La séance de philosophie de l'Université du Temps Libre d'Anglet avec le professeur Christophe Lamoure qui a suivi cette balade géologique organisée par le CPIE Pays Basque (Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement) avait pour thème "Que devons-nous penser des animaux ?" Elle mettait en regard les diverses postures philosophiques prises pendant l'Antiquité, le Moyen-Age chrétien, l'époque moderne et l'époque contemporaine, dont le point commun était la considération de l'humanité dans son environnement, et plus particulièrement à l'égard du vivant. Alors que les Grecs prônaient l'appartenance des hommes au monde animal et la nécessité qu'ils s'intègrent harmonieusement dans la nature, la pensée chrétienne a mis en exergue le rôle éminent de l'humanité et sa position extérieure au monde animal, élue de Dieu et seule dotée, à partir de Descartes, d'une âme. Darwin l'a rendue au monde animal, mais, à l'époque contemporaine, l'âme n'est plus à l'ordre du jour des scientifiques qui ont une vision entièrement "mécanique" du monde du vivant, humanité incluse, décliné en atomes, molécules, réactions chimiques et phénomènes physiques.

Je ne pouvais pas m'empêcher, en l'écoutant parler, de comparer en mon for intérieur ces considérations anthropocentriques aux informations glanées pendant les heures précédentes de cette magnifique journée ensoleillée auprès des deux géologues, Jean-Marc Boirie et Jean-Claude Roux, de l'association Les Pierres du Pays Basque. Ils évoquaient les nombreuses extinctions en masse d'espèces qui ont été détectées en observant les fossiles et empreintes laissées dans les roches : on en dénombre au moins 25 qui ont eu lieu au cours des derniers 550 MA (millions d'années), dont cinq qualifiées de majeures, la pire, au Permien, il y a environ 250 MA, ayant rayé de la surface du globe 95% des espèces. Ces découvertes relativisent énormément à mes yeux la présence de l'humanité sur Terre, puisque les mammifères ont bénéficié de la disparition, providentielle pour eux, des dinosaures, il y a environ 65 MA, pour occuper les niches écologiques demeurées vacantes. L'humanité devrait donc son existence à la chute d'une météorite d'environ dix kilomètres de diamètre à l'emplacement de l'actuel golfe du Mexique. Voilà de quoi nous rendre modestes sur notre place réelle dans l'univers. Si notre comportement irresponsable ne nous conduit pas à notre perte, nous demeurons cependant sous l'épée de Damoclès d'un quelconque cataclysme naturel, qu'il nous vienne du ciel ou de la terre, et qui peut se déclarer à tout moment...

Une autre information intéressante a frappé mon imagination : périodiquement, soit environ tous les 400 à 500 MA, les terres émergées se rejoignent pour former un seul continent entouré d'un immense océan. Cette migration s'appelle la tectonique des plaques, phénomène sur la réalité duquel la communauté scientifique a fini par s'accorder dans les années 1960. Il y a une douzaine de grandes plaques et quelques unes plus petites qui circulent sur le manteau terrestre à la matière chaude et visqueuse, provoquant lorsqu'elles se "cognent" l'érection des montagnes et lorsqu'elles s'éloignent l'ouverture de bassins où "s'engouffre" la mer, tout ceci très lentement, mais de façon suffisamment perceptible pour que, par exemple, l'on craigne que la faille de San Andreas n'entraîne dans les profondeurs terrestres San Francisco et une bonne partie de la Californie. Conjointement, les climats changent, la température moyenne terrestre varie de même que le niveau des mers, la qualité des eaux et de l'air, le magnétisme également (plusieurs fois le pôle nord est passé au sud et inversement), en raison de nombreux phénomènes qui seraient trop longs à expliquer ici (et qui ne sont pas tous encore bien compris)... Et, ce faisant, la vie s'adapte et perdure !

