Sitôt arrivés près de la tour, Dimitri balaie des jumelles les falaises. Il repère très vite un premier nid de balbuzard pêcheur, très proche, puis un deuxième, plus éloigné et inoccupé. L'air est sillonné par le vol très rapide du martinet à ventre blanc, d'une envergure de 50 cm, le géant de la famille, par rapport au martinet noir et au martinet pâle. L'hirondelle de rocher, bien plus petite, fait une démonstration de sa dextérité à frôler les parois en tout sens. Un grand corbeau passe au-dessus du promontoire. Nous nous faufilons par l'étroit escalier en colimaçon où il est impossible de se croiser, heureusement qu'il n'y a que deux étages ! Sur l'esplanade au sommet de la tour, la lunette est fixée solidement sur son pied au bord du muret peu élevé, et dirigée droit vers le nid. - Photo (à travers la longue-vue) : Nid de balbuzard pêcheur, avec l'adulte qui protège de ses ailes les petits de l'ardeur solaire. -
Le spectacle est très émouvant, d'autant plus que nous savons qu'il est rare, car il y a moins de trente couples nicheurs dans toute la Corse : un adulte abrite de ses ailes deux ou trois petits (nous les voyons bien mieux à la lunette que ne le suggère la photo ci-dessus). Le nid est énorme et, par un effet de distorsion des lentilles et de la perspective, nous avons l'impression qu'il penche vers la mer qu'il surmonte d'à peine quelques mètres. Dimitri nous explique qu'un même nid peut être utilisé des années durant. Le couple ajoute simplement quelques branches et brindilles, et le rembourre d'un matelas douillet au centre. A un moment donné, un petit s'approche du bord et projette ses fientes vers l'extérieur, avant de retourner à l'abri sous le corps du père ou de la mère. Aucun des promeneurs qui bavardent au pied de la tour ne soupçonne la présence du nid. Nous proposons à un jeune couple de Belges de Liège qui sont montés sur la tour de regarder aussi par la lunette et ils témoignent beaucoup de reconnaissance du cadeau que nous leur offrons. - Photo : Fauvette sarde (?) -
La nidification du balbuzard en France est devenue sporadique au XIXe siècle, en raison des persécutions dont ce rapace faisait alors l’objet (au même titre que les aigles, les vautours...). Le tir des oiseaux en migration, et surtout la destruction des nids et des couples sur les secteurs de nidification ont entraîné le déclin de cette espèce partout en Europe. En France continentale, la classification de cette espèce en « gibier nuisible » par la loi du 7 mai 1883, et l’attribution d’une prime par tête abattue, ont eu raison de la population. De plus, dans les années 1950-1970, le balbuzard a été menacé d’extinction dans plusieurs régions du monde, l’espèce n’étant pas capable de produire assez de jeunes pour maintenir ses populations. Ceci était dû à la fragilisation des oeufs à cause d'une accumulation dans l'environnement de DDT (le dichlorodiphényltrichloroéthane, utilisé comme pesticide en agriculture). - Photo : Criquet égyptien. -
Depuis l’interdiction du DDT dans de nombreux pays au début des années 1970, jointe à la diminution des persécutions, le balbuzard pêcheur, tout comme d’autres espèces menacées d’oiseaux de proie, est en train de reconstituer ses populations. En Corse, dernier refuge de l’espèce qui était présente, comme la sittelle, à la fin du Pléistocène, bien avant le début des implantations humaines du Néolithique, il ne subsistait que 3 couples en 1974. Suite aux actions de conservation menées depuis les années 1970 à l'initiative du Fonds d'Intervention pour les Rapaces créé par les frères Jean-François et Michel Terrasse, la population corse a progressé régulièrement (28 couples en 2005), grâce principalement à la création de la réserve naturelle de Scandola. Les oiseaux y sont sédentaires et semi-coloniaux. En France continentale, une première nidification du balbuzard est observée en 1984 dans la forêt d'Orléans, dans le Loiret (région Centre). C’est à partir de ce couple qu’un noyau de population s’étend progressivement (une vingtaine en 2005). Les deux noyaux de population sont désormais suivis par la mission Rapaces de la Ligue pour la protection des oiseaux. Le noyau corse se stabilise et le milieu semble saturé. Il s’agit maintenant de favoriser la recolonisation dans le sud de l’île, en Toscane et en Sardaigne.
En repartant par le même chemin, nous voyons passer rapidement un machaon corse (grand papillon). Une fauvette sarde, puis deux linottes volettent à proximité. L'expression 'tête de linotte' provient du comportement imprévoyant de cet oiseau qui fait son nid n'importe où sans prendre garde au danger potentiel. Un criquet égyptien en tenue de camouflage se tient immobile sur une branche de couleur identique. Dimitri entend une rousserole, invisible : sur le continent, elle est inféodée aux phragmytes (roselières), alors qu'en Corse, elle se cache dans le maquis. Dans l'après-midi, nous repassons par le village de Piana où nous admirons un phytolacca dioica, ou bellombra, un arbre dont le tronc s'évase vers le bas en un socle qui peut être très imposant. Comme il nous reste un peu de temps, nous faisons un détour par le "Château". Nous prenons un sentier qui serpente dans un bois parsemé de tafoni. De petits cyclamens ajoutent une touche de couleur dans l'ombre qui devient plus sombre à l'approche du soir. Le chemin se termine par un promontoire en proue de bateau borné de falaises vertigineuses. Dans ce cadre grandiose, nous observons au loin un grand voilier à quatre mâts qui pénètre dans le golfe de Porto. Derrière nous d'autres falaises nous dominent au-delà du précipice. Nous y cherchons sur les corniches le monticole bleu dont Dimitri a deviné la silhouette minuscule, à peine distincte. Plus loin encore s'ébattent des pigeons bizet sauvages que je n'arrive pas à repérer. Des faucons pèlerins passent en criant et le chant d'un pinson résonne contre les parois rocheuses qui en font écho. Le soleil descend lentement et nous nous abîmons dans la contemplation du paysage, saisis par l'atmosphère paisible. - Photos : Cyclamen. Baie de Porto. -
Au restaurant traditionnel corse (le Moulin ?) où nous dînons chaque soir à l'écart des foules touristiques de la marina, situé après le pont qui franchit une petite rivière, sur la route de Marignana, nous sommes accueillis par un petit verre de vin de myrte tout à fait délicieux, sucré et fruité, fait maison à base de baies sauvages macérées dans du vin corse. A mon invitation, notre hôtesse remplace la terne musique d'ambiance par des chants de son groupe polyphonique préféré, Canta u Populu Corsu. Ce groupe, fondé notamment par Jean-Paul Poletti et Natale Luciani, est avec I Muvrini à l'origine du renouveau du chant en langue corse à partir des années 1970. Les chansons sont des reprises des chants traditionnels (paghjelle, lamenti) aussi bien que des créations du groupe, parfois à fort caractère politique témoignant de son engagement régionaliste, puis nationaliste notamment dans les années 70 et 80, mais toujours avec l'ambition de sauvegarder, de protéger et de promouvoir les valeurs de la langue et de la culture corses. - Photos : Les premières fourmis connues seraient apparues à la fin du Crétacé, il y a 100 millions d'années, et seraient une évolution des guêpes du jurassique (une espèce de fourmi a d'ailleurs conservé un dard). Les fourmis sont les seuls animaux connus à posséder, tout comme l’homme, des animaux domestiques : des pucerons sécrètent un liquide sucré appelé le miellat qui normalement tombe au sol, mais certaines fourmis s’en nourrissent. Elles tiennent à distance les prédateurs des pucerons et les transportent aux meilleurs emplacements pour se nourrir. Certaines les accueillent au sein même de la fourmilière, pour les espèces se nourrissant sur les racines des plantes. Ici, une fourmi stimule de ses antennes un puceron pour qu'il émette son miellat. Ciste et sauterelle (?). -
Elle le préfère à I Muvrini (Les petits mouflons en corse), groupe créé par Alain et Jean-François Bernardini. En effet, depuis leur formation à une époque où les langues régionales n'étaient pas reconnues, voire réprouvées, et où ils chantaient des polyphonies traditionnelles (dont des paghjelle), auxquelles ils ajoutaient des chants contestataires qui les ont rendus victimes de plusieurs arrêtés municipaux leur interdisant de se produire dans certains villages corses, leur répertoire a évolué vers des thématiques moins engagées. Lors de notre visite de villages le dernier jour, je fais l'acquisition d'un disque du groupe A Filetta. Ce dernier s'est formé en Balagne à l’initiative d’un jeune instituteur, Michel Frassati. Sa rencontre avec Tumasgiu Nami, apiculteur, est le point de départ d’une association par laquelle vont passer des dizaines de chanteurs venus de diverses régions de Haute-Corse (Balagne, Nebbiu, Fiumorbu, Castagniccia, Niolu, ...). Son objectif premier : contribuer à la sauvegarde d’un patrimoine oral en déclin. - Photo : Orchis papillon (?). -
Dès l’hiver 1979, le groupe participe à des concerts, organisés çà et là, notamment par « A Riscossa », association venant en aide aux familles de militants nationalistes incarcérés. Avec trente ans d’existence et un treizième album, c'est l’un des groupes phares du chant en Corse qui perpétue la tradition orale insulaire mais est également reconnu pour son exploration d’autres domaines du chant polyphonique notamment à travers des créations d’œuvres contemporaines. Le dernier soir, nous aurons la chance de pouvoir assister à un concert de U Fiatu Muntese (Le souffle montagnard) à la cathédrale de la citadelle de Calvi où nous clôturons notre séjour. Le groupe balanin a donné son premier concert à Calenzana en 1994 et, depuis, il mêle chants polyphoniques et chansons, chants profanes et sacrés, et présente des compositions originales accompagnées d'instruments de musique. Dans cette ambiance à l'acoustique parfaite, où le public n'émettait pas un bruit, ni toux, ni raclement de pied, ni sonnerie de téléphone portable (!), les chanteurs se permettaient d'émettre parfois à peine un filet de voix, une vibration si ténue que nous unissions nos esprits dans une tension indicible pour la soutenir. Puis le souffle s'enflait et se joignait aux autres dans des accords où, toujours, régnait une dominante tragique. Ce fut une expérience extraordinaire et nous en sortîmes transportés. - Photos : Cicindelle champêtre, coléoptère carnivore. Romarin. -
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Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |