Un
drôle de bruit résonne dans le bois, alors que nous entamons notre deuxième
randonnée dans le cirque de Bonifatu.
Dimitri suppose qu'il s'agit d'un geai, qui possède, paraît-il, des talents
d'imitateur. Pour en avoir confirmation, il allume son enregistreur et
aussitôt le geai lui répond en changeant de cri. Lorsqu'il était encore
enfant, Dimitri avait une pie apprivoisée qui était capable d'imiter
la sonnerie du téléphone. Elle avait appris le nom de sa mère, Béatrice,
le sien, Jacquot. Dimitri lui avait même appris à dire "Ta gueule, ah,
ah", et elle savait imiter son rire ! Elle émettait même
un babil qui donnait l'impression qu'elle parlait.
Alors
que nous admirons un beau pied de lys de St Pancrace, Dimitri s'aperçoit
qu'il cache tout au fond
contre le talus un nid de rouge-gorge, avec l'oiseau dedans, une chenille
verte dans le bec ! Il y fait si sombre que je n'arrive pas à le distinguer.
Une mésange bleue et un monticole volent à proximité du chemin. Une épervière
arbore une fleur jaune tout à fait semblable au pissenlit. -
Photo : Fourmis mâle et femelle (ouvrière ?). -
Un
tronc littéralement épluché retient notre attention : c'est le travail
d'un sanglier qui
cherchait à la base de l'arbre mort les larves d'un gros coléoptère,
l'ergate
forgeron, ainsi nommé par le grand naturaliste suédois Linné
(Ergates faber). C'est le plus grand longicorne, jusqu'à 60 mm de
longueur, et un hôte des pinèdes dont les larves contribuent à la
dégradation
du bois mort et sa transformation en humus. Sur le site en lien, il
est signalé que l'insecte adulte est agressif, rapide, et doté de mandibules
puissantes, acérées et tranchantes, qui peuvent occasionner des blessures
aux doigts si on n'y prend pas garde.
C'est sans doute ce qui lui a
valu
son nom. Comme le lucane, il prévient en se redressant à 45° et passe
de suite à l'action
! Concurrents
du sanglier, un carabe chasse aussi les larves, ainsi que le pic dont
nous voyons les trous un peu plus haut. Un gobe-mouche
gris, une fauvette, un pinson fréquentent les parages. Un gobe-mouche
noir perd son plumage nuptial. Il est fréquent au Pays basque où il
migre aussi bien en plaine qu'en montagne.
Toutefois,
sa population est en régression, car le réchauffement
climatique fait proliférer
les insectes à une date plus avancée, et lorsque l'oiseau arrive d'Afrique,
il trouve moins de ressources alimentaires, ce qui pénalise sa reproduction.
- Photo : Carabe. -
A ce propos, Dimitri nous explique les
différentes sortes d'oiseaux que l'on peut trouver en un même
lieu au cours d'une année. Il y a les estivants (ex. le rouge-gorge),
les hivernants (ex. la grue, la bernache cravant à Arcachon qui
passe l'été au Groënland,
le rouge-gorge qui vient du Danemark, de la Pologne ou de Roumanie, la
mésange à longue queue nordique), ceux de passage (ex.
le gobe-mouche noir), les migrateurs totaux (ex. le milan
noir,
l'hirondelle)
ou partiels (ex. la cigogne ?). Tandis
que nous marchons par une température estivale, nous
apercevons en arrière-plan la neige sur la cime de A Muvrella. Les
cétoines
d'un vert métallique
éclatant, moirés, aux reflets dorés ou
bleutés, pullulent dans les fleurs du maquis. L'urosperme offre
le contraste de son coeur
noir
entouré
d'une
corolle
de plusieurs
rangs
de pétales jaune vif liserés de sombre. La fleur
en bouton l'envers des sépales et pétales de couleur sombre rayée
de noir qui déborde
légèrement sur l'endroit. Nous apercevons de nouveau un
roitelet, puis une fauvette sarde. Comme je l'évoquais en tout
début
de ce texte, nous avons le plaisir immense de découvrir la sittelle
corse qui demeure longuement sur les arbres qui nous entourent, voletant
d'un arbre à l'autre et d'une branche à l'autre, attirée
par l'enregistreur de Dimitri qu'elle prend pour un concurrent qu'elle
cherche éperduement, la pauvre.
