intention des architectes a consisté à dissoudre le bâtiment pour le transformer en une masse vaporeuse pour surprendre notre esprit. Cette masse vaporeuse se détache visuellement et se dissout progressivement en s'éloignant vers le lointain, de telle sorte que l'on peut dire qu'elle est reliée à ce lointain : c'est un effet de relié/détaché. Cet effet concerne aussi les passerelles d'accès qui relient la terre ferme à cette masse vaporeuse qui se détache visuellement à leur extrémité. Le regroupement en un volume bien visible de cette masse vaporeuse est certainement réussi, mais il échoue à lui procurer une consistance stable dès lors que celle-ci se défait au gré des vents de façon irrégulière et toujours changeante : c'est donc l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé à celui de relié/détaché pour faire valoir l'autonomie de l'intention voulue par l'esprit des architectes par rapport à la matérialité solide et stable normalement attendue pour un bâtiment.
On passe à l'option e où s'associent le relié/détaché et le fait/défait. À cette étape, le matériau végétal apparaît souvent comme substitut à la notion générale de matière, et mettre le végétal en situation anormale, « non naturelle », apparaît comme un moyen efficace pour laisser entendre que la matière est entièrement soumise à l'intention de l'esprit, qu'elle s'en trouve comme dénaturée, c'est-à-dire privée de ses attributs normaux. On donne trois exemples de constructions où le végétal est planté en altitude alors qu'il pousse normalement au sol. Son implantation y est également visiblement soumise au rythme net et régulier de l'architecture alors que la végétation pousse usuellement d'une façon qui nous semble irrégulière et désordonnée. Le premier est un couple de tours dénommé « Bosco verticale » construit à Milan de 2009 à 2014 par l'architecte italien Stefano Boeri (né en 1956), le deuxième est le bâtiment administratif de l'université FPT dans la banlieue de Hanoï, terminé en 2017, évoquant vaguement la forme d'un « dragon volant » et conçu par l'architecte vietnamien Vo Trong Nghia (né en 1976), le dernier est la « Flower-Tower » livré en 2004 dans le 17e arrondissement de Paris et que l'on doit à l'architecte Édouard François déjà cité.
À Milan, les tranches des jardinières sont reliées entre elles par la masse végétale et elles s'en détachent visuellement. À Hanoï, les carrés des façades sont reliés les uns aux autres par leurs sommets et ils sont détachés les uns des autres sur le reste de leur périmètre. À Paris, les grands pots sont détachés les uns des autres et ils sont reliés entre eux par les horizontales des tranches des balcons. Chaque fois, l'effet de relié/détaché intervient donc, et chaque fois aussi il se combine au contraste bien visible entre la régularité et la netteté des ouvrages d'architecture et le fouillis irrégulier du végétal qui défait cette régularité et cette netteté : c'est l'effet de fait/défait qui est associé à celui de relié/détaché pour faire valoir l'autonomie de l'intention voulue par l'esprit des architectes par rapport à la matérialité entièrement « construite en dur » normalement attendue pour un bâtiment, et aussi par rapport au matériau végétal qui ne pousse pas normalement en l'air.
En haut, Diller Scofidio + Renfro : Institute of Contemporary Art à Boston Massachusetts (2016) – ensemble et vue intérieure de la salle en sous-face Sources des images : https://archello.com/product/38265/attachments/photos-videos/12 et https://www.pinterest.com.au/pin/104497653831736992/
En bas à gauche, Stefano Boeri : Villa Méditerranée à Marseille (2004-2013) Source de l'image : https://www.youtube.com/watch?v=DmiB4sIuptw
En bas à droite, MVRDV : WoZoCo Housing à Amsterdam (1997)
Source de l'image : https://misfitsarchitecture.com/2014/01/31/architectural-myths-10-the-daring-cantilever/wozoco-housing-mvrdv-1997/
Pour d'autres combinaisons de l'effet de relié/détaché avec celui de fait/défait dans le cadre de l'option e, trois exemples d'architecture basés sur un même principe, celui de la prouesse d'un porte-à-faux. Pour le premier exemple, nous retrouvons l'agence d'architectes Diller Scofidio + Renfro avec l'Institut d'Art Contemporain de Boston, livré en 2016. Sous l'immense porte-à-faux de ce bâtiment une salle plonge dans le vide, et comme le montre la photographie de l'intérieur de cette pièce celle-ci donne véritablement l'impression de tomber lorsqu'on s'approche de son vitrage. Comme deuxième exemple, on retrouve l'architecte Stefano Boeri avec sa Villa Méditerranée construite à Marseille entre 2004 et 2013. Comme dernier exemple, une version « domestique » de porte-à-faux géant, cette fois concernant un bâtiment pour personnes âgées construit à Amsterdam, dénommé WoZoCo Housing et terminé en 1997. Il a été conçu par l'agence MVRDV qui a été fondée par l'architecte néerlandais Winy Maas (né en 1959). Les boîtes en porte-à-faux qui sortent de l'immeuble principal sont elles-mêmes le support de balcons colorés qui s'avancent parfois eux-mêmes en long porte-à-faux au-delà du volume de ces boîtes.
Avec ce type de prouesse technique, l'intention des architectes est de montrer que l'esprit humain est capable de concevoir des bâtiments dans lesquels les propriétés de pesanteur propre à la matière semblent annulées, dépossédant ainsi la matière du bâtiment de l'une de ses caractéristiques essentielles. Les porte-à-faux qui réalisent ces exploits sont nécessairement reliés au bâtiment principal dont ils partent, mais ils s'en détachent par leurs avancées spectaculaires, ce qui correspond à un effet de relié/détaché, et puisque ces avancées semblent défaire la réalité de la pesanteur inhérente à la masse du bâtiment, c'est l'effet de fait/défait qui est ici associé à celui de relié/détaché pour faire valoir l'autonomie de l'intention voulue par l'esprit des architectes par rapport aux possibilités habituelles de résistance de la matière.
Rapidement, un dernier exemple de construction défiant apparemment la pesanteur, mais à une échelle plus domestique et en s'y prenant différemment : la maison Hofmann conçue à Valence, en Espagne, par l'architecte espagnol Fran Silvestre (né en 1976).
Contrairement à la réalité normalement pesante de la matière, là aussi l'intention de l'architecte a été de surprendre notre esprit en donnant l'impression que la toiture du bâtiment et son aile latérale tiennent toutes seules en l'air, seulement soutenues par le vitrage qui fait le tour du bâtiment et par ses très fines menuiseries. Ce grand T couché est clairement détaché du sol tout en y étant relié par le long parallélisme de leur parcours : c'est un effet de relié/détaché. Il est associé à celui de fait/défait, car si la netteté de la forme de cette architecture est bien faite, le détachement du toit a disloqué la continuité de l'enveloppe de cette habitation.
Combinaison de l'effet de relié/détaché avec celui du centre/à la périphérie dans le cadre de l'option e, l'immeuble de logements sociaux conçu par l'architecte Édouard François et construit à Champigny-sur-Marne de 2006 à 2012. Il superpose trois types de bâtiments : en bas, des maisons de ville plus ou moins accolées, à mi-hauteur, des barres de logements collectifs, tout en haut, des maisons individuelles isolées les unes des autres et à l'orientation pivotée par rapport à celle des barres qui les portent.
L'intention de l'architecte a été de surprendre notre esprit en traitant ces logements sans aucune considération pour la disposition matérielle usuelle qui leur correspond : des maisons de ville ont normalement le ciel au-dessus de leur toiture, des barres de logement sans pilotis ont normalement leur rez-de-chaussée posé sur le sol naturel, et la même chose vaut pour les pavillons individuels qui sont habituellement posés sur le sol et non perchés très haut dans le ciel. Puisqu'ils sont posés les uns sur les autres les différents corps de bâtiments qui participent à cette construction hétéroclite sont reliés les uns aux autres, mais ils se détachent visuellement les uns des autres puisque, au premier coup d'œil, on peut les séparer les uns des autres. À cet effet de relié/détaché c'est celui du centre/à la périphérie qui est associé, puisque nous sommes décontenancés, déstabilisés, par ce collage hétéroclite de types de bâtiments qui ne sont pas normalement empilés les uns sur les autres. L'association de ces deux effets est donc utilisée ici pour faire valoir l'autonomie de l'intention voulue par l'esprit de l'architecte par rapport à l'agencement habituel de la matérialité de tels bâtiments.
À titre d'autre illustration de ce procédé, on en donne un exemple plus ambitieux, envisagé cette fois pour construire une véritable ville verticale : le projet Peruri 88 conçu par les architectes de MVRDV pour la ville de Jakarta. Il est inutile de répéter l'explication tant il est évident qu'il s'agit d'une accumulation hétéroclite, les uns au-dessus des autres, de types de bâtiments différents qui devraient normalement être tous posés au sol plutôt que d'être perchés les uns sur les autres.
Option M : confrontation en relié/détaché de l'intention concernant la mise en œuvre matérielle du bâtiment et de l'attente de notre esprit, cela afin de révéler l'autonomie de la notion d'intention matérielle par rapport à la notion d'esprit :
Comme exemple de l'option M avec le relié/détaché associé au regroupement réussi/raté, l'Opéra d'Oslo conçu en 2000 par le cabinet d'architectes Snøhetta (Kjetil Thorsen Traedal, Norvégien né en 1958, et Craig Dykers, d'origine allemande, né en 1961). Il a été terminé en 2008. Sa particularité est que l'on ne peut pas vraiment distinguer le sol extérieur de la toiture du bâtiment, et que la pente de celle-ci s'inverse dans sa partie centrale, comme si le bâtiment « ressortait » de son propre intérieur. Du fait de ces dispositions, lorsqu'on monte la pente qui mène au volume vitré qui se présente comme le corps de bâtiment principal puis qui en fait le tour, bien qu'on soit au-dessus du bâtiment puisqu'on est sur sa toiture, le bâtiment se dresse en face de nous.
L'intention des architectes était de faire en sorte que l'enveloppe matérielle du bâtiment déroute notre esprit qui cherche instinctivement à saisir quelle est la position de l'enveloppe d'un bâtiment en face de lui, et qui s'attend aussi à ce qu'elle soit continue lorsque ce bâtiment apparaît compact. Ici, il est impossible de saisir l'enveloppe du bâtiment dès lors qu'elle n'est ni vraiment continue, ni d'ailleurs vraiment « enveloppante » : si l'on peut en effet percevoir que les différents sols accessibles à notre parcours sont reliés en continu (la petite côte latérale, le sol de la plage, la grande pente centrale, la toiture du corps central qui remonte cette pente en sens inverse), en même temps ils apparaissent nettement détachés les uns des autres, du fait de la présence des diverses surfaces vitrées qui les séparent, et du fait d'un brusque changement de pente pour ce qui concerne les sols de la partie haute. D'un autre point de vue, on peut aussi dire que le volume du bâtiment est regroupé en continuité par la continuité de ses sols/toitures que complètent les façades vitrées qui relient ces sols à l'endroit des trouées qui les séparent, mais que le surgissement du volume vitré central qui ouvre brusquement la toiture fait rater la continuité de cet enveloppement. C'est donc l'effet de regroupement réussi/raté qui est associé au relié/détaché, cela pour faire valoir dans ce bâtiment l'autonomie de l'intention concernant sa mise en œuvre matérielle par rapport à l'enveloppement continu qu'en attend notre esprit.
On envisage maintenant l'association du relié/détaché et du fait défait dans le cadre de l'option M. L'expression du fait/défait dans l'option e utilisait le matériau végétal en contraste avec le bâti qui évoquait l'activité de l'esprit. Ce même contraste est utilisé dans l'option M, toutefois, alors que dans l'option e le végétal se soumettait à l'intention de l'esprit pour se retrouver planté à des altitudes très anormales, cette fois c'est le bâti produit par l'esprit qui est contraint de presque disparaître en se laissant enfouir dans le matériau végétal qui détruit complètement son apparence habituelle.
On en donne trois exemples. D'abord, l'ensemble de logements du 20e arrondissement de Paris dénommée « Éden Bio », conçu par Édouard François en 2003 et livré en 2009. Dans ce projet la végétation plantée devant les façades les dissimule complètement, ne laissant apparaître que les escaliers qui y mènent. Ensuite, un projet de « maison dans les arbres » présenté à la Biennale de Venise de 1996 par l'architecte français François Roche (né en 1961). Il s'agit d'un bâtiment formé de deux parallélépipèdes très verticaux montés sur de hauts pilotis, et entourés d'érables destinés à masquer plus ou moins complètement le bâtiment, n'en laissant transparaître que quelques parties de vitrage. Enfin, l'un des gîtes ruraux livrés en 1997 à Jupilles (France), conçus conjointement par l'architecte d'origine britannique Duncan Lewis (né en 1959) et par l'architecte Édouard François. Dans ce cas, les végétaux ont poussé sur une résille métallique passant devant la façade du bâtiment et se prolongeant à chacune de ses extrémités pour former des sortes d'auvents. Comme dans le projet de maison dans les arbres, seules les fenêtres du bâtiment sont visibles et émergent de la continuité végétale qui semble complètement phagocyter le bâtiment.
À chaque fois, l'intention des architectes a été de donner l'occasion au matériau végétal d'annihiler complètement la perception habituelle que l'on a d'un bâtiment conçu par l'esprit, c'est-à-dire ayant l'apparence d'un édifice construit en matériaux bien visibles et délibérément façonnés. Le peu qui reste de « visiblement façonné par l'esprit » (des escaliers ou des fenêtres) est nécessairement relié à la masse végétale qui dissimule la présence du bâtiment, et il s'en détache visuellement du fait de sa différence d'aspect : c'est un effet de relié/détaché. Comme le matériau végétal défait l'essentiel de l'apparence normale du bâtiment conçu par l'esprit, c'est évidemment le fait/défait qui est associé au relié/détaché, et cela pour faire valoir l'autonomie de l'intention de mettre en œuvre un matériau végétal plutôt qu'un bâtiment construit en dur comme s'y attend notre esprit.
On continue avec l'association du relié/détaché et du fait/défait dans le cadre de l'option M, et avec une nouvelle inversion des options e et M. Dans l'option e, on a vu l'intention de l'esprit montrer que celui-ci pouvait concevoir des bâtiments qui niaient les propriétés pesantes de la matière, ce qui donnait des bâtiments ou des parties de bâtiment qui semblaient tenir en l'air par lévitation. Dans l'option M, à l'inverse, l'intention des architectes est de montrer que les propriétés pesantes de la matière peuvent conduire à nier l'apparence stable normalement attendue d'un bâtiment conçu par l'esprit. En fait, il s'agit de faire croire que le bâtiment s'enfonce dans le sol, voire dans la mer. On en donne trois exemples que l'on doit tous aux architectes du cabinet Snøhetta. D'abord, le projet d'un restaurant qui semble s'enfoncer dans l'eau, livré en 2019 dans le village de Båly en Norvège. Ensuite, le Wolfe Center for the Arts terminé en 2011 à Bowling Green dans l'Ohio (US) qui semble s'enfoncer en terre par son arrière, comme veulent notamment nous le faire croire la ligne penchée de ses vitrages latéraux et sa façade d'entrée inclinée. Enfin, une maison individuelle « zéro énergie » construite en 2014 dans la banlieue d'Oslo et dénommée « ZEB Pilot House ». Là aussi, son enveloppe principale noire semble s'enfoncer en terre sur l'arrière, une impression qui est renforcée par l'inclinaison de son vitrage. Ce basculement de l'enveloppe principale laisse comme à découvert le reste de la construction qui, lui, ne semble pas avoir bougé.
L'intention des architectes a donc été de faire croire que les propriétés pesantes de la matière pouvaient déjouer et réduire à néant les capacités de l'esprit à concevoir des bâtiments reposant stablement sur le sol. Pendant leur bascule les bâtiments se détachent de leur position normale, cela tout en restant reliés au sol qui semble encore localement les porter ou, dans le cas de la maison individuelle, en restant relié à la partie du bâtiment qui n'est pas affectée par cette bascule. Ce sont là des effets de relié/détaché, et puisqu'en s'enfonçant dans le sol ou dans la mer le bâtiment semble se défaire ou se disloquer, c'est le fait/défait qui est associé au relié/détaché. Le résultat de cette association est que se trouve donc affirmée l'autonomie de l'intention concernant la mise en œuvre du matériau construit par rapport à l'attente de notre esprit, une attente qui n'est certainement pas que le bâtiment semble s'effondrer dans le sol ou s'enfoncer dans la mer.
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Snøhetta : Bibliothèque d'Alexandrie, Égypte (1989-2001)
Sources des images : https://snohetta.com/project/5-bibliotheca-alexandrina et
https://www.n-3rab.com/%D9%85%D9%83%D8%AA%D8%A8%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%A7%D8%B3%D9%83%D9%86%D8%AF%D8%B1%D9%8A%D8%A9-%D9%88-%D8%A7%D9%85%D9%87%D8%A7%D8%AA-%D8%A7%D9%84%D9%83%D8%AA%D8%A8/
Pour l'association du relié/détaché et du centre/à la périphérie dans le cadre de l'option M, une autre œuvre du cabinet Snøhetta, la bibliothèque d'Alexandrie conçue en 1989 et livrée en 2011. Comme dans les exemples précédents le bâtiment semble basculer, mais à leur différence il ne semble pas s'enfoncer mais seulement basculer autour d'un axe, une partie remontant pendant que l'autre descend ainsi que le montre la tranche du bassin qui apparaît à son avant.
Une nouvelle fois, l'intention des architectes a été de faire croire que les propriétés de la matière du bâtiment pouvaient complètement démentir celle que notre esprit lui attribue habituellement, en l'occurrence en faisant croire que la masse très pesante du bâtiment pouvait se comporter comme un léger bouchon qui se balance, comme ballotté par l'eau du bassin qui l'entoure. Cet effet de bascule est également perceptible à l'intérieur du bâtiment, d'où l'on perçoit bien la pente de la toiture et qui est lui-même organisé en niveaux décalés selon la même pente. Le bouchon ballotant sur l'eau que semble former le bâtiment est nécessairement relié à ce qui l'environne, mais il en paraît simultanément détaché puisque, précisément, il parvient à pivoter. Cet effet de relié/détaché occasionné par l'impression de basculement nous déstabilise puisqu'il nous prive de la conviction que le bâtiment est stablement posé sur le sol, et c'est donc l'effet du centre/à la périphérie qui est ici associé au relié/détaché pour faire valoir l'autonomie de l'intention concernant la mise en œuvre du matériau construit par rapport à l'attente de notre esprit, une attente qui n'est certainement pas que le bâtiment semble ballotter de façon instable.
On vient donc de terminer, aussi bien dans les arts plastiques que dans l'architecture, la dernière étape de l'évolution de la compréhension par l'humanité de la relation entre la matière et l'esprit.
On peut être surpris que la fin de ce cycle ne donne pas lieu à une sorte d'apothéose manifestant la maturité parvenue à son comble du couple formé par ces deux notions. Mais il en va du passage d'un cycle à l'autre comme du passage d'une période à l'autre : tout ce que l'on peut espérer voir dans un tel moment c'est que ce qui valait jusqu'ici a désormais fait son temps, et que du nouveau a poussé qui est désormais suffisamment mûr pour remplacer l'ancien. En fait, c'est à la fin de la période précédente que l'on a vu le couple matière/esprit atteindre le stade suprême de sa maturité, lorsque les deux notions ont fait la preuve qu'elles faisaient désormais partie d'une couple de deux notions parfaitement complémentaires, à la fois liées l'une à l'autre et détachées l'une de l'autre. À la fin de la 9e période, très naturellement ce sont cette fois les notions de produit-fabriqué et d'intention qui ont fait la preuve d'une maturité suffisante, celle de leur capacité à maintenant émerger pleinement en qualité de nouvelles notions et à abandonner le statut de simples embryons de notions qu'elles ont eu pendant toute cette période.
(dernière version de ce texte : 2 février 2023) - Suite : 10e période