Nous
débutons notre séjour par la visite de Fontaine
de Vaucluse, qui a donné son nom au département.
Celui-ci provient du latin, vallis clausa, la vallée close,
du fond de laquelle jaillissent les eaux qui alimentent la rivière
de la Sorgue. Enfin, jaillir, c'est une façon de parler, car,
en raison de la sécheresse
qui sévit depuis des mois, le niveau de la "fontaine" est
bien bas, eau sombre immobile dans une grotte, dont la surface légèrement
huileuse est couverte de pollen, poussières et débris
de feuilles. Ce calme est trompeur. En effet, il s'agit d'un syphon
en entonnoir de 308 mètres de profondeur, unique
point d'évacuation des eaux d'une nappe phréatique, un
"impluvium" qui draine les eaux pluviales et de fonte des
neiges du Mont Ventoux, des Monts de Vaucluse et de la Montagne de
Lure sur une surface d'environ 1240 Km².
Aux strates
de calcaire composant l'ensemble du bassin versant succède brusquement
à Fontaine de Vaucluse, tel un barrage, de la mollasse imperméable
(argilo-calcaire). Ainsi,
l'eau est forcée de remonter à la surface. Cette résurgence
a donné son
nom au type "vauclusien" attribué en tout site similaire,
y compris
à l'étranger. La rivière,
reliée à la fontaine par un passage souterrain, s'écoule
ainsi toute l'année à un débit maintenu à près
de 4 m3/s au cours des périodes les plus sèches, alors
que les crues d'automne et de printemps liées
aux pluies sont lentes, peu brutales et décalées ; le
niveau de la fontaine peut s'élever jusqu'à 22 m du minimum,
et le flot se répand
alors aussi dans la rivière par la grotte que nous contemplons,
recouvrant le chemin que nous venons d'emprunter.
Dimitri
nous raconte l'anecdote de l'Allemand Hasenmayer qui explora en 1983
le gouffre,
bravant les
interdictions, et atteignit la profondeur
exceptionnelle de –205 m
en scaphandre autonome, uniquement relié à la surface
par une corde maintenue à son extrémité par son épouse
et complice.
La vue d'une
roue à aubes majestueuse actionnant un moulin
à papier encore en activité
dont les touristes viennent admirer les ingénieux mécanismes
et acheter les feuilles artisanales luxueuses me rappelle la destruction
des kyrielles d'industries dont la force motrice émanait de
nos rivières. S'il
fallait des eaux limpides pour produire à partir de
chiffons
de
lin, de chanvre, puis de coton le papier de qualité devenu déjà indispensable
à la fin du Moyen-Age au clergé et à l'administration
du Palais des Papes
installés
à Avignon dès le XIVe siècle, on
ne se préoccupait guère, à l'époque, du
bruit provoqué par les lourds
marteaux sur l'étoffe pour la transformer en pâte, ni
de la pollution de la rivière en aval par les rejets engendrés
par la production. En
revanche, la faune avait
tout
loisir de se déplacer
à son gré
sur son
cours en quête d'un lieu de vie propice. Les quelques barrages érigés
par endroits ne constituaient pas d'obstacles réels à sa
circulation.
Dès nos premiers pas sur la sente qui mène à la "fontaine", Dimitri nous met dans l'ambiance. Il nous explique le manège du cincle plongeur, dont nous remarquons l'activité fébrile qui contraste avec la placidité des canards colvert flottant sur les eaux verdies par la longue chevelure mouvante des herbes aquatiques. Ce petit oiseau hyperactif émerge à peine quelques instants pour reprendre son souffle, avant de plonger et disparaître durant des dizaines de secondes qui me paraissent des siècles, car je guette le moment où il refera surface en retenant ma propre respiration. Il évolue malheureusement près de l'autre berge, et nous ne pouvons pas l'observer à travers l'épaisseur d'eau lorsqu'il disparaît : Dimitri nous rapporte que l'oiseau marche sur le lit de la rivière à contre-courant, le corps en biais, et retourne les pierres en quête de larves de phrygane, à la manière du merle qui explore le dessous des feuilles mortes sur ma pelouse.
Sur
le sentier, Dimitri se
penche sur des crottes fines, allongées,
noires et grumeleuses. Ce
sont celles d'un renard qui
s'est régalé de mûres. Ailleurs, nous en trouverons
emplies de pépins de raisin. Contrairement à ce
que prétend la tradition, celui-ci est loin de se nourrir
uniquement du résultat de ses rapines dans les poulaillers - de plus
en plus rares, du reste -.
C'est
un
omnivore,
qui profite de tout ce que lui offre la nature au cours des saisons
: lapins, campagnols, insectes, lombrics (vers de terre), fruits,
baies... et il peut même lui arriver de fouiller dans nos détritus à la
recherche de quelque chose de comestible.
Un
peu par provocation, Dimitri compare ces crottes aux chants d'oiseaux.
En effet, si ces derniers nous paraissent plus
esthétiques que les premières, il ne faut pas s'imaginer
qu'ils sont émis pour notre seul plaisir auditif ou celui de
leurs congénères.
Ils ont des fonctions bien précises, que Dimitri nous décrit.
Parmi celles-ci, les oiseaux émettent des sons caractéristiques
pour délimiter
leur territoire, prévenir d'une attaque probable en cas de franchissement
d'une frontière
invisible, ou de l'approche du nid. J'ai assisté à la
prise de bec (au sens propre) de deux merles dans mon jardin, je peux
témoigner
qu'il
ne s'agissait pas d'une plaisanterie, et qu'ils ne se faisaient pas
de cadeau ! Ils s'attaquaient dans les airs à faible hauteur,
en bonds successifs entrecoupés de pauses au sol ou sur des
rameaux de la haie, jusqu'à ce que l'un des deux eût fini
par céder (j'ai supposé
que c'était celui qui était
en tort).
Le
renard, dont l'aboiement évoque la toux d'un gros fumeur aviné (!),
a un odorat très développé, cinquante fois plus
puissant que le nôtre,
et chaque individu a une odeur reconnaissable par ses congénères.
Il parsème
donc ses crottes dans le même
but qu'un oiseau chante, marquant son territoire d'empreintes
olfactives,
crottes sur la terre ou en hauteur sur les rochers pour mieux diffuser
son odeur, urine sur la neige, afin d'avertir tout contrevenant éventuel
qu'il ferait mieux de passer son chemin. Il
fait une ronde régulière
pour entretenir la présence de
son odeur en renouvelant les "dépôts". Si
une odeur étrangère l'incommode, il l'efface en la
remplaçant par
la sienne. Pour un naturaliste, ils sont pleins d'enseignement, puisqu'ils
permettent de déterminer
l'alimentation de l'animal et l'étendue
de son aire, qui varie avec la quantité de ressources alimentaires
disponibles (moyennant quelques bagarres ponctuelles).
Voici un comportement dont devrait s'inspirer l'humanité.
Pour en finir sur ce sujet scatologique, Dimitri nous signale que
les
castors
mangent
leurs
excréments,
de même que
les lapins et pour une raison identique. C'est que la cellulose contenue
dans
les fibres végétales est très difficile à digérer
(c'est d'ailleurs un des moyens de défense trouvé par les plantes pour
décourager leur consommation). Comme ils ne sont pas équipés
de plusieurs estomacs, contrairement aux ruminants parfaitement herbivores,
ils ingèrent leurs excréments à contenu
digestif très peu modifié puis procèdent à de
vraies déjections qui, elles,
ne sont pas "recyclées" (du moins par eux) : c'est
ce que l'on appelle la caecotrophie (à ne pas confondre avec
la coprophagie pratiquée
par le rat ou le
porc, par exemple).
Nous
faisons ensuite l'ascension des falaises calcaires percées de
larges orifices par l'érosion éolienne et hydrique en
longeant le château en ruine qui surplombe le village. Chemin
faisant, Dimitri nous fait découvrir un nouveau phénomène
qui se matérialise par la
formation de galles multiformes
sur les plantes.
Je
ne connaissais que la légère boule brune très
commune sur le chêne,
dont on extrayait au cours des siècles passés
des colorants qui servaient dans le tannage des cuirs ou pour fabriquer
l'encre noire,
par réaction
avec du sulfate de fer. En réalité, la plupart des plantes
développent
des galles, qui sont des tumeurs provoquées chimiquement par
des oeufs pondus par des arthropodes (15% acariens et 74% insectes),
chaque animal étant généralement associé à un
végétal déterminé et à une forme
de galle caractéristique.
Dimitri s'extasie sur cette association
qui démontre, une fois de plus, l'ingéniosité
de la nature et sa diversité, et il tâche de nous communiquer
son enthousiasme.
L'arbre
essaie d'isoler le parasite (oeuf ou ponte entière) en constituant
une excroissance de forme variée (banane, cerise, petite pomme...)
dans laquelle il l'enferme. Ce réflexe d'autodéfense
est actionné par "l'envahisseur" qui
manipule chimiquement la plante à son profit, sans la tuer.
