Appréhender un environnement grâce à ses cinq sens engage le corps tout entier dans un processus d'apprentissage qui s'imprime profondément dans les arcanes de la mémoire. Sollicitée, elle ravivera les lieux parcourus, miraculeusement inchangés, où apparaîtront simultanément, tels qu'ils ont été perçus, l'intensité lumineuse, le souffle de l'air sur la peau, l'espace envahi d'une symphonie de sons, le goût d'une plante ou de la sueur autour des lèvres, l'aspérité des roches sensible à travers les semelles ou qui entaille la peau. Plus encore, elle ressuscitera la joie d'un compagnon de marche qui siffle ou chante à pleins poumons, la douleur des muscles ou des tendons trop intensément sollicités, l'appréhension à l'abord d'un passage délicat suivie du soulagement doublé de la fierté d'avoir su le franchir, l'enthousiasme au sommet, et plus encore à l'arrivée, à l'idée de s'être empli d'un monde par la seule action de marcher... (Photo 1 : Le Pic d'Anie depuis le col de la Pierre Saint Martin)
Nous ne sommes que neuf élus. Dimitri est parti en reconnaissance quelques jours auparavant pour prendre la mesure des difficultés du terrain qu'il a rapportées consciencieusement la veille par téléphone à chaque personne inscrite afin qu'elle juge en toute sincérité si elle se sentait capable de les affronter avec succès : 1100 mètres de dénivelé, des passages de névés, des franchissements de failles qui s'enfoncent dans le ventre de la terre, des roches acérées, soit, en résumé, un parcours long, pentu et difficile... J'estime en mon for intérieur que ma volonté palliera mes défaillances physiques éventuelles, et que l'expérience acquise au cours de toutes ces années de randonnées m'aidera à les surmonter. (Photo 2 : Dimitri Marguerat, animateur du CPIE Pays basque - Photo 3 : Faille et névé dans le calcaire)
Dimitri nous raconte pendant une halte les circonstances de sa randonnée exploratoire. "Chemin faisant, les nuages se sont amoncelés, l'orage a éclaté, je me suis retrouvé sur les cimes, abrité sous mon seul parapluie de berger, bloqué un moment dans une tourmente de pluie, de neige et de grêle. C'était une sensation extraordinaire," nous confie-t-il d'un air extasié. Nous l'écoutons, les yeux agrandis, admiratifs tout autant que surpris, certains que nous aurions au contraire éprouvé une peur de tous les diables. Monté en trois heures au sommet, il est redescendu en courant ! J'ai un peu honte de comparer avec nos "performances", départ du col de la Pierre Saint Martin vers 9 heures, retour vers 20 heures ! Je me hâte de rappeler que l'objectif n'était pas la vitesse, mais la découverte du milieu, et que Dimitri a ménagé nombre de haltes plus ou moins longues, non seulement pour boire ou nous restaurer, mais également pour nous expliquer les caractéristiques très particulières du massif karstique du Pic d'Anie ou Auñamendi (Pic des Chevrettes en basque). (Photo 4 : Hélianthème alpestre ou nummulaire ? - Photo 5 : Globulaire naine)
Avant d'expliquer ce mot aussi rébarbatif que technique, je reviens sur un thème qui m'est cher. On ne peut voir ou sentir que ce que notre culture nous a conditionnés à remarquer. Notre cerveau filtre et interprète les sensations perçues par le corps en fonction de l'apprentissage qui lui a été délivré. C'est vraiment bizarre, mais c'est ainsi. Par exemple, les squelettes des hommes de Néandertal ont longtemps été pris pour ceux d'humains nés monstrueux, difformes, à une époque contemporaine, à quelques siècles près, puiqu'on n'avait aucune idée des temps géologiques ni de l'évolution des espèces. Pareillement, le regard que l'on a posé sur le paysage a varié au cours des siècles, et cette nature sauvage que nous idéalisons maintenant - tout en la détruisant activement - a longtemps été considérée comme un adversaire contre lequel il fallait lutter durement pour survivre.
L'heure est à l'admiration, nous admirons donc sans réserve le paysage qui s'offre à nous, de plus en plus désolé, désertique et minéral au fur et à mesure que nous progressons en altitude, parfaitement inhospitalier pour nombre d'animaux ou de plantes, à l'exception d'une minorité qui a développé des aptitudes tout à fait extraordinaires pour résister "contre vents et marées". Dimitri s'emploie toute la journée à nous les indiquer en s'aidant d'un livret double très bien conçu et pratique, élaboré par Georges Dupias, Fleurs du parc national des Pyrénées, et après s'être documenté à la meilleure source, selon lui, c'est à dire Claude Dendaletche, naturaliste et biologiste de l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, né en 1941 à Salies-de-Béarn, spécialiste des Pyrénées et à l'origine de la protection de l'ours des Pyrénées, qui a écrit de nombreux ouvrages sur ces questions qui nous occupent pendant notre randonnée. (Photo 6 : Arnica)
Outre le plaisir esthétique, l'attrait sportif, le besoin de détente, la soif d'air pur, la convivialité d'un groupe sympathique et la sécurité offerte par la présence de notre guide, nous sommes tous motivés par l'acquisition de nouvelles sources de jouissance, tout aussi culturelles, grâce à l'accroissement de notre connaissance du milieu que nous investissons. Cela fait quelques siècles que la nature a perdu à nos yeux toute magie, toute présence divine, et bien plus longtemps encore que nous ne fusionnons plus avec elle. Les gouffres n'abritent plus de dragons expulsant du feu sur les intrus, ni le diable qui se retrouve sans domicile fixe, au coeur de tout un chacun... Pourtant, cette science nouvelle qui nous fait appréhender le monde qui nous entoure si différemment, de façon plus raisonnée, plus analytique, réussit quand même à me faire rêver. (Photo 7 : Orchis Sureau ou Mâle ? - Photo 8 : Gentiane de Koch)
Imaginez, cette roche grise qui se délite en milliards de fragments, se dissout et se creuse d'avens et de gouffres, de grottes et de galeries innombrables sous nos pas, s'est formée au fond d'un océan tropical du Crétacé (époque de l'ère secondaire à la fin de laquelle se sont éteints les dinosaures) dont les eaux chaudes abritaient une flore et une faune dont les squelettes se sont lentement déposés sur le fond, pendant une si longue durée que cette strate calcaire immense qui va du cirque de Gavarnie et du Mont Perdu jusqu'à la Pierre Saint Martin est épaisse d'au moins 300 mètres ! C'est dire le nombre de squelettes qu'il a fallu pour la construire... Passons sur les mouvements tectoniques, la plaque ibérique qui bouscule la plaque européenne, la mer qui disparaît, les sols qui se plissent, se tordent, se cassent et se renversent, se soulèvent ou disparaissent dans les profondeurs, bref, les Pyrénées se forment il y a environ 40 Ma, et les calcaires où sont inclus des fossiles marins sont projetés à une lenteur géologique à des milliers de mètres au-dessus du niveau de la mer.
Leurs tribulations ne s'arrêtent pas là. L'ère quaternaire ne cesse de leur infliger glaciations et réchauffements, sans parler de précipitations parfaitement calamiteuses sur des durées abominablement longues. Une roche vestige d'une vie marine tropicale ne pouvait que souffrir d'un pareil traitement et c'est exactement ce que nous observons pendant notre randonnée, même si nous lui en voulons un peu de se venger sur nous avec ses irrégularités du sol. Le résultat, c'est un paysage karstique, du nom de Kras, région slovène de plateaux calcaires au modelé caractéristique décrit en 1893 par Jovan Cvijic dans son livre Das Karstphänomen et germanisé en "karst" quand le pays fut intégré à l'empire austro-hongrois. Cette structure représente 20% des terres émergées, dont les Arres de l'Anie (de harrya, en basque, la pierre) que nous parcourons constituent un échantillon. (Photo 9 : Anthyllide des montagnes)
Souvenez-vous de vos cours de chimie. Une expérience sympa, toujours réussie, consistait à prendre un morceau de craie sur lequel on versait quelques gouttes d'acide. Miracle ! Des bulles se mettaient à jaillir à la surface, comme si la pierre tendre prenait un bain moussant. Ce phénomène se produit quotidiennement sur le calcaire émergé. La pluie ou la neige chute à travers l'air et le sol en s'alliant au gaz carbonique (CO2) qui s'y dissout pour former de l'acide carbonique (H2CO3). Celui-ci se scinde encore pour former un ion hydronium (H3O+) et du bicarbonate (HCO3-). Au contact des carbonates (CaCO3) - les calcaires -, l'ion hydronium acide réagit en les divisant en ion calcium (Ca2+) et bicarbonate (2 HCO3-). La conséquence de ces réactions en chaîne est l'agrandissement des moindres fissures (diaclases) de la roche. (Photo 10 : 2 joyeux lurons du groupe - Photo 11 : Pensée des Alpes)
Dans le même temps, cette strate de calcaire est donc soulevée et brisée. En plus, comme nous sommes en zone tempérée, les glaciers sont beaucoup moins froids au contact de la roche qu'en leur centre, l'interface ayant une température qui varie autour de 0°C, donc l'eau s'infiltre dans les fissures, gèle en gonflant de volume, ce qui fait éclater la roche, dégèle, regèle, avec des alternances variables suivant les époques, été-hiver, jour-nuit, et suivant les climats, très changeants au Quaternaire, comme l'on sait. Ces fontes périodiques des neiges et des glaciers précipitent d'énormes volumes d'eau dans tous les interstices, entraînent des morceaux de roches brisées qui percutent celles encore intactes, forment des goulets, des puits, des gouffres, sous l'action de torrents qui pénètrent dans les entrailles du calcaire jusqu'au socle hercynien quasiment imperméable, au-dessus duquel se forment des cavités immenses. En surface, le poids et le mouvement des glaciers arase la roche pour former des formations moutonnantes. Par déduction, les portions de terrain où les calcaires durs sont encore à vif et présentent des lames bisautées à la verticale ou l'oblique sont donc celles qui ont été érodées le plus récemment, il y a quelque 10 000 ans, à l'issue de la dernière glaciation. (Photo 12 : Saule)
Et la vie dans tout ça ? Il fallait bien qu'elle se débrouille, et elle est plus coriace qu'elle ne le paraît ! Pour résumer, elle doit s'adapter à de nombreuses contraintes, l'altitude, le vent, la sécheresse, le gel, la canicule, l'acidité du sol, l'absence de terre... J'adore l'histoire de la migration des rhododendrons que nous raconte Dimitri. Il s'agit d'une plante originaire de l'Himalaya, qui aime les sols acides, un air humide et supporte bien le froid et l'altitude jusqu'à 3000 m. Il en existe environ 150 espèces là-bas. Avec l'alternance des glaciations et réchauffements, la plante s'est propagée vers l'ouest où elle s'est retrouvée isolée dans les massifs montagneux alpins qui n'en comptent que trois espèces, et pyrénéens avec seulement une espèce. Le pin à crochets, qui tire son nom de la forme caractéristique des écailles de ses cônes recourbées en forme de crochet, décrit par Louis Ramond de Carbonnières et Augustin Pyramus de Candolle, est la dernière espèce arboricole que nous rencontrons dans le secteur de la Pierre Saint Martin où il pousse en ordre dispersé sur les derniers vestiges de pelouse en altitude, au niveau du col (1760 m) où nous garons les voitures. Espèce héliophile (qui aime le soleil), il est donc limité à des sols pauvres tels que des lapiaz (les étendues de calcaire érodé que nous arpentons) ou parfois des tourbières, en bords de torrents, où, malgré les conditions très rudes, il peut vivre plusieurs siècles, on en a même répertorié quelques uns qui auraient aux alentours de mille ans. Certaines plantes lui sont associées, comme le bouleau blanc, l'alisier petit-néflier, l'arnica des montagnes, la gentiane de Burser, l'airelle myrtille... (Photo 13 : Bouton d'or-Renoncule et Gentiane printanière - Photo 14 : Traversée de névé - Un seul pin à crochet)
Mmmmm... Cela me rappelle la racine de réglisse que Dimitri m'a tendue, à la fleur rose très semblable à celle du trèfle et dont les pétales sont emplis de sucs délicieux. Une fois retirée la terre, les radicelles et une petite pellicule brune, j'ai mâchouillé les fibres fines qui m'ont instantanément ramenée à l'époque où j'étais à l'école primaire et me fournissais en bâtons de réglisse d'un format nettement supérieur, peut-être importés de Syrie comme je le lis sur une publicité actuelle d'un marchand. La saveur en était nettement plus fine que celle des bonbons noirs aux formes multiples que nous savions toujours trouver dans le vide-poche de la voiture de nos grands-parents... (Photo 15 : Réglisse - Photo 16 : Escargot)
Dimitri raconte une anecdote sur chaque plante ou animal que nous rencontrons. Ainsi, la marmotte est originaire des Alpes. Ce sont les promoteurs du Parc National des Pyrénées qui ont jugé bon de l'introduire pour plaire aux promeneurs du dimanche. La vanesse du chardon (ou belle-dame), qui est arrivée par milliers ou millions en France le mois dernier, est un papillon qui suit le même parcours de transhumance que les brebis : à la fin du printemps, elle quitte les Bardenas en Navarre vers les pâturages d'altitude, en quête de son mets préféré. (Photo 17 : L'escargot est bien vivant - Photo 18 : Marmotte)
C'est une espèce migratrice hivernant en Afrique du Nord et migrant vers l'Europe centrale et du sud au printemps (d'avril à juin), puis les descendants de cette première génération retournent vers le sud en automne. Ils sont incapables de survivre à l'hiver européen. On trouve la même situation en Amérique où le papillon migre entre le Mexique et le Canada. Se déplaçant par groupe de quatre ou cinq à une vitesse de 25 à 30 km/h, ils peuvent couvrir près de 500 km en un jour, ne faisant que de rares pauses pour se nourrir sur les fleurs de chardon. C'est probablement, parmi les papillons, le plus grand migrateur connu. (Wikipedia)
Le pipit spioncelle doit se régaler avec tous les minuscules escargots blancs desséchés en apparence, qui gisent immobiles, proies faciles, dans l'herbe gazonnante, à moins qu'il ne préfère ces limaces luisantes d'un noir si profond qu'il en paraît coloré, avant d'équilibrer son repas avec les quelques graines offertes par cette maigre végétation. Mais ce qui le rend reconnaissable entre tous, c'est son cri, qui lui a donné son nom : le son qu'il émet devient d'autant plus aigu que l'oiseau prend de l'altitude, avant de descendre la gamme vers les tons graves quand il se rapproche du sol. Etonnant, non ? (Photos 19 et 20 : Dryade à huit pétales)
Dimitri nous fait découvrir la dryade à huit pétales, dont le nom est emprunté à la mythologie grecque qui désignait ainsi les nymphes des chênes, d'où sa seconde appellation de chênette. Poussant en plein soleil sur les débris rocheux calcaires entre 1100 m et 2500 m d'altitude, on peut en confectionner une tisane. On la nomme donc encore thé des Alpes, ou thé suisse. Plante périglaciaire (qui pousse autour des glaciers), elle s'est réfugiée vers l'Arctique ou sur les montagnes en altitude à la fin de la dernière glaciation, migrant de massif en massif à l'instar du rhododendron himalayen. Elle sert aux climatologues de bio-indicateur de réchauffements passés. Elle a ainsi donné son nom à deux périodes géologiques récentes : l'ancien ou premier Dryas, qui correspond au réchauffement qui marque la fin de la dernière des glaciations de l'ère quaternaire et le nouveau Dryas qui correspond à une «anomalie» paléoclimatique non encore expliquée avec certitude. Les analyses de pollens dans les tourbières anciennes ont montré que la dryade à huit pétales était l'une des premières plantes à fleur à recoloniser les éboulis et substrats libérés par les glaciers après la dernière glaciation (informations complétées par la source Wikipédia). (Photo 21 : Papillon ?)
En longeant le pic d'Arlas à sa base, Dimitri nous fait remarquer la nature différente de ses roches. Avec le Turon d'Arlas, il constitue un vestige d'une couche géologique de schistes (flysch ?) en cours d'érosion qui se superposait autrefois à la strate de calcaires. Quasiment tout le Pays Basque est recouvert de flysch, alternance de dépôts également marins dont on voit des coupes remarquables aux falaises de Saint Jean de Luz ou de Bidart. (Photo 22 : Réglisse - rose - et Grassettes - mauves, plantes carnivores -)
Le Grémil de Gaston, tout comme l'horminelle, est une plante endémique des Pyrénées occidentales. Son nom est dédié au berger et botaniste autodidacte ossalois Pierrine Gaston-Sacaze (1797-1893) qui était également poète et chansonnier, né au hameau de Bagès, au-dessus de Béost dans les Pyrénées-Atlantiques. Il constitue à partir de 1828 un monumental Herbier des Pyrénées en treize volumes actuellement en dépôt au Conservatoire botanique pyrénéen de Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées). Pour assurer la conservation de cet herbier très fragile, il sera congelé à - 30° pendant un mois tous les cinq ans et seuls les chercheurs pourront le consulter. Une équipe de botanistes entreprend par ailleurs de restituer en 2007 une version contemporaine d'un herbier pyrénéen de 1807 (Wikipedia). Ce personnage hors du commun me fait penser à l'un de ses contemporains, légèrement plus âgé, Augustin Pyramus de Candolle, qui s'intéressa lui aussi, entre autres, à la flore pyrénéenne. Ces deux exemples illustrent bien l'influence d'une époque sur le regard que l'on porte sur