Pic du Belchou par le col de
Zuharry
29 juillet 2000 |
Nous avons voulu refaire cette promenade à plusieurs reprises, depuis le printemps 1999, mais à chaque fois le mauvais temps nous a obligé à y renoncer.
Enfin, nous avons le temps idéal. Nous sommes moins nombreux que la première fois, mais qu’importe !
Garés au même endroit, nous ne montons pas directement au pic mais faisons un détour par le col de Zuharry. Arrivés à la fameuse doline, d’abord, nous ne la voyons pas. Un chaos de roches dénudées jonche les flancs du Belchou, et ce n’est qu’au dernier moment que nous prenons conscience de cette drôle de crevasse, large comme la gueule d’un volcan, mais sans bouillonnement au fond. Par jeu, certains d’entre nous y descendent et nous découvrons une végétation un peu différente et surtout verdoyante et fleurie, car elle est bien à l’abri des intempéries dans cette dépression profonde de dix à vingt mètres et d’un diamètre d’une cinquantaine de mètres.
Jeannot nous racontera des mois plus tard que cette montagne du Belchou est maudite : de nombreux bergers et moutons y ont disparu sans laisser de traces. Certains périmètres sont d’ailleurs cernés de fil de fer barbelé, afin d’éviter les chutes dans des crevasses invisibles sous les herbes et les roches. Ce sol calcaire est éminemment sensible à l’érosion par la pluie et il est percé de multiples grottes, gouffres et fissures.
Un peu plus loin, nous arrivons devant une autre manifestation de ce même phénomène, appelée un poljé (terme d’Europe centrale, qui signifie large étendue plane). Nous sommes au col et en contrebas s’étire une longue vallée au fond plat, imitant la géographie des vallées glaciaires, sauf qu’il n’y a pas de verrou, qu’elle est entourée de toute part par les flancs de la montagne, et que les glaciers ne sont pour rien dans sa formation particulière. Des chevaux y broutent, non loin d’un unique petit arbre isolé. Les enfants lancent leur ballon et partent en courant à sa poursuite, tandis que nous les suivons d’un pas plus posé. Des ruisselets dévalent la pente et se terminent en un vaste marécage à la végétation caractéristique d’herbes en bouquets vert sombre et pointus.
Nous le contournons et avançons sur cette plaine encastrée et curieusement bosselée. Nous examinons de plus près ces protubérances parfois hautes de plus d’un demi-mètre : il s’agit de milliers de fourmilières, sur lesquelles ne poussent qu’une sélection de plantes (les fourmis doivent trier celles qui sont utiles au maintien de leurs galeries). Nous marchons en prenant garde de ne pas les piétiner. L’un de nous part sur les flancs montagneux à la recherche de champignons et un cri attire l’attention de tous : un superbe crâne de biche, muni de ses cornes, a été trouvé dans l’herbe. Les enfants se mettent à parcourir l’espace en tous sens, dans l’espoir fallacieux d’en découvrir un autre.
Nous décidons de manger de préférence en hauteur, pour ne pas risquer d’être dévorés tout crus par ces millions de fourmis en les attirant avec nos odeurs de pique nique (j’ai lu « Les fourmis » de Werber et vu de nombreux reportages à la télé, alors il ne faut pas beaucoup pousser mon imagination pour me représenter aussi nue et lisse que le crâne de la biche !).
Nous poursuivons par le fond de la vallée et remontons lentement en effectuant une rotation pour rejoindre le Belchou dont nous atteignons le sommet, enfin dégagé, et d’où nous pouvons admirer tous les alentours.
En remontant, je reste longuement à la traîne, rêveuse, à observer le vol des vautours au-dessus d’une vallée étroite et encaissée, couverte de forêts sombres. J’adorerais voler de concert, dans ce calme olympien et ce décor sauvage et retiré. Un jour, c’est sûr, je ferai du parapente, au moins une fois, pour voir quelle impression cela fait de voler en silence, uniquement portée par les airs en cercles concentriques et ascendants.
Je rejoins le groupe, qui se repose un peu plus loin, tandis que Max est en train de casser la montagne pour les enfants qui découvrent les joies de la géologie, et particulièrement de la découverte des fossiles. Chacun sait que le calcaire s’est formé au fond des mers, par dépôts successifs de poussières et de matières organiques et minérales où sont restées incrustées des coquilles de mollusques et squelettes de plantes et d’animaux. Mais cela fait quand même un choc de découvrir des coquillages, même fossilisés, tout en haut de la montagne ! Et il y en a des tas ! Il suffit de casser une roche pour en déceler non seulement autour, mais aussi à l’intérieur, parfaitement galbés. Cédric n’a jamais été aussi heureux de sa vie ! S’ils n’étaient pas si lourds, il ramènerait des tonnes de fragments de roches. Son sac à dos en est rempli. Les jumeaux de Max, Julien et Jérémie, ainsi que Jonathan, en font aussi la collection. Nous restons là un long moment à les regarder faire, contents de voir leur joie. Enfin, c’est le jour de gloire de Richard. Il peut enfin nous détailler tout ce que nous avons raté la fois précédente et nous admirons sans réserve, avant de nous étendre au soleil pour une sieste bien méritée.
En redescendant, nous bavardons Max et moi avec l’un de nos compagnons de promenade qui nous parle de sa foi et de sa religion « ba’haï » (je ne sais pas si elle s’orthographie ainsi), originaire de l’Iran, si je ne m’abuse, et qui commence à s’étendre dans tout l’Occident. Se promener, ce n’est pas seulement faire du sport et découvrir la nature, c’est aussi échanger et se découvrir les uns les autres et apprendre à nous connaître. Nous arrivons tous d’horizons différents et c’est également un voyage que d’aller à la rencontre des autres.