Nous
sommes pétris de contradictions. Nous avons envie de découvrir
le Maroc en profondeur, en le visitant au rythme lent de la marche
et
en étant hébergés chez l'habitant. Cependant,
les habitudes sont inscrites dans nos corps, et l'absence de sanitaires
convenables plusieurs jours
d'affilée
est vécue très difficilement par chacun d'entre nous.
Le temps n'arrange pas les choses. Depuis des jours, il pleut sur toute
l'Europe et le Maghreb,
le désert reverdit, les oueds bouillonnent en vagues torrentielles,
les
champs sont inondés et les maisons prennent l'eau... y compris
les gîtes
où nous passons la nuit. Un Maroc inhabituel s'offre à nos
yeux étonnés,
venteux, humide et mal préparé à ces intempéries.
Heureusement,
c'est le soleil qui nous accueille d'abord
à Casablanca, après les averses de pluie au Pays basque, puis
de neige au col de Somosierra (1444 m) au-dessus de Madrid où nous
nous sommes
rendus
en
voiture
pour prendre
l'avion à Barajas. Un
chauffeur de taxi brandit à notre arrivée
une pancarte qui arbore mon nom et celui de Hassan Zbaïr, notre
guide de l'an dernier
que nous avons recontacté pour ce séjour. Il nous conduit à sa
Mercedes jaune fraîchement repeinte qui fait illusion tant que
le moteur n'a pas été mis en marche.
Une
puanteur de gaz d'échappement envahit l'habitacle en même
temps qu'un vrombissement assourdissant qui contraste
avec le peu de puissance de la machine. Richard,
qui s'était d'abord réjoui, déchante en réclamant à voix
basse que le chauffeur passe la
cinquième (inexistante, vu l'antiquité du véhicule)
et se demande si nous allons faire tout le trajet jusqu'à Essaouira à une
vitesse qui plafonne difficilement à 80 km à l'heure
!
Une
fois chauffée sur l'autoroute étonnamment
vide (les Marocains se refusent à payer le péage et lui
préfèrent la route),
elle finit
par monter à 110 km/heure, vitesse qu'un radar mobile de la
gendarmerie locale
épingle, et voilà le chauffeur racketté sans
vergogne. Renseignements pris, les transports collectifs (bus, taxi...)
ne doivent pas dépasser
les 80 km/h, et nous étions en infraction pendant que nous
nous réjouissions
!
Du
coup, notre chauffeur quitte l'autoroute (qui de toute façon
ne va pas jusqu'à Essaouira), retire du toit son panneau Taxi
qu'il jette sur
la moquette élimée
et se met à conduire
sur la
route étroite et encombrée comme un Fangio (110 km/h),
jouant sa vie (et la nôtre) à la roulette russe jusqu'au
plus noir de la nuit qui
découvre
dans
le ciel une myriade d'étoiles.
Nous étions restés sur l'impression désertique
des alentours rouge brique de Marrakech. Ceux de Casablanca présentent
au contraire une grande richesse agricole et profitent de l'humidité
atlantique sur une plaine quasiment sans relief qui s'étire
jusqu'à
l'horizon. Les
champs verts ou récemment labourés, prêts pour
les semis d'automne, se succèdent
et, si nous stressons un
peu à cause
de la circulation trop dense, nous nous réjouissons de voir
bêtes et
gens qui vaquent à leurs occupations de part et d'autre de la
chaussée
(et parfois dessus, lorsque nous évitons de justesse un berger
qui fait traverser son petit troupeau de moutons).
La
route est flanquée de deux voies de terre creusées d'ornières
où circulent
les charrettes tirées par les mules ou les chevaux, les cyclistes
qui craignent (à juste titre) d'être renversés
par les autos, et les piétons.
Quand elles disparaissent, tout ce petit monde se retrouve sur la
nationale.
La traversée
des villages est aussi très
pittoresque, avec des colonnades plus orgueilleuses les unes que
les autres qui
ombragent des alignements d'échoppes
aux activités diversifiées, agricoles, services, commerces
et artisanat, où se bousculent des foules majoritairement
masculines. Souvent, seule la chaussée principale est bitumée, toutes
les autres
rues sont en terre, et, avec ces dernières pluies, la
plupart des bâtiments émergent d'un océan de boue glissante parsemée
de flaques. Comme les
fossés sont inexistants, la terre se répand également sur la route
qui prend des allures de piste fangeuse où il faut prendre garde
de ne pas déraper.
J'ai
une impression constante d'inachèvement. D'abord, mon oeil français
ne cesse de chercher des toits sans jamais en trouver.
Les terrasses sont bordées de murets à moitié peints, hérissés de
ferrailles laissées en place, comme pour se laisser le loisir d'ériger
un étage
supplémentaire.
Beaucoup de bâtiments sont laissés à l'abandon, ou occupés tels quels, vaguement couverts de tôles, nattes ou toiles mal ajustées, les échoppes se prolongent en profondeur en courettes qui servent d'aire de stockage, de débarras, d'atelier, dans un désordre indescriptible et une exiguïté navrante. A l'inverse, le moindre semblant de local est utilisé, dans un fourmillement d'activités dynamique, même si de nombreux quidams restent plantés là dans une attente indéfinie et incompréhensible, ou bien à bavarder comme s'ils avaient tout le temps devant eux.
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Pierre, Rose, Jean-Louis B., Michèle, Richard, Jean-Louis C., Cathy | Maroc pluvieux |
29 octobre au 4 novembre 2008 |
Dans ce récit, une dizaine de photos sont l'oeuvre de Pierre, que je remercie de sa contribution. |