Le
troisième jour
nous apporte aussi son lot de surprises, et la rencontre d'un nouvel
animal
endémique. L'échauffement
est terminé, et nous entreprenons une grande randonnée
jusqu'au sommet du Monte
Ortu. Françoise, qui n'avait pu nous accompagner jusqu'à
la tour génoise à cause d'un problème de cheville,
est maintenant d'attaque. Depuis notre arrivée en Corse, nous 'craquons'
devant les orchidées
qui ne sont pas si rares que ça, particulièrement dans
les pelouses et espaces découverts : la sérapias lingua,
la sérapias cordigéra,
l'orchis papillon. Un coucou chante dans le lointain.
Dimitri
repère
une limodore à feuilles avortées : c'est une orchidée
qui ressemble un peu à une asperge, et
qui est de genre saprophyte comme la Néottie
nid d'oiseau, autre Orchidacée vivant sans chlorophylle, c’est-à-dire
qu’elles vivent de matières organiques en décomposition
grâce à des champignons symbiotes (mycotrophie). Cependant,
des auteurs ayant observé des racines de Limodores soudées à des
racines de chênes, de hêtres, de châtaigniers ou
de cistes pensent qu’elles ne sont pas saprophytes mais
parasites. Les fleurs sont parfois pollinisées par des hyménoptères
(groupe qui comprend les abeilles) mais elles sont souvent cléistogames
et il est fréquent qu’une partie de l’inflorescence
ne s’ouvre pas. Des floraisons suivies de fructifications entièrement
souterraines sont aussi signalées. - La cléistogamie,
ou autopollinisation automatique, désigne la caractéristique
de certaines espèces de plantes de se reproduire par autopollinisation
avec des fleurs qui ne s'ouvrent pas.
Ce
comportement est très
répandu chez les graminées comme le blé, ou
chez les légumineuses, en particulier le pois, le haricot
et l'arachide. - Photo : Ciste et ?. -
Chemin
faisant, Dimitri nous signale le chant d'une mésange noire, d'une
fauvette
à tête noire, d'un grimpereau, d'un
rouge-gorge, d'un pinson. Il cherche à repérer le venturon
corse, que l'on peut trouver aussi en Sardaigne et sur l'archipel toscan
tout proche.
Contrairement
au venturon montagnard, il s'est adapté au maquis de basse
altitude et nous devrions pouvoir le rencontrer. Förschler & Kalko
(2007) ont analysé et comparé les caractéristiques
des cris et du chant de
différentes populations de venturon montagnard
(Forêt Noire, Cévennes et Pyrénées espagnoles)
et de venturon corse (Corse, Sardaigne et île Capraia). Ils ont
trouvé des différences significatives entre les populations
continentales et insulaires mais aussi parmi les sous-populations continentales.
- Photos : Tafoni. Maquis. -
Ils ont mis en évidence une variation des vocalisations selon
un cline géographique : signaux courts et très modulés
dans le nord (Forêt Noire), signaux longs et faiblement modulés
dans le sud (Pyrénées espagnoles). Ces variations vocales
semblent avoir évolué très rapidement non seulement
dans les îles mais aussi sur le continent. Les différences
d’habitats peuvent avoir joué un rôle important dans
ce processus. Le temps est un peu couvert, et nous ne nous en plaignons
pas : la forte luminosité du soleil corse est difficile à supporter pour
nos yeux habitués à la lumière tamisée d'humidité du Pays basque.
L'ascension
est aussi plus aisée lorsqu'il ne fait pas trop chaud. Le seul inconvénient,
bien sûr, c'est l'absence de vue panoramique, car les montagnes sont
enfouies dans les nuées. Heureusement, le ciel se dégagera dès que nous
amorcerons la descente, et nous jouirons ainsi d'un paysage étendu qui
aura retrouvé ses couleurs vives jusqu'à la mer.
Le granite fortement corrodé offre un
festival de tafoni : la montagne est habitée de personnages figés dans
la pierre par les yeux terribles de la Gorgone, une gueule grimaçante,
des pinces de crabe dressées vers le ciel, un porc basque bicolore rose
rayé de noir, un profil de sorcier au nez crochu qui rejoint son menton,
laissant un grand vide de bouche édentée, un casque, un dinosaure ou
un varan, un profil de tête de vautour au bec menaçant, un dragon chinois...
Les
ajoncs en fleurs illuminent les versants de la montagne. Des bouquets
de fleurs vert clair s'échappent de leur écrin de grandes feuilles vert
foncé en patte d'oie (à trois folioles) de l'Hellébore argutifolius ou
corsicus, endémique à la Corse et la Sardaigne. C’est
le plus grand des hellébores,
qui peut en conditions favorables atteindre 1,5 m voire plus. L'odeur
insistante du thym serpolet nous en fait chercher la provenance. D'apparence
très discrète, il recouvre en tapis d'une épaisseur de
10 cm au maximum la roche ou la terre sèche des lieux exposés au soleil,
et
nous devons en caresser les feuilles minuscules et sentir les effluves
sur nos doigts
pour nous assurer que c'est bien lui qui embaume tout le versant. Des
pieds de ciboulette poussent quasiment sur le rocher. Pourquoi s'évertuer
à leur offrir une terre riche et grasse et un arrosage régulier dans
nos jardins ?