l'environnement, ce désir d'inventorier systématiquement la flore et la faune, de classer, de répertorier, de comprendre le vivant en détaillant les caractéristiques externes, puis les comportements, et qui s'est malheureusement étendu aux humains en entraînant une ségrégation selon la morphologie et les "races" jusqu'à l'exacerbation sous la forme de l'idéologie du nazisme. Je n'oublierai cependant jamais l'impression que m'avait produite la pièce sur "La controverse de Valladolid" où les personnages (ayant existé) réfléchissaient en 1550 sur le degré d'humanité des Indiens de cette Amérique qui s'appelait encore le Nouveau Monde. (Photo 23 : Accouplement de ? - Photo 24 : Grémil de Gaston)
Nous demeurons un long moment au sommet de l'Anie, espérant apercevoir le Gypaète barbu, le rapace le plus rare d'Europe, que nous finirons par distinguer, volant à très haute altitude, lorsque nous descendrons. Il y en a seulement 130 couples répartis en France, en Espagne, en Italie, en Suisse et en Grèce ; on en compte 4 au Pays basque, qui résident entre l'Anie et Bidarray. Espèce très territoriale, il niche dans des falaises. Il doit son surnom de "casseur d’os" à la spécificité de son régime alimentaire. Il se nourrit, en effet, essentiellement d’os prélevé sur des squelettes, dont il emporte les plus gros dans les airs avant de les lâcher sur des rochers pour les casser. On le distingue du vautour fauve, bien plus courant depuis sa réintroduction, à sa silhouette dotée d'une longue queue. Le chocard à bec jaune est par contre très présent, et nous admirons longtemps ses circonvolutions expertes au-dessus de l'aire de pique-nique au sommet de l'Anie où ils viennent dérober prestement les reliefs, comme des voleurs, sitôt que les randonneurs vident la place. Dimitri nous explique qu'il est un des meilleurs voiliers, capable de faire des acrobaties impressionnantes tout en faisant quasiment du sur-place, effectuer un demi-tour, se pencher dans toutes les positions. Il niche tout au fond des avens où il descend à la verticale, à la manière d'une feuille morte dans l'air immobile et obscur. Lorsqu'il en jaillit, il change brutalement de milieu, exposé tout d'un coup à des vents violents qui n'arrivent pas à le désarçonner. (Photos 25 et 26 : Gypaète barbu - Photos 27 et 28 : Chocard à bec jaune)
Dimitri raconte qu'il a assisté à deux scènes qui le rendent prudent au sujet de la controverse sur les attaques du bétail par les vautours fauves rendus affamés par la brutale suppression de l'approvisionnement sur les aires de nourrissage et par l'augmentation de leur population. Un jour, il assiste au spectacle d'une vache en train de faire une fausse couche, ce qui arrive de temps à autre, tout à fait naturellement. Le troupeau est autour et s'agite, car les vautours se posent et s'approchent de la femelle. Sitôt le foetus expulsé, ils se précipitent pour s'en délecter, sans causer de tort à la vache. Une autre fois, il passe le matin devant une jument en train de vêler. Lorsqu'il retourne le soir après sa randonnée devant le lieu, les vautours sont en train de dévorer la femelle et son petit dont on voit uniquement la tête et les deux pattes arrière qui sortent de l'orifice. Ils sont encore vivants, mais en réalité, leur agonie aurait duré bien plus longtemps sans l'intervention des vautours : le petit est totalement tordu, mal positionné, la femelle en souffrance est incapable de mettre bas. En l'absence de l'éleveur, ils sont de toute façon condamnés. Ces deux témoignages montrent les difficultés d'interprétation qui peuvent se présenter, ou bien de la déformation possible de l'information dans un but plus ou moins avouable. (Photos 29 et 30 : Chocard à bec jaune - Photo 31 : Silène acaule)
L'environnement n'est pas un lieu, c'est un biotope où inter-agissent la faune (dont nous faisons partie), la flore, le minéral et le climat, chacun influant sur les autres et inversement. Il n'y a pas de nature idéale, sauvage, inviolée (par l'homme ?), mais seulement un équilibre précaire et toujours mouvant. Il est important de le comprendre pour mieux apprécier notre place (importante ? modeste ?) dans ce monde complexe et, pour le moment, à notre connaissance, unique, qu'est la Terre. (Photo 32 : Panorama depuis le sommet du Pic d'Anie, avec le Pic d'Ossau à droite)
Pour info : Balade de Jean-Paul Dugène au Pic d'Anie le 21 juin 2009.
Cathy, Jean-Louis, CPIE Pays basque avec Dimitri Marguerat | Pic d'Anie |
Dimanche 28 juin 2009 |