Essaouira
est une petite bourgade pleine de charme, blanche et bleue, aux rues
paisibles parcourues seulement de piétons et de colporteurs
qui poussent des chariots à bras emplis de ballots (valises,
oranges ou brassées de menthe odorante).
Je profite du décalage horaire pour l'explorer le lendemain
matin au lever du soleil qui caresse de ses rayons rougeoyants les
rochers et
la crête
des vagues, les filets entassés sur les pontons et les embarcations
rouillées bloquées
au port par la tempête, les remparts rouges et les minarets blancs.
Après
un repas du soir un peu raté (le premier restaurant,
très coquet,
nous a fait attendre une heure que nous avons occupée à chanter,
accompagnés
à la guitare par Richard et Jean-Louis B., avant que Hassan
s'avise qu'il n'y avait rien de préparé en
cuisine, et le deuxième
nous a offert brochettes desséchées
et frites froides), Hassan
se rattrape en nous emmenant à midi au marché aux poissons
(Essaouira a longtemps été le premier port sardinier du
monde,
je
crois)
où nous déjeunons
(avec
les doigts à la marocaine) dans
une ambiance très pittoresque, Marocains et touristes mélangés,
de salade mixte et de bar grillé. Pierre, Rose et Jean-Louis
B., qui séjournent déjà depuis quelques jours
dans le coin, nous ont fait les honneurs de la ville, nous montrant
notamment le quartier
des ébénistes, avec démonstration des bois employés
pour la marqueterie (thuya, citronnier et cèdre).
Dans
un patio se dresse, intact, comme si la ville s'était bâtie
autour, un arbre très vieux dont le bouquet de troncs fuse d'une
base énorme
de
racines
soudées
ensemble,
qu'escaladent
à plaisir des enfants.
L'après-midi,
nous rejoignons en taxi les chameliers à une cinquantaine de
kilomètres
au sud d'Essaouira et traversons un
verger d'arganiers jusqu'à la côte où se dresse
notre premier gîte.
En
chemin, Hassan ramasse au pied d'un des arbres verdoyants un des fruits
d'argane de petite taille à la coque marron très
dure, qui enferme une deuxième enveloppe tout aussi coriace
qui contient deux ou trois amandes. Celles-ci
sont amères et impropres à la consommation humaine (mais
très appréciées des chèvres). Traditionnellement,
on les torréfiait
puis on les pressait dans
un pressoir manuel à pierre
rotative (travail très pénible effectué par les
femmes) pour en obtenir une pâte
sirupeuse à laquelle
on incorporait de
l'eau
et que l'on pressait pendant des heures à la
main (comme pour pétrir une pâte à pain)
jusqu'à
l'obtention
de l'huile d'argane, ambrée, à la saveur de noisette,
très
goûteuse, qui est consommée à l'heure du thé à la menthe, présentée
dans une coupelle où l'on trempe le pain, ainsi qu'au petit déjeuner.
Depuis
quelques années, on presse aussi à la machine
les amandes crues pour en extraire une huile insipide, inodore et
ambre pâle, utilisée
en cosmétique
et vendue à prix d'or. Tous
les déchets sont recyclés, la première
coque en combustible (pour griller les amandes), la suivante
et la pâte sèche d'où a été extraite
l'huile alimentent les chèvres. Celles-ci
sont une attraction locale, car elles escaladent les branches des
arganiers pour se nourrir
de leurs fruits lorsqu'ils
sont
encore
verts et immatures, tandis que les dromadaires étirent le
cou pour manger les feuilles et les jeunes pousses.
Lors de notre acheminement sur Marrakech, l'avant-dernier
jour, nous faisons halte dans une coopérative féminine
agricole où
nous assistons aux diverses étapes du processus d'obtention
de l'huile d'argane. Une
jeune Marocaine qui a un meilleur français
qu'une connaissance correcte du sujet dont elle est sensée
parler nous explique l'économie locale centrée autour
de l'arganier. (Elle prétend sans sourire que l'arbre produit
ses fruits sans donner de fleurs et que sa reproduction est "magique",
un vrai "miracle",
ce sont les termes qu'elle emploie, raison pour laquelle il serait
impossible de cultiver l'arganier
en dehors du Maroc !) Cet arbre est, en effet, endémique au
Maroc et dans une petite région d'Algérie, il ne
pousse
nulle
part
ailleurs,
malgré
des essais
d'acclimatation
en Amérique du Sud ou en Asie. Les
forêts d'arganiers sauvages, qui ne se composent pratiquement
que de cette seule essence,
dont les arbres sont répartis
de
façon
plus ou
moins dense,
ont
été
classées
Réserve
de Biosphère
Arganeraie appartenant au patrimoine naturel mondial de l’humanité par
l’UNESCO.
Elles constituent
le dernier rempart contre la désertification mais sont fortement
menacées par l'accroissement de la population humaine, notamment
dans les plaines du Souss, autour d'Agadir, avec le surpâturage
et les coupes sauvages de bois pour cuire les aliments, servir d'énergie,
ou planter des orangeraies et des tomates sous serre à la place.
Encore sauvage, cet
arbre
présente une capacité d'adaptation extraordinaire
qui se manifeste par une grande variabilité génétique,
avec ou sans épines, diverses
formes de feuilles,
branches, troncs et fruits, et une grande résistance aux
intempéries
(principalement la sécheresse), avec des racines qui plongent
chercher l'eau jusqu'à
trente mètres de profondeur alors qu'en surface l'arbre
ne dépasse
pas huit à dix mètres de hauteur (s'il n'est pas
amputé par les
herbivores, ce qui est rare).
Des
recherches sont en cours pour essayer de le "domestiquer".
Des agronomes récoltent dans des centres près d'Agadir
des graines d'arbres génétiquement
différents, à des périodes de l'année différente,
pour obtenir de jeunes
plants
en
atmosphère
contrôlée, chaleur, humidité, additifs favorisant
l'enracinement et la pousse, taille partielle de la racine pour accroître
le chevelu racinaire qui
lui
permettra
une
meilleure
captation de l'humidité du sol, etc. On essaie aussi le bouturage,
le marcottage et la greffe, mais pour le moment, aucune méthode
ne semble très facile à mettre en oeuvre.
Beaucoup
de jeunes pousses meurent après leur transplantation hors des
serres et la meilleure politique reste encore de sauvegarder la forêt
sauvage existante.
Les fleurs hermaphrodites sont pollinisées à la fois grâce au vent et à une mouche (Calliphoridae). Le fruit apparaît au bout de 9 à 16 mois (un peu comme celui de l'arbousier, plante également d'origine méditerranéenne), obstacle sévère pour une production fruitière organisée. Dans le fruit des arganiers se développe une mouche (Ceratitis capitata) qui cause de graves dommages en pondant dans les fruits des vergers d’agrumes du Souss (incitation supplémentaire à la déforestation). Comme les racines présentent peu de radicelles, les arbres croissent en symbiose avec plusieurs champignons présents dans le sol qui leur apportent les nutriments nécessaires.
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Pierre, Rose, Jean-Louis B., Michèle, Richard, Jean-Louis C., Cathy | Maroc pluvieux |
29 octobre au 4 novembre 2008 |
Dans ce récit, une dizaine de photos sont l'oeuvre de Pierre, que je remercie de sa contribution. |