- Photos : Fourmi mâle, détails
(ailes et tête). -
Dans
une tourbière fréquentée par la grassette aux fleurs
de violette et aux feuilles vertes poilues bien étalées
pour mieux attirer les insectes et les dévorer,
se dresse une orchidée dactylorhiza. A ce propos, je lis que les orchidées usent
de divers stratagèmes pour se faire féconder par les insectes.
Les sérapias,
que nous rencontrons régulièrement depuis le début
de notre petit séjour, peuvent être, paraît-il, de
véritables 'dortoirs à insectes',
leur offrant un abri en cas d'intempéries ou simplement pour y
passer la nuit. Par ailleurs, l'attraction qu'elles exercent est mise à profit
par les prédateurs, comme les araignées par exemple, qui
chassent à l'affût.
Lorsqu'une
des minuscules graines d'orchidée tombe sur le sol, il peut
s'écouler 2 à 15 ans avant que le champignon dont elle
a besoin pour germer la trouve et instaure une symbiose au cours de laquelle
il lui
apporte les nutriments nécessaires (sucres) !
A
propos de graines, nous restons perplexes devant un problème
qui devrait pourtant être facile
à résoudre. Lorsque nous étions en train d'observer
le comportement de la sittelle, nous nous trouvions dans une forêt
de vieux pins laricio, et l'oiseau énervé tournait comme
une toupie autour des grosses pommes de pin dont elle faisait mine
de picorer les pignons. Pourtant, à quelques
lacets de là, le sol était jonché de pommes de
pin de deux tailles bien
distinctes, alors que tous les arbres du bois nous paraissaient semblables.
Les petites étaient-elles bien le fruit d'un conifère ?
Je me suis aperçue
que l'aulne de Corse, bien qu'il soit feuillu, produit des chatons
femelles
de 2-3 cm de long et 1,5-2 cm de large, vert foncé à brun,
durs, ligneux, de forme ovoïde et superficiellement ressemblant à certains
cônes
de conifères. Les petites graines ailées se dispersent
en hiver, laissant le "cône" ligneux
noirâtre sur l'arbre jusqu'à un an après.
Aurions-nous
confondu ces fruits avec de petites pommes de pin ? Par ailleurs, le laricio
ne donne pas de très gros cônes, mais ils font quand même
le double du fruit de l'aulne. Nous aurions donc dû voir finalement
trois sortes de cônes, celui du pin maritime, du laricio et de l'aulne
!... A moins qu'un forestier farceur nous ait ajouté une essence
supplémentaire de conifère
? - Photos : Aulne de Corse. Orchidée
dactylorhiza. -
La
Corse souffre d'incendies fréquents
et, comme en Provence, une fraction de ceux-ci est allumée intentionnellement,
mais avec d'autres motivations. A ce sujet, je trouve un article qui
met ouvertement en cause les éleveurs sans terre qui, historiquement,
laissent
le bétail
"divaguer"
librement
à la recherche de sa nourriture sur le bas-côté des
routes et dans le maquis. Comme au Pays basque, mais sans l'accord des
autorités, ils pratiquent
un "écobuage" (ou brûlis) à haut risque
pour éliminer les arbres et arbustes
qui tendent
à réduire
les surfaces de pâturages et de maquis. Toutefois, depuis 1996,
la part des mises à feu
pastorales n’a cessé de
diminuer au
cours du temps et n’est plus, désormais,
prépondérante : leur nombre a été divisé par
près de 7 entre 1996 et 2009. Une autre cause d'incendie relève
des intérêts cynégétiques (la chasse). Parallèlement,
alors qu'un important travail de fond a été accompli pour "nettoyer"
les pâturages, former les éleveurs et faire évoluer
les pratiques ancestrales, la
déprise
agro-pastorale semble se poursuivre et même s’amplifier
: selon les auteurs, ce facteur exposerait davantage
les terres aux risques d'incendies.
Les schémas
ci-dessous mettent en évidence
deux pics : durant l'été 2000,
sur les 9000 ha ravagés dans la vallée de la Restonica
et autour de Vivario et Ghisoni, 4000 ha de pin laricio ont été endommagés
; le pic de 2003 a été dû en partie à la canicule.
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |