Depuis l'âge de quinze ans, j'avais cessé toute pratique religieuse. Le péché originel dont Eve était rendue responsable dans la Bible et la diabolisation des rapports sexuels et de la femme par le clergé catholique au cours de l'histoire m'en avaient éloignée, car je n'arrivais pas à les concilier avec les sensations et sentiments éveillés par mon passage à l'âge adulte. Inès fait une pause, laissant les souvenirs affluer malgré l'émotion visible qu'ils ravivent en elle. Des années se sont écoulées, sans que je change d'attitude à cet égard. Et puis, soudainement, un jour, je suis tombée dans le coma. On m'a transférée immédiatement à l'établissement de soins le plus proche. J'entendais les voix des gens autour de moi, un peu éloignées, et, de plus en plus insistants, les cris du médecin qui se sont amplifiés jusqu'à intercepter mon attention : 'Revenez, revenez, ne partez pas !' Illustration : Lucas Cranach, Adam and Eve, 1526, oil on panel, Courtauld Institute of Art Gallery, Samuel Courtauld Trust.

Mon coeur avait cessé de battre. Je n'étais plus qu'esprit. J'éprouvais une intense félicité doublée d'une attirance indicible vers une puissante lumière, papillon ébloui voué irrésistiblement à la fusion au sein d'une entité immatérielle. Pendant ce temps, le médecin avait bien diagnostiqué la cause de ma perte de connaissance, une très grave hypoglycémie, et il m'avait mise sous perfusion en m'injectant un liquide sucré. Par un curieux concours de circonstance, il se trouve qu'il avait été très affecté par le décès de sa soeur, à laquelle je ressemblais physiquement, et il tentait désespérément de me ramener à la vie, comme pour compenser la perte irrémédiable de cet être cher, malgré les adjurations de l'infirmière à ses côtés qui essayait de lui faire prendre conscience que j'étais morte, et qu'il n'y avait plus rien à faire.

Je suivais alors, jusqu'à ce moment fatidique, un régime très strict, sans sucres ni graisses, que je cumulais avec de très gros soucis de famille qui pesaient sur mes épaules et m'affligeaient profondément. J'aurais préféré, de loin, me laisser aller à ce bonheur ineffable qui m'avait envahie à mon insu, fusionner avec Dieu dont j'avais expérimenté si intimement la Présence et l'évidence de Son Amour durant ce voyage aux confins de l'existence. Il me fallut pratiquement six mois pour admettre et accepter mon retour parmi les vivants. Après avoir réalisé ce qui m'était arrivé, analysé ce que j'avais ressenti, et compris que j'avais éprouvé ce qu'il est convenu d'appeler une illumination, une rencontre divine, je rouspétais et tempêtais, dialoguant sans cesse avec Dieu et lui reprochant de m'avoir donné ce sursis dont je ne voulais pas. Photos : Tour Pey-Berland, clocher dissocié de la cathédrale Saint André, Bordeaux - Abbaye de Fontfroide, fragments de vitraux, dans le massif des Corbières, Aude.

Le médecin est venu me voir à mon domicile. Il ne comprenait pas comment il était possible que j'aie réchappé de ces dix minutes consécutives de coma sans aucune séquelle. D'ordinaire, un cerveau qui n'est pas irrigué ni nourri pendant une durée aussi longue n'en ressort pas indemne, et un tel traumatisme peut entraîner une hémiplégie ou des handicaps encore plus sévères. Rien de tel en ce qui me concerne, mais depuis ce temps-là, je ne cesse d'être en quête, de réfléchir, de m'interroger sur les conséquences de ces instants fugaces qui ont imprimé un tournant irrémédiable dans le cours de ma vie. La première fois que je suis retournée dans une église, j'ai pleuré tout du long, émue au plus profond de moi-même par les versets bibliques et les rites de la messe dont la signification s'éclairait tout d'un coup à la lumière de mon expérience. Encore maintenant, des années après, je ne manque pas de me munir de lunettes de soleil pour cacher l'émotion qui ne manque pas de m'étreindre, à un moment ou un autre de la cérémonie. L'Amour du Christ m'est devenu une évidence vécue...

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Cathy, Inès
Rencontre
8 juillet 2009