Les géologues nous ont donné rendez-vous le matin sur le parking de la Pile d'assiettes, entre le jardin botanique Paul Jovet et la pointe de Sainte Barbe qui domine la baie de Saint Jean de Luz. La dénomination de cette rue rappelle l'existence, aujourd'hui révolue, d'un rocher à la forme caractéristique de strates empilées horizontalement, qui a disparu avec l'érosion autant pluviale que marine. Nous commençons la visite en nous postant sur une esplanade rocheuse qui surplombe une crique aux falaises spectaculaires, formées de flysch aux strates bien visibles, plus ou moins bouleversées par l'érection dite alpine de la chaîne pyrénéenne, entre -40 MA et -20 MA.

Les scientifiques ont pris conscience du mode de formation de ces flysch, qui se poursuit encore actuellement en divers endroits sur Terre, lorsqu'en 1929, au large de Terre-Neuve, les câbles télégraphiques sous-marins ont été sectionnés par ce qu'on a appelé un courant de turbidité provoqué par un séisme dont l'épicentre se trouvait sous la mer, au niveau du talus qui borde le plateau continental (200 m de profondeur) et plonge vers la plaine abyssale (3 à 4000 m de profondeur). Celui-ci a engendré un glissement de terrain de grande ampleur (100 km3), qui a sectionné instantanément les câbles proches de l'épicentre, puis de façon échelonnée ceux qui étaient plus éloignés. Ceci a permis de mesurer la vitesse de sa propagation : en 13 heures il s'est répandu sur une surface de 100 000 km², de 800 km de diamètre et quelques centimètres d'épaisseur, à une vitesse maximale de 95 km/h au départ (sous la mer, n'oublions pas !).

En France, c'est la catastrophe de Nice en 1979 qui nous a interpelés, emportant la moitié de l'aéroport qui était en travaux, et suivie d'un raz-de-marée qui a causé la mort de quelques personnes et beaucoup de dégâts matériels sur 100 km de côte. Elle a été engendrée par une avalanche sous-marine, particulièrement destructrice puisqu'elle entraînait des galets de grandes dimensions, provoquant le sectionnement d'un câble à 80 km 3h45 après son déclanchement et d'un autre à 110 km 8 heures après. L'étude du CNEXO (devenu l'IFREMER) a permis de comprendre le processus et de cartographier parfaitement les fonds marins au large de Nice, ce qui a mis en évidence la présence d'une succession de dunes géantes de galets, ondulations créées par ce phénomène d'avalanches sous-marines.

Lors de ces coulées cataclysmiques, les sédiments se déposent dans un ordre précis selon leur granulométrie, en cinq couches étalonnées a, b, c, d, e, séquence caractérisée par le géologue hollandais Arnold H. Bouma qui travaillait dans une société pétrolière. Les éléments (a) les plus lourds et les plus grossiers recouvrent le fond, épousant les aspérités du sol qu'ils ont raclé au passage. Les couches suivantes, de plus en plus fluides, se déposent de plus en plus lentement, et impriment dans leur structure des stries caractéristiques régulières (les grains de sable s'alignent horizontalement), des ondulations imprimées par des courants (comme les petites rides dans le sable de la plage balayé par les vagues) qui indiquent le sens de la coulée, et des fentes par lesquelles l'eau s'échappe des roches. Au dernier niveau, au coloris le plus clair, au-dessus des poussières les plus fines argileuses ou marneuses (calcaire très fin mêlé à de l'argile), se déposent au cours des siècles et des millénaires les matériaux en suspension dans l'océan, poussières emportées par le vent, animaux morts, plantes et plancton qui n'ont pas été dévorés ou dissous. C'est la seule couche où l'on peut trouver des fossiles ou empreintes animales ou végétales. Sur le Rocher de la Vierge à Biarritz, on peut observer des nummulites (fossiles en forme de pièces de monnaie, -65 à -23 MA) et des oursins. Beaucoup plus tard, du silex se forme en s'infiltrant dans le calcaire.

