Ces aspirations gigantesques entraînent avec elles la faune sous-marine, cela n'a pas échappé non plus aux oiseaux de mer. Nous observons avec ravissement le manège de la petite sterne pierregarin qui fait du sur-place en battant des ailes éperduement sans cesser d'observer à l'aplomb de sa position l'eau peu profonde emplie d'algues mouvantes amarrées sur le fond. Puis elle se laisse brusquement basculer et tomber à pic, elle rebondit comme un bouchon après avoir à peine effleuré la surface, et remonte presque à la verticale avant de reprendre ses va-et-vient horizontaux à une dizaine de mètres de hauteur en suivant la ligne sinueuse du rivage. Elle est d'une rapidité et d'une agilité sans pareille, et malgré mes tentatives renouvelées, je n'arrive pas à la saisir (en photo) pendant la plongée qui s'effectue en une fraction de seconde. Sa silhouette gracile est trompeuse, je la soupçonne d'avoir des muscles d'acier impressionnants.

Le cormoran (huppé ?), quant à lui, a une autre stratégie, tout aussi efficace. Il se rend sur les lieux propices de son vol lent et pénible au ras des flots, alourdi par son plumage imbibé d'eau. Puis il se pose, le corps déjà presque immergé prolongé d'un cou long et incurvé qui évoque irrésistiblement le mythe du monstre du Lochness. Avant d'avoir eu le temps de faire ouf, il plonge et nage entre deux eaux à la poursuite de ses proies qu'il saisit de son bec crochu. Il reste si longtemps en apnée que je m'essouffle à guetter la surface sans savoir où il émergera, parfois à des dizaines de mètres du point de départ et dans une direction inattendue. Le courant ne lui pose aucun problème, il est bien plus à l'aise dans l'eau que dans l'air, et je pense que tous les jours, il doit espérer renaître dans une vie future avec des branchies pour ne plus avoir à s'extirper de cet élément qui est aussi le sien !- Photos : Sterne pierregarin. Cormoran. -

Mais aussi curieux que cela puisse paraître, c'est quand l'eau se retire que la baie s'anime d'une myriade d'oiseaux arpenteurs de vase en quête d'animalcules lovés dans cet entre-monde, ni mouillé, ni sec. Les goélands argentés nous rendent notre regard de leur curieux oeil en lagon blanc-rosé cerné de gris et ponctué de noir. Difficile de savoir ce qu'ils voient exactement, bien qu'ils soient équipés pour corriger la distorsion résultant du passage de la lumière de l'air à l'eau et le changement apparent de position et de dimension de leurs proies. Si l'oeil qui nous fait face nous regarde, que voit celui qui est placé de l'autre côté de sa tête ? Regarde-t-il autre chose ? En tout cas, ils doivent faire mouche à tous les coups lorsqu'ils pêchent, car ils sont bien plus souvent en train de digérer tranquillement, perchés au sec ou marchant dignement, qu'affairés à chercher leur subsistance.

Un goéland, c'est en réalité une grosse mouette, et seul le français leur attribue un nom différent qui proviendrait du breton gwelan ou gouelañ, pleurer, à cause de leurs cris déchirants. Cela me rappelle le coucher de soleil sur la presqu'île de Rhuys. La lumière était magnifique et le paysage s'était teinté de couleurs chaudes. Sortant du camping, nous sommes remontés un peu pour l'observer par dessus le bocage de la pointe de Kerners. Un petit bras de mer nous séparait d'une île boisée qui servait de dortoir à des multitudes de goélands qui ne cessaient d'aller et venir, se posant sur les roches basses ou sur les branches de grands conifères dans un vacarme de cris échangés. Quand le soleil disparut derrière l'horizon, un calme soudain envahit la baie, comme si les oiseaux saluaient son départ, avant de refaire entendre quelques cris épars plus faibles qui cessèrent avec la nuit, discrètement relayés par les chants des grillons. - Photos : Cormoran. Goéland. Mouette rieuse dans la BD de Gaston Lagaffe. -

