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La reconnaissance de la contribution de Senlecq dès la fin du 19ème siècle mais l'oubli quasi complet dans la presse française.
Cependant, les divers articles publiés entre 1879 et 1881 rendent le nom de "Senlecq d'Ardres" rapidement célèbre. Outre les témoignages déjà cité de de Paiva, Carey, du Moncel et celui - perdu mais plausible - de Graham Bell, on retrouvera son nom systématiquement cité dans les contributions ultérieures sur la vision à distance.
Aux États-Unis, en 1883, il est le seul de la première génération des pionniers de la vision à distance à être cité dans le Dictionary of electricity de Henry Greer. En Angleterre, lorsque le Dr. Gindrah (en fait un personnage de canular) prétend, depuis la Nouvelle-Zélande, avoir inventé un télectroscope, The Electrician rappelle que ce mérite revient à Senlecq.
En Allemagne, dans son article fondateur de 1885, Nipkow fait référence aux travaux de Senlecq "menés depuis 1877", qu'il ne connaît probablement que par l'article - qu'il cite - de The Electrician. En 1891, le grand chimiste allemand Raphael Edouard Liesegang commence l'historique de sa propre brochure sur la télévision par une évocation des travaux de Senlecq, avec la date de 1877.
En France, les principaux états de l'arts du début des années 90 (Mathias, Blondin) citent Senlecq et, Emile Desbaux le crédite dans le chapitre sur le téléphote de sa Physique populaire, que citera Anatole France. C'est peut-être ce livre qui a relancé la citation de Senlecq dans la presse quotidienne. Dans le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse (vers 1890), Senlecq est cité comme ayant été le premier à indiquer le moyen de résoudre la téléphotographie (1877).
Les travaux de Senlecq menés entre 1877 et 1881 resteront régulièrement cités par la suite jusqu'à la fin du siècle, et il est probable que c'est à lui que Mark Twain fait référence dans son premier article sur Jan Szczepanik (1898), l'inventeur austro-polonais du Telelekstroskop, en indiquant "A Frenchman came near to solving the difficult and intricate problem fifteen years ago, but an esential detail was lacking which he could not master, and he suffered defeat.". Apprenant l'invention d'un téléctroscope par Jan Szczepanik, Senlecq adresse une lettre le 13 mars au rédacteur du New York Herald, et publiée le 15 mars, pour protester de l'antériorité de son invention face au télectroscope annoncé par l'"Edison polonais". Il menace de faire annuler les brevets de l'inventeur viennois. Le 22 mars, le journal reprend la réponse ironique de l'avocat de Szczepanik, qui a été publiée dans l'article "Wer erfand das Telektroskop ?" du Neues Wiener Tagesblatt du 20 mars : tout le monde attend la démonstration de l'appareil que Senlecq a décrit il y a dix-sept ans et son client met au défi le notaire du Pas-de-Calais de démontrer que cet appareil, annoncé en 1877 et dont les dernières notices remontent à 1881, fonctionne, auquel cas il serait prêt à faire annuler ses propres brevets !
Un brevet tardif puis l'abandon du sélénium
Si les contributions de Senlecq des années 1878-1881 sont connues, peu de monde a prêté attention à ses travaux des années 1907-1909 et au brevet qu'il a obtenu pour un appareil destiné à transmettre à distance, par l'électricité, la vision avec le mouvement et l'instantanéité.
Une analyse détaillée de ce brevet montrera certainement que sa proposition - inspirée par le disque de Nipkow - est moins originale que les hypothèses de 1878-1881. Ce brevet est pourtant intéressant à plus d'un titre. Bien que référence soit faite au télectroscope proposé par Senlecq "dont les premiers essais remontent à 1877", même une lecture rapide permet de voir que l'appareil ici proposé est bien loin de celui décrit par Senlecq dans ses contributions de 1878-1881 : il intègre de toute évidence l'apport de Nipkow et de ses disques d'analyse et de synthèse des images. Alors que dans les contributions de 1880-1881 la captation et la transmission des images en mouvement n'était pas explicitée, l'appareil de 1907 prétend bien transmettre la vision "avec le mouvement et l'instantanéité". La conclusion du brevet indique d'ailleurs que l'image obtenue est "fugitive mais animée". Notons également la référence - évidemment impensable en 1878-1880, aux lentilles "analogues à celles du cinématographe". Enfin, Senlecq se montre beaucoup plus concret dans la description de la préparation du sélénium, ce qui, plus que dans les propositions initiales, laisse supposer une expérimentation réelle.
Reste à déterminer pourquoi Senlecq revient à la question de la vision à distance en 1907, plus d'un quart de siècle après la publication de sa brochure Le télectroscope. Souhait-il une reconnaissance a posteriori de ses premières contributions ? Considérait-il avoir atteint un niveau de perfectionnement tel qu'il imaginait pouvoir rendre son appareil bientôt opérationnel, et donc, éventuellement, exploitable ? Il n'est pas inutile de noter que sa demande de brevet fait suite à la mise à l'ordre du jour de la télévision à l'ordre du jour du Congrès de l'Electricité de l'Exposition universelle de Paris (1900), de l'octroi de brevets français à Bauer (1898), Polumordvinov (1900), Laurent Semat pour son téléphote (1901, 1902) et à Georges Rignoux, également pour un téléphote (1906). Les brevets pour des appareils de transmission d'images fixes, recourant aux propriétés du sélénium, commençaient également à se multiplier : E. et O. Buss (1903), Belin (1905), Carbonnelle (1905) sans oublier les démonstrations du télautographe de l'allemand Korn (1904-1907).
En déposant une demande de brevet, dont nous laissons aux ingénieurs le soin de discuter l'originalité, le notaire d'Ardres voulait peut-être simplement se rappeler à la mémoire de ses contemporains, tout en indiquant qu'il était toujours "dans le coup". Selon le notaire Ryssen, gardien des archives et de la mémoire locale de Senlecq à Ardres, c'est à l'incitation de son fils que l'inventeur aurait fait cette démarche.
Une présentation du nouveau télectroscope de Senlecq;, "The Senlecq telectroscope, an apparatus for electrical vision" paraîtra dans le Scientific American Supplément en décembre 1907. Shiers (1997, p.49) commente ainsi cet article : "In this adaptation of Nipkow's disk the inventor employs separate cells or plus of selenium instead of holes in a copper disk. Signals from each cell in turn are sent via an induction coil to a solenoid-type galvanometer which operates a shaded transparency to modulate light from a lamp in a receiver. The modulated beam is then passed through the holes in a scanning disk and projected onto a viewing screen. No specific method for synchronism is mentioned, but a screw is provided to adjust the disk speed at the receiver."
Selon Champeix, Senlecq publia encore en 1907 une proposition d'enregistrement des images sur fil d'acier, anticipation intéressante de l'enregistrement sur bande magnétique et qui était peut-être inspirée par le télégraphone de Poulsen permettant l'enregistrement du son sur fil d'acier (1900). Champeix indique que la méthode proposée par Senlecq a été décrite par A. Turpain dans Notices fondamentales de télégraphie, Gauthier-Villars, 1910, mais nous n'avons pu à ce jour prendre connaissance de cet ouvrage.
Il reste que, pour l'instant, nous ne disposons d'aucune attestation de démonstration, ni même aucune trace d'une possible conservation de l'appareil de 1907. A défaut d'archives familiales, apparemment disparues sous l'Occupation, un examen détaillée de la presse de l'époque reste à faire.
Senlecq's Telectroscope", Scientific American Supplement 1907,64 (p.372-373).