Parmi
les cas de partages de terres communes, celui des deux communes d'Evisa
et d'Ota, qui jouissaient de terres indivises dans la basse vallée
du Porto, est emblématique. A la suite de litiges et de contestations
entre les habitants des deux villages, les biens communs sont partagés
et l'on note dans la commune d'Ota (aux alentours de 1830) la "diffusion" de
la propriété privée surtout pour ces terrains
situés
le long du fleuve, fertiles, faciles à irriguer et près
du village, pendant que la propriété reste indivise
entre les habitants de la montagne pour les portions éloignées
des villages et improductives si ce n'est pour les coupes de bois et
pour
le pâturage.
En outre, puisqu'on pense généralement
que les terres collectives appartienent non pas tellement à la
communauté elle-même mais plutôt à ses habitants,
se fait jour une forte hostilité envers les étrangers
qui veulent acquérir des biens publics : l'acquisition de
terres de la part de ceux qui ne font pas partie de la communauté est
considérée comme un abus.
Un
autre phénomène
survient au XIX siècle, le détachement
progressif des communes d'origine de beaucoup de communautés
pastorales qui s'établissent définitivement sur les
lieux du pâturage
d'hiver situés près de la côte ou à l'intérieur
proche. Peu à peu, les petits noyaux formés par les
abris saisonniers se sont agrandis et
leur économie
s'est
transformée de principalement pastorale à essentiellement
agricole. Il est
naturel que l'étape suivante
soit la demande de l'autonomie administrative par rapport aux sièges
communaux distants parfois de dizaines de kilomètres et difficilement
accessibles à cause de l'absence de liaisons routières.
Ainsi, encore aujourd'hui, demeure dans l'esprit même de ceux
qui ont quitté le village depuis longtemps
le sentiment que l'individu appartient à un groupe
déterminé avec
tous ses droits sur les terres de la collectivité : c'est
la preuve que la longue permanence des usages communautaires dédiés à la
gestion des biens collectifs a été,
en Corse plus qu'ailleurs, un outil irremplaçable de cohésion
sociale. - Photos : Cloporte.
-
Dans
l'après-midi, nous quittons le golfe de Porto pour la région
de Calvi, un peu plus au Nord, où nous
nous rendons à l'Auberge de la forêt, au coeur du cirque
de Bonifatu. A une demi-heure de la mer, c'est déjà la
(relativement) haute montagne. La
randonnée du lendemain nous amènera presque au pied des
premières langues
de neige qui couvrent encore les sommets situés à 2000
m d'altitude, ainsi que sur une toute petite portion du GR20 qui laisse
mal augurer
du reste
:
je
l'estime
trop minérale, dangereuse, aérienne, avec des passages
délicats où il
faut se tenir à une chaîne (via ferrata) ou bien où il
faut "mettre les
mains". Pour moi qui adore regarder tranquillement le paysage et
observer les petites bêtes ou les petites fleurs, ce n'est absolument
pas la voie rêvée, je la laisse aux grands sportifs qui
considèrent la montagne uniquement
comme un parcours de santé.
Nous
en verrons plusieurs, hommes ou femmes, qui suivent le parcours 'Tra
Mare e Monti' dont l'auberge est une étape et semblent totalement
ignorer les curiosités de la faune et de la flore locale dont
l'intérêt
ne les effleure pas. Ils nous doubleront d'un pas pressé, lourdement
chargés,
suant et soufflant, l'esprit tendu vers l'objectif de l'étape
suivante à atteindre.
Parmi les livres mis à la disposition des randonneurs dans la
salle à
manger
nous consultons un magnifique ouvrage sur
les oiseaux de Corse illustré par Denis Clavreul et dont le texte
est rédigé par l'ornithologue J-C Thibaud, paru en 2006
et dont le tirage est malheureusement épuisé. -
Photos : Tafoni. Céphalantère à longue feuille.
-
Le
maquis a disparu et laissé la place à la forêt où peu à peu
prédominera
en altitude le pin laricio. Dimitri nous
signale dès notre arrivée la présence de la nivéole à
longues feuilles, Alliaceae paléoendémique
de Corse (espèce devenue endémique sur une aire
géographique restreinte et isolée si elle a disparu partout
ailleurs sur son ancienne aire de répartition). Seulement
45 populations sont actuellement recensées, notamment dans les
secteurs du Cintu et
du Rotondu, dans le nord-ouest
de l'île, où elles préfèrent les pentes fraîches
et humides des rochers siliceux ombragés de basse et moyenne altitude.
