Au
cours de notre séjour, nous découvrirons deux Corses bien
différentes
: celle de la côte, à l'urbanisation galopante par endroits,
malgré les arguments explosifs employés de temps à autre
contre ses excès, et celle de l'intérieur, dont le pittoresque
des villages perchés occulte l'histoire agitée qui obligea
les Corses à se réfugier
souvent dans les lieux les plus inaccessibles et inconfortables. Sitôt
débarqués du ferry, nous quittons Ajaccio pour remonter
tranquillement vers le
Nord jusqu'au golfe de Porto, en faisant des haltes dans les villages
de Carghese et Piana. Très vite, Dimitri nous fait remarquer de
drôles
de tours,
qui
ponctuent la
côte
de loin
en loin, toujours en vue les unes par rapport aux autres. La plupart
remontent
à l'occupation génoise de l'île. -
Photo : Ajaccio. -
Il
faut savoir que la Corse, bien entendu, n'a pas toujours été française.
Ses premiers
habitants ont franchi par
vagues successives l'étroit bras de mer qui la
sépare de la Toscane dont la pointe de Piombino est tendue vers
l'archipel toscan qui comprend l'île d'Elbe toute proche et la plus
importante et l'île
de Capraia, la plus à l'Ouest
et voisine de la Corse, à une distance de 17 Milles du phare de la
Giraglia (cap Corse). Dès le mésolithique, la langue corse est
italique, elle appartient
au sous-groupe
tyrrhénien
tosco-ligure. Au VIe millénaire, les nouveaux
groupes néolithiques amènent avec eux les céréales
et les animaux domestiques (le chien, les ovins, les caprins et les
porcins) et pratiquent le défrichage, ce qui conduira à l'extinction
d'une partie de la faune endémique. -
Photo : Tour génoise. -
Les
statues-menhirs de l'âge du Bronze (IIe millénaire) précèdent
l'édification
des "torre"
(tours) qui constituent davantage des monuments cultuels que défensifs.
A cette
époque, la Méditerranée
connaît un développement économique important
avec l'expansion du commerce des métaux, un essor qui contribue
au renforcement des inégalités et conduit au piratage.
Les populations sont contraintes
de se protéger en édifiant des forteresses, ou castelli.
Korsai est le nom que lui auraient donné les Phéniciens
qui propagent dans leur sillage l'agriculture (la vigne et le vin,
l'olivier et l'huile, le blé et le pain), leur organisation
de la cité et
l'écriture : la racine pré-indoeuropéenne "Kor" signifierait "l'île
aux sommets qui émergent". Ils exploitent dans le
monde antique les mines de cuivre, de plomb, d'étain, d'argent
et de fer dont ils font le commerce. Les Grecs de Phocée fondent
vers 565 av. J.-C. Alalia, sur la côte orientale corse.
Chassés
d’Asie
Mineure par les Perses en 546 av. J.-C., ils se réfugient
dans leurs colonies,
construisent en Corse une cité en dur, introduisent la vigne,
l’olivier
et le blé, enseignent l’écriture, exploitent
les gisements d’argent, de fer et de plomb, tandis que les
autochtones se replient sur les hauteurs, dans le maquis et la forêt
pour y vivre de l’agriculture, de la récolte du miel
et surtout de l’élevage (chèvre).
Cependant,
le commerce existe entre les deux communautés.
- Photos : Les deux églises grecque melkite-catholique (au premier plan) et catholique (à l'arrière plan) du village de Carghese : Pour fuir l'occupation turque en 1670, 600 Grecs du Péloponnèse obtiennent de la République de Gênes un lieu de refuge à Paomia en Corse dans l'arrière-pays de Sagone. Rejetés par les autochtones, ils fuient à Ajaccio en 1732. En 1773, la Corse devenue française leur accorde le territoire de Carghèse, et leur fait construire 120 maisons et une église. Reconstruite au XIXe s., l'église St Spiridon est ornée depuis 1980 de fresques originales. Filets tendus sous les oliviers. -
Alors
que nous faisons halte au pont de Chiuni pour observer des guêpiers,
oiseaux multicolores de la taille des
merles, au vol caractéristique en "virgules", et que
Dimitri nous aide
à différencier les hirondelles des martinets, nous en profitons
pour aller voir des structures
originales.
Sous
un
bosquet d'oliviers sont
tendus des filets de pêche ! Pas besoin de ramasser les olives
par terre ni de désherber : elles tombent naturellement dans ces
vastes réceptacles
! Influencés par la lecture d'Astérix le Gaulois, nous
voyons là l'illustration de la sagesse corse. En
réalité, lorsque nous visiterons l'avant-dernier jour des
villages autour de Calvi, une aimable dame originaire
de l'Aveyron et installée à Zila avec son mari corse nous
apprendra qu'il s'agit d'une innovation récente, apportée
du continent par un de ses neveux
qui a
étudié à Fréjus.
