Site de Stéphane Descornes, dit Bishop. Écrivain.

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Gomme de Pierre


Balade en Irlande

 

À cette époque, j’habitais les îles d’Aran – au large de la baie de Galway. Une maison banale, chaumée de blanc, avec un muret par-devant, pour éviter que le vent n’emporte le chaume.

Je faisais de longues promenades à la tombée du jour, avec pour seule compagnie l’écho lointain des fjords. La tête pleine d’une douce ivresse, j’avançais, humant des parfums de rose, où le jasmin, la pivoine et l’œillet s’entremêlent pour vous perdre.

Parfois, je croisais sur la plage ces petits êtres gris, des bavards qui vivent au creux d’arbres à forme humaine. Avec le temps, j’avais appris à les saluer. S’ils ne fuyaient plus à mon approche, comme au début, à présent ils feignaient de m’ignorer royalement.

Bientôt, la plage laissait place à des routes sans fin, dont les méandres m’évoquaient le rêve d’un fou. Ce côté-ci du monde semble régi par la pierre. L’air y prend des allures minérales, et le temps vous escorte de son pas lourd sur plusieurs kilomètres. 

Certains soirs de spleen, je poussais jusqu’aux landes où l’herbe est noire et je me figeais sur place, pierre parmi les pierres.

Heureusement, Sligo n’est jamais loin. À son approche, le vent vous reconnaît, ainsi qu’un chien fidèle. Ses embruns vous lèchent le visage. Enfin, vous respirez !

Ces soirs-là, je me sentais comme les Tinkers, ces tziganes d’Irlande.

Libre !

REVIENNENT LES TUATHA DE DANAAN, ET QUE TOUT RECOMMENCE À CARROWMORE !

Et je fredonnais :

« Je sais des coins d’Irlande où la terre remâche des sanglots de seigle. Où les tympans bourdonnent d’une langue inconnue qui soudain plonge dans le sol, avant de s’élancer vers le ciel en volutes mauves qui sont des chants.

Au fond des crevasses de certains chemins, entre les failles des roches, il y a des fleurs qui poussent et qui me ressemblent. Je suis pareil à vous, mes sœurs hélianthe, saxifrage, ancolie… (mais l’ancolie m’est de loin la plus chère) : je grandis dans le noir et mes parfums s’envolent dans la nuit. »

D’autres soirs, des navires vikings, au large, m’adressaient des signes de fortune. Alors je m’accoudais au dolmen le plus proche et je tendais l’oreille. Certains d’entre eux ont une mémoire et prononcent doucement le nom des morts qui les ont érigés. C’est comme un téléphone de pierre qu’on décroche : à l’autre bout s’égraine la voix d’un trépassé.

Enfin, assis au pied d’un cairn posé sur la colline pelée de Knocknaréa, j’attendais que passe le fantôme de Maève, la reine de Amazones.

Quand elle venait, c’était toujours accompagnée d’une louve au nom perdu. Celle qui allaita Cormac, le poète de Ballymote. Et les soirs de grand vent, les pirates de Grainne O’Malley s’approchaient, et me bourradaient en ricanant.

Aujourd'hui, mon pull d'Aran a perdu ses motifs. Je suis comme un marin mort sur la grève; et qu'on ne reconnaît plus après la tempête.

(vers 1988-1989)

 

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Dernière mise à jour :

05/02/05

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