Préambule : Le texte suivant est écrit à partir des notes que j'ai prises durant mon séjour sur les informations que nous apportaient nos deux guides, Dimitri Marguerat et François Olivier Chabot. Cependant, l'argumentaire sur les conséquences des activités humaines sur la nature en vallée d'Aspe et au-delà a été principalement réalisé à partir de mes recherches personnelles sur diverses sources Internet que je signale à chaque fois en lien. Cathy.
A
quoi ça sert, d'apprendre à reconnaître et à nommer
les êtres
vivants que nous rencontrons, petites fleurs, oiseaux, insectes ou mammifères
discrets que l'on détecte
seulement à leurs traces ? Quelle importance ont ces êtres
sauvages que nous regroupons de façon révélatrice
sous le terme d'environnement, qui suggère que nous nous imaginons
au centre d'un monde que nous considérons
comme extérieur à nous-mêmes ? Auparavant, les humains
qui évoquaient la nature savaient qu'ils en faisaient partie.
Séparés
mentalement d'elle par notre mode de vie
artificiel,
il nous faut désormais des passeurs, des personnes initiées
pour aller
à sa rencontre et comprendre combien elle nous est nécessaire.
Nos guides, Dimitri Marguerat et François Olivier Chabot, ont
choisi de nous faire découvrir
les beautés du printemps en vallée d'Aspe, dans le cirque
de Lescun. Ce lieu doublement emblématique a défrayé la
chronique avec la polémique sur la sauvegarde (puis la réintroduction)
de l'ours et
celle
sur l'opportunité
(puis les conséquences) du creusement du tunnel du Somport. Il
n'y a pas d'endroit plus approprié pour s'interroger sur le difficile équilibre
à trouver entre la préservation des sites naturels et le
développement
économique d'une région. - Lescun
dans les nuages. Goutte d'eau à l'extrémité d'un pétale.
-
Le
temps perturbé depuis des jours sur une grande partie de l'Europe
nous rappelle que nous ne maîtrisons
pas tout, et bien que le mois de mai
soit habituellement une période majoritairement ensoleillée,
nous allons de Charybde en Scylla dans notre lieu de villégiature
et Dimitri s'arrache les cheveux, allant jusqu'à
se sentir responsable de cet aléa climatique ! Il n'est pourtant
pas exceptionnel, puisque je me rappelle avoir séjourné à Lescun à
la même période par une météo bien pluvieuse
en 2002. Loin d'être
découragés,
nous entreprenons dès notre arrivée une promenade
sur les crêtes d'Ourtasse où,
faute de voir le paysage, nous marchons le regard tourné vers
les fleurs qui agrémentent les bordures du sentier.
Des
orchis bouffon (du grec orkhis -testicule-, allusion aux racines composées
de 2 tubercules ronds) se dressent fièrement, largement épanouies
dans l'humidité
ambiante. Ces orchidées sont endémiques en Europe et en
Asie du Sud-Ouest et nous en verrons à plusieurs reprises le long
de nos itinéraires.
Le vent bouscule nos capes, ouvrant parfois entre les nuages des trouées
passagères où planent
des vautours fauves et un vautour percnoptère, le plus petit des
vautours français, en forte régression en Europe, car
son alimentation disparaît en raison des lois
sanitaires. Chacun se précipite sur ses
jumelles, admirant les oiseaux qui tournent, tantôt
en contrebas,
tantôt au-dessus de nous, nous frôlant presque parfois.
-
Orchis bouffon, vautour fauve. -
Avec notre oeil de citadins, nous avons
l'impression d'évoluer au sein d'un paysage naturel. Dimitri nous
fait remarquer qu'au contraire, depuis des millénaires, l'homme
a lourdement marqué de son empreinte
la montagne. Le défrichement régulier par écobuage
immédiatement
suivi du pacage des troupeaux a rendu impossible la régénération
des forêts sur les versants Sud,
contrairement aux incendies naturels dans des milieux non fréquentés
par des humains. Par un phénomène
d'accélération,
un déséquilibre peut se créer qui ne permet
plus au sol de se reconstituer. Des secteurs entiers de l'Amazonie
se trouvent dans cette situation irréversible. Le
processus est en cours en Provence et il est arrivé au
point de non retour dans les
Bardenas qui se désertifient, livrées à une érosion
drastique. Pourtant, la vie est tenace, il suffit pour s'en convaincre
d'observer
la façon dont elle s'installe dans les îles volcaniques
sur la lave à
peine tiédie. Les araignées la parcourent, tissant un fin
réseau de fils
invisibles où s'accrochent les graines portées par le vent. Les
herbes et les insectes l'investissent de concert et préparent
le sol pour le
rendre propice aux autres espèces.
Dans un buisson,
une guêpe sociale
est en train de construire son nid en pâte à papier élaboré en
mélangeant
sa
salive
à la cellulose rongée dans du vieux bois
ou l'écorce de jeunes rameaux. C'est un poliste,
reconnaissable à son abdomen fuselé. Fécondée
l'année précédente, elle
a hiverné dans
un abri naturel. Dès son réveil, elle fonde une nouvelle
colonie en façonnant les premières alvéoles où elle
pond des oeufs, élève les larves
qui en
sortent et deviendront des ouvrières stériles chargées
de poursuivre la construction du nid et d'approvisioner la colonie
en cadavres d’insectes
et fragments de viande pour les larves, matières
sucrées -fruits- et protéines animales ou végétales
-pollen- pour les adultes. La reine peut
alors se consacrer à la ponte. A
la fin de l’été,
les oeufs donnent des mâles et des femelles fertiles qui seront
fécondées. A l'exception de ces dernières, tous
les autres individus meurent. Contrairement à l'abeille dont
l'abdomen se déchire,
provoquant sa mort, lorsqu'elle veut retirer son dard hérissé de
barbes de notre peau qu'elle vient de piquer, la guêpe peut y
enfoncer plusieurs fois
son
aiguillon en injectant son venin qui provoque des piqûres douleureuses
et parfois mortelles, selon leur localisation. -
Nid de guêpe poliste. -
François
et Dimitri utilisent leurs appeaux pour attirer tour à tour près
de nous le pinson des arbres et la mésange noire, très
énervés par cette intrusion d'un envahisseur invisible.
Voletant d'une branche à l'autre, l'oiseau s'approche progressivement
et nous pointons sur lui nos jumelles pour l'observer. Ce dialogue
inégal
met en évidence l'une des fonctions du chant, celle de la
défense du territoire.
En
nous promenant, Dimitri nous fait remarquer la variété des
modulations
à l'intérieur d'une même espèce (émises
généralement
seulement par les mâles), véritable langage dont nous ne
percevons que l'aspect mélodieux sans en détecter le sens.
- François manie un appeau. -
Alors
que nous parvenons au Belvédère enfoui dans une brume épaisse
qui avive les odeurs d'humus, après avoir traversé des
buissons couverts de myrtilles malheureusement insipides, car elles
ne sont pas encore mûres, nous écoutons une histoire curieuse.
Cet hiver, près de St Jean Pied de Port, une grange emplie de
foin a brûlé. Ce
n'était pas un acte de malveillance, ni un défaut de
surveillance pendant un
écobuage. En fait, le foin roulé en boules mécaniquement
alors qu'il était
encore humide s'est mis à fermenter à l'intérieur.
Lors de sa manipulation
pour le donner en alimentation au troupeau, un courant d'air s'est engoufré par
l'ouverture, et le foin s'est enflammé spontanément
à son contact.
Autrefois,
on le salait pour lui retirer son humidité et permettre
une meilleure conservation, ce qui constituait en outre un complément
apprécié par les ruminants. En vallée d'Aspe, du
sel est encore déposé sur
les pierres et il n'est pas rare de voir les isards se mêler
aux troupeaux pour profiter de l'aubaine. -
Grand narcisse, scille printanière. -
Le
grand narcisse penche sa lourde tête jaune enjupannée, non
loin d'orchis sureau, d'anémones blanches et de scilles fanés
(que j'avais vus en boutons sous la neige au pic Zabozé quelques
semaines auparavant).
Un renard trahit son passage par une crotte oblongue emplie de débris
de carapaces d'insectes violettes, près d'une galerie qu'il a
creusée. Marie, notre
jeune compagne de 10 ans, apprend à distinguer la taupinière à la
terre en boulettes du monticule rejeté par le campagnol dont
les grains sont plus fins.
C'est
que la taupe creuse avec ses pattes à la recherche de
son repas de vers de terre, alors que le campagnol fore des galeries
à l'oblique avec ses dents pour s'en servir de terrier. Dimitri
lui confectionne une perruche sur son perchoir en arrachant à un
rhinanthe crête
de coq les pétales jaunes
de leur gaine de sépales vert pâle, qu'il juche en équilibre
sur un brin d'herbe : succès garanti ! La silhouette légère
de l'alliaire
officinale (ou herbe à ail) se détache sur le courant
du ruisseau. Ses graines peuvent servir de substitut à la
moutarde noire dans l'élaboration du condiment du même nom.
Les jeunes feuilles mélangées dans une salade
amènent un léger goût d'ail. Elle est traditionnellement
utilisée pour ses vertus diurétiques, contre les rhumatismes,
l'asthme et la goutte. On prête aussi des vertus antiseptiques à la
plante fraîche, alors utilisée en cataplasme. Un géranium
sauvage lui tient compagnie. - Marie, un rhinanthe
crête de coq.
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Guides naturalistes : Dimitri Marguerat et François-Olivier Chabot - Groupe : 18 personnes (Cathy, Pascal, Jean-François, Jean-Pierre, Reine, Danie, Jacques, Françoise, Fabienne, Serge, Anne-Marie, Jacqueline, Françoise, Pierre, Catherine, Marie, Isabelle, Philippe). | Lescun Peña Oroel et San Juan de la Peña |
13 au 17 mai 2010 |