carnet de voyage,récit de voyage,carnet de route,récit,carnet,recit,Indonésie,Indonesie,Sulawesi,Rantepao,pays,Tana,Toraja,notes,voyage,tour du monde,alain diveu
ÉGYPTE
Vendredi 11 mai 2007
Après un lever aux aurores, nous contemplons encore une fois les maisons d’habitation, les immeubles qui défilent derrière les vitres de notre taxi. Dans le quartier des garages, alignés les uns après les autres le long de la route qui mène à l’aéroport, pratiquement toutes les marques du monde sont représentées. Coincée non loin de l’immense hall d’exposition ultramoderne et ultrachic de Toyota, la concession Renault fait office de parent pauvre, au rez-de-chaussée d’un petit immeuble, avec sa taille minuscule et ses trois véhicules en présentation. Dans ce pays où le 4x4 blanc est roi et dans lequel les jeunes conducteurs achètent un Tucson Hyundai comme premier véhicule, il est vrai que les voitures de tourisme françaises, de couleur foncée qui plus est, ne font pas le poids avec les véhicules tout-terrain de luxe qui inondent le marché.
Après une courte escale à Bahreïn pour un changement d’appareil, un taxi, gravement défoncé, nous mène depuis l’aéroport vers le centre du Caire, ville tentaculaire de quasiment vingt millions d’habitants. Après le ciel invariablement bleu et les chaleurs suffocantes d’Oman, c’est une grosse averse orageuse et rafraîchissante qui salue notre arrivée en Égypte. Notre hôtel, déniché sur le Routard, est assez bien situé et est perché au douzième étage d’un immeuble qui mériterait bien une petite rénovation ! Les chambres sont parfaites pour le prix et l’accueil plutôt sympa.
Il est seize heures lorsqu’une fois les sacs déballés nous partons à la recherche de victuailles dans les rues avoisinantes. Dans une pâtisserie débordante de monde, nous engloutissons quelques petits gâteaux locaux excellents qui nous feront patienter jusqu’au dîner.
Dans certaines rues, les trottoirs sont envahis par le déballage des vendeurs à la sauvette. Un coup de sifflet lancé par un guetteur fait déguerpir tout le monde en quelques secondes. Les valises débordantes de vêtements bon marché, les étals regorgeant de babioles bigarrées disparaissent dans les petites rues adjacentes en un clin d’œil. Seuls les acheteurs potentiels, bouche bée devant une telle frénésie, n’ont pas bougé d’un pouce. Inutile de préciser que les policiers, une nouvelle fois arrivés trop tard sur les lieux, sont repartis bredouilles…
Notre pérégrination nous mène dans un quartier de restaurants et de bars aux terrasses fréquentées principalement par les hommes. Réunis autour d’un verre de thé et d’une chicha, cette pipe à eau au glou-glou si caractéristique, ils restent là discuter durant de longs moments.
Les imitant, nous restons nous aussi observer l’agitation de la rue devant un Coca bien frais. Dans ce quartier commerçant, les femmes qui déambulent en famille ou au bras de leur compagnon sont souriantes, jolies et peuvent aussi bien porter le voile qu’avoir la tête nue. Lorgnant sur les vitrines des magasins de vêtements et de chaussures, elles ont du mal à cacher leurs envies. En les regardant, on est à mille lieues de penser à leur condition, exécrable dans ce pays. On estime que plus de 80% des filles sont excisées entre sept et dix ans. Seulement une toute petite minorité fait un vrai mariage d’amour ; la grande majorité épouse de gré ou de force celui qu’on aura choisi pour elle. Sous l’autorité du père jusqu’au mariage, elle passe sous celle de l’époux sitôt la cérémonie achevée. Elle devra, bien évidemment, être vierge le soir de ses noces. Même si la condition de la femme s’améliore un peu aujourd’hui grâce aux actions des ONG sur le terrain et au gouvernement qui aimerait moderniser tout cela, cette évolution est freinée par une société de plus en plus religieuse, donc plus conservatrice.
La nuit qui tombe sur Le Caire réveille nos estomacs vides. Il est l’heure de chercher un endroit où manger. Nous trouvons sans peine le restaurant recherché. Le décor propre et très kitsch avec ses grands miroirs, ses ventilos, la sciure sur le sol et les serveurs en tablier nous plait bien. Le kochery qu’on nous présente est copieux mais certainement pas diététique ! Jugez par vous-même : riz, lentilles brunes, macaroni, spaghetti, oignons frits, le tout arrosé de sauce tomate et relevé de sauce pimentée. On ne peut le nier : ça calerait le plus affamé des ogres ! Et pourtant, en plus de mon assiette, je terminerai mon repas de ce soir avec un bol de riz au lait qui me rappelle étrangement celui que ma mère nous faisait lorsque nous étions enfants ma sœur et moi : excellent… Chantal, elle, a préféré s’arrêter après sa ventrée de kochery ! Quant à l’addition, autant la nourriture était roborative, autant elle a su rester incroyablement légère : seulement neuf livres (un euro trente !) pour nos deux plats, le riz au lait et deux coca !
12 et 13 mai 2007
Après un petit-déjeuner nettement plus frugal que le dîner de la veille (un verre de thé, un petit pain brioché et sa confiture, une portion de vache qui rit), nous partons au Musée Égyptien à quelques rues de notre hôtel. Il n’est pas encore ouvert et pourtant des hordes de touristes attendent déjà devant la porte.
Une fois à l’intérieur, sur les conseils du Routard, nous grimpons directement au premier étage et nous dirigeons vers ce que tout le monde vient voir ici : le trésor de Toutankhamon. Ce n’est pas encore la foule, les groupes débutant la visite par le rez-de-chaussée. Nous avons tout le loisir d’admirer les statues en bois du pharaon dorées à l’or fin, le superbe trône d’apparat recouvert de feuilles d’or et incrusté de pierres précieuses, divers objets en ivoire, ébène ou albâtre, des vêtements, des tongs (on n’a rien inventé !) en or, du tissu, de fantastiques bijoux avec turquoise et corail qui n’ont rien à envier à ceux des plus talentueux orfèvres, et plein d’autres petites babioles tout aussi merveilleuses. Mais le clou de la visite reste le célèbre masque funéraire de onze kilos d’or, majestueux, et les deux impressionnants sarcophages dont le plus précieux est en or massif incrusté de pâte de verre et de lapis-lazuli. Il pèse la bagatelle de deux cent vingt-cinq kilos !!!
A peine remise de ses émotions, Chantal décide d’aller voir seule (je n’y tiens pas vraiment) la salle des momies royales dont celle de Ramsès II a été soignée en France des champignons qui commençaient à la ronger. Elle en ressort un peu plus tard (Chantal, pas la momie !) bouleversée par la vue de ces corps encore bien conservés malgré les millénaires, mais fripés, au cou maigre et au crâne allongé encore recouvert d’une vilaine chevelure éparse. Même les orteils des cadavres, d’une longueur exceptionnelle dit-elle, l’ont impressionnée !
Nous avons passé cinq heures en tout dans ce musée, sans nous en rendre compte, tant il est passionnant même pour les non-initiés en égyptologie que nous sommes.
Un métro relativement propre nous emmène à la gare ferroviaire où un policier obligeant nous aide à trouver la bonne file d’attente et le bon guichet : ici, tout est écrit en arabe. Le préposé, à l’anglais plus qu’approximatif, parvient malgré tout, avec beaucoup d’efforts, à nous réserver deux places dans le train de mercredi pour Assouan.
Par leur serviabilité, les Cairotes ont vite fait de nous séduire. De nombreux hommes nous saluent et nous lancent un sonore welcome in Egypt, le visage basané éclairé par un large sourire. Un boulanger du vieux Caire, nous voyant intéressés par la fabrication de ses petits pains, nous en offre un à chacun. Surpris devant cette générosité inattendue, nous ne pouvons que bredouiller un malheureux shokran avant d’engloutir en quelques bouchées les délicieuses brioches. A voir sa mine réjouie, le commerçant est encore plus heureux que nous de nous avoir fait plaisir. Plus tard, dans un commerce d’épices, les deux frères, à qui je viens de demander si je pouvais les photographier, nous invitent à nous asseoir par terre et entament une conversation qui aurait pu durer des heures si nous l’avions interrompue au bout de trente minutes, Chantal souhaitant aller aux toilettes !
Le lendemain, sitôt le petit-déjeuner, un chauffeur de taxi qui a accepté le prix que nous lui avons proposé nous dépose près de la place du Khan el-Khalili dont la quiétude en cette heure matinale n’est pas encore troublée par la masse des touristes en quête de pacotilles made in China dans le souk tout proche.
La balade dans le Caire islamique débute par la visite de la belle mosquée El-Azhar, aussi connue pour être la plus grande université du monde musulman et un centre de propagande sunnite à tendance dure. Un imam nous fait pénétrer à l’intérieur et essaie de nous convaincre de nous rallier à sa religion. Devant notre désintéressement total, il a préféré nous laisser seuls continuer l’inspection de ce lieu saint aux cinq minarets et trois cent quatre-vingts colonnes !
De là, un labyrinthe de rues pittoresques nous dévoile ses jolies demeures restaurées avec goût dont la maison El-Harrawi, un marché aux légumes et aux volailles animé, un tantinet crasseux et principalement fréquenté par les femmes, ses échoppes d’artisans avec le dernier fabricant de tarbouches du Caire. Pour un peu, on se croirait encore au Moyen Âge… Pour reposer nos jambes fourbues et par la même occasion nous abriter de la chaleur, nous nous arrêtons boire un coca dans un bar de quartier au décor plutôt sympa, signalé par le Routard. Malheureusement, au moment de l’addition, le serveur se croit obligé de nous assassiner avec un prix exorbitant pour l’endroit. Nous payons sans trop rien dire, mais notre plaisir est un peu gâché ; pour quelques malheureuses livres de plus, nous aurions pu aller à l’hôtel Hyatt admirer le coucher de soleil sur la ville du haut du quarantième étage !...
Plus loin, les maisons Beit El-Suhaymi aux mille recoins nous révèlent, au gré des différents étages, tous leurs trésors. Après nous être perdus en nous entêtant à trouver un atelier de souffleur de verre que nous avons finalement déniché, après avoir admiré la mosquée El-Hakim, nous tombons, au détour d’une ruelle, sur un groupe de femmes d’âge mûr auxquelles je m’empresse de demander l’autorisation de les photographier. Elles sont ravies que je m’intéresse à elles et rigolent de bon cœur en prenant la pose. Un homme qui passait par là me tombe soudainement dessus et me demande, méprisant, si je n’ai rien d’autre à prendre que ces vieilles pouilleuses. Visiblement, ce musulman considère les femmes comme moins que rien… Depuis l’épisode identique de Madurai en Inde, je n’avais plus eu ce genre de problème…. Franchement navrant !… Mais elles comme moi, têtus, avons continué notre séance comme si de rien n’était…
Nous sommes maintenant revenus à notre point de départ de ce matin place Khan el-Khalili. Nous nous mettons en quête du célèbre café Fichaoui qui n’a pratiquement pas changé depuis plus de deux siècles. Malgré sa renommée, il est essentiellement fréquenté par une clientèle locale, plutôt intellectuelle et bien partagée entre les hommes et les femmes. Attablés à l’intérieur, entourés d’Égyptiens en couple, nous prenons le temps de déguster notre thé à la menthe en appréciant l’ambiance joviale qui règne dans ce lieu hors du commun.
Une dernière flânerie dans le souk des épices au milieu des balles de coton achève de nous briser ! Nous sommes littéralement épuisés et il est grand temps d’aller reprendre des forces pour la journée de demain avec le consistant kochery de notre resto préféré.
14 et 15 mai 2007
En nous levant ce matin de bonne heure, nous sommes excités comme des puces à l’idée d’enfin voir de nos propres yeux le plateau de Giza et ses célébrissimes pyramides. Les quelques hectomètres de l’hôtel jusqu’à l’arrêt de bus sont avalés sans broncher, malgré les jambes un peu lourdes de la longue balade de la veille.
Coincée sur son siège qu’un galant Égyptien lui a laissé, c’est Chantal qui a le privilège d’apercevoir la première le site touristique le plus ancien de la planète. Édifiés il y a quatre mille cinq cents ans, ces monstres architecturaux, dont la construction a été un défi pour le génie humain de l’époque, demeurent la dernière des Sept Merveilles du monde antique. Situés à une quinzaine de kilomètres du centre du Caire, ils se dressent sur un plateau à la limite du désert et de la ville qui, n’en doutons pas, aura malheureusement tôt fait de l’inclure dans sa banlieue.
Après avoir écarté les inévitables loueurs de chameaux et guides importuns pourtant surveillés par une police touristique omniprésente, c’est le cœur battant que nous suivons le chemin obligatoire et balisé qui monte vers le plateau…
Elles sont là devant nous, ne cessant de grandir au fur et à mesure que nous grimpons. Le site venant d’ouvrir, le va-et-vient des cars de touristes dégueulant leur cargaison envahissante, bruyante et toujours pressée n’a pas encore commencé. Nous en profitons pour nous rendre, sitôt parvenus au sommet, auprès du Sphinx, mi-homme, mi-félin, taillé dans un bloc calcaire et tout juste restauré, assis là depuis deux mille cinq cents ans à surveiller le site et les pyramides.
Khéops, la plus imposante avec ses deux cent trente mètre de côté, domine le site de ses cent trente-sept mètres de hauteur. Elle en a perdu neuf au fil des siècles, saccagée par les pilleurs qui venaient se servir en matériau de construction. Khéphren, plus petite avec ses deux cent dix mètres de côté, semble pourtant plus haute. Elle est en effet bâtie sur un socle et a conservé son revêtement de calcaire sommital. C’est celle que nous trouvons la plus jolie. Mykérinos, la troisième, plus endommagée que ses grandes sœurs, reste malgré tout très élégante. Juste devant sa face sud, trois autres pyramides, beaucoup plus petites, étaient destinées aux épouses royales (déjà l’égalité des sexes !).
Le soleil est à son zénith lorsque nous quittons, totalement sous le charme, le plateau de Giza et ses merveilles. Le bus dans lequel nous montons nous coûte quatre fois plus cher que ce matin (4 livres au lieu d’une, soit 50 centimes d’euro !) et nous dépose devant une station de métro au lieu de nous emmener dans le centre comme prévu ! Allez comprendre quelque chose ! Une bonne sieste pour Chantal et une mise à jour du site web pour moi, dans notre chambre climatisée, reposent quelques instants nos jambes fatiguées. Nous avons eu le nez creux de le faire, car ce soir, en rentrant du restaurant, nous prenons ce que je pensais être un raccourci. Nous nous perdons royalement et devons marcher encore et encore pour retrouver notre chemin !!! Comme hier soir, pas besoin de berceuse : nous sommes littéralement lessivés !
Lorsque nous nous réveillons le lendemain matin, nous ne nous souvenons même pas nous être couchés, tellement la fatigue était grande ! Cela ne nous empêche pourtant pas, sitôt le petit-déjeuner avalé, de repartir, en taxi, dans le quartier de la Citadelle dominé par la mosquée Mohammed-Ali et ses minarets fins et élancés. En la regardant, on se croirait à Istanbul devant l’église Sainte-Sophie. Avec la chaleur régnant en ce moment en Égypte, c’est un régal que de s’abriter sous les arcades élégantes des cloîtres, d’admirer l’intérieur des bâtiments, de contempler la ville s’étendant à nos pieds depuis un belvédère balayé par une brise légère.
La balade continue hors de l’enceinte avec la visite du Palais du Prince Taz, magnifique avec son hammam privé d’une dizaine de pièces aux bains en marbre et aux dômes ajourés dessinant sur le sol une impressionnante mosaïque de couleurs. La terrasse d’été, surplombant la cour plantée de palmiers, n’a rien à lui envier avec son somptueux plafond aux caissons en bois peint.
Dans ce quartier typique, au milieu des voitures, des chevaux attelés tirent des charrettes remplies de bois. Les ateliers de réparateurs de pneus, de tailleurs, les boutiques de bouchers, de coiffeurs, de marchands de gâteaux, les bars à chicha se succèdent le long d’une chaussée souvent défoncée. Au détour d’une de ces rues animées, nous apparaît soudainement la mosquée Ibn Tulun qui exhibe fièrement son curieux minaret et son imposante enceinte en brique. C’est le monument musulman le plus ancien d’Égypte. Il y règne une sérénité incroyable : un véritable havre de paix au milieu de la ville. Jouxtant la mosquée, le musée Gayer-Anderson nous révèle tous ses trésors. Une succession de paliers décalés, de couloirs en chicane, de patios fleuris nous mènent dans des pièces toutes d’un style différent, plus belles les unes que les autres. De plus, ce qu’il y a d’appréciable ici par rapport aux autres maisons visitées, c’est la présence des meubles et objets que ce collectionneur avisé avait accumulés durant sa vie. Le clou de la visite reste le qaa des hommes pavé de marbre et agrémenté d’une fontaine à degrés. Cette maison a servi de décor lors d’un tournage de James Bond, c’est dire comme elle est belle…
Nos pas nous ramènent devant les remparts de la Citadelle avant de nous guider, à travers un lacis de ruelles pittoresques, vers le Khan el-Khalili. La lumière en cette fin d’après-midi est dorée à souhait et drape la pierre des minarets et coupoles d’une couleur très photogénique. Je ne sais plus où donner du déclenchement tellement c’est beau ! Les gens sont toujours aussi gentils et, lorsqu’ils nous demandent d’où nous sommes, lèvent leurs deux pouces en ânonnant un « Jaac Chirrraac, very good ! ». En voilà un qui pourra venir passer sa retraite ici sans problème. Il y est littéralement vénéré, comme au Sultanat d’Oman d’ailleurs !
Après avoir discuté le prix de la course, un taxi nous ramène, malgré les embouteillages, dans notre quartier. Avant le dîner, Chantal qui avait repéré un petit bijoutier près du restaurant, craque pour une paire de boucles d’oreilles en argent. Je me fais un plaisir de les lui offrir, en souvenir de ces quelques jours passés ici, dans cette ville que personnellement je classe parmi mes préférées. La panse pleine, nous retournons très vite à l’hôtel, car nous ne devons pas rater le train demain matin…
16 et 17 mai 2007
Le train qui nous emmène à Assouan, au sud du pays, est confortable et propre malgré le prix modique de la place en seconde classe. Nous pouvons étendre les jambes sans problème et les sièges sont neufs. Tant mieux pour nous, car nous avons pratiquement quinze heures de trajet avant d’atteindre notre destination !
J’ai choisi de prendre le train de jour pour une raison toute simple : découvrir les paysages grandioses et les scènes de la vie quotidienne des paysans le long des berges du Nil. La voie ferrée longe en effet, dans sa majeure partie, le cours du fleuve et traverse villes et villages disséminés tout au long du parcours. Dès la sortie du Caire, les plantations de palmiers-dattiers succèdent aux habitations urbaines. Un canal d’irrigation que nous suivrons durant des dizaines de kilomètres sert de piscine à des groupes d’enfants nus. Sur les chemins, des flopées de petits ânes infatigables portent sur le dos un homme en djellaba et turban se rendant aux champs.
Au moment du déjeuner, une jeune femme assise près de nous en compagnie de sa mère et de sa petite fille nous tend à chacun un énorme sandwich à la viande froide qu’elle vient de préparer sur ses genoux. Devant son regard si chaleureux et son sourire si sincère, nous craquons ; d’abord pour ne pas la décevoir, ensuite parce les effluves de viande grillée qui nous chatouillent les narines depuis quelques instants nous font sacrément saliver ! Je l’ai déjà dit, ce sont ces petits moments de grâce qui nous font partir de chez nous à la rencontre des autres et que l’on garde pour toujours dans un coin de notre mémoire. Je me rappelle ainsi l’un de ces instants magiques durant l’un de mes premiers grands voyages. C’était au Niger, dans un campement touareg installé autour d’un puits en plein désert, là où il ne pousse pratiquement rien. A notre sortie de voiture, une jeune femme est venue vers nous et nous a offert deux tomates à chacun en guise de cadeau de bienvenue. Ces gens qui n’avaient rien nous donnaient ce qu’ils avaient de plus précieux, à nous, les nantis…. Cette scène m’a marqué à vie et a beaucoup compté dans mon désir de voyager. On a des leçons à recevoir de tout le monde !... Encore aujourd’hui, la gentillesse de cette femme égyptienne nous fait un peu plus comprendre la valeur des choses… Méditons et arrêtons de nous plaindre...
Il fait nuit noire lorsque le train s’arrête en gare d’Assouan. Devant les tableaux quasi bibliques qui ont défilé sans discontinuer derrière la vitre depuis ce matin, nous n’avons pas vu le temps passer. Un chauffeur de taxi qui nous emmène en renâclant jusqu’à l’hôtel demandé essaie, en vain, de nous arrêter là où il toucherait un bakchich. Nous faisons bien de lui tenir tête, car notre pension est bien située, peu chère et propre. En plus, pour ne pas gâcher le tableau, le réceptionniste est vraiment rigolo et en quelques phrases a su se rendre indispensable.
Une fois le café, les pancakes au miel, le fromage blanc et les fruits avalés, nous partons sillonner les rues, ou du moins la rue principale d’Assouan, ainsi que les berges du Nil. Ça y est ! Nous sommes dans l’Égypte touristique !… Impossible de faire deux pas sans se faire arrêter pour un hypothétique bakchich, de regarder la vitrine d’une boutique sans se faire happer par un vendeur qui récite la même phrase en six langues différentes, sûr de tomber sur la bonne. D’ailleurs, c’est la première fois depuis que nous sommes partis qu’on s’adresse à nous d’abord en italien ou en allemand ! Et je joue le jeu en leur baragouinant quelques mots dans le parler qu’ils croient être le nôtre. En m’entendant, Chantal a beaucoup de mal à réprimer ses fous-rires, ce qui a le don de les énerver encore un peu plus... Quel changement avec Le Caire ! Ici, pour tout ce qui tourne autour du tourisme, c’est-à-dire quasiment tout, c’est l’arnaque assurée. Nous le vérifierons malheureusement à plusieurs reprises.
Pour échapper un peu à cette ardeur commerciale franchement trop envahissante, nous nous dirigeons vers le fleuve, majestueux à cet endroit. Malgré une âpre négociation, le tarif que nous payons pour le passage en bac vers l’île Eléphantine est quatre fois supérieur à celui demandé aux autochtones. Au départ, ils n’en demandaient pas moins de douze fois le prix ! Il ne faut tout de même pas qu’on se plaigne de payer si peu !!!…
L’île, plantée au milieu du Nil, n’est située qu’à environ deux cents mètres du bord. Nous avons pourtant l’impression d’évoluer dans un autre monde : pas de voitures, très peu de touristes et beaucoup de calme dans les deux villages nubiens aux maisons colorées. Dans les ruelles si étroites que deux personnes ne peuvent s’y croiser, des chèvres à la queue leu leu quêtent un peu de nourriture aux portes ouvertes des habitations. Malgré une saleté toute « indienne », nous trouvons beaucoup de charme à l’île. L’endroit est pauvre et j’y retrouve un peu l’Égypte que j’attendais.
Malgré la courte distance, le retour dans la ville est brutal : klaxons, poussière, harcèlement continuel pour du bakchich… Nous étions bien tranquilles au Caire. Pour fuir ce brouhaha, nous nous réfugions sur la terrasse d’un hôtel qui domine le fleuve. De là, nous assistons au ballet incessant des felouques à voile triangulaire longeant l’île Eléphantine en se croisant et se recroisant à la recherche de la moindre risée. Nous restons un long moment à siroter nos jus de fruits et contempler le magnifique spectacle qui s’offre à nous. Après un dîner quelconque dans un endroit quelconque, nous allons vite au lit, car demain matin nous devons nous lever très tôt…
Vendredi 18 mai 2006
Il est trois heures du matin lorsque le mince filet d’eau tiède s’écoulant de la douche a bien du mal à nous réveiller. À quatre heures, cinq ou six bus de tourisme, dont le nôtre, partent en convoi, escortés par deux véhicules militaires armés, vers l’un des sites les plus impressionnants d’Égypte : Abou Simbel, popularisé par la campagne titanesque de l’Unesco pour le sauver des eaux lors de la construction du barrage d’Assouan et la naissance du lac Nasser. Il aura fallu le démonter, puis le remonter une soixantaine de mètres plus haut, au sommet de la falaise. Si les deux temples qui le composent ont effectivement été sauvés, quarante-six villages nubiens ont été définitivement noyés.
Trois heures plus tard donc, et pratiquement trois cents kilomètres de belle route plus loin, le site nous dévoile enfin ses splendeurs dans la jolie lumière dorée du matin. Les quatre colosses de Ramsès II d’environ vingt mètres de haut qui gardent l’entrée du temple principal font braquer vers eux tous les objectifs des appareils photos, tandis que les sculptures de Néfertari et de Ramsès ornant la façade du temple de la reine jouent gracieusement avec les ombres et les lumières. À l’intérieur de ces deux monuments, la foule des visiteurs se presse pour admirer les salles impressionnantes avec leurs hauts piliers et leurs murs décorés retraçant la vie du pharaon. C’est beau, mais nous ne sommes pas assez calés en égyptologie pour apprécier à leur juste valeur tous ces trésors. Par contre nous n’arrivons pas à nous lasser des différents points de vue sur les temples et l’immense lac Nasser et préférons rester dehors pour en profiter pleinement. Le retour vers Assouan nous permet de découvrir la région quasi désertique et un peu monotone que nous n’avions pu voir à l’aller à cause de la nuit.
Dans l’après-midi, nous décidons d’une visite au temple de Philae distant d’une dizaine de kilomètres. Il nous faut pour cela négocier sévèrement le prix auprès de plusieurs taxis. Nous étant enfin mis d’accord avec l’un d’entre eux, et j’ai la bonne idée, à son grand désappointement, de ne vouloir lui régler sa course qu’au retour en ville. Une fois sur les rives du Nil, après l’achat des billets de la visite, nous devons une nouvelle fois discuter fermement avec un passeur en barque le prix peu décent qu’il nous propose pour le trajet jusqu’au temple. Mais tous ces palabres en valaient la peine, car le tableau qui s’offre à nous est absolument splendide avec un soleil déclinant qui habille d’une couleur flamboyante les vieilles pierres des différents monuments. Comme à Abou Simbel, ceux-ci ont été démontés puis remontés à l’identique, de 1972 à 1980, sur un îlot peu éloigné du site originel, lors de la création du fameux barrage. Le retour vers Assouan est un peu chaotique, le chauffeur de taxi n’ayant que peu apprécié le fait de n’avoir pu nous rouler comme il l’entendait. Il tâchera de se reprendre quelques instants plus tard, lors du paiement, en me faisant croire que je m’étais trompé entre un billet de cinq livres et un de cinq piastres (il faut cent piastres pour faire une livre !) Ben voyons… Heureusement, le guide du Routard nous avait prévenu ; je n’ai pas cédé…Vraiment pénible…
Surtout que le soir, dans un petit resto pourtant excellent de la rue principale, au moment de l’addition, le serveur un tantinet mielleux nous rend la monnaie sur cinquante livres au lieu des cent données. Cette fois-ci, c’est trop. Mon sang ne fait qu’un tour. Je me lève et file jusqu’à la caisse, le loufiat accroché à mes basques. Là, le caissier me jure par tous les dieux que je n’ai donné qu’un billet de cinquante… qu’il me montre d’ailleurs. Mon bras a été plus rapide que l’éclair pour lui arracher le billet des mains. Il n’a rien vu venir et le temps qu’ils réagissent lui et le sournois, je suis déjà dans la rue avec une Chantal qui, ayant senti le coup, avait quitté la table et s’était mise au milieu des passants. Ils ont eu beau nous insulter, nous montrer les poings, je savais pertinemment qu’ils ne feraient rien… puisqu’ils avaient mille fois tort. Mais l’ambiance, dans cette ville d’Assouan, nous gave vraiment et il temps pour nous d’aller voir ailleurs.
19 et 20 mai 2007
Là, je dois rendre hommage à Chantal qui a, absolument seule, et ce pour la première fois du voyage (il était temps !), comparé, discuté et enfin acheté deux places pour une croisière sur le Nil, entre Assouan et Louxor. D’un prix de départ de 55 euros, elle a conclu le marché à 38 euros par personne, ce qui, sur un bateau 5* et pour deux nuits en pension complète, est bon marché. Fière, je la sens très, très fière, ma femme, d’avoir réussi ça toute seule ! Dès l’embarquement, nous sommes dans l’opulence et nous n’en avons pas l’habitude. Depuis un an, nous allons de pensions chez l’habitant en petits hôtels de famille, de bouis-bouis en restos locaux, à de rares exceptions près. Mais là, on nage carrément dans le luxe : chambre tout confort donnant sur le fleuve, trois repas par jour plus le thé et les pâtisseries l’après-midi, piscine, salle de sport, discothèque, et tout ça pour… huit personnes à bord : nous deux et une famille indienne, c’est-à-dire le mari, ses deux enfants et ses trois femmes !
En attendant l’appareillage, nous passons nos maillots et filons sur le pont supérieur nous dorer la pilule allongés dans de confortables transats. J’alterne bains de soleil et bains d’eau fraîche dans la piscine, tandis que Chantal court régulièrement se réfugier sous la partie ombragée du pont pour échapper aux rayons cuisants du soleil. Il est midi lorsque le bateau longe l’île Eléphantine et que la ville d’Assouan disparaît lentement derrière un méandre du fleuve.
L’escale de Kom Ombo en milieu d’après-midi nous fait prendre conscience que, pour la première fois depuis notre départ, nous voyageons comme des touristes ordinaires, à la queue-leu-leu derrière un guide récitant son texte de façon plutôt désabusée et monotone. Je me demande pour qui est la plus grosse corvée. Pour lui ou pour nous ?! Pourtant, une fois revenus sur le bateau, comme tout le monde, accoudés au bastingage, nous apprécions le tableau de ce temple majestueusement posé sur la rive et dont la couleur sable tranche délicatement avec la verdure des champs alentours.
Après le thé et les gâteaux de l’après-midi, le dîner, comme le déjeuner de ce midi d’ailleurs, est composé de trois plats : une entrée froide, une entrée chaude et un plat principal auxquels il faut ajouter le dessert. Depuis un an que nous sommes sur les routes, notre estomac a rétréci et devoir avaler tout ce qu’on nous présente devient vite un calvaire ! C’est bon, mais franchement trop c’est trop… Et ce qui devait arriver arriva… Une turista inopinée s’est invitée. La réputation de l’Égypte n’est vraiment pas usurpée, du moins en ce qui me concerne, car Chantal en veine pour cette fois n’a rien eu. À part une petite colique après la dégustation d’une glace dans un parc de Pékin et contrairement à Chantal, je n’avais pas encore eu de problèmes digestifs. C’est vraiment rageant de choper quelque chose à moins de deux semaines du terme d’un si long voyage. Toujours est-il que durant vingt-quatre heures, j’ai dû bien calculer tous mes déplacements ! Lorsque que le bateau s’amarre au quai de la ville d’Edfou pour y passer la nuit, c'est l'heure crépusculaire, celle où le soleil disparu n'éclaire plus les minarets et les habitations que par les reflets du ciel. Et c’est un délice de savourer cet instant depuis le pont supérieur.
En fin de soirée, le capitaine, en grande tenue, tient à nous inviter à la discothèque du navire. Nous acceptons par pure politesse, mais, à huit, la salle nous semble immense. Après quelques pas de danse arabe en compagnie de la famille indienne, nous filons discrètement dans notre cabine et laissons les hommes d’équipage papoter entre eux.
Le soleil vient de se lever lorsque nous partons en calèche (dont on a dû, encore une fois, négocier fermement le prix) pour le temple d’Edfou, réputé être l’un des mieux conservés du pays parce que longtemps enfoui sous le sable. Devant le pylône monumental, nous nous faisons photographier près d’une statue massive du dieu Horus, le faucon, celle qui est représentée dans quasiment tous les livres sur l’Égypte. Le temple est réellement intéressant avec encore quelques plafonds et quelques peintures. C’est celui que Chantal a préféré.
La croisière reprend après la visite et les scènes de vie champêtre défilent à nouveau devant nos yeux. Hormis le fait d’être en maillot et allongés sur nos transats à siroter un cola bien frais, nous avons plus apprécié notre voyage en train, peut-être parce qu’étions nous tout simplement plus près desdites scènes… Mais n’allez tout de même pas croire que nous boudons notre plaisir. On se délecte en fait ces derniers instants de quiétude avant d’affronter, dans un peu plus d’une semaine, le retour en France et la vie trépidante qui va sûrement nous surprendre.
C’est devant la ville d’Esna que nous nous amarrons en cette fin d’après-midi. Comme le nôtre, de nombreux bateaux attendent de passer l’écluse. Son franchissement m’a réveillé au milieu de la nuit.
21 au 24 mai 2007
Nous débarquons vers neuf heures du matin, bardés de nos sacs, à Louxor, le saint des saints de l’Égypte ancienne. Après avoir traversé le Nil avec un ferry local, nous trouvons un hôtel récent et sympa à Gezira el Bairat sur la rive ouest juste en face de la ville et du temple. Le village est très calme, encore authentique, cerné par les champs de cannes à sucre et les palmiers. Comme quoi il suffit parfois de s’éloigner de quelques centaines de mètres de lieux très touristiques pour trouver de véritables oasis de paix…
Les sacs à peine déballés, nous partons aussitôt à la découverte du village, puis après une sieste bienfaitrice au moment le plus chaud de la journée, filons à Louxor, de l’autre côté du Nil. Du temps de l’Égypte pharaonique, elle s’appelait Thèbes et fut la plus glorieuse des anciennes capitales. Elle est devenue aujourd’hui, en même temps que Le Caire, le site touristique le plus visité du pays. Il faut dire que ses atouts ne sont pas des moindres : son temple tout d’abord, puis celui de Karnak tout près, la vallée des Rois et celle des Reines ensuite, sans compter les balades en felouque sur le Nil ou bien encore le survol en montgolfière des ruines les plus prestigieuses pour ceux qui en ont les moyens.
Situé en bordure de fleuve, le temple de Louxor est coincé entre l’avenue qui longe le Nil et la ville moderne. Pourtant, une fois dans son enceinte, le brouhaha citadin est devenu, comme par magie, imperceptible et les habitations et hôtels alentour invisibles. Nous y rencontrons de nombreux groupes de touristes venus, comme nous, assister à la tombée de la nuit sur les vieilles pierres et à l’illumination soignée qui s’en suit.
