Les
plantes sont immobiles, enracinées pour la plupart dans un lieu
où
le hasard les a menées, le vent, des animaux, des humains. Si
les conditions environnementales leur conviennent, elles croissent
et prolifèrent.
Mais elles ne sont pas passives et ne se contentent pas de subir,
elles s'adaptent, transforment leur apparence, multiplient les stratagèmes
pour atténuer
la dureté de leur existence et se prémunir contre l'attaque
de leurs prédateurs.
Qui plus est, certaines sont capables d'utiliser les animaux à leur
avantage. Leur sort est désormais lié. Si une espèce
disparaît, que ce soit la
plante ou l'animal qui lui est inféodé, les deux sont
en danger de mort. La disparition progressive des insectes pollinisateurs
et parmi eux
"notre" abeille domestique
montre qu'une perturbation dans cet équilibre fragile peut influer
par ricochet sur notre propre survie.
La
marche est le meilleur moyen de se rendre compte de la diversité végétale
en fonction des milieux. La simple présence
de l'eau fraîche et pure de la Sorgue, constamment alimentée
par la résurgence de Fontaine de Vaucluse au fond d'une vallée
encaissée offre
un micro-climat dont bénéficient des plantes qui ne dépareraient
pas en Pays basque, de grands arbres ombragent les rives, contribuant à
protéger la vallée et ses occupants humains, animaux
et végétaux des
rigueurs solaires provençales. Cet environnement contraste fortement
avec celui
qui se présente sur les reliefs qui l'entourent, soumis à l'aridité
du sol calcaire perméable, au rayonnement, rendu plus intense
par l'absence d'humidité
dans l'air, au souffle dévastateur du mistral, ce vent du nord
qui balaye la vallée du Rhône, et aux écarts de
température élevés entre
le jour et la nuit, l'été et l'hiver.
Car il peut faire froid en Provence,
nous nous en apercevons le matin dans les gorges de la Nesque, après
avoir souffert de la chaleur la veille, au cours de notre ascension
sur le plateau qui surmonte la résurgence. L'aigle royal,
conscient des conditions qui y règnent, a choisi sagement
d'installer son grand nid de branchages qui peut atteindre parfois
jusqu'à deux mètres
de diamètre et deux mètres d'épaisseur
dans une anfractuosité de la falaise bien exposée au
soleil dès le matin.
C'est sous la pluie que nous entamons notre circuit
en Lubéron, une météo très atlantique rafraîchit
l'atmosphère. Ce n'était
pas la peine d'aller si loin pour trouver la même chose ! - Je
plaisante. - En
réalité, le paysage est très différent.
Chantal commence par s'enduire les lèvres du jus rouge violacé des
baies du raisin
d'Amérique, plante introduite par le port de Bordeaux après
la découverte
du Nouveau Monde, appréciée
alors comme teinture des tissus et même pour améliorer
l'aspect des vins, bien que la baie ait un effet purgatif. Elle
est considérée à l'heure actuelle comme une plante
invasive, au même
titre que l'herbe de la pampa et
le baccharis (séneçon en arbre).
Les gestionnaires du Parc naturel régional de Camargue ont réalisé des études
sur la colonisation de Baccharis halimifolia
et tenté de mettre
au point une méthode de gestion adaptée à leur environnement.
Ils ont pour cela initié une cartographie dès l’année
2004 sur une grande partie des parcelles. Grâce aux stries d’accroissement
des troncs de Baccharis, les gestionnaires ont réussi à déterminer
l’âge
de nombreux pieds de l’espèce invasive. En
comptant les stries de plus de mille pieds, les scientifiques ont pu calculer
la date d’arrivée
des plants sur le parc : 1982. Cette étude montre également
que la population de Baccharis est restée stable et peu développée
pendant une dizaine d’années. C’est au milieu des années
1990 que le Baccharis a entamé une croissance exponentielle, devenue
difficilement maîtrisable.
Les
nuages sont encore relativement hauts et mobiles dans le ciel. Une
plume ramassée par terre signale la présence d'un
épervier
d'Europe. Nous en aurons bientôt la confirmation dramatique
un peu plus haut à l'entrée d'une gorge. Parmi les pierres à nu
qui jonchent le sol, des plumes de différentes tailles gisent
en désordre.
Nous nous souvenons tout d'un coup que nous avons entendu un cri d'alarme,
quelque temps auparavant. Dimitri enquête. La victime était manifestement
un geai. Si son
agresseur
avait été un
mammifère, il
aurait
arraché
les
plumes avec les dents, ce qui les aurait déchiquetées.
Par contre, si c'est l'oeuvre d'un oiseau, il les retire une à une,
elles demeurent intactes. C'est ce que nous observons ici. Le rapace
qui
l'a tué est un épervier. Parfois, on peut déceler
la trace du bec sur le penne. Il retire les grandes plumes qui risquent
de le gêner en
vol avant d'emporter sa proie dans un endroit qui lui offre une vue
panoramique pour le dévorer tranquillement en surveillant les
alentours.
Un
épervier passe partout, avec ses ailes courtes et sa longue
queue. Il
se faufile dans les sous-bois en zigzaguant entre les branches. Jean-Louis,
émerveillé comme nous tous par cette démonstration à la
Sherlock Holmes, demande, pour plaisanter, s'il s'agissait d'un mâle
ou d'une femelle. Alors que nous poursuivons notre marche, nous
découvrons un nouveau tas de plumes, à demi cachées
sous un rocher. Avec ces éléments
supplémentaires, notre guide peut continuer à faire
des hypothèses.
Il
faut savoir que le mâle fait seulement quarante centimètres
d'envergure, et il pèse le tiers d'une femelle, d'où son
surnom de tiercelet. A ce propos, Dimitri nous apprend que l'appellation
"tiercelet" désigne aussi bien le mâle de l'épervier que du faucon,
qui représentait le dieu Horus, figure solaire chez
les Egyptiens.
Le geai
des chênes est un gros oiseau, c'est donc probablement la femelle
épervier qui l'a chassé. Il s'agissait d'un jeune geai, car
il a encore ses plumes en croissance, plus fragiles, ses rémiges se
sont cassées à la base
et elles étaient encore recouvertes d'une enveloppe juvénile.
Il y a aussi un peu de duvet. Voila qui explique qu'il se soit laissé
surprendre, cela lui a coûté la vie...
Il
faut hâter le pas, une bruine fine commence à sourdre
des nuages qui s'alourdissent et enrobent le faîte des falaises
escarpées dont nous sommes entourés. La montée
un peu rude, parmi des rochers qui peuvent devenir glissants avec l'humidité ambiante,
fait cesser les conversations. Enfouis sous nos vêtements de
pluie qui nous isolent, nous nous laissons pénétrer des
odeurs végétales qui embaument,
exacerbées par l'action bénéfique de cette eau qui a manqué des
mois durant.
Le
cèdre de l'Atlas, aux cônes femelles dressés sur
les branches, donne un petit air montagnard à ces reliefs
escarpés, mais qui ne
culminent qu'à 1125 mètres.
Originaire
du Moyen-Orient et de l'Himalaya, certains considèrent qu'il est une
sous-espèce du cèdre du Liban. Voici
les conditions de son introduction en France : Après
quelques siècles de défrichement (depuis le Moyen-Age)
et d’exploitation intensive et sans réserves des versants,
qui provoquèrent de graves phénomènes d’érosion
et d’inondation, une première loi (1860) sur le reboisement est suivie en 1864 et 1882 par d’autres dispositions «pour
la restauration et la conservation des terrains en montagne».
Les effets du surpâturage, du prélèvement
de bois et des essarts par les populations, conduisent à un
dénuement de l'ensemble des forêts du mont Ventoux et
du petit Luberon dans le sud du Vaucluse. Ne subsistent plus, en altitude,
que
des lambeaux de pin à crochets,
sapin, hêtre et, plus bas, de mauvais taillis de chênes.
Les premières photographies des services de Restauration des
terrains en montagne nous transmettent l'image d'un Ventoux minéral.