Nous
entendons la mésange à longue queue, la mésange noire
(où es-tu ? où es-tu
?), le troglodyte mignon, le roitelet, trouvons à terre une plume
de la queue d'une palombe probablement
mangée par un rapace,
observons
dans un arbre des trous creusés par un pic épeiche. Alors que
Dimitri essaie d'attirer la sittelle corse avec son enregistreur, c'est une
mésange
noire qui accourt, furieuse. Un buisson est difficile à reconnaître : s'agit-il
d'un nerprun alaterne ou d'une filaire à larges
feuilles ? Une orchidée
spirante n'offre à nos regards que de très petites fleurs rose
pâle. La céphalantère
à longue feuille évoque à nos yeux peu avertis le muguet. -
Photos : Bruyère (?). Orchidée spirante (?). -
Jean-Louis
me tend une petite boule brune que je m'apprête à mettre à la
bouche, pensant qu'il s'agit d'une baie.
Un je ne sais quoi me retient juste à temps. Bien m'en prend !
Il s'agit d'un cloporte au sujet duquel j'ai raté les explications
car je marche toujours à la traîne, butinant de ci, de là,
les sujets qui attirent mon regard. Notre guide disait justement au groupe
qu'il
ne fallait pas le confondre avec le gloméris, qui est un myriapode
(mille-pattes). Effectivement,
il en a sept paires, ce n'est donc pas un insecte, qui en possède
trois paires, ni une araignée qui en a quatre, ni un crabe qui
en a cinq (y compris les pinces), c'est un crustacé terrestre.
Il
respire par son abdomen où se trouvent des
branchies
contenues
dans
de
petites
poches emplies d'eau et limitées
par de fines membranes permettant l'échange
des gaz respiratoires avec l'atmosphère. Il reproduit donc ainsi
un environnement aquatique ! Les familles de cloportes les plus évoluées
possèdent
des sortes de poumons appelés pseudo-trachées
pouvant capter l'oxygène directement de l'atmosphère.
De même, la reproduction est interne et les oeufs sont incubés dans une poche à couver (le marsupium) remplie d'un liquide qui leur évite de souffrir de la sécheresse de l'air. Le jeune cloporte, dans les premières semaines suivant l'éclosion, reste dans le marsupium, la femelle donne ainsi l'impression de mettre bas des petits tout formés. Pour grandir, le cloporte doit se débarrasser régulièrement de son exosquelette formé de plaques rigides lors de mues qui le rendent vulnérable. Sitôt sorti de l'oeuf, il a le même aspect qu'un adulte, sauf sa carapace plutôt translucide. Il effectue une croissance par paliers, sans changement de forme. Lors de ses mues, il se 'pneumatise' pour réserver de l'espace pour sa croissance à l'intérieur de la carapace suivante. Assez curieusement, le cloporte, comme le serpent et comme la baleine, a une croissance indéfinie, il n'a pas de taille maximale et peut toujours grandir, en théorie bien sûr, abstraction faite de la prédation et du vieillement de leur organisme, j'imagine.
Nous
passons et repassons par-dessus le torrent à l'aide de passerelles
mouvantes qui
inquiètent
Françoise.
Défense
de franchir l'obstacle avec elle, pour ne pas augmenter le balancement
! Dans les eaux calmes et peu profondes du bord d'un ruisseau limpide,
Dimitri retourne patiemment les pierres une à une, et, tout d'un
coup, il trouve
!...
une drôle de
petite
bête
appelée
'euprocte'
de Corse, c'est à dire 'beau cul' (!) en raison de son cloaque
(ou de son organe génital ?) hypertrophié (Tarentella,
vechju, vichjottu, cane montile en corse).
Cet
amphibien est endémique et peut vivre 20 à 30 ans, avec
des périodes
de cycle très
ralenti si
les conditions climatiques sont défavorables.
L’Euprocte n’a pas de poumons, les échanges gazeux
(respiration) se font au niveau de sa peau fine (et fragile) et dans
sa bouche. Sa larve, d'aspect semblable, possède des branchies
externes. L'euprocte devient inactif deux fois au cours de l'année
: l'été, en raison de la
sécheresse ; l'hiver, à cause du froid. Des dytiques, coléoptères
aquatiques noirs, montent et descendent en aller-retours rapides. En
effet, comme ils ne
possèdent
pas de branchies, mais respirent par des stigmates comme les autres arthropodes,
ils doivent
régulièrement
emmagasiner une réserve d'air sous leurs ailes, à l'extrémité de
leur abdomen. - Photos : Euprocte. -
Corse |
Sardaigne |
Midi France |
|
Amphibiens | 7 |
9 |
12 |
Reptiles | 11 |
15 |
21 |
Oiseaux | 138 |
141 |
173 |
Mammifères | 17 |
18 |
45 |
La Corse, comme toutes les îles, se caractérise par un nombre d'espèces moins élevé que celui qu'on pourrait trouver dans des régions continentales comparables. Même les poissons d'eau douce sont sujets à ce phénomène : si l'on exclut les introductions récentes, on compte seulement 4 espèces autochtones dans les cours d'eau de l'île. Si l'ancienneté de nombreux amphibiens et reptiles est certaine, celle des oiseaux et surtout des mammifères est plus discutable. La faune corse pléistocène, profondément originale, a connu un processus général d'extinction et s'est trouvé supplantée par une faune quaternaire en très grande partie semblable à celle que nous connaissons aujourd'hui en Europe continentale. Le Bassin méditerranéen, s'il a joué un rôle de refuge important lors des glaciations successives, s'est trouvé moins impliqué dans la genèse des espèces d'oiseaux et de mammifères que dans celle des reptiles et des amphibiens.