Je conseille d’ailleurs aux futurs visiteurs de s’y rendre à ce moment de la journée, ou bien alors, dès l’ouverture tôt le matin et ainsi éviter la foule. Une dernière photo léchée devant l’obélisque jumeau de celui de la place de la Concorde à Paris pour l’album souvenir, puis nous reprenons le ferry pour rejoindre l’hôtel dans la nuit noire.
Le petit-déjeuner, comme le dîner de la veille, nous est servi dans le jardin arboré de la pension et débute agréablement la matinée que nous avons prévu de passer à Karnak. Dès la sortie du bac, nous nous mettons en quête d’un taxi collectif qui nous emmènera au temple distant de trois kilomètres. Le prix de la course est vraiment insignifiant pour un porte-monnaie européen. Au cours du trajet, tassés l’un contre l’autre sur un siège défoncé, nous apercevons en de nombreux endroits des sphinx au corps de lion et à la tête de bélier récemment mis à jour qui bordaient l’allée reliant le temple de Louxor à celui de Karnak.
Datant de 4700 ans, l’ensemble de Karnak demeure la plus grande structure religieuse jamais construite dans le monde : un kilomètre et demi de long pour sept cents mètres de large. L’enchevêtrement de ses édifices lui donne, par contre, plus l’allure d’une ancienne cité que celle d’un temple. Aujourd’hui encore, les fouilles donnent des résultats surprenants avec, entre autres, la découverte l’année dernière d’une superbe statue enfouie au pied d’un des bâtiments les plus visités. C’est aussi au milieu des cent trente-quatre colonnes hautes de vingt-trois mètres de la grande salle hypostyle du temple d’Amon qu’a été tournée l’une des scènes mythiques du film Mort sur le Nil, tiré du roman d’Agatha Christie.
Le soleil est à son zénith lorsque nous quittons ce lieu grandiose pour aller nous réfugier dans notre chambre, échappant ainsi à la grosse chaleur de début d’après-midi. Après avoir déchargé et catalogué des centaines de photos sur mon ordinateur, je repars, seul cette fois, Chantal ayant préféré rester se reposer, dans la campagne environnante de l’hôtel. M’ayant vite repéré, des gamins et des ados un brin effrontés ont vite fait de m’entourer, et je dois me montrer bien plus méchant que je ne le suis en réalité pour qu’ils me laissent en paix. Entre les canaux boueux irriguant les champs de cannes à sucre, de magnifiques palmiers au long et élégant stipe hérissé déploient une frondaison luxuriante d’où s’échappent une multitude de chapelets de dattes en pleine maturation. Dommage pour nous qui adorons ces fruits, il faudra que l’on revienne à la bonne saison ! Au cours de ma promenade, je croise aussi un vieillard en djellaba qui mène son bœuf paître sur les bords d’un chemin, puis un autre, assis sur l’arrière train de son âne pelé, qui rentre chez lui après une dure journée de labeur dans les champs.
La journée du lendemain commence très bien puisque nous arrivons à discuter un long moment avec Maxence, l’un de nos fils, sur Skype. Chantal en est toute revigorée et c’est en forme olympique que nous partons nous balader dans la ville de Louxor. Non loin des grands hôtels, la partie consacrée aux touristes a été joliment restaurée, abrite la quasi totalité des belles boutiques et des échoppes de souvenirs, mais ne présente aucun intérêt. Comme à Assouan, on se fait alpaguer tous les dix pas par des commerçants qui nous débitent leur unique phrase en plusieurs langues, sûrs de se faire comprendre. Et ils y parviennent les bougres ! Au début, ça prête à sourire, à la longue ça énerve passablement, malgré le fait qu’ils soient moins agressifs ici… Il suffit de continuer deux ou trois cents mètres plus loin pour tomber sur ce que nous aimons par-dessus tout : le marché local et les marchands de légumes ou de volailles, les bouchers et leurs morceaux de viande sanguinolents exposés au vent et à la poussière, les barbiers officiant en pleine rue et autres quincaillers déballant leur capharnaüm à même le sol. Les carrioles tirées par des ânes chétifs manquent à tout moment d’écraser tomates et salades posées par terre. Ici, comme pratiquement partout dans les pays musulmans, ce sont les hommes qui commercent. Les femmes voilées et en gallabeya noire achètent les denrées et les fourrent dans un panier qu’elles portent sur la tête. Plus tard dans la journée, sur le bac qui nous ramène au village, nous les retrouvons, entre elles, bien à l’écart des hommes…
Nous passons toute la journée du jeudi à l’hôtel, d’abord à lire et à jouer aux dominos dans le jardin (tout en bataillant contre les mouches nombreuses et collantes ici, sur les rives du Nil) puis, au moment le plus chaud, dans la chambre à mettre totalement le site web à jour. En fait, nos familles, nos amis sont très friands des photos et des anecdotes que nous mettons en ligne. Leurs mails nous le confirme et c’est avec plaisir que je m’oblige à l’actualiser régulièrement.
Avant de dîner une dernière fois dans le jardin, nous dégustons une Stella rafraichissante à souhait, affalés sur les gros coussins du canapé qui nous sert aussi de chaise de table. Le patron sympa est venu discuter un moment avec nous. Après le repas nous ne trainons pas longtemps, car nous devons nous lever tôt demain matin pour ne pas louper le bus qui nous emmènera vers notre dernière destination : Hurghada, sur les bords de la Mer Rouge.
Malgré tout ce qu’on peut lire dans les différents guides et revues sur l’Égypte, Louxor nous laissera une bien meilleure impression qu’Assouan, mais là, ce n’était pas bien difficile !...
25 mai au 30 mai 2007
Avant de quitter l’hôtel, nous prenons le petit-déjeuner en compagnie d’un couple de routards français arrivés la veille. Elle est d’origine vietnamienne et lui est normand. Il a quatre-vingt-un ans ! Sa femme quant à elle doit certainement approcher les soixante-dix ans. Tous deux voyagent avec un sac-à-dos. Sur le ferry qui traverse le Nil, il nous apprend que, pour l’année prochaine, ils ont l’intention de visiter la Corée du Nord !!! Ben voyons, l’un des rares pays au monde où les visiteurs ne sont pas forcément les bienvenus !!! Nous sommes pourtant convaincus qu’ils y seront allés…
Le bus pour Hurghada est un bus local, c’est-à-dire pas cher, mais bondé, roulant de guingois, le couloir central encombré de cartons et autres paquets mal ficelés. Le voyage va durer cinq longues heures à travers des paysages toujours désertiques, mais différents au fur et à mesure qu’on se rapproche de la mer. Débarqués à la gare routière de Dahar, la partie ancienne de cette station balnéaire réputée, nous avons du mal à cacher notre déception. Ce n’est que gravats, chantiers en construction, poussière et bruit. La mer, d’un bleu turquoise, est bien là, mais de plage, point !!!! À la place, de vilains immeubles qui seront certainement bientôt remplis par des groupes de touristes des pays de l’Est. Il y a une chose qui nous frappe ici : les panneaux indicateurs. Ils sont écrits en arabe, puisqu’on est en Égypte rien de plus normal, et en… russe ! On dirait qu’ici, tout ce qui est neuf a été bâti avec leurs roubles et leur appartient… et comme tout le littoral est neuf !...
Nous finissons par trouver un hôtel, resort banal pour l’endroit, mais avec piscine et plage privée… en béton, au propre comme au figuré, le peu de sable présent étant en effet tellement granuleux et dur que nous devons mettre les tongs pour marcher dessus ! Et dire qu’en France, les agences et les catalogues de vacances vantent cet endroit !!! Et bien, désormais, à tous ceux qui nous le demanderons, nous les mettrons en garde contre les clichés que l’on peut lire sur la Mer Rouge…
En fait, j’ai fait une grosse erreur lorsque j’ai décidé de terminer notre grand tour ici. Nous avons vécu tant de belles rencontres, vu tant de choses plus belles les unes que les autres, qu’ici nous nous ennuyons ferme. Il n’y a rien à voir et rien d’excitant à faire. Je tente le snorkeling, mais je ne vois que peu de poissons, comparé à ce que j’ai pu admirer ailleurs.
Le souk en ville, malgré ce qu’on nous en a dit, nous déçoit. Heureusement, nous dénichons un bar, fréquenté seulement par les touristes, qui sert de la bière pression et diffuse de la bonne musique rock. Nous y viendrons d’ailleurs tous les soirs, à l’heure de l’apéro, passer un agréable moment en compagnie d’Abdou le barman sympa de l’établissement.
À l’hôtel, le dîner, comme le petit-déjeuner, est servi au buffet dans une grande salle sonore et tristounette. Nous préférons nous installer sur des tables plus simples devant la piscine éclairée. En général, je ne suis pas moqueur, mais est-ce parce qu’il faut bien passer le temps, nous étudions les gens autour de nous. Hormis quelques jeunes Hongroises assez jolies, la plupart des femmes qui séjournent à l’hôtel sont fortes et pas terribles. Avec Chantal, on est pliés de rire lorsqu’à la vue de leur profil je lui fais remarquer qu’elles ont dû garder leur sac-à-dos devant !!! Je sais, je ne devrais pas, mais ça nous met en joie, alors…
Un de mes boulots est d’aller à la banque changer de l’argent et de réserver une place de bus pour le retour vers l’aéroport du Caire. Ça me permet de voir autre chose que nos transats. Les jours passent ainsi, monotones. Surement est-ce le blues de fin de voyage, toujours est-il que nous ne nous amusons plus guère et avons maintenant grande envie de retrouver les nôtres.
Jeudi 31 mai 2007
…Demain soir, nous dormons dans notre lit à Rennes…
C’est par cette phrase que Chantal me tire de ma rêverie, allongé sur un transat face à la Mer Rouge.
Et oui, c’est déjà la fin d’une mémorable odyssée débutée un an plus tôt sur les quais de la gare de Rennes. Heureux ? … Bien plus que ça… Heureux du retour, heureux de ce que nous avons vu, heureux d’avoir crapahuté pendant un an sur la terre des hommes, heureux d’avoir accompli un rêve, heureux de n’avoir pas craqué… Oui, nous sommes heureux, même avec nos dix kilos de moins chacun… Nous allons retrouver la sédentarité, nos habitudes de gens nantis, la consommation superflue, tout ce qui gère notre société, tout ce qui ne nous a pas manqué…
Jamais nous ne pourrons oublier l’accueil du vieux monsieur martiniquais, les conversations en espagnol avec Alberto à Cuba, la petite marchande de tacos de Oaxaca, des paysages fabuleux de l’ouest américain, la randonnée sur la Grande Muraille, les sourires des jeunes chinois à notre encontre et leur envie de communiquer, le défilé des moines laotiens dans les rues de Luang Prabang, la jeune cambodgienne et ses cousines de Kratie, la vieille femme-girafe en Thaïlande, notre réveillon de Noël malaisien à Kuala Lumpur, la réceptionniste javanaise de Yogyakarta, les petits plats de Mama et Papa à Sulawesi, la crémation et l’invitation au mariage balinais, les éclats de rire birmans malgré un contexte politique et économique difficile, notre tout jeune guide népalais Moti de Kathmandu, ma jeune fiancée indienne de Madurai, le trajet en 4x4 à travers la montagne et les dunes de sable au Sultanat d’Oman, la femme du train en Égypte…
Plus des milliers d’autres images, de sons et même d’odeurs et de saveurs emmagasinés dans un coin de notre mémoire et qui ressurgissent au fil des conversations…
Notre ange gardien a bien veillé sur nous, puisque rien de vraiment fâcheux ne nous est arrivé…
Oui… Nous sommes vraiment heureux…
FIN