Je lis sur Wikipedia le tableau économique du Maroc et constate que ce que nous avons vu ne correspond pas à la réalité totale du Maroc : 40% de la population se dédie à l'agriculture, sur une surface égale à 3 fois celle de la Belgique, mais il y a l'agriculture de subsistance (celle que nous avons vue, très traditionnelle) et une autre plus intensive qui permet de dégager des revenus plus importants et constitue une part non négligeable des exportations (olives et huile d'olive, agrumes et produits maraîchers des régions irriguées par les grands lacs de retenue). La France contribue très largement par le biais de ses entreprises au développement économique du pays, y investit en masse avec l'aval du roi Mohammed VI, soucieux quand même de réduire l'analphabétisme de sa population et d'offrir en même temps que de nouvelles formations les emplois correspondants (c'est le projet, nous savons comme sa réalisation est difficile, y compris en France).
Ce qui me gêne, c'est qu'il s'agit d'un modèle de développement en tous points calqué sur l'Occident. Malgré les mentions réitérées de problèmes agricoles liés aux très forts aléas climatiques (ce qui veut dire de longues sécheresses qui réduisent à néant des récoltes entières, notamment céréalières), je n'ai vu nulle part trace de souci d'un développement durable ou d'une gestion de l'eau et des sources d'énergie pensées de façon originale et réellement adaptées au pays.
Le roi multiplie les barrages pour augmenter les réserves d'eau et l'énergie hydraulique, mais ils ne desservent que quelques régions, et je pense (j'ai peut-être tort) qu'il doit y avoir une énorme déperdition par évaporation. De même, les autoroutes relient toutes les villes, mais nous avons failli ne pas arriver à notre rendez-vous avec les mules, le premier jour, car la piste en travaux était fermée, et il a fallu emprunter un tracé transitoire sablonneux où les pneus des deux minibus patinaient et où les chauffeurs conduisaient avec lenteur et précaution.
Hassan, en écho à l'esprit ambiant, dit que le Maroc doit augmenter son activité industrielle, mais si celle-ci doit pomper toute l'eau disponible, est-ce vraiment la solution ? Les villes, et notamment Casablanca, la plus dynamique selon nos critères, se développent selon un modèle occidental. Est-il vraiment adapté à un pays en voie de désertification ? Le changement climatique annoncé à cors et à cris influera probablement aussi sur le climat d'Afrique du Nord, est-il pris en compte dans les prévisions ?
Lorsque j'ai réservé ce circuit avec Hassan pour guide, je ne savais absolument pas ce qui nous attendait. J'espérais qu'Hassan aurait un français et une culture suffisants pour nous aider à dépasser la dimension uniquement sportive et banalement touristique, mais je n'en avais aucune certitude avant le départ. Les quatre jeunes, qui avaient accepté de venir mais envisageaient avec peu de joie de longues marches quotidiennes en montagne, savaient encore moins ce que nous réservaient ces vacances bizarres, sans activité ludique, hors des tentations citadines.
Je dois dire que le résultat a dépassé toutes nos espérances. Chacun des douze membres de l'expédition est reparti enchanté du séjour, enrichi d'une foule d'impressions contrastées donnant matière, longtemps après, à maintes réflexions et discussions entre nous. Et surtout, nous avons tous pris "une claque" en côtoyant ces villageois au rythme de vie millénaire, et nous avons changé l'ordre de nos priorités, plus ou moins profondément - il faudra recommencer, je pense -. Par exemple Rose est revenue détendue, apaisée, déstressée, et elle a réalisé la vanité, la futilité des énervements causés par les clients dans son travail. De même, Jean-Louis se rend compte chaque matin depuis son retour combien il gaspille d'eau rien qu'en se lavant les dents. Jonathan a touché du doigt notre énorme richesse et notre confort extraordinaire - ce qui ne l'empêche pas de réclamer pour cet hiver une semaine de séjour au ski avec les copains ! -.
Quant à moi, je continue ma réflexion sur notre mode de vie. J'apprécie de plus en plus les déplacements quotidiens à pied ou à vélo. J'éprouve une nécessité croissante de me frotter au temps qu'il fait, aux saisons, et la voiture, prolongement de la maison, occulte ce contact avec la nature. Cette visite au pas d'une région sans moteur, où chacun se déplace à pied ou à dos de mule et n'utilise que la force des mules pour le transport ou le labour, offre un retour aux sources extraordinaire, une remontée dans l'histoire, une remise à plat des besoins réels de l'humanité que nous perdons de vue avec l'afflux de tous ces produits manufacturés et la manipulation mercantile de nos esprits.
Ci-dessus, voici une petite décharge au bord du chemin : quelques papiers et plastiques, en très petite quantité, et beaucoup de plumes. Nous avons souvent trouvé par terre de grosses piles usagées, indiquant l'usage de quelques instruments électriques (lampe de poche, radio ?). Je ne supporte plus tous ces emballages qu'il me faut amener deux à trois fois par semaine à la déchetterie alors que le nombre d'enfants à la maison diminue : c'est un scandale permanent, et pourtant, je ne cuisine pratiquement que des produits frais, qu'est-ce que ce doit être pour les autres !
Le spectacle prodigieux de la voûte étoilée, en l'absence de toute pollution atmosphérique (gaz ou poussière) ou lumineuse, nous a fait revivre certains séjours en Aragon dont nous rêvons encore.
Je n'espère pas un retour en arrière, qui sera probablement imposé à terme à nos descendants par la trop grande multiplication de l'humanité et la raréfaction concommittante des ressources, je suis trop heureuse de pouvoir communiquer, par Internet ou téléphone, jusqu'à l'autre bout de la Terre, et de me déplacer au gré de ma volonté, loin ou près. Mais il faut garder le contact avec le monde qui nous entoure et dont nous faisons partie, et je me refuse à m'enfermer (par exemple) dans une salle de gym' pour remuer mon corps en mal d'activité : "Gagner du temps" en prenant la voiture dans les transports quotidiens pour ensuite s'enfermer encore pour se détendre en remuant artificiellement, je veux dire, avec des gestes qui ne servent à rien de concret si ce n'est réactiver notre corps qui nous rappelle qu'il existe et se rouille, est-ce bien logique ?
Ma réflexion avance à petits pas, il n'est pas aisé de remettre en question un mode de vie qui nous paraît évident, et ce voyage m'a permis de progresser un peu, grâce à la comparaison avec des coutumes franchement différentes. Je ne supporterais sans doute pas, dans ma peau de femme, l'autoritarisme de certains pères, ni dans mon âme d'occidentale laïque, celui du roi, commandeur des croyants, ni l'immobilisme d'une société qui n'offre aucun espoir de changement de situation (ce qui n'est pas le cas du Maroc, loin s'en faut). Il faut chercher le juste équilibre, et il n'est certainement pas le même pour tous les pays.
Pierre et Rose, Xavier, Max, Michèle, Julien et Jérémy, Richard et Anna, Cathy, Jean-Louis et Jonathan | Maroc
2007 |
28 octobre au 3 novembre 2007 |