Suite Constantin Senlecq Constantin Senlecq

Constantin-Marie Senlecq (Fauquembergues, 1842 - Ardres, 1934)  est une figure mythique de l'histoire de la télévision. Senlecq est, avec l'Américain George R. Carey et l'Allemand Paul Nipkow, le chercheur du 19ème siècle le plus souvent cité dans les histoires de la télévision. En France, en particulier, toute histoire de la télévision digne de ce nom se doit d'y faire référence en préambule, sans s'inquiéter de mettre sa contribution en contexte.

Constantin Senlecq est le fils de Théodore Zacharie Senlecq, distillateur à Fauquemberges et de Euphrosine Bouffe, fille d'un chirurgien. Robert Champeix lui a consacré un chapitre dans son ouvrage Savants méconnus. Inventions oubliées, en se basant sur le témoignage d'un des fils de Senlecq, M. Théodore Senlecq. Bien qu'imparfaite et basée sur un témoignage oral non vérifiable, la contribution de Champeix a le mérite de nous proposer une explication sur les origines de l'intérêt de Senlecq pour les questions de télécommunication et divers éléments intéressant sur la vie de l'inventeur.

Selon Champeix, "Constantin Senlecq naquit en 1842 à Fauquembergues, en Artois. Après de très bonnes études secondaires, il s'inscrivit à une école de notariat à Saint-Omer. Dans le petit restaurant où il avait pris pension, fréquentait également un colonel, commandant le régiment du génie en garnison dans la localité. Cet officier, ancien polytechnicien, avait fait de la galvanoplastie son violon d'Ingres, et inocula ce microbe à son jeune commensal. Ses études terminées, ce dernier acheta une charge de notaire à Ardres, gros bourg de l'Artois qui eut l'honneur d'être, sous François Ier, le siège du fameux Camp du Drap d'Or. Tout en rédigeant actes et contrats, Constantin Senlecq continua - pour se distraire - à étudier les lois régissant les dépôts métalliques par l'électrolyse, et mit au point un vernis conducteur permettant de faire de la galvanoplastie sur végétaux.

Sur ses entrefaites, vers 1875, il eut à rédiger la succession d'une personne décédée en Angleterre. Comme il se méfiait des hommes de lois britanniques, il décida alors d'apprendre l'anglais, et pour se perfectionner dans cette langue il s'abonna à la célèbre revue Scientific American, ce qui lui permettait par la même occasion de se tenir au courant des dernières inventions en matière de physique. Un des premiers numéros qu'il reçu faisait état d'une invention faite récemment par un certain Graham Bell, et grâce à laquelle ce dernier était parvenu à transmettre électriquement la parole le long d'une ligne télégraphique. On appelait cela le téléphone. La même revue donnait par ailleurs de nouvelles précisions relatives à l'influence de la lumière sur la conductibilité électrique du sélénium, phénomène constaté, (...) trois ans plus tôt."

Le récit est compatible avec la réalité observable des articles publiés dans le magazine américain. Selon le biographe de Bell, R.V. Bruce, Scientific American ne rendit pas compte du téléphone de Bell avant son numéro du 9 septembre 1876 (soit près de six mois après l'article du New York Times du 22 mars 1876 qui révéla la

première transmission réussie par Bell). Par contre, Scientific American rend compte de la découverte de Willoughby Smith sur les propriétés du sélénium dès le 29 mars 1873, mais c'est plus probablement les différents articles publiés, à partir du 1er avril 1876, sur les expériences des frères Siemens et leur proposition d'un oeil artificiel électrique qui ont retenu l'attention du notaire. Cependant, dans la lettre que Senlecq envoie en octobre 1880 à La lumière électrique, et donc cette revue rend compte dans son numéro du 1er novembre 1880, il mentionne, plutôt que la lecture de Scientific American, celle d'un livre anglais The year book of facts in science and the arts for 1876. Cet annuaire,  publié par James Mason à Londres, devait en fait être paru et parvenu en France dans le courant de 1877.



Essai de chronologie sur la contribution de Senlecq sur la vision à distance et sur sa propagation

Un débat existe depuis les origines sur la priorité d'idée entre l'Américain George R. Carey, le Portugais Adriano de Paiva et Constantin Senlecq en ce qui concerne la possibilité d'utiliser le sélénium pour la transmission des images. Ce débat a été lancé par les protagonistes eux-mêmes : Adriano de Paiva, dont les premières contributions remontent à mars 1878, publie en 1880 La téléscopie électrique basée sur l'emploi du sélénium et Senlecq lui répond, en 1881, avec sa brochure Le télectroscope. Les deux auteurs publient en annexe de leur brochure respective une sorte de dossier de presse, bien utile pour repérer les textes les concernant.

Il nous paraît important, avant toute chose, de faire le point sur les documents qui nous sont connus, afin d'établir la chronologie la plus rigoureuse possible. Pour restituer cette chronologie dans l'ensemble des propositions de l'époque, on se reportera à la liste chronologique des publications des années 1873-1879 et 1880-1889.

Dans sa brochure Le télectroscope, Senlecq indique que l'idée d'utiliser le sélénium lui est venue "dans le courant de l'année 1877". Il formule la même revendication dans sa lettre à La Lumière électrique, publiée par  cette revue dans son numéro du 1er novembre 1880 et dans sa demande de brevet, déposée en 1907. Dans ce cas, il pourrait revendiquer l'antériorité par rapport à de Paiva, dont la première publication date de 1878 (DE PAIVA, A., "A telefonia, a telegrafia e a telescopia" in O Instituto - revista científica e literária, Março de 1878.  Mais il n'existe aucune preuve écrite de cela. Si il fallait se fier uniquement à la bonne foi des inventeurs, il faudrait alors créditer George R. Carey de la primauté, puisqu'il a prétendu, dans son carnet de note,  avoir pensé à sa caméra électrique au sélénium dès janvier 1877.

Novembre 1878

La première communication publique de Senlecq est, selon lui, sa prise de contact par lettre avec le Comte Th. du Moncel, qui incarne à l'époque en France la figure de référence des recherches sur l'électricité et les télécommunications.  Cette lettre, dont tout indique qu'elle date de novembre 1878, est probablement perdue, mais est mentionnée par du Moncel dans son article "La téléscopie électrique", La lumière électrique, 1er octobre 1880 et par Senlecq dans sa lettre "A propos du télectroscope", La lumière électrique, 1er novembre 1880. Du Moncel nous indique quant à lui qu'il a attendu la démonstration de Shelford Bidwell pour porter crédit aux travaux de Senlecq.

Décembre 1878

Dans le dossier de presse de sa brochure de 1881, Senlecq mentionne, mais sans reproduire l'article, le magazine Science pour tous. du 7 décembre 1878, le premier paru sur son appareil de Senlecq. L'existence de cet article rend plausible la datation de novembre 1878 de la lettre à du Moncel précitée. Cet article est reproduit  dans le Bulletin de la société française de photographie, 1879.