Dimitri cueille sur un pistachier-térébinthe une
galle d'un joli rouge rosé et
la casse en deux pour nous en montrer
le
contenu. Cela
grouille, là-dedans. Les oeufs, bien à l'abri dans
leur capsule qu'ils ont fait construire par l'arbre (une feuille
modifiée),
ont éclos
pour donner des larves. Isolées des intempéries
chaudes ou froides et de tout prédateur (en
principe, mais certains réussissent à découvrir
le pot aux roses), elles se développent idéalement en
pompant la sève des parois de cette espèce de faux fruit à l'aide de
leur rostre qui agit comme une seringue.
Quelques
pas plus loin, nous découvrons la galle de l'églantier (gratte-cul,
cynorrhodon), qui a la forme d'une touffe chevelue, hirsute, rouge également,
appelée
bédégar
et produite par Diplolepis rosae (Cynips du rosier), un minuscule
insecte
qui
ne
dépasse pas le demi-millimètre. Les galles revêtent
des formes d'une très grande variété, qui peuvent
servir aussi d'isolant thermique en se tapissant d'une matière
similaire à la laine de verre
pour que les larves puissent passer l'hiver sans souffrir du froid.
Elles peuvent prendre l'aspect de filaments, d'un morceau de bois
semblable à une goutte d'eau suspendue, de fourreaux, etc.
Agrobacterium
tumefaciens :
bactérie gram-négative du
sol appartenant à la famille des Rhizobiacées, responsable
de la formation d'une tumeur au niveau du collet des plantes : il s'agit
d'un cancer végétal, la galle du collet, dont l'agent, Agrobacterium
tumefaciens, réalise une manipulation génétique naturelle.
(Wikipédia)
Extrait
d'une notice de la Société d’Histoire
Naturelle du Creusot : Insecte
cécidogène, insecte dont, soit la mère,
soit (ici) les larves sont capables de manipuler l’expression post-génétique
de leur hôte-végétal
(les feuilles de Robinier faux-acacia) de sorte à l’amener à fabriquer
pour elles une sorte d’organe-végétal nouveau (ici
un petit fourreau) destiné à remplir au bénéfice
des larves, une double fonction de protection et de source de nourriture
renouvelée. En matière de manipulation
génétique, l’insecte est ainsi, techniquement, bien
en avance sur nos actuels OGM, lesquels sont encore bien loin de pouvoir
faire réaliser par les plantes des organes nouveaux et structurellement
complexes, tels que ces petits ‘hôtels-restaurants’ dont
la taille et les fonctions sont parfaitement appropriées à
leur locataire-inducteur.
Les
insectes cécidogènes seront à n’en
pas douter d’excellentes sources d’inspiration pour les chercheurs
en génie génétique
qui, dans quelques décennies, trouveront beaucoup mieux que nos
rigides OGM actuels, alors relégués
comme témoignages surannés de nos maladroites manipulations
d’apprentis…
Arrivés au sommet du plateau dont la falaise
qui l'interrompt brutalement surplombe la "fontaine", nous
nous installons pour consommer le délicieux
pique-nique préparé par
Béatrice,
la mère de Dimitri. Dany
est brusquement saisie d'une très
douloureuse crampe à
un muscle de la cuisse. Est-ce la montée un peu raide, ou bien
la fatigue du trajet en voiture la veille pour traverser tout le sud
de la France
? Peu
importe la cause, elle est désespérée et
se voit déjà clouée à la maison,
incapable d'effectuer ses deux heures de marche quotidienne indispensables
à son moral autant qu'à sa forme physique. Nous
la laissons se reposer en compagnie de Jean et nous partons en exploration,
faisant halte pour observer les hirondelles de rochers qui
démontrent
leur maestria en vol, concurrencées par des escadrilles de grands
corbeaux dont l'un d'eux fait un looping sous nos yeux, planant
un moment
sur le dos !
Les vestiges d'une petite chapelle en pierre taillée se fondent dans l'environnement calcaire d'un blanc crayeux. Située à l'aplomb de la résurgence, elle illustre parfaitement la survivance des pratiques religieuses païennes de dévotions aux divinités de l'eau qui se sont perpétuées à l'ère chrétienne par l'installation de lieux de culte aux mêmes endroits, justifiée si besoin par l'intronisation d'un saint "ad hoc". De retour auprès de nos compagnons, nous constatons que Dany s'est un peu rétablie, et nous entamons tranquillement le retour au village dans les senteurs de thym et de résine exacerbées par la chaleur de cette fin d'été.
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Séjour naturaliste organisé par Dimitri Marguerat pour un groupe d'une dizaine de personnes, Cathy et Jean-Louis, Margaitta, Chantal, Claudine, Jean et Dany, Louis, Henri et Dany | Provence |
12 au 19 septembre 2009 |