Les déplacements de plaques continentales ont provoqué de nouveaux soulèvements intitulés alpins, au cours desquels les Pyrénées se sont formées entre -40 MA et -20 MA, dans un soulèvement des fonds marins où résidaient notamment les vestiges de l'ancienne chaîne hercynienne (granite du pic des Trois Couronnes à l'Est d'Irun ou du Baïgoura au-dessus d'Ossès) et les flysch dont les strates ont été bousculées, cassées, plissées, renversées. Ce processus s'est effectué à raison d'une avancée de l'ordre d'un millimètre par an, assortie parfois de tremblements de terre. Les roches comprimées par leur propre poids sont rendues plus plastiques que celles que l'on peut observer en surface, surtout vis-à-vis de poussées aussi lentes. C'est la raison pour laquelle il a été possible, bien que le calcaire et le grès soient plus cassants que la marne et l'argile, que les séries de strates aient été pliées sur 500 m d'épaisseur en accordéon et tordues en tout sens, comme nous le constatons de nos yeux à la crique de la Pile d'assiettes de Saint Jean de Luz. Cependant, des cassures se sont faites par endroit sous l'action de ces contraintes, et les interstices ont été comblés par de la calcite blanche, cette matière que l'on voit dans les grottes briller sur les parois, scintillantes comme des sapins de Noël. Sorties de leur milieu marin, les couches supérieures ont été exposées aux intempéries, les pluies et ruissellements d'eau douce dissolvant les roches à dominante calcaire ou gréseuse pour les transformer en argile meuble imperméable ou en marne par hydrolyse sous l'action du gaz carbonique dissout dans l'eau.

Sur la côte basque, ce processus d'altération, sur une épaisseur de 50 m maximum, se poursuit à l'heure actuelle de façon plus ou moins rapide suivant le sens dans lequel les strates sont penchées (leur pendage). Si elles plongent de la mer vers la terre, le ruissellement s'infiltre, et transforme la roche en altérite (il l'altère) - à Socoa, les strates plongent vers la mer et réussissent mieux à résister à l'érosion -. Sur la photo ci-contre, on distingue encore les strates originelles, mais elles sont réduites à un magma informe sous l'action de l'eau qui dissout le calcaire. Puis le ruissellement s'infiltre entre le flysch et l'argile imperméable ainsi formée qu'il décolle de son substrat en provoquant des glissements de terrain imprévisibles. Les vagues emportent cette terre et font reculer le trait de côte.

Ce phénomène naturel est particulièrement actif dans l'anse d'Erromardie au nord de Saint Jean de Luz, qui recule de 80 cm par an. Ailleurs, le recul n'est que de 10 cm par an. Si l'on compare les cartes du XVIIIe siècle aux cartes côtières actuelles, on constate un recul de la côte régulier. De 1829 à 2000, il a été de 30 cm par an. Les enrochements et travaux de drainage qui protègent, ici et là, les portions de côte urbanisées ne pourront que retarder l'inéluctable, le naturel reviendra au galop dès la première grosse intempérie.

Nous pique-niquons à la croix d'Archilua, les yeux tournés vers l'immensité océane dont les couleurs et la limpidité me rappellent le golfe de Bonifacio en Corse. J'admire en bordure du sentier côtier qui surplombe les flots un saule cendré à poils roux. Un panneau explique qu'il s'agit d'un arbuste pionnier des sols marécageux et bien ensoleillés des régions subatlantiques dont les feuilles devenant vert-rougeâtre dessus et cendrées dessous, avec quelques poils roux le long des nervures, sont très caractéristiques de l'espèce. Sa floraison est très précoce. Les chatons mâles et femelles apparaissent en février avant la pousse des feuilles. Les fruits plumeux sont dispersés par le vent. Je déduis de ces explications que ce que j'ai toujours pris pour des fleurs sont des fruits... Son nom (salix) provient du celtique sal (proche) et lis (eau) - qui pousse au bord de l'eau -. Juché au sommet de la falaise, je me demande où il trouve cette eau qui lui semble si nécessaire.

Nous reprenons les voitures pour nous rendre dans la très jolie crique d'Erretegia à Bidart vers laquelle je ne manque jamais de jeter un coup d'oeil, en dépit de la circulation routière, tant j'apprécie l'esthétique de cette échancrure triangulaire qui plonge vers la mer. Cette fois, nous marchons pour de bon, en direction de Biarritz, vers le nord. Je touche au but principal de ma promenade, l'observation de la ligne K/T, qui marque l'extinction des dinosaures. Mais auparavant, les géologues veulent nous montrer de drôles de traces. Il s'agit d'empreintes d'oursins aux formes bizarres et de galeries creusées dans les fonds marins par des sortes de vers (zoophycos) dont nous ignorons tout, que nous pouvons déceler par leurs stries sombres sur la roche claire, souvent en spirales. Il devrait y avoir aussi des ammonites, mais nous ne les découvrirons pas cette fois.

" La trace fossile Zoophycos est connue depuis le Cambrien jusqu'à l'Holocène ; objet de nombreuses études, déjà à partir du siècle dernier, elle frappe par la complexité de sa morphologie et par sa présence, au cours des temps géologiques, dans des milieux apparemment différents. Une étude a été menée sur les Zoophycos caractérisant les "Calcaires à Cancellophycus" (Cancellophycus est synonyme de Zoophycos), qui se développent dans tout le Bassin du Sud-Est de la France, principalement au Jurassique moyen. Nous proposons le modèle d'une lame spiralée creusée, à partir d'une certaine profondeur, en montant vers la surface. La conservation de l'architecture complexe du terrier nécessite un substrat déjà cohérent, mais non encore lithifié, donc intermédiaire entre les types "softground" et "firmground". Le sédiment typique est une biopelmicrite à filaments. Dans les séries étudiées, l'évolution horizontale et verticale de Zoophycos indique un milieu précis : la trace présente un développement maximum sur le talus, où les apports d'origine proximale, source de matériel nourricier, peuvent encore être importants, mais où les conditions de sédimentation sont aussi, normalement, assez tranquilles. Zoophycos, qui s'installe tardivement dans le sédiment, indique des périodes de réduction de la vitesse de sédimentation. "

Maintenant qu'on nous a donné le mode d'emploi, nous nous prenons au jeu et parcourons le sable en inspectant les falaises et les blocs détachés en quête des marques de ces animaux disparus. Nous nous réjouissons d'apercevoir parfois le moulage des écailles de la carapace d'oursin et même des rainures qui ont manifestement contenu les épines ! Ce n'est pas la première fois que les géologues viennent ici : ils ont repéré préalablement les endroits où subsistent ces vestiges émouvants d'une époque révolue depuis longtemps. L'un d'eux a même emporté chez lui quelques échantillons dont il nous montre les photos. Heureusement qu'il a pris ces précautions car, depuis, la roche s'est érodée et elle s'est éboulée, s'il y avait d'autres traces, elles ont irrémédiablement disparu.

Chemin faisant, ils continuent à lire pour nous le passé dans les roches de Bidart, élaborées au campanien inférieur, alors que la Corse et la Sardaigne étaient encore reliées au continent et au massif de l'Ebre. Trois strates complètement comprimées entre deux couches intactes montrent, mieux que mille explications, les forces énormes qui ont été en jeu lors du choc de ces plaques continentales. Une couche renversée sens dessus dessous permet de bien observer le violent raclement du sol qui est resté imprimé en relief sur la face inférieure d'une strate de flysch. Des marques noires indiquent la présence de végétaux dont la structure s'est minéralisée. Parfois, ce sont de simples pastilles peu spectaculaires de coupe de tiges de végétaux. Dans un fondement de roches sont marquées des sortes de vagues et de tourbillons, figés là depuis des millions d'années et qui disparaîtront bientôt sous les coups de boutoir des vagues et les infiltrations sournoises des gouttes de pluie.

Nous parvenons, en essayant de déranger le moins possible les quelques nudistes qui prennent déjà le soleil en avant-goût de l'été, à la discontinuité (discordance) K/T. Elle est évidente, même à nos yeux de néophytes. D'un côté, nous avons le flysch en dégradés de beige, et de l'autre, un calcaire blanc quasi crayeux, exempt d'ammonites qui ont disparu en même temps que les dinosaures et les trois quarts des espèces. Le calcaire à globigérines apparaît (celui que nous avons tant admiré à Malte), tandis que disparaissent les globotruncana (foraminifères planctoniques). Ma seule déception, c'est de ne pas voir à proprement parler de strate, même très fine. Les géologues nous emmènent vers une anfractuosité près de laquelle une femme nue est étalée de tout son long sur le ventre, jambes écartées pour mieux offrir son corps au soleil. Elle reste immobile, semblant dormir, tandis que nous nous agglutinons à proximité et nous penchons vers le fond sombre des rochers en tentant d'observer cette mince ligne mythique théoriquement plus foncée que les strates qui l'encadrent.

Il semble que ce soit cette ligne rougeâtre au-dessus du sol qui disparaît vers les cailloux amoncelés sur le sable. Si on en faisait l'analyse, on constaterait une teneur anormale en iridium, largement supérieure (500 fois) à celle que l'on observe dans les roches terrestres, qui est la marque d'une poussière de roche extra-terrestre, cette fameuse météorite de Chicxulub qui s'est écrasée dans le golfe du Mexique et a marqué la fin du Crétacé, de l'ère Secondaire et des dinosaures (entre autres) et l'entrée dans l'ère Tertiaire. Dans le monde, cette marque est visible en peu d'endroits. Nous avons la chance ici de bénéficier de trois de ces lieux très particuliers, à Bidart, à la baie de Loia à Urrugne, non loin du château d'Abbadia, et un peu plus au sud sur la côte basque espagnole, à Zumaia. Il y a quelque temps, un professeur peu scrupuleux en découpait des morceaux qu'il vendait à prix d'or sur Internet...

Poursuivant encore sur quelques mètres, nous avons l'impression d'avoir la berlue : des cristaux de glace semblent enfermés entre les roches ! En réalité ce qui scintille ainsi de mille feux sous le soleil n'est que du gypse. On nous explique que ces strates fines de sulfate de calcium ont agi comme un lubrifiant entre les couches qu'elles faisaient coulisser aisément. Sels jaillis des entrailles du sol à la faveur de failles, ils se sont amassés en lagunes, de loin en loin, qui ont fait la richesse de ceux qui vivaient au niveau des affleurements supérieurs, à Bayonne, Briscous, Villefranque, Anglet, Bassussarry (sel de Bayonne), ou à Salies par exemple. Une nouvelle discontinuité apparaît, avec les couches rouges multicolores du Trias, correspondant à un accident majeur des Pyrénées, c'est-à-dire une faille entre les plaques : les Pyrénées occidentales appartiennent à la plaque européenne, centrales à la plaque ibérique et orientales aux deux intimement imbriquées.

 

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Cathy avec le CPIE Pays Basque
Falaises basques
20 mars 2009