Dès lors, commence l'épopée des grands travaux
de reboisement, réalisés vers la fin du XIXe siècle
avec quelques prolongements au début du XXe siècle. Dans le
Ventoux, les travaux commencent en 1875 par le versant Sud et se
poursuivent jusqu’en 1936 sur les versants Nord et Nord-Ouest,
nous livrant ces nouveaux paysages boisés des versants qui découlent
de l’introduction massive de résineux (pin noir d’Autriche
notamment) et de cèdres de l’Atlas (Petit Luberon). La plus
grande forêt de cèdres de l'Atlas en Europe occidentale est
plantée, suite à un
pari entre deux hommes en 1863 (le
forestier Georges Fabre et le botaniste Charles Flahault) ; la cédraie
s'y développe sur 500 hectares à 700 m d'altitude, ainsi
que sur le mont Aigoual, et les Pyrénées. Il constitue désormais,
entre 800 et 1000 m d'altitude, des peuplements remarquables qui se régénèrent
abondamment. Dans les années 1990, environ 20 000 hectares ont été reboisés
de cèdres dans le sud de la France. (Wikipédia et autres sources Internet)
La
perspicacité de Dimitri est de nouveau mise à l'épreuve
devant un tronc
écorcé dans sa partie basse. Evidemment, ce n'est pas
l'action d'un ours, ni celle non plus d'un cervidé, ce ne peut
donc
être que le fait d'un sanglier.
Il suppose qu'il s'agit d'une sorte de marquage territorial. A quelques
pas de là, le même écorçage apparaît
sur un autre arbre. Dimitri se penche et découvre, accrochée
aux aspérités,
une touffe de poils rêches : pas de doute, ce sont ceux d'un
sanglier ! Je trouve sur un site une autre explication : après
un bain dans la souille, les animaux se frottent aux arbres, les maculant
de
boue
(traces appelées houssures) et de poils, afin de se débarrasser
de la vermine qui loge dans leur pelage.
Evidemment,
le climat sec méditerranéen exclut cette alternative
ici, je ne vois pas où ils auraient
pu prendre un bain de boue.
Nous
découvrirons en fin de circuit des
melons et des épis de maïs à côté d'une
auge emplie d'eau. Dimitri nous dit que des chasseurs
nourrissent et abreuvent des sangliers afin de les aider à se maintenir
sur place. Mais la plupart du temps des battues administratives doivent
être organisées pour réagir face aux plaintes des agriculteurs (qui sont
souvent chasseurs...) en raison des dégâts qu'ils peuvent occasionner aux
cultures. Et du coup, les chasseurs peuvent sortir le fusil légalement
en dehors des périodes "normales" d'ouverture de la chasse, lors de battues
fixées par la Préfecture !
Les
scientifiques provoquent ce même comportement de frottement contre
un arbre chez l'ours des Pyrénées
en versant de
l'essence de
térébenthine
sur
des arbres préalablement dotés de grillage ou de pointes
(système
du "piège
à poils"), afin de récolter des poils qui
seront analysés
(ADN) par la suite. Pour les ours, on cherchera à déterminer
le sexe, la parenté avec d'autres ours déjà répertoriés,
etc. Il faut toujours garder à l'esprit, lorsque nous nous
promenons dans la nature, qu'un
monde immense nous échappe, uniquement constitué d'odeurs.
D'innombrables
plantes et animaux communiquent et agissent en émettant
ou recevant
des substances chimiques odorantes, à fonction répulsive
ou attirante, mais peut-être aussi pour bien d'autres raisons
que nous ignorons.
Un
odorat développé est particulièrement
important pour des animaux nocturnes, comme nombre de mammifères,
dont le sanglier, pour lesquels la vision n'est pas primordiale.
Si nous étions équipés d'appareils d'analyse
d'odeurs pour suppléer à notre
faible odorat, pour pouvoir
analyser l'air tout en nous promenant,
peut-être nous représenterions-nous le monde du vivant
très différemment
et serait-il plus évident à tous ceux qui en doutent
encore que nous vivons dans un monde entièrement intercorrélé,
où la moindre
de nos
actions a une série de conséquences sur tous les êtres
sur Terre avec lesquels nous cohabitons, bien que nous ignorions
parfois
jusqu'à leur
existence...
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Séjour naturaliste organisé par Dimitri Marguerat pour un groupe d'une dizaine de personnes, Cathy et Jean-Louis, Margaitta, Chantal, Claudine, Jean et Dany, Louis, Henri et Dany | Provence |
12 au 19 septembre 2009 |