Le soi, en tant que processus...

Anatta, non-soi, signifie que chacun de nous est un processus et pas un soi fixe, indépendant et éternel, pas une entité concrète. Un des sens d'anatta est "sans gouverneur". Comme dans Le Magicien d'Oz, quand on découvre qu'il n'y a pas de grand roi derrière le rideau. Rien qu'une apparence d'unités à facettes multiples, elles mêmes pleines d'autres facettes. Tout ce qu'on pense des choses n'est qu'une manière de plaquer des concepts sur elles. Ayant prêté à des objets relatifs une nature concrète et absolue, on prend ses concepts et ses idées pour la réalité vraie. Aux yeux d'un habitant de l'Arctique, par exemple, le sud du Canada jouit d'un climat chaud, alors que pour les Mexicains c'est un pays froid. Chacun a raison, mais seulement dans un sens relatif. Comme dit le Lankavatara Soutra: "Les choses ne sont pas ce qu'elles paraissent, mais pas autres non plus."
Peut-être êtes-vous allé vous promener, hier soir. Il soufflait une brise délicieuse et le soleil vous chauffait le visage, mais vous étiez d'humeur un peu sombre, à cause d'une contrariété. Et puis, en chemin, vous avez rencontré des voisins: le chat d'à côté, les gens qui habitent en bas de la rue. En tournant le coin de la rue, remâchant votre déception, vous avez décidé de faire quelque chose pour vous remonter un peu le moral: vous êtes entré chez le fleuriste et vous avez acheté un bouquet de pâquerettes. En rentrant chez vous, vous avez croisé un couple de voisins âgés et, impulsivement, vous leur avez offert les fleurs. Votre ballade a été ponctuée de quantité de petits événements, d'humeurs, de sentiments, de changement. Et aujourd'hui, vous êtes dans un état émotionnel différent, la promenade d'hier semble un rêve. Qui a éprouvé ces choses-là hier? Et aujourd'hui? Maintenant? Tant d'instants mentaux en un seul moment. Qui peut les analyser tous?
Quand vous essaierez d'examiner qui est celui qui éprouve ce que vous éprouvez, ne vous contentez pas d'une conclusion hâtive et superficielle. Rappelez-vous les paroles du Bouddha: Dans l'ouïe, il n'y a que l'entendre, pas d'entendeur ni d'entendu; dans la vision, il n'y a que le voir, pas de voyant ni de vu. Tout est semblable à l'écho, à une image reflétée dans l'eau, au son d'une percussion, qui naît de l'interaction d'un bâton et d'une peau tendue sur du bois. Tout n'est que processus en devenir: il n'y a pas de son qui attende quelque part que quelqu'un l'entende. Bien sûr qu'on entend rouler le tambour quand on le frappe, mais le son lui-même n'est pas une entité concrète, non?
Mais alors, qu'est ce que c'est? Qui est-ce? La question existentielle fondamentale, qui tourne l'exploration vers l'intérieur. Qu'est-ce qui se présente à moi là, tout de suite?
On aura beau passer sa vie à chercher la réponse, il n'y en a pas. Tout est relatif plutôt qu'absolu: voilà la réponse. On essaie, en méditant, d'approfondir de plus en plus, d'enlever les peaux successives jusqu'à ce qu'on arrive au coeur de l'oignon, ce qu'on appelle sunyata, le terme sanscrit qui signifie vacuité. A mesure qu'on pèle l'oignon, on démasque ses personnages. On commence par démasquer le corps, puis l'esprit. Ensuite, en creusant un peu plus, on révèle le psychisme en lâchant prise et en pelant les couches l'une après l'autre. On porte tous tellement de masques qu'on se croirait en carnaval tous les jours. En enlevant ces masques, on évacue ses fantasmes par rapport à soi, aux autres et au monde. On peut voir et être vu; connaître et être connu. On est.
La vacuité ne signifie pas qu'il faille se nier, renoncer à soi ou faire comme s'il n'y avait personne. Pour résumer très simplement cet enseignement, il a pour but d'aider à se vider quand on est trop plein de soi. D'aider à porter un regard réaliste sur soi-même, de donner du recul quand l'égo se prend trop au sérieux. Cela permet de se défaire de la vision illusoire de soi et de l'univers, pour arriver finalement à sunyata, la vacuité, et trouver son être authentique, son état naturel tel qu'à l'origine, non modifié, rayonnant et infiniment illimité. Telle est la nature de bouddha, pleinement consciente et "vide", au sens où elle est dénuée de fantasmes.

LAMA SURYA DAS , Eveillez le Bouddha qui est en vous

Commentaire du texte

L'auteur parle du soi comme un processus et non comme une entité fixe.
En effet, l'esprit n'est autre qu'un constant courant de moments mentaux changeants, un peu comme un cours d'eau qui s'écoule; paraissant identique instant après instant et pourtant continuellement changeant. On ne traverse jamais deux fois la même rivière.
Si l'esprit, le soi, était quelque chose de fixe, alors nous aurions un seul et unique état d'esprit, figé comme une pierre et nous ne pourrions ressentir différentes émotions, développer différentes pensées: nous ne pourrions pas évoluer!
Chaque moment d'esprit est la conséquence du précédent, et la cause du prochain. Voilà pourquoi le bouddha a dit que notre soi n'a pas d'existence propre, mais il est un processus qui évolue sans cesse, un processus que nous pouvons influencer par une conduite juste et des pensées justes afin de l'orienter vers le nirvana et l'éveil.
L'absence d'existence propre, c'est cela la vacuité. L'existence est conditionnée et relative: exemple du climat du sud du Canada.

Karma Yéshi Néma