Au
début, tout
le monde s'est moqué de lui, puis il a été progressivement imité par
les exploitants
alentours. - Photos : Pipit rousseline (Piana).
Olives. -
Il
existe actuellement deux grandes populations d'oliviers : les populations
sauvages (oléastre), qui possèdent
une grande diversité génétique, et la population
constituée des variétés cultivées, dont
le polymorphisme est beaucoup plus faible, bien que le nombre d'individus
soit très important. Toutefois, il n'y a pas de frontière
entre les deux, aussi bien sur le plan génotypique que phénotypique.
L'expansion de l'olivier est liée à l'installation du
climat méditerranéen, apparu progressivement depuis
environ 10 000 ans avant notre ère, s'installant
d'abord en Méditerranée orientale,
pour s'étendre
ensuite, au cours des millénaires suivants, à l'Ouest
et au Nord du bassin méditerranéen. Selon les archéologues,
la domestication de l'olivier aurait eu lieu environ entre 3 800 et
3 200 avant J.-C., mais en
Corse, cette phase est toujours en cours, car
certaines variétés
actuellement cultivées
(Sabine et Capanacce), très tardives, sont directement issues
d'oliviers sauvages. - Photos : Oedemère
noble, coléoptère
mâle reconnaissable à ses grosses cuisses. - Abeille (?)
butinant une asphodèle branchue. -
Le
commerce de l'huile a commencé dès l'âge du Bronze,
en provenance d'Asie mineure et de Syrie. Les Phéniciens,
les Grecs, puis les Romains étendent à l'ouest la culture
de l'olivier qui devient semi-industrielle. Bien plus tard, les Génois
et les Vénitiens s'emparent
de ce commerce fructueux, profitent des Croisades pour le développer
vers l'Orient et donnent une impulsion à l'oléiculture
pour répondre aux nouveaux besoins créés par
la fabrication du savon (apparu au IXe siècle) et l'apprêtage
du textile. À partir
du XVIe siècle s'ouvre une ère
d'expansion continue, qui va conduire l'olivier à son extension
territoriale maximale, et l'on comprend alors dans ce contexte l'intérêt
stratégique et financier de la Corse pour les Génois. -
Photo : Muscari à toupet : son parfum naturel de musc éloigne
les rongeurs. -
La
dame nous explique que les filets sont tendus à l'automne pour une
récolte
autour du mois de mai. La variété corse est particulièrement rustique
et supporte des températures relativement basses. Elle n'est utilisée
que pour en extraire son huile : elle n'a donc pas à être cueillie
sur l'arbre, contrairement à l'olive de table. Il n'y a pas besoin
de secouer
l'arbre, ni de traiter son tronc avec des pesticides. Seuls les fruits,
sitôt
formés, sont traités
par pulvérisation à la main en septembre-octobre pour les protéger
des dégâts causés par une mouche qui les pique et provoque une sclérose.
1956
a été une
année
catastrophique, où l'hiver très froid a gelé une grande
partie
des
arbres.
Du
fait de sa haute chaîne de montagne où il neige en hiver, la Corse
a un climat méditerranéen seulement à basse altitude, et
les oliviers,
gélifs
à
partir de -15°C, ne résistent que sur son pourtour. Elle
nous relate qu'avant, les fruits étaient ramassés par terre et fermentaient
un
peu en attendant
d'être
pressés.
En
outre,
les filtres n'étaient nettoyés qu'une fois par an, l'huile avait
donc un goût très fort. -
Photo : Orchidée sérapias cordigera (?). -
La
récolte n'a lieu qu'un an sur deux et s'étale de mars à juin.
Depuis quelques années, de nouvelles variétés
sont plantées, à maturation plus précoce (novembre),
mais elles sont
plus fragiles. Elle se souvient que la production avait périclité
dans les années 60 et les oliveraies étaient plus
ou moins abandonnées.
Depuis
peu, un regain d'intérêt des propriétaires souvent
installés sur le continent
et qui ne reviennent que pour les vacances a permis
de relancer la production pour leur propre consommation. Les gens
du village amènent les olives au moulin (a sabina) de Muro et
vont ensuite récupérer l'huile : elle nous ouvre
les portes arrière
de sa fourgonnette
pour nous montrer des récipients hétéroclites
en verre ou en plastique, puis sa cave emplie de paniers d'olives. -
Photo : Un des multiples panneaux criblés de coups de fusil.
- Pipit rousseline. -
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |