Suite Constantin Senlecq.

Senlecq intervient aussi probablement auprès de la presse britannique comme l'atteste un article paru en février 1881 dans la revue The Electrician. (16). Dans la présentation de cet article, il est affirmé que l'appareil a été inventé au début de 1877 par C. Senlecq. Il est également fait référence à l'ample écho que cette proposition a trouvé dans la presse en Europe et aux Etats-Unis. Il est affirmé que l'appareil aurait été au centre des préoccupations de MM. Ayrton, Perry, Sawyer à New York, de M. Sargent à Philadelphie, de M. Brown à Londres, de M. Carey à Boston, de M. Tighe à Pittsburgh et de M. Graham Bell lui-même.

Après cette introduction - qui surévalue le caractère central de la proposition de Senlecq - suit une description beaucoup plus détaillée du télectroscope que celle publiée en 1878 et, pour la première fois, illustrée de graphiques soigneusement gravés. Cet article aura une importance non négligeable sur les développements à venir car Paul Nipkow le cite comme une de ses sources d'inspiration.

Mars 1881

Avec près de cinq mois de retard, Th. du Moncel répond à la lettre de Senlecq du 1er novembre 1880 en expliquant que, si, à la différence de Les Mondes et de The Electrician il n'a pas publié la proposition du notaire d'Ardres, c'est qu'il "s'est fait un devoir de ne décrire avec détail que des inventions et expérimentées". Il accorde dans le même article beaucoup plus d'importance aux travaux de l'anglais Shelford Bidwell. Victor Meunier présente également les travaux de Bidwell, tout en rappelant toutes les propositions précédentes.

Avril 1881

La reconnaissance de Senlecq dans le monde anglo-saxon s'accroît : le 19 avril 1881, Scientific American reprend dans son Supplément l'article déjà paru dans The Electrician et dans English Mechanic and World of Science.

Cette reconnaissance dans la presse anglo-saxonne et probablement la perspective de l'Exposition internationale d'électricité qui s'ouvre à Paris le 15 août 1881 ont décidé Senlecq d'éditer à compte d'auteur sa brochure Le télectroscope sur le modèle de celle que de Paiva avait publiée en 1880. Comme de Paiva, il accompagne sa publication d'une revue de presse. Assez curieusement les dessins sont tracés à la main, dans une forme probablement antérieure à celle plus élaborée, parue dans l'article de The Electrician.

La publication ne semble guère avoir accru la notoriété de Senlecq auprès de la presse généraliste. Dans sa "Revue électrique", publiée à l'occasion de l'Exposition de l'Electricité, Le supplément littéraire du dimanche du Figaro publie un petit article intitulé "Le télectroscope". Senlecq n'est pas cité et l'appareil n'a pas encore droit à un dessin dans la série de caricatures proposée par le journal. L'article est consacré au télectroscope avec une réflexion sur les perspectives que l'appareil offre pour la transmission de spectacles d'opéra. On ne trouve dans l'hémérothèque numérique Retronews aucun article dans la presse française mentionant la publication de la brochure. Les expériences des électriciens britanniques (Ayrton et Perry, Shelford Bidwell) retiennent désormais plus l'attention de la presse française. Ces intervenants ont plus de légitimité scientifique et peuvent faire valoir les résultats d'expériences, ce qui n'est pas le cas du notaire d'Ardres. SI l'on excepte les annonces d'échanges d'animaux à réaliser au sein de son étude, son nom réapparaîtra plus dans la presse quotidienne avant mars 1883.

Une question de priorité sans grande importance

Dans son ouvrage Sur le microphone, le radiophone et le phonographe, qui paraît en juin 1882, du Moncel consacre un chapitre substantiel au téléphote, préférant le terme lancé par McTighe et les frères Connolly au peu aisé télectroscope.

Du Moncel revient sur le débat de priorité entre de Paiva et Senlecq en portant un jugement de Salomon : de Paiva a publié le premier, mais Senlecq a mené une démarche simultanée ; cette question historique est pour du Moncel sans grand intérêt, puisque rien n'a encore abouti et que tout reste à faire. Il reconnaît que l'appareil de Senlecq est plus élaboré que celui du Professeur portugais et que celui attribué à Graham Bell (qui en fait ne s'est pas intéressé à la question...).


Cette querelle de priorité nous paraît encore plus vaine aujourd'hui - elle l'était déjà à l'époque comme le souligne le commentaire de la revue La Lumière électrique dans son commentaire sur la lettre de Senlecq du 1er novembre 1880, dès lors qu'il apparaît que l'intérêt pour le sélénium était "dans l'air du temps". Il n'en reste pas moins qu'en terme de communication publique de l'idée de recours au sélénium, c'est bien à de Paiva que revient l'antériorité. Mais il est évident aussi que Senlecq, à l'instar de Carey, a conçu un appareil et mené des expérimentations, alors que la contribution du professeur portugais est restée purement théorique. De plus, comme le remarque Jean-Jacques Ledos, Senlecq a été le premier à avoir imaginé le balayage de la surface d'une image alors que le projet de Carey ne mentionne pas d'analyse séquentielle, mais conçoit un système de mosaïque de points.

Senlecq s'attribue la création du terme télecroscope, alors que la première attestation est l'article de l'Abbé Moigno publié en juin 1877.

La  question de priorité dans la formulation de l'idée du recours au sélénium pour transmettre les images à distance n'est, au regard de l'histoire des sciences, habituée à ce type de querelles, que secondaire. Ce qui est incontestable est que Senlecq est allé beaucoup plus loin que de Paiva, dans l'imagination, sinon dans l'expérimentation du télectroscope.

Il est significatif que Senlecq publie sa brochure après deux marques importantes de reconnaissance : la publication de l'article du Comte du Moncel du 19 mars 1881 et la publication de la traduction anglaise de sa "notice" la plus développée, et la seule illustrée,  dans la presse anglo-saxonne Mais c'est probablement l'absence d'accès à une publication scientifique française - clairement notifiée par du Moncel - qui l'amène à publier une brochure à compte d'auteur, dont la diffusion restera très limitée. Champeix a beau affirmer que cette brochure fut "publiée simultanément à Paris, à Londres et à New York", nous n'avons pas connaissance d'autres exemplaires que ceux, au nombre de deux, "réputés existants" au catalogue de la Bibliothèque nationale.


Un silence d'un quart de siècle

Après la publication de sa brochure, Senlecq sort du champ. Il va se préoccuper d'autres sujets. Il  et ne fera sa réapparition en 1907 pour demander (et obtenir) un brevet pour un télectroscope amélioré.

Pourquoi ce silence ? Pourquoi Senlecq n'a-t-il pas donné une suite immédiate à ses travaux sur la transmission des images ?  Selon Champeix, se basant sur le témoignage du fils de Senlecq, le notaire-inventeur aurait été découragé par le montant important 50 000 francs de l'époque - qu'on lui aurait demandé pour construire son télectroscope et sa fortune ne lui permettait pas une telle dépense. L'Académie des Sciences, à qui il avait communiqué sa brochure, lui aurait répondu par lettre que "le problème de la transmission électrique des images était une utopie irréalisable". Champeix nous rapporte que Senlecq qui avait le sens de l'humour, avait fait encadrer cette lettre côte-à-côte avec celle que lui avait envoyée Graham Bell, lequel affirmait que "l'invention du télectroscope valait bien l'invention du téléphone". Champeix ajoute en note : "Ces documents ont malheureusement disparu, la maison de Senlecq à Ardres ayant été "occupée" pendant la durée de la Seconde guerre mondiale."