L'importance
des régressions marines successives et l'existence
de ponts continentaux en Méditerranée
insulaire présentent encore des zones d'ombre, mais il
semble difficile d'imputer à l'homme
l'introduction d'espèces a priori peu commensales
comme le loir, le renard ou le chat sauvage (ghjattu volpe),
qui présentent,
d'autre part, des caractéristiques morphologiques marquées
leur conférant, à tout le moins, le
statut de sous-espèce corse.
Le phénomène du marronnage (retour à l'état
sauvage
à partir d'espèces domestiquées) proposé pour
expliquer la présence du mouflon (a
muvra) et
du sanglier insulaires est rendu problématique par les
premières datations
des vestiges osseux de ces deux animaux en Corse et la date supposée
de leur domestication au Moyen-Orient.
Quoi
qu'il en soit, les
effectifs du mouflon ont diminué grandement en Corse
depuis le 19ème
siècle
en raison d’une chasse excessive et il s’est à présent
réfugié dans les deux secteurs montagneux les plus
sauvages de l’île où des actions de conservation
et d'extension de sa population sont en cours. Un Roumain (ou Bulgare
?) employé pour la saison
à l'Auberge de
la forêt nous relate qu'il a vu en
février des mouflons qui étaient descendus de leurs refuges en altitude
et s'approchaient des bâtiments, sans doute parce qu'ils arrivaient à trouver
de l'herbe ou des buissons à brouter, avec la moindre épaisseur de neige. -
Photo : Un lézard à l'allure de crocodile. -
Quant
au
Cerf de Corse, sous espèce du cerf rouge européen,
il a été observé pour
la première fois en Corse, mais il est aussi
présent en Sardaigne. Il
a peut-être été réintroduit
au début de notre ère (époque romaine ?), et il était
bien réparti jusqu’à la fin du 18ème siècle.
Cependant
cet animal a été menacé d’extinction
car il a disparu de Corse à la fin des années 1960.
Aussi, en 1985, un programme d’élevage a été engagé afin
de le réintroduire à partir de 4 cerfs en provenance
de Sardaigne. En janvier 1998, le premier relâcher
a pu avoir lieu dans la région de Quenza, puis en 1999, près
de la commune de Chisa et en 2004 en Haute Corse, sur la commune de
St Pierre
de Venaco. Pour le sanglier (U Cignale) dont on ignore s'il était
déjà
présent en Corse avant l'arrivée des humains au néolithique,
ou bien s'il s'agit d'un retour à l'état sauvage du porc
introduit à cette
époque, il
est actuellement l'objet d'une chasse intensive.
Durant
la saison de chasse 2009-2010,
le tableau de chasse de la Haute Corse comptait parmi les plus forts
'prélèvements' de
France,
avec
une moyenne de 2,68 bêtes tuées pour 100 hectares. Il
en a été chassé
de 6 à 10 000 en Basse Corse et de 10 à 18 000 en Haute
Corse. -
Photo : Lichens (zoom). -
Un
gypaète traverse le vallon au-dessus
des bouleaux qui, curieusement, poussent à une altitude supérieure à
celle du pin laricio. Ils doivent davantage craindre la chaleur que le
froid. Un amélanchier (ou néflier sauvage) s'épanouit,
signe que le climat n'est pas trop sec
en
été. Nous
entendons
chanter
la mésange bleue, le pinson. Des roitelets huppés et un
roitelet triple bandeau se déplacent sans cesse d'arbre en arbre,
très agités.
Une mésange noire, une mésange charbonnière et un
roitelet accompagnent notre descente.
Une orchis insularis (?) dresse sa haute tige aux fleurs jaune pâle
qui se répartissent régulièrement de part et d'autre
de la tige. -
Photo : orchis insularis (?). -
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|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |