Site de Stéphane Descornes, dit Bishop. Écrivain.

       Bio, textes inédits, carnets, notes de lectures, etc...

 

    

       Merci de votre visite !

QUI SUIS-JE ?

   |  MES LIVRES   |   LECTURES  |  CARNETS  |  MUSIQUE  |  LIENS  |   E-MAIL  |

 

 

 

ACCUEIL

Carnets d'un Terrien


Avril 1991



« Mes amis et moi-même sommes des ratés et nous n’avons peur de personne. (Alain Michard. Où sont mes amis. Chorégraphie.11-13.10.90) »

*


Si je ne passais pas ma vie à commencer des livres, j’aurai le temps de les finir.

*


Métaphysique : rêverie autour et à propos de l’inconnu.

*

Les phrases exigent qu’on les mettent au monde.

*


« Les années passent. Elles emportent les certitudes. Rien ne résiste à leur élan. Ni l’or, ni l’amour, ni les souvenirs » - Philippe Soupault, Charlot.

*

24 mai ‘91 Jadis, si je me souviens bien

L’autre jour, en relisant Une Saison en Enfer de Rimbaud, je me suis souvenu d’un moment passé avec mes trois amis de toujours. Chris nous filmait avec sa caméra vidéo. L’intérêt était de dire ou de faire n’importe quoi, mais que ça soit un peu rigolo. A un moment donné, sur l’image, on ne me voit pas, mais on m’entends lire : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. » Le matin de ce vendredi 30 mars 1990, je venais de trouver les Écrits de cinéma, de Philippe Soupault » et, près des Halles, nous avions croisé Juliette Binoche et son petit chien noir et blanc. Rentrés 27, rue Guénégaud, j’avais lu dans un journal que Léo Ferré s’apprêtait à mettre en musique Une Saison en Enfer. Comme Chris était en train de nous filmer, et que j’avais sur moi le livre de Rimbaud, je l’avais ouvert au hasard, et j’avais lu la phrase : « Jadis, si je me souviens bien...  » Je ne sais pas ce qu’il restera de tout cela dans dix ans. Dans mille ans. Rien, probablement. Mais c’est arrivé. Ce ne sont que des instants. L'un n'est pas plus important qu’un autre. On pourrait même dire qu'ils sont sans importance. Des instants perdus. Seuls. Et j’ai toujours eu la manie de collectionner ce genre de choses.

*


Avril ‘91

André Breton n’est pas venu à sa rétrospective organisé par le Centre Pompidou. Avec un peu d’imagination, on pouvait deviner la trace d’une main sur un masque Africain ; remarquer que l’encre n’était pas encore sèche au-bas d'un manuscrit ; ou encore : sur la vitrine où il s'appuyait, apercevoir le reflet de Breton qui s’éloigne discrètement. Tout ce que je garde de cette expo, c’est le nombre des pas que j’ai perdu est y traînant en vain. Non, j’exagère : j’ai tout de même fait une belle trouvaille. Une dédicace qui va revenir souvent me tourner dans la tête, tellement je la trouve touchante. On peut la lire sur l’exemplaire des Champs Magnétique que possédait André Breton. Elle est de la main de son co-auteur, Philippe Soupault :

« Philippe Soupault
C’est moi
Quelque fois.
André Breton
C’est vous
Mon ami
Les Champs Magnétiques
C’est vous
C’est moi
C’est nous. »

J’ignore si Breton a signé l’exemplaire de son ami. J’aimerai bien savoir ce qu’il lui a écrit… (voir la page " écrire à 4 mains ")

*


24 avril ‘91

Dans une librairie parisienne, entre les pages d’un recueil de poésie surréaliste, un ami découvre un petit carton qui dit : « Si vous aimez le surréalisme, rendez-vous au café du Petit Fer à cheval, tous les jours à partir de 17h. C’est signé le Cercle des Nouveaux Surréalistes. » On se regarde, mon ami et moi. On y va ? Allez ! On y va.
Résultat des courses : on aurait mieux fait d’oublier ça. En entrant dans le café, on découvre une bande de jeunes assis à une table. Parmi eux, un type à pipe, la cinquantaine, qui a connu André Breton. Ces joyeux drilles éditent des tracts poétiques, vont à la découverte du Paris Mystérieux, écrivent des poèmes surréalistes. On commande à boire. On se renseigne sur nos activités. Mon ami travaille dans l’informatique. Moi ? Je plaisante :
« J'écume les cafés à la recherche de nouveaux surréalistes. » Rires polis. Je tente une question provocatrice : « Mais, vous vous considérez vraiment comme surréalistes ? » Stupeur générale. Mais oui. Pourquoi pas ? Il y a une continuité, non ? On poursuit leurs travaux. Tout ça est très vivant, le surréalisme n’est pas mort. Là, j’enchaîne, décidément insolent : « Pour moi, le surréalisme, c’est Breton et Soupault qui marchent dans Paris. Qui rêvent en marchant et parlent en rêvant. Et qui rentrent à l’hôtel écrire les Champs Magnétiques. » Haussements d’épaules. C’est très réducteur, me dit-on. Non, non. Pourquoi ? C’est une drôle de remarque, non, non. Là-dessus, surgit la mère d’un des surréalistes, qui déclare : « Ce soir, c’est soirée crêpes ! Ça vous dit ? » Cris de joie des surréalistes. C’en est trop. On salut et on sort du Petit fer à cheval, presque aussi vite que de la mémoire de ses attablés. Sur le trottoir, une sensation de vide nous envahie. Elle se focalise à la hauteur de l’estomac. Soudain, devant nous, se dresse un certain Félix Potin. Si ça c’est pas une rencontre fortuite, je ne m’y connais pas.
On y va ? Allez ! Enfin une bonne décision. Si nos amis surréalistes s’étaient trouvés dans le coin, ils m’auraient tapé sur l’épaule en ricanant : « Tu vois bien que la poésie courre toujours les rues. » La poésie, oui. Le surréalisme, lui, il est resté sur la table de dissection.

*

Et si l’apparition d’autres peuples venus jeter un œil sur nous ne venaient pas de mondes lointains, mais d’ici même ? Des livres qui les ont engendrés ? (C'est d'ailleurs à la suite de l'apparition d'extraterrestres dans les pulps qu'on s'est mis à en voir partout.) Le véritable au-delà se trouverait donc sur Terre, dans les livres ?
Comme chaque livre est à lui seul un autre monde, tous les livres sont l’Autre Monde. Et la somme des livres écrits et à venir offrent l’image d’une constellation en perpétuelle expansion. Certes, cet autre univers est peuplé de pâles étoiles (les mauvais livres) mais aussi d’astres rayonnants, vers lesquels on retourne pour se ressourcer, reprendre vie. Certains de ces astres se sont éteints depuis des siècles et pourtant leur lumière continue à nous parvenir. D’autres encore, ont sombré dans quelque trou noir et sont perdus. Il faudrait des siècles pour établir une carte précise de cet autre ciel.

 Sommaire

                                    

 

Me contacter  ]
 
©  Stéphane Descornes

Dernière mise à jour :  05/02/05