Je découvre avec délectation l'histoire de la céramique résumée sur des panneaux du musée très pédagogique de Rouen. Si l'invention de la céramique remonte au paléolithique supérieur (20 000 ans BP) et prénéolithique (17 000 - 14 000 ans BP au Japon), le musée choisit la Renaissance italienne comme point de départ de ses expositions. Al Andalus, l'Espagne musulmane qui avait construit une civilisation brillante au Moyen-Age, a politiquement disparu, mais sa culture se diffuse après la "Reconquista" malgré les destructions qui l'accompagnent inévitablement. L'art de la céramique a été porté à un très haut niveau, et ses productions sont exportées, via l'île de Majorque, vers la péninsule italienne dont les fabricants essaient rapidement d'imiter l'aspect brillant en testant de nouvelles recettes d'émail. Au XVIe siècle, le Portugal instaure des relations commerciales avec la Chine dont la porcelaine rendra envieuse l'Europe entière. Ses manufactures mettront deux à trois siècles pour découvrir le secret des procédés chinois, rattrapant enfin un retard technique de près de mille ans, dans ce domaine, sur l'Empire du Milieu.

Nous en faisons la visite le premier dimanche du mois, gratuitement, avec toute latitude pour photographier les collections présentées. Outre les pièces qui me paraissent les plus attrayantes, je photographie les explications qui sont fournies sur les procédés techniques et leur évolution que je retranscris ci-dessous. La première salle expose les différents stades par lesquels il faut passer avant de pouvoir façonner la pâte, et je réalise, en la parcourant, combien l'expérience plurimillénaire a fait évoluer cet artisanat pour le transformer en une véritable industrie.

Le traitement de la terre : Le terme de céramique recouvre tous les aspects de la terre cuite. Il comprend donc aussi bien les poteries primitives en terre crue et cuites à basse température que les terres composées dont la nature de la pâte, de la couverte et leur traitement définissent le type : faïence, grès, porcelaine, terre de pipe... La faïence est une céramique dont la pâte est composée, et la couverte un émail stanifère (comportant de l'étain). Sa qualité est d'être blanche, opaque, imperméable, de masquer la pâte et d'être susceptible de recevoir un décor peint. Son constituant principal est l'argile (ou plutôt les argiles), matériau qui, pétri avec de l'eau, devient plus ou moins plastique. Les faïenciers de Rouen utilisaient généralement deux sortes de terre, celle de Saint Aubin sur le plateau de Boos, forte, grasse et d'aspect rouge vif, et celle de Quatre-Mares, entre Sotteville et Saint Etienne du Rouvray, alluviale, légère et sablonneuse. Elles étaient mélangées dans des proportions variables, environ un tiers - deux tiers, convoyées en baril et livrées à l'état brut.

Elles étaient d'abord pilées grossièrement, puis lavées pour en extraire le sable. Lorsqu'elles étaient sèches, on les broyait pour les réduire en poudre. On les passait encore une fois à l'eau pour en extraire le dernier sable, et on les faisait passer dans un triple tamis avant de les conduire par canaux dans des bassins de décantation. Extraite des mûrissoirs, la terre était étendue sur une surface nette pour être "marchée". Pieds nus, l'ouvrier piétinait la terre pour en extraire les gaz de fermentation et mêler le sable nécessaire à la préparation de la céramique. Pour compléter cette opération, on formait des mottes que l'on battait sur des tables avec des barres de fer pour donner sa souplesse à la terre et la rendre homogène. L'air s'étant infiltré, il fallait encore diviser ces masses de terre en portions plus petites pour les pétrir à la main. Si nécessaire, on en faisait de petits pains ronds aplatis que l'on plaquait contre la muraille pour en extraire un surplus d'humidité. Après cela, la terre avait toutes les qualités requises pour être façonnée.

L'industrie de la faïence s'installe dans le bourg St Sever à Rouen à partir de 1644, date à laquelle Anne d'Autriche accorde à Nicolas Poirel de Granval des lettres patentes pour 30 ans. La production commence en 1645 avec Edme Poterat qui en gardera le monopole jusqu'à la fin du siècle. La liberté de production retrouvée, dix manufactures au moins sont fondées de 1698 à 1725. Les créations vont être ensuite limitées par autorité royale qui, soucieuse de la pénurie de bois, règlemente la construction des fours. Il y eut en tout 22 manufactures, mais jamais au-delà de 17 en fonctionnement simultané. L'industrie de la faïence connaîtra un déclin brutal entre 1798 et 1810. La dernière manufacture rouennaise fermera ses portes en 1851.

Les majoliques italiennes. Le terme de majolique désigne la faïence stannifère de grand feu produite en Italie au XVe et XVIe siècle. Ce terme provient probablement de Malaga, centre de production espagnol réputé au Moyen-Age, ou de l'île de Majorque, par où transitait une partie de la production en direction de l'Italie. Dès la seconde moitié du XVe siècle, des ateliers de faïence de grand feu ouvrent en Ombrie, en Emilie et en Toscane. Pour donner aux majoliques l'effet brillant des faïences lustrées espagnoles, ils renouvellent la recette du grand feu et introduisent des oxydes d'argent et de cuivre dans l'émail. Les grandes fabriques s'installent à Faenza (qui a donné le nom français de faïence), à Urbino, Castel, Durante, Deruta. Ces ateliers sont dirigés par des familles d'artisans, véritables dynasties de peintres sur majoliques tel Nicolo da Urbino qui oeuvre dans cette ville dès 1520.

La mère-abbesse de Saint Amand, Guillemette d'Assy, était l'instigatrice de grands travaux. Elle avait fait élever en 1525 le colombier de la résidence d'été des abbesses de Boos, près de Rouen. L'édifice était décoré dans sa partie supérieure de carreaux de faïence qui sont les plus anciens retrouvés dans la région rouennaise.

Les camaïeux bleus. Le Portugal, qui commerce avec la Chine dès le XVIe siècle, est le premier à importer les porcelaines bleu et blanc qui suscitent un incroyable engouement dans les cours européennes. Profitant de cette mode, les Portugais, puis les Hollandais, copient les décors de camaïeux bleus des porcelaines sur des faïences de grand feu vendues moins cher. Au milieu du XVIIe siècle, la Chine, en proie à des guerres civiles, se ferme aux exportations. La Hollande se spécialise alors dans la production de camaïeux bleus aux décors chinois. Les ateliers de Delft diffusent ce goût dans toute l'Europe. En France, Nevers transmet cette mode à Rouen qui imite les décors nivernais au point qu'il est parfois impossible de discerner les productions des deux centres. Les raisons du succès des faïences de camaïeux bleus sont aussi d'ordre technique. L'oxyde de cobalt, utilisé pour obtenir le bleu, présente une résistance et une tenue exceptionnelle aux hautes températures du grand feu. De plus, son application en tons dégradés est facile. Les sujets orientalisants s'accompagnent aussi, dans des compositions dites "hollando-chinoises" de scènes pastorales et de motifs héraldiques européens.

Les édits somptuaires de Louis XIV, en 1689 et 1709, imposent la fonte de la vaisselle et du mobilier en argent pour renflouer le trésor royal. Les faïences adoptent alors des formes variées s'inspirant des pièces d'orfèvrerie qu'elles doivent remplacer : aiguières en forme de casque renversé, pichets, saupoudreuses, bougeoirs, porte-huiliers, encriers, vide-poches... Dès la fin du XVIIe siècle, Rouen développe son propre répertoire iconographique basé sur le lambrequin, motif oriental en forme de languette triangulaire. La fin du privilège des Poterat, vers 1700, libère la concurrence. De nombreuses manufactures ouvrent à Rouen et rivalisent dans leur inventivité décorative et leur maîtrise technique.

La porcelaine. Découverte en Chine à l'époque Tang (618-907), la porcelaine fascine les faïenciers européens qui recherchent durant des siècles le secret de fabrication de cette argile à la fois translucide, brillante et sonore. Ce terme, donné aux céramiques en provenance de Chine, provient du nom italien d'un coquillage blanc et poli, le porcellana, dont on a longtemps cru que sa poudre composait la pâte de la porcelaine. Cuite entre 1260 et 1400°C, la porcelaine se compose en fait d'un mélange de silex, de feldspath et de kaolin, ingrédient essentiel qui fait défaut aux Européens jusqu'au XVIIIe siècle.

La fabrique de Louis Poterat, fils d'Edme Poterat, met au point à Rouen, dans les années 1670, une pâte de porcelaine tendre. Translucide, mais épaisse et lourde, elle ne possède pas la dureté de la vraie porcelaine et se raye facilement. Sa pâte est un mélange de marne calcaire blanche, de sable et de sel marin. Difficile à travailler, elle interdit les pièces de trop grandes dimensions. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, elle connaît un grand succès et devient la spécialité des manufactures de Saint Cloud, Chantilly, Mennecy et Vincennes transférée en 1756 à Sèvres. La découverte des gisements de kaolin, en 1709 à côté de Meissen, en Saxe, puis en 1768 à Saint Yrieix la Perche, localité voisine de Limoges, introduit la porcelaine dure en Europe. Limoges, Sèvres et les manufactures parisiennes se spécialisent dans cette production onéreuse appréciée des souverains et de la noblesse. Détrônant la pâte tendre, elle se pare de décors floraux, de motifs d'oiseaux dans le goût de l'époque Louis XV et permet le développement d'une large palette polychrome, du rose Pompadour au vert pomme.

La faïence fine. Dans l'histoire de la céramique, la faïence fine représente une véritable révolution artistique et industrielle. Autour de 1720, dans le Staffordshire, en Angleterre, des entrepreneurs ambitieux cherchant à imiter la porcelaine mettent au point une pâte céramique blanche en ajoutant à l'argile du silex calciné et broyé, produit bon marché qui devient rapidement à la mode dans les classes bourgeoises pour lesquelles la porcelaine reste un luxe. La compétition industrielle se poursuit quelques années plus tard en France. Cette céramique offre de nombreuses possibilités dans le travail des formes et des décors. Elle se moule facilement, et sa plasticité lui permet de se plier aux galbes des lignes rocailles de la fin du XVIIIe siècle. La pâte constitue le décor lorsqu'elle est colorée dans la masse ou que des terres de différentes couleurs sont mélangées pour obtenir des effets de marbrure imitant les pierres dures.

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Cathy et Jean-Louis avec Sophie, Charles et Agnès
Normandie
Lundi 27 juillet au dimanche 2 août 2009