La mouette rieuse est beaucoup plus agitée et encore plus bruyante, dans des tons plus aigus. Son capuchon brun nuptial très caractéristique qu'elle arbore en été met en évidence le grand arc de cercle blanc qui souligne son oeil noir. Son nom est issu du normand et son attribution remonte à l'époque où cette province fut attribuée aux Vikings (Nort(h)manni, terme francique latinisé signifiant les hommes du Nord) par le roi carolingien Charles le Simple en 911. Ils avaient fui la Scandinavie, tout comme les autres "Barbares" quittant le centre de l'Europe, en raison du refroidissement général qui s'abattit pendant plusieurs siècles, et ils cherchaient à coloniser des terres au climat plus clément, contribuant à provoquer par leur intrusion pas toujours pacifique la fin de l'empire romain d'occident. L’adoption de la langue d’oïl autochtone par la classe régnante parlant le vieux norrois introduisit dans la langue normande un bon nombre de termes, notamment son lexique nautique, passé dans sa quasi-totalité dans la langue française. La mouette est donc un mot d'origine norroise 'mavr' ou vieil anglais 'maew' qui a donné deux mots distincts en normand : la mauve (mauviette) et la mauwette (mouette). - Photo : Mouette rieuse. -

Un rien la fait décoller et après une rapide boucle d'observation, elle revient se poser, souvent en délogeant une congénère qui s'envole à son tour dans de grands cris de protestation. Lorsqu'elle visite les rigoles encore parcourues d'eau courante, elle soulève d'un piétinement caractéristique de ses pattes rouges palmées les bestioles dont elle se saisit d'un mouvement vif de la tête et du bec après avoir reculé légèrement. C'est cette même progression dansée que l'on observe chez l'aigrette garzette dont la silhouette fine et élancée se courbe et s'étire souplement pour atteindre un peu plus profondément que la mouette les petites bêtes de la pointe de son bec acéré. Lorsque le temps se gâte, après deux jours d'ensoleillement méditerranéen, nous voyons sa robe soyeuse s'ébouriffer, les plumes duveteuses se gonfler et former des atours vaporeux adoucissant sa silhouette, l'aigrette se rebrousser et passer devant, formant cravate, sans que l'oiseau perde une once de sa dignité, semblant indifférent au désordre de sa mise, et négligeant de la lisser d'un revers du bec, au contraire des autres oiseaux soucieux du bon arrangement de leur plumage. Sur une vasière, nous assistons soudain à une parade nuptiale. Les deux oiseaux s'élèvent à tour de rôle ou bien ensemble dans les airs, face à face, en de grands bonds magnifiés par de larges battements d'ailes accompagnés de cris plus graves que les mouettes. Elle dure quelques instants, puis chaque aigrette retourne à ses occupations. - Photo : Aigrette garzette. -

SOMMAIRE
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Réaction de JLB : Photo de sterne caugek en piqué sur le site en lien.

Yann, un des correspondants de ce blog informe le 26 novembre 2009 que "le principal prédateur des sternes c’est effectivement l’homme, directement et indirectement. Directement car depuis les années 1960 la plaisance et par voie de conséquence la fréquentation des îlots où nichaient les sternes se sont considérablement développées. La conséquence a été la baisse des effectifs de sternes et la concentration des oiseaux sur très peu de colonies, ce qui accroit encore la vulnérabilité de la population, les oiseaux étant en quelque sorte acculés à pondre « tous leurs oeufs dans le même panier » !
Indirectement ensuite car parmi les principaux prédateurs de sternes on trouve les rats noirs et surmulots, le vison d’Amérique, les goélands,… autant d’espèces qui ont étendu leur territoire ou accru leurs effectifs du fait de l’homme qui a transporté les rats à travers les océans, nourri les goélands de ses ordures ménagères dans les décharges à ciel ouvert durant des décennies, ces derniers en ont profité pour envahir eux aussi les îlots où nichaient les sternes, leur faisant concurrence pour les places de nid, introduit le vison d’Amérique en Europe pour sa fourrure ; celui-ci est capable de nager jusqu’à deux kilomètres en mer, il ne reste donc pas beaucoup d’îlots hors de sa portée ! Parmi les autres prédateurs naturels on peut citer le renard qui rejoint certains îlots à marée basse ou même à la nage et le faucon pélerin qui lui a un impact direct souvent peu important mais qui favorise la prédation par les « seconds couteaux » que sont les goélands qui profitent de la panique provoquée par le faucon pour gober les poussins laissés sans surveillance…
Ce n’est plus directement de la prédation mais l’homme en rajoute encore par la surpêche qu’il exerce sur les zones d’upwelling dans les quartiers d’hivernage des sternes et aussi par le réchauffement climatique qui modifie très probablement les stocks de poissons dont se nourrissent les sternes.
A part ça, tout va bien pour elles…"

 

 

Cathy, Jean-Louis, Elisabeth, Jean-Louis B.
Bretagne - Morbihan
Séjour du 2 au 9 juillet