Extraits du livre du R.P. Victorin
"Les Chartreuses de Vallon et Vallon-Ripaille"
N.B. Les points représentent les parties du texte non retranscrites.
Au début de février 1536 les armées de la "Ligue Suisse" font irruption dans les baillages de Gex, Gaillard et
Ternier, ainsi qu'en Chablais..........les Seigneurs de Berne se déclarent maîtres du pays.
....les fonctionnaires de Berne s'emparent des églises, qu'ils transforment d'ordinaires en temples protestants ;
ils vendent les monastères, ou les détruisent, et versent dans les caisses publiques les fondations pieuses et
autres revenus ecclésiastiques..........
En 1543 les religieux durent abandonner leur monastère de Vallon...............
Le Père Prieur se réfugia à la chartreuse du Reposoir, le Père Procureur, à celle de Meylan (Taninges 74)
et les religieux, du moins la plupart d'entre eux à celle de Pomier.
Tels une bande d'oiseaux de proie, les envahisseurs se précipitent sur les biens des Chartreux. Ils saccagent
tout, et mettent le feu aux bâtiments. La belle église de Vallon et son monastère sont complètement ruinés.
Le beau portail qui orne la façade de la chapelle est enlevé et transporté à Habère pour servir au nouveau
temple protestant............
Quant au domaine de Vallon, les Bernois en disposent en véritables maîtres.
En 1544 ils l'albergent (le louent) par parties, à divers personnages de leurs choix par voie d'adjudication..................
A partir de cette année 1544 les habitants de Vallon commencèrent à faire des 'reconnaissances' aux Bernois
de la même manière qu'ils le faisaient auparavant aux Chartreux.
Ainsi se trouvent 'attribués' tous les biens de l'ex-chartreuse de Vallon à l'exception des terres situées
en dehors du Chablais et des baillages (c'est à dire un versant de Vallon l'autre étant sur le territoire du
Faucigny non envahi par les Bernois).
Les bâtiments sont en ruines. Les religieux sont dispersés.....................
Le triomphe de la Réforme (installation du protestantisme à Bellevaux-Vallon par l'invasion bernoise) ne devait
durer qu'un temps....................
En 1557 le jeune duc de Savoie Emmanuel-Philibert 1er remporte à la tête des armées autrichiennes, dans les
plaines de Saint-Quentin une éclatante victoire dont la conclusion est le traité de Cateau-Cambréisis qui lui
rend le trône de ses aïeux.
Il en résulte, en 1564, un autre traité qu'il signe à Lausanne avec les Suisses et qui lui rend le Chablais,
ainsi que les baillages de Gex, Ternier et Gaillard.
Mais ce traité prévoit qu'il ne devra rien être changé au sujet de la religion actuellement établie,
c'est à dire le protestantisme..................
Par ce traité les Seigneurs de Berne ont remis au duc, directement et à titre personnel, les biens dont
eux-mêmes s'étaient réservés la possession. Or parmi ceux-ci se trouvent les biens pris aux Chartreux.....................
Mais les nécessités de la défense nationale obligent le duc à les aliéner provisoirement.............
Tous les biens des Chartreux à Vallon sont vendus en bloc 'sans que les Chartreux ne fussent appelés, ni ouys' (entendus).
La vente est faite à sire François Joly, écuyer de la ville de Thonon et co-seigneur de la Val-d'Aulps.
Il devient le nouveau 'Seigneur de Vallon' et les communiers reçoivent l'ordre de lui obéir..................
....Les Suisses envahissent de nouveau le Chablais en 1589 malgré le traité de Lausanne. Cette violation du
traité déliait le prince de l'engagement souscrit par Emmanuel-Philibert 1er.
Son successeur en profite pour rétablir le catholicisme et les communautés religieuses.................
Pour récupérer les biens des Chartreux, le duc nomme à cet effet une commission présidée par
François de Sales.
En quelques années il reconstitua la plupart des bénéfices. Il parvint à rétablir la communauté des Chartreux
de Vallon après quelques années de contentieux avec les nouveaux propriétaires, en particulier avec le nouveau
'Seigneur de Vallon', François Joly et son fils.
Finalement le duc de Savoie Charles-Emmanuel 1er, usant par exception, de son autorité souveraine et pour
mettre un terme à ces lenteurs (pour restituer les biens aux Chartreux), renouvelle dans un acte du 1/4/1607
les ordres donnés en 1599.
En conséquence, le commissaire ducal se rend à Thonon et le 14/4/1608 prononce en dernier appel les décisions
à l'encontre des plaignants (cités par l'auteur) notamment à l'encontre de Guy Joly dont le père était devenu
propriétaire de la chartreuse.
Les biens sont restitués aux Chartreux moyennant le prix de 2.400 écus, "sauf à imputer sur les dites sommes
tout ce que le dit sieur de Valon (Guy Joly) se trouvera avoir reçu du prix en introge (droit d'entrée en location),
des ventes, des albergements par lui passés, d'autres biens dépendants du dit Vallon".
Les Bernois qui étaient devenus les 'Seigneurs de Vallon' avaient apporté des modifications aux contrats de
location passés avec les habitants de Vallon (ascens et albergements), qui étaient plus favorables à ces derniers.
Dom Laurent en personnage avisé se garde bien d'imposer le retour à des usages anciens. Il se montre conciliant..............
Les hommes de Vallon acceptent d'assez bon coeur la juridiction des Pères Chartreux et signent les nouvelles
reconnaissances.
Mais les bâtiments laissés par les Chartreux avant d'être chassés, sont dans un état de grand délabrement.
Le couvent de la Chèvre a trop souffert des dilapidations des Bernois et de l'incurie de Sire Joly. Sa mise en état
demande des dépenses excessives.................
Le 18/8/1613 le St Evêque (François de Sales) se rencontre à Turin, avec Charles-Emmanuel 1er. Le nom de
Ripaille dut certainement y être mis en avant , car l'année suivante le 12/6/1614, François de Sales écrivait
au Duc une lettre débordante de joie, pour le remercier d'avoir accepté le principe de la cession de Ripaille
aux Pères Chartreux.
Mais Ripaille est occupé par la communauté des Chanoines Réguliers de St Augustin...........Six ans après le
Supérieur de cette communauté meurt. Notre St Evêque s'empresse d'acquérir le bénéfice vacant en son nom,
en réalité pour les Chartreux.
......les Chanoines Réguliers continuent d'occuper le couvent...........St François de Sales obtint du St Siège
la dissolution de cet Ordre...........Enfin le 12/12/1623, Charles-Emmanuel 1er publie l'acte de cession de
Ripaille aux Chartreux.
A la suite de cet acte les Chartreux sont mis en possession de Ripaille le 24/4/1624........
Concernant le nombre de religieux...........d'après l'acte de cession cité ci-dessus, Bruchet indique
20 prêtres et 10 frères.
L'affranchissement des Communiers de Vallon et fin de la Seigneurie des Chartreux.
Depuis l'occupation de la Savoie par les armées françaises et suisses au 15ème siècle, la tendance des esprits
à l'émancipation et à l'indépendance s'accentue sans cesse.
Le régime féodal n'a plus la sympathie des populations.
Bien des fois les communiers empiètent sur les attributions des Chartreux. Ils refusent avec obstination
de signer des reconnaissances d'après le style ancien et n'hésitent point, dans leurs démêlés réciproques,
à traduire les religieux devant les plus hautes juridictions du pays (la Savoie).
On sent partout une profonde irritation. Pour calmer l'opinion, Victor-Amédée II (1675-1730), décide la
réforme des impôts. Il crée 'l'impôt foncier' basé sur l'estimation objective de la propriété rurale,
et atteignant indistinctement tous sujets.
A cet effet, il prescrit, par une ordonnance du 9/4/1728, la confection du cadastre.
Ces opérations ont lieu à Bellevaux-Vallon cette même année........
Chaque parcelle de terre est cotée ; les titres de propriété sont contrôlés et l'on fixe d'une manière
aussi précise que possible les revenus de tous les possesseurs.
Le 15/9/1738 Charles-Emmanuel III, successeur de Victor-Amédée II, abroge officiellement tous les privilèges
antérieurs, et rend obligatoire le nouvel impôt.
Il est cependant maintenu une exception en faveur des biens dont la noblesse ou le clergé pourrait
justifier la possession antérieure à 1537.
Mais la nouvelle loi s'applique aux possessions acquises postérieurement à 1738.
L'édit de Charles-Emmanuel III crée des Conseils municipaux, dits paroissiaux.
Vallon avait déjà son Conseil que les Chartreux avaient créé en 1426. Bellevaux n'eut le sien qu'à partir de 1738.
Les deux conseils continuent à coexister, ayant chacun leurs attributions propres. Le premier composé
également de représentants des deux sections de Bellevaux et Vallon s'occupe d'asseoir l'assiette des impôts,
tandis que que le second traite des affaires qui concernent exclusivement les intérêts des communiers de Vallon.
Pour bien comprendre l'évolution vers l'affranchissement des habitants de Vallon, les Communiers, il faut
revenir sur ce qui caractérise le régime féodal. Celui-ci trouve son expression concrète dans le droit
de 'main-morte'.
Ce droit consiste en une double servitude : réelle et personnelle. Réelle, elle affecte les bien-fonds
(propriété) des sujets ; personnelle, elle atteint les possesseurs de ces biens, soit les 'taillables' ou
'hommes-liges', et leurs descendants.
Charles-Emmanuel III .......décide par un édit du 20/1/1762 : Tous les taillables de nos domaines, hommes et
femmes, sont affranchis sans paiement d'aucune finance, de toute taillabilité personnelle, de quelque nature
qu'elle puisse être, soit de main-morte, échute, qui en peuvent dériver ; et Nous voulons que dès la date de cet édit,
ils soient regardés, de même que leurs descendants comme affranchis et libres.
Le 17/7/1762 le Conseil (paroissial de Bellevaux-Vallon) nomme les procureurs chargés de traiter cette
affaire avec les seigneurs. Ce sont : Joseph Place, feu Etienne ; Argaud Monnet Michel feu Jacques ; et
François-Louis Favrat, châtelain des communautés de Bellevaux et Vallon.
Ils vont négocier avec les seigneurs, les prix de cet affranchissement de la 'servitude personnelle'
une des deux composantes de ce droit de la 'main-morte'.
Ne parvenant pas à un accord amiable, l'arbitrage est rendu par l'Intendant du Chablais. En suite de quoi,
le Prieur de Vallon signifie 'Nous déclarons libres et exempts, pour leurs personnes et leurs descendants, de
toute taillabilité, main-morte, échute envers la dite chartreuse de Vallon, dont les noms sont consignés aux
registres de l'Intendance de Thonon.'
Ainsi les communiers de Vallon se trouvent affranchis de la main-morte personnelle à l'égard des Chartreux.
Reste encore, pour compléter leur affranchissement, la libération de la main-morte réelle laquelle affecte
les biens qu'ils tiennent des religieux par contrat emphytéotique.
Charles-Emmanuel III porte le 19/12/1771 un nouvel édit prescrivant le rachat général et obligatoire des rentes
féodales et de la 'directe'..........Cet édit impose cet affranchissement.
..... la fixation des indemnités à verser aux religieux provoque d'interminables discussions. Entre temps,
le Duc suspend l'effet de la loi pendant 5 ans..............
Enfin, le 2/5/1781, l'acte d'affranchissement de la 'main-morte réelle' est prononcée officiellement dans la
grande salle de la chartreuse de Ripaille-Vallon.............
Les communiers s'engagent à verser aux Chartreux la somme de 22.000 livres, laquelle sera payée, avec
les intérêts à 4 % à compter de ce jour, en deux termes égaux : 11.000 livres dans un an et les autres 11.000
dans l'année qui suivra.............
Les sommes sont versées régulièrement en leur temps, ce dont les Chartreux donnent quittance le 10 juillet
par acte passé devant Me Favrat, notaire.
L'affranchissement est complet.
A la suite de ces changements, le domaine de Vallon se trouve scindé en deux grandes propriétés : celle des
Chartreux et celle des Communiers.
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