Le silex (nodules noirs dans la craie) et les cherts (masse disposée en lits) sont formés de calcédoine opaque qui a précipité au fond des mers ou a remplacé des roches, notamment calcaires, par infiltration. La silice constitue le test d’organismes unicellulaires du plancton : Diatomées (algues unicellulaires brunes marines ou d’eaux douces) ou Radiolaires (animaux unicellulaires marins). Les silex crétacés de la craie résultent de la précipitation de la silice dissoute dans les sédiments riches en spicules d’éponges, carapaces de radiolaires tandis que les silex tertiaires du bassin de Paris résultent de la précipitation de la silice des diatomées. Silex et chert ont une cassure conchoïdale aux bords très acérés. L’homme préhistorique a utilisé ces propriétés pour fabriquer de l’outillage. La silice peut également, après leur mort imprégner le fossile de certains animaux ou végétaux, notamment les bois fossiles dont les plus célèbres sont les magnifiques bois silicifiés de l’Arizona.

Des flysch se créent aussi à l'extrémité des fleuves dont le cours s'estompe progressivement sous la mer en un delta où se déposent les alluvions qui, poussés par les courants marins, s'écroulent parfois en avalanche dans des fosses ou canyons sous-marins entaillant le talus et le plateau et forment des cônes de strates superposées à la structure qui diffère selon l'origine des alluvions, leur densité et la distance du point de chute. De telles accumulations existent certainement au fond du gouffre de Capbreton, fjord immergé de 1000 m de profondeur et 50 km de long dans le prolongement de l'ancien cours de l'Adour. Les flysch sont souvent associés à l'orogenèse, c'est-à-dire la formation des montagnes, et sont alors un des produits de leur érosion. Au Pays basque, entièrement formé de flysch (marin), contrairement au Béarn qui contient beaucoup de molasses (torrents et lacs), le cas est un peu différent.

Pour connaître leur origine, il faut remonter à l'époque de la dernière réunion des plaques continentales en une Pangée qui s'étendait de l'équateur aux pôles entre -299 MA et -251 MA (au permien). Leur rapprochement a provoqué des plissements hercyniens dès -330 MA, dont on trouve des vestiges en Armorique ou en Ardenne, ainsi que dans les roches pyrénéennes. Il y a 300 MA, l'Aquitaine comporte ainsi une immense chaîne de montagnes qui continue à s'ériger pendant 100 MA, puis s'érode en pénéplaine (-55 MA). Au début du Trias, la Pangée est en situation équatoriale, le climat est tropical. Au Crétacé, le niveau des océans est au plus haut. L'océan oriental Thétys submerge l'Aquitaine, tandis que les plaques recommencent à s'éloigner les unes des autres, et que l'océan atlantique (-150 MA) envahit l'espace laissé vacant à l'ouest de l'Europe actuelle. Dans le même temps, la petite plaque ibérique, annexe de la plaque euro-asiatique contre laquelle elle s'appuyait, se déplace également, dégageant entre les deux plaques un sillon, la fosse de Biscaye et le bassin ouest pyrénéen (à l'emplacement du Pays basque), où s'accumulent les flysch, au pied de ce nouveau talus continental en formation donnant sur le futur golfe de Gascogne. A l'heure actuelle, le mouvement s'inverse, l'Europe passe sous l'Espagne, le golfe de Gascogne se fermera d'ici 100 MA.

Ces roches de plusieurs milliers de mètres d'épaisseur ont été élaborées durant la période -95 MA à -45 MA - le mésozoïque, anciennement ère secondaire, couvre la période - 251 à - 65,5 Ma, il est suivi du cénozoïque, qui regroupe les anciennes ères tertiaire et quaternaire -. Elles ont été constituées par une série discontinue de courants de turbidité dont les couches d'épaisseur très variable allant de quelques centimètres à quelques mètres suivant la force de la turbidite se sont superposées à peu près horizontalement. Il faut remarquer au passage que ces phénomènes géologiques sont violents et quasiment instantanés, alors que d'ordinaire la géologie porte sur des durées très longues. Par contre, ces avalanches peuvent ne se produire qu'une fois par siècle ou plus rarement encore. Ensuite, la transformation de ces boues en roches (la diagenèse) se produit très lentement, sous l'action du poids des couches ultérieures qui viennent se superposer.

SOMMAIRE
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Cathy avec le CPIE Pays Basque
Falaises basques
20 mars 2009