Cette plante ne semble pourtant vraiment pas difficile
à contenter ! Nous
nous évertuons à distinguer les unes des autres des myriades de petites
fleurs blanches, saxifrage granulée, stellaire,
sabline. Nous passons devant une orchidée céphalanthère, une orchis corse,
une orchis papillon, puis tombons en arrêt devant une superbe orchidée
jaune au pétale ponctué de rose.
Est-ce une orchis des îles ?
D'après Wikipédia, les orchidées appartiendraient à la famille végétale la plus diversifiée, comptant plus de vingt-cinq mille espèces, réparties en huit-cent-cinquante genres. L'étude de la morphologie particulière des fleurs d'orchidées, des relations que ces plantes entretiennent avec les insectes, a nourri au XIXe siècle les réflexions de Charles Darwin et a contribué à l'établissement de son modèle théorique de l'évolution. - Photos : Orchis des îles (?). -
"Charles
Darwin reçut un
jour une orchidée de Madagascar, Angraecum sesquipedale, dont
le nectaire avait une longueur extraordinaire d'une trentaine de centimètres.
Ce
tube
cylindrique fixé à la base de la fleur
contient un liquide sucré pour attirer les insectes. Lorsqu'ils
viennent le boire, ils heurtent de la tête un
point de la fleur où se trouvent les pollinies, des masses de
pollen collantes. Sans le vouloir, ils les emportent et les transmettent
aux organes femelles d'autres orchidées.
Darwin, frappé par la taille incroyable de ce nectaire, eut alors
- on était en 1865 - l'intuition géniale qu'à Madagascar
devait exister un papillon dont la trompe avait une longueur comparable.
- Photos : Hellébore de Corse (a Nocca en corse).
Saxifrage
granulée,
sabline
(?).
-
Ce
papillon, Xanthopan morgani, on le découvrit en effet, mais
en 1920 seulement. L'explication
la plus souvent donnée est
la suivante: pour que les pollinies se collent sur la tête du
papillon, il faut que la tête de celui-ci les heurte avec une
certaine force. Si l'accès au nectar est trop facile, le papillon
ingurgite du nectar mais repart sans pollinies. Par conséquent,
seules les plantes à nectaires longs, qui contraignent l'insecte à heurter
la base des pollinies pour atteindre le nectar, se reproduisent: le
caractère "nectaire
long" est donc favorisé par la sélection naturelle.
Parallèlement,
la sélection naturelle favorise chez le
papillon le caractère "trompe longue", puisque les
papillons à trompe
courte n'atteignent pas le précieux nectar et, mal nourris,
se reproduisent mal. Bref, ce processus co-évolutif a abouti à des
orchidées aux nectaires interminables et à des papillons à la
trompe démesurée. L'orchidée se soucie-t-elle
de nourrir le papillon? Bien sûr que non ; elle se soucie seulement
de transmettre ses gènes. Le papillon se soucie-t-il de transporter
le pollen? Bien sûr que non ; il se soucie seulement de bien
se nourrir pour pouvoir transmettre lui aussi ses gènes. Mais
ensemble, ces égoïsmes croisés produisent quelque
chose de neuf." - Photos : Chocard
à bec jaune. -
Alors
que nous pique-niquons près du sommet, sur un versant abrité du
vent, un chocard à bec jaune vient nous
rendre visite et rameute toute la troupe. Ces corvidés, très
intelligents, joueurs et gourmands, meurent d'envie de partager notre
repas et nous
nous amusons à leurs pitreries et leurs mimiques qu'ils inventent
pour nous inviter à collaborer. Nous
commençons par leur
lancer au loin des reliefs
et des morceaux de pain, puis nous déposons la nourriture de plus
en plus près. On
les sent lutter contre une crainte attavique, les plus courageux se hasardent
et emportent à toute vitesse leur prise que les
autres cherchent aussitôt à leur voler. C'est
alors une course-poursuite autour
des pics et dans les précipices ! Nous voyons bien que, pour avaler
les gros morceaux, ils sont obligés de se poser et de s'aider,
comme les perroquets, d'une de leur serre griffue : ils n'arrivent pas à les
engloutir en plein vol, et s'exposent, du coup, aux fourberies de leurs
congénères ! En
redescendant, nous admirons un lézard dont la tête fait
penser à celle d'un crocodile et qui semble bien être encore
une espèce endémique (à vérifier). Avec le
nouvel angle de vue et la meilleure luminosité,
certains tafoni prennent un relief particulier. Un ours semble attendre
là,
figé depuis
des lustres. Un parterre délicatement fleuri profite d'un abri
au pied d'une roche. - Photos : Saxifrage
granulée,
sabline
(?).
Ci-dssous, lézard endémique (?). -
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |