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LA JUSTICE D'ARNAVILLE (par J. BONIS)
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Immanquablement, lorsqu'une décision ou une prise de position était arrêtée par une autorité quelconque d'Arnaville, les commentaires de nos voisins madins allaient bon train : "v'là la justice d'Arnaville qui est passée", ou alors "raide comme la justice d'Arnaville" ! Ces formules ont interpellés bons nombres de personnes; cela pour deux raisons: la première parce les Arnavillois ne comprenaient pas pourquoi ils étaient ainsi apostrophés, la deuxième, tout simplement parce que les madins ne savaient pas eux même pourquoi ils proféraient ce genre de diatribe. Peu de personnes se sont lancées à la recherche de la cause réelle de cette expression, pour la bonne raison qu'elle était des plus obscure et se perdait assurément dans la nuit des temps !

Après de longues recherches plusieurs possibilités sont apparues évidentes, sans toutefois convaincre.

 
  • Le nombre impressionnant de magistrats de justice,(1)
  • des textes pour le moins satiriques s'y rapportant,(2)
  • les droits que possédait l'abbé de Gorze à Arnaville.(3)
(1) :La première est sans conteste le nombre impressionnant de magistrats de justice... Le tableau ci-après le montre à l'évidence une accumulation de titres de justice. Il existait à Arnaville trois cours particulières de justice, toutes trois comprenant, un maire et six échevins. Chacune correspondait à l'un des trois bans, Saint-Gorgon, Saint-Vanne et Saint-Pierre. Elles s'occupaient de leurs propriétés respectives et, par suite, des conflits qui éclataient au sujet de chacun de ces territoires. Il s'agissait de justices foncières! L'énumération ci dessous démontre s'il en est besoin, la concentration de titres simultanés de justice :
Jean Antoine Lainé: maire de la Haute Justice du ban St Gorgon
Louis Rollin: maire de la Justice Basse et foncière du ban St Vanne
Pierre Antoine: maire de la Justice Basse et foncière du ban St Pierre
J.François Lainé: lieutenant du maire
Jean Godet: lieutenant du maire
Monsieur Esselin: tabellion général du duché de Lorraine
Jean Estienne: échevin
Etienne Lemoine: maire du ban St Gorgon
Cha. Ant. Degoutin: procureur fiscal général du ban St Gorgon
Monsieur Villemin: juge-garde en la Haute Justice du ban St Gorgon
Christophe Hamel: maire
Nicolas Hamel: échevin
François Cagnetel: échevin d'église et échevin en la justice du ban St Gorgon
Louis Estienne: échevin d'église, de justice
Dominique Gaspard: Maître Tabellion , greffier du ban St Gorgon
Antoine Jouville: sergent de la dite justice
Jean Mangin: Mainbourg de la communauté
Pierre Messin: échevin d'église
Pierre Naudin: Sindic royal
Christophe Boudats: clerc de ville du lieu et échevin d'église
Jean Boudas: Greffier Royal
Louis Antoine: Marguillier de la fabrique d'église
François Agathe: échevin d'église
Dominique Roussel : premier échevin
Jean Messin : troisième échevin
Jean Vinaux : Greffier à la justice d'Arnaville

Tous ces juges, maires de Haute et basse justice, lieutenant de justice, et autres greffiers concentrés, durant la même période, dans ce petit village, amènent facilement à penser d'une façon ironique que cette Justice d'Arnaville est bien lourde.

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(2) : La deuxième cause est envisagée en raison de textes pour le moins satiriques s'y rapportant:

(a) les commentaires d'un certain Maillies du 26 Octobre 1897 accompagnant un tableau de la Justice d'Arnaville. Ce tableau provenant de la famille Robert d'Arnaville est bien connu de tous car reproduit en mairie.

(b) texte de ???? écrivain Onvillois du début du XX° siècle.

(a) Commentaires du tableau

"La Justice d'Arnaville"

L'origine de la Justice d'Arnaville se perd dans la nuit des temps. Parcourez toutes les parties du globe, vous entendrez parler d'elle. L'histoire nous a conservé l'organisation et la composition de cet incomparable tribunal dans le moment de sa splendeur. Il siégeait en haut du village dans la rue du Palon ainsi nommée du nom d'un de ses juges les plus illustres. Il avait été organisé dans une cuverie. Trois gros tonneaux sur lesquels étaient assis le Juge, le Greffier et l'Huissier étaient tout le mobilier du Prétoire. Il n'y avait ni chien, ni chat, ni conseiller, pas même d'avocat. Une simple maxime écrite en haut de la porte suffisait pour entrainer la religiosité de tous les justiciables. On y lisait : " IN VINO JUSTICIA ET VERITAS " L'histoire raconte que le juge Palon avait quatre molaires de plus que ses contemporains, un gésier de Pantagruel. Quand il allait rendre un jugement, il entrait dans une horripilation semblable à la Sybille de Cumes, et, quand le jugement était rendu, il était pris d'une soif inextinguible qui ne pouvait être combattue que par le contenu d'un broc de vin qui ne le quittait jamais. Un jour, dit-on, la chose est authentique, l'Huissier VERSARD avait crié de sa voix de stentor: " Silence ! " On avait vu passer une souris qui était tombée dans le broc. Le Juge tout absorbé n'avait rien entendu, mais le Greffier ayant vu a demandé à son Honorable qui, le jugement rendu, venait de boire tout le contenu du récipient, s'il n'avait pas senti quelque chose: " Mais je crois que si " a répondu Palon, "j'ai du avaler un pépin de raisin" Il ne reste plus de ce tribunal célèbre qu'une renommée impérissable !

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(b) Extraits du texte de ????? sur la justice d'Arnaville:

L'origine de la Justice d'Arnaville se perd dans la nuit des temps, parcourez toutes les parties du globe, vous entendrez parler d'elle. L'histoire nous a conservé l'organisation et la composition de cet incomparable Tribunal dans le moment de sa splendeur, il siégeait en haut du village dans la rue de Palon, ainsi nommée du nom d'un des juges les plus illustres. Il avait été organisé dans une cuverie, trois tonneaux sur lesquels étaient assis le Juge, le Greffier et l'Huissier, étaient tout le mobilier du prétoire. Il n'y avait ni chien, ni chat, ni conseiller, pas même d'avocat, une simple maxime écrite en haut de la porte suffisait pour entraîner la religiosité de tous les justiciables; on y lisait. "IN VINO T JUSTICIA ET VERITAS ".

L'histoire raconte que le juge PALON avait quatre molaires de plus que ses contemporains, un gésier de Pantagruel. Quand il allait rendre un jugement, il entrait dans une horripilation semblable à la sibylle de Cumes, et quand le jugement était rendu, il était pris d'une soif inextinguible qui ne pouvait être combattue que par le contenu d'un broc de vin qui ne le quittait jamais. Un jour dit-on, la chose est authentique, l'Huissier VERSARD avait crié de sa voix de stentor: " sifiena "! Il avait vu passer une souris qui s'était tombée dans le broc. Le juge, tout absorbé n'avait rien entendu, mais le greffier ayant vu, a demandé à son Honneur qui, le jugement rendu, venait de boire tout le contenu du récipient, s'il n'avait pas senti quelque chose ? Mais je crois que si a répondu PALON, j'ai du avaler un pépin de raisin ! Le juge Palon, tout bedonnant, était à joc sur un énorme foudre, parmi les fûts et les futailles entassés dans la cuverie. Les gens se pressaient dans l'antre de la justice d'Arnaville, de cette justice que la tradition a immortalisée autant que l'Oracle de la Dive Bouteille. Mince et long, comme l'aiguille à tricoter des mères-patois, nez de belette, l'huissier Versard mettait en perce les tonneaux que les contestants avaient ..... Dans le brouhaha des paysans et des paysannes émoustillés par la perspective d'un beau plaidoyer, à propos de la vache à Fiancette, s'avança Maître Lantortiffet, qui, de sa voix de fausset, lança: -" Monsieur le Juge, compères et commères, vous tous mes frères en Bacchus, et vous, Dieu du Vin, et vous, Trinité trois fois sainte de Cruche, Bouteille et Pinte, vous tous qui avez l'ouie pour ouïr, voyez ce que Lantortillet vous dit, vous va dire... Nicolas Grosgorgeat et Isidore Fiancette, comme vous savez, étaient mariés aux sœurs Binochet : le Nicolas avec la Thérèse, l'Isidore avec la Scholastique. Ils Habitaient porte à porte, maison contre maison, cœur à cœur. La paix et le bonheur logeaient en leur logis. Mais paix et bonheur sont choses moult fragiles en ce monde terrestre, si fragiles même que le marteau des vicissitudes et des turpitudes de l'existence les brise souventes fois en éclats, grenaille, et poudre, et poussière... ; Or le bonheur, dis-je, étant chose inconstante de par le destin du monde... ". Avocat, fermez un instant votre gargarnelle! Cria Palon. Versard, donnez nous un peu de justice! A boire! A boire! A cet appel, l'huissier des audiences, agile comme le furet de Benoît mon oncle, remplit les "crécottes" de vin bouillonnant et rouge comme sang de taures et de taureaux, et fit passer la vaisselle au magistrat, à Lantortillet, aux plaideurs, aux notables et marguilliers de la paroisse, aux compères et commères qui gouaillaient à toutes les assises de la justice d'Arnaville. Et aussitôt les crécottes de sangloter, et les gosiers de glouglouter. Et comme d'un coassement de pères crapauds et de mères crapaudes, de crapaudins et de crapaudines, de crapoussins et de crapoussines, la crapaudière de têtards et de téteurs résonna de sentences magistrales: " Buvons sec! Le vin réjouit le coeur de l'homme! Dans le vin se débride la vérité! Vivons et buvons bien! Nous mourrons fin gras " A quoi Palon, au nez trognonnant, tout en se pourit les babouines, ne cessait de dire et redire " Tétons le jus de la treille! Suçons le sang des vignes ! Biberonnons le petit lait du curé de Meudon! Cognons sur la panse des tonneaux, qu'ils suent leur dernier gouttis de petit-gris! Grand bien vous fasse, comme à moi-même, dont le nez bourgeonne tel un printemps d'arbres! Plutôt une vie sans garces et sans catins qu'un seul petit jour sans vin! Sans le cordial vin gris, nous serions tous ennemis ! " Mais déjà Maître Lantortillet reprenait son docte discours: " Or, le bonheur, vous disais-je, le bonheur au su de tous et de toutes, étant chose inconstante, de par les desseins mystérieux qui président à la liquidation de nos vies... " " Liquidons! " interrompit Palon... Pour l'amour de Lantortillet et du dieu Bacchus, Versard, faites donner les liquides! Que les tonneaux baissent d'une main, et que nos vessies soient rondes à crever! " Des rasades succédèrent aux rasades. " Or, reprit Lantortillet, le bonheur de Nicolas Grosgorgeat et de Thérèse Binochet n'avait d'égal que le bonheur d'Isidore Fiancette et de Scholastique Binochet, quand survint le diabolique animal, ... l'animal d'Isidore Fiancette... C'est l'animal que je veux dire, et non l'Isidore... J'ai nommé sa vache... Ce n'est pas la femme que je veux dire, Dieu m'en garde! Mais sa vache... J'ai nommé la vache, l'animal aux cornes... Ce n'est pas l'Isidore que je veux dire... La vache enfin, la vache tout court, la vache puisqu'il me faut l'appeler par son nom... La vache que vous avez vue sans doute paître sans vacher dans leurs clos voisins, et qui était friande de choux ... " " Comme il parle bien! L'est moult savant, allez! Fit Cabossel le chantre. " " C'est tout de même une belle chose que tant parler pour ne rien dire ! Exclama Coladiau le paisselier. " " Quelle crécerelle " ajouta Babet le bribeur. Tous les gens du pays étaient éberlués par les grands gestes et la voix aigrelette de l'avocat qui se démenait comme un vif diable. " Justice ! " réclama Palon rubicond. A boire! A boire! ln vino veritas... Tous les fesse-pintes de l'assemblée assaillirent les tonneaux, et à pleins brocs, à pleines crécottes à pleines gamelles, burent à tire-larigot, comme font les chevaux quand ils s'abreuvent à l'abreuvoir de la commune. Le bon Palon, tout écarlate, faisait claquer sa langue épaisse après chaque goulée qu'il engloutissait. Le monstre s'y entendait à piper et humer le vin! Or, Mesdames et Messieurs, vociférait Lantortillet, impuissant à dominer la foule jasante, car le bruit appelle le bruit, et au contraire du dicton, c'étaient les tonneaux pleins qui faisaient ici le plus de bruit... Or, Mesdames et Messieurs... Noë, au témoignage d'Aristatoquès et de Chrysocalus, aurait un instant hésité à abriter dans l'Arche Sainte l'Animal que j'ai nommé... Mais le déluge menaçait, et les eaux tombaient... les eaux montaient... les eaux débordaient... " Faites couler le vin en nos ventres ! Réclama Palon en brandissant le poing vers Versard... Avocat laissez le déluge et vos eaux!... Le seigneur de Prény ne tétait que du vin gris... A boire! Par pitié! Aussitôt dit, aussitôt fait. On trinqua, on but. L'assemblée devenait bavarde et houleuse. Versard dut frapper du bâton sur un tonneau vide, qui gronda comme un pêt de tonnerre dans les fonds des bois d'Arnaville Le calme se rétablit un court instant. Les commères reprirent leur droit éternel. Sur l'invite de Palon, Maître Lantortillet avait cédé le pas à Fiancette, qui voulut lui-même plaider sa cause. Le paysan à tête ronde, à bouche refendue jusqu'aux oreilles, retira son feutre râpé, et bégaya: " Faites excuse, Monsieur le Curé!... " Des éclats de rire fusèrent de toutes parts. Il est vrai de dire que Palon s'affublait d'une soutane noire et d'une "bavette" blanche toutes pareilles à celles de Monsieur le curé d'Arnaville. Et jamais Fiancette, foi de chrétien! n'avait eu maille à partir avec la justice du lieu. " Faites excuse, Monsieur le Juge... " reprit Fiancette, tout décontenancé... " Ma vache paissait... Ma femme me dit: Zidore, la palissade est vermoulue... Elle va la renverser... alors Nicolas... Non, la vache... " " Qui ? Demanda Palon... La vache ou la femme ? " " Nicolas, Monsieur le Curé! ... " Nouveaux rires inextinguibles. " Nicolas Monsieur le Juge ... Nicolas voulait renverser ma femme... Non ! Non Je perds les esprits! C'est Nicolas qui voulait renverser la palissade, Monsieur le Curé... Heu ! Monsieur le Juge, dis-je... C'est à dire que c'est la vache... " " Le Nicolas, la vache, la femme, la palissade! Palon y perd son jargon! Versard, pour éclaircir nos esprits, soutirez le vin gris! Versez, car le vin est bon, et la justice a soif! Au creux bedon de Palon, le vin est bon! " " Or, que fit Grosgogeat? demanda Isidore... Il creuse perfidement une trappe, et quand la rousse eut pour la deuxième fois renversé la palissade pour brouter aux verts choux de Grosgogeat, elle fut piquée au boyau par la faux fichée en terre, elle s'éventra... Pour la ramener au clos, il nous fallut un sac du boulanger pour contenir ses entrailles... " " Versard, versez! Tempêta le juge Palon tout rubicond... Pour l'amour de Bacchus et des fesses-pintes défunts, vivants, et à naître dans les siècles des siècles, saignez les tonneaux à blanc... Ces histoires de tripes ramassées obscurcissent notre raison, et nous font blêmir... A boire! A boire! " Et crécottes, bouteilles et pintes heurtèrent crécottes, bouteilles et pintes. Déjà les filles Binochet étaient tombées, geignantes et larmoyantes, dans les bras l'une de l'autre, et repentantes, elles s'étaient plaqué sur leur gros museau rouge de gras et prolongés baisers. Elles se tenaient enlacées comme des maries-madeleines, et se baisaient, se baisotaient, se bichaient, se rebichaient, se léchaient et se pourléchaient leurs grands museaux de musaraignes. Attendris par le sang généreux des vins du Rupt de Mad, tous les gens d'Arnaville, larme à l'œil, contemplaient la scène si touchante de la réconciliation. C'était la "touche" du divin Bacchus... Miracle! On vit l'Isidore Fiancette se diriger vers le Nicolas Grosgogeat, et les deux hommes, itou les deux femmes, se baisèrent, se baisotèrent, se bichèrent, se rebichèrent, se léchèrent et se pourléchèrent leurs groins malpropres de vieux verrats. Le vin, à gros bouillons, gargouillait des tonneaux dans les cruches et les panses, et les langues tournaient plus vite que le moulin de Joson le meunier. De sa voix de rogomme, le juge Palon haranguait la foule: " Biberonnons le petit lait du curé de Meudon! Versard, versez à pleine verse tout ce que pourrez verser! Car le vin est bon au creux bedon de Palon le juge rubicond! Et jamais Palon tout rubicond! Et jamais Palon tout rubicond n'eut au plus creux de son creux bedon si grande soif de vin si bon ! Le vin, dans les futailles, baissait, baissait. Les ventres se rondissaient. Les paysans rondouillards titubaient et chaviraient, la tête pleine de vertige. lis s'écroulaient sur des commères allongées comme des cadavres. Un champ de bataille que l'antre de la Justice ! Versard, heurtant les morts, pirouettait dans le vide, et pour s'excuser, grogonnait: " V'là la terre qui commence à tourner! Tant pis! Buvons jusqu'à l'extinction du feu qui nous cuit au ventre! Suis-je tournis, moi ? " " Tais-toi, bavard! Lança le juge Palon, en lui tendant sa cruche vide... Au creux bedon de Palon, il faut force bouteillons de vin bon! Jamais... Remplis ma crécotte, animal!... C'est toi que je veux dire, et non la vache d'Isidore... Jamais le vin n'a paru si bon au creux bedon du bon juge Palon! L'imbécile Il me donne toujours la crécotte la plus petite! Le magistrat tint alors ce langage, après qu'il eut vidé une pleine crécotte: " Après délibération, réflexion, recueillement, nous Palon, Juge en ladite justice d'Arnaville qui a bonne fame et bon renom, après avoir ouï le plaidoyer de l'avocat Lantortillet, et plus bavard que nos crécottes dEmdville - comme disent nos gens d'une part, et ouï, d'autre part, Isidore Fiancette, qui nous paria des tribulations de sa femme. Non! De sa vache... c'est à dire de sa palissade... Au fond, toute cette affaire n'est que choux verts et verts choux, n'est ce pas, Grosgogeat ? " " Ayant par ailleurs constaté l'effet merveilleux du vin sur l'humeur chagrine de nos esprits, quand il ruisselle et sanglote des cruches, bouteilles et pintes à nos bedons, bedaines et bedondaines; et ayant encore éprouvé par le ministère de Versard, huissier de Bacchus, que le glougloutement du vin et le crachotement des tonneaux sont plus doux à l'oreille humaine que les extravagances de Lantortillet; ayant par Bacchus, et sa Trinité Sainte, apaisé les esprits furieux des plaideurs et rabobliné leurs femmes; condamnons tous ceux qui sont ici, présents, à vider à blanc la futaille qui serait encore de vin rougie... " Les libations succédèrent aux libations. On fit bombance tout le soir. Et le sol fut bientôt jonché de cadavres, cependant que l'antre se remplissait d'une odeur écœurante de renard... Les survivants de cette mémorable séance, qui fut la dernière de la Justice d'Arnaville, sortirent de la beuverie, tout drets comme des paisseaux fichés en vignes, à l'heure où les rues s'enténébraient. Et comme ils s'étaient un tantinet brouillés avec la physique terrestre et les lois les plus élémentaires de l'équilibre stable, ils se raidissaient pour marcher, dans un visible effort. Et Palon et Versard, par élans successifs, fendaient l'air en droite ligne, et progressaient par brusques étapes. Puis ils s'arrêtaient, l'œil inquiet, se cramponnant à la terre de toute la plante des pieds qu'ils avaient longs et larges, et ils assistaient - ô vision d'Apocalypse - à la sarabande des maisons qui dansaient et tournoyaient autour d'eux. Parfois, ils piquaient du nez en terre, gueule ouverte, et à quatre pattes, comme des crapauds, tâchaient par secousses à se rabobliner avec la physique du monde. Et cette marche en ligne brisée, par zigzags, était si saccadée, si particulière, si comique, qu il devint en Lorraine proverbial de dire : Marcher raide comme la Justice d'Arnaville ! Cette bonne justice d'Arnaville, vous l'avez compris, ne marchait raide que parce qu'elle était clémente et généreuse! Avez-vous vu, je vous le demande, des gens de chez nous se bicher et se rebicher comme firent les Binochet dans le temps que Palon au creux bedon vidait trois bouteillons ? Non ! Nos gens, autour d'un mort, se réconcilient parfois. Autour d'une bête crevée, jamais ! Surtout quand la bête rousse avait, pendantes entre les cuisses, des mamelles si profondes et si gonflées que sous la pression des doigts il en sortait chaque jour un fleuve de lait... Et bien ! Des miracles comme ceux-là, la Justice d'Arnaville, je vous le dis, en fis des douzes et des cents ! Ah la bonne Justice ! Les plus assoiffés des grands gousiers du fabliau rabelaisien sont pâles comme des vesses de Carême auprès du juge Palon et de l'huissier Versard...

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(3) :La troisième raison est initiée par les réjouissances populaires qui commémoraient cette célèbre Justice. Il en reste quelques traces dans l'esprit des Anciens et heureusement des photos.

Cependant, même si elles paraissent satisfaisantes, il est peu probable que ces explications représentent le fondement de "la Justice d'Arnaville".

La cause profonde est sans conteste les droits que possédait l'abbé de Gorze à Arnaville. Un important document datant de 1350 environ et intitulé: " Drois de la ville Darnaville et du ban que mons[seigneur] l'abbé y a cause de la centenne lesquelz se rapportent par la justice de lad [ite] centenne " nous apprend qu'il est de coutume en ladite ville ou item a encor d'anciennetey en ladite ville Darnaville ou encore telle coutume dans ladicte centenne que les droits de l'abbé sont exercés par la justice de la centaine. Comme souverain d'Arnaville, l'abbé de Gorze avait un droit de police et de surveillance générale dans le village comme sur le territoire; il rendait la justice ordinaire aux plaids annaux, mais son attribution principale était la haute justice.

L'administration générale d'Arnaville était confiée à un maire et à six échevins, sorte de municipalité que l'on appelait communément, à cause de ses attributions principales, -"La justice de la centaine"-. Les magistrats qui la composaient étaient nommés directement par l'abbé qui sur six échevins devait choisir s'il était possible, deux lorrains lesquelz y avaient été establis anciennement pour ce qu'on ne foulist point les hommes de monseigneur de Lorraine. La justice de la centaine garantissait la propriété des habitants, elle avait le droit de fouiller toutes les maisons en cas de vol et elle jugeait ce voleur si elle le découvrait. Les magistrats avaient la police et la surveillance de la voirie, les injures ou les coups ressortaient de leur tribunal, à chaque plaid, ils parcouraient les rues et les routes frappant d'amende ceux qui les avaient encombrées. La "hauteur" ou haute justice relevait aussi de l'abbé, qui avait une prison à Arnaville, dans la ''grand maison" de l'abbaye . Les attributs de cette justice étaient les "fourches patibulaires", qu'on appelaient également "les fourches d'Arnaville". La haute justice s'exerçait pour fait de crime qui recquiert exécution de corps. Sorti de prison, le prévenu était interrogé par le maire et les échevins. S'il était reconnu coupable et condamné à mort, on le conduisait aux fourches contre lesquelles était dressée une échelle. -Au moment où le malheureux gravissait les échelons, l'abbé pouvait suspendre l'exécution et gracier le coupable en lui imposant un pèlerinage grant ou petit, ainsi com[me] il lui plaist.

L'exécution était aux frais de l'abbé, qui recueillait ce que possédait le malheureux. La haute justice s'étendait encore au delà du territoire d'Arnaville, sur celui des villages voisins madins et de Novéant. Arnaville était le seul village possédant les attributs de haute justice. Il semble toutefois que Pagny en était exclus car on peut lire dans les comptes du domaine de Prény, en 1585 - "Au lieu de Pargney, notre souverain seigneur le duc est seul seigneur en toutes justices, sans part ni portion d'autrui." Cependant le ban Saint-Gorgon, d'importance variable dans le temps, possédait une juridiction particulière composée d'officiers chargés de l'exercice sur ce ban. C'est là que l'on comprend aisément l'origine de la Justice d'Arnaville employée aujourd'hui encore par dérision.

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Lire LA " CENTAINE " D'ARNAVILLE par Louis DAVILLÉ.


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