Nous
avons exploré le Sud et l'Est du golfe de Porto. Reste à découvrir
le Nord. Dimitri nous amène sur le sentier du facteur, de Bocca
a Crocce (le col de la Croix à 269 m d'altitude) au hameau de Girolata
(Ghjirulatu) situé dans le parc naturel régional de Corse.
Guy Ceccaldi, qui a fait l'objet de reportages télévisés qui l'ont rendu
célèbre, arrivait
en mobylette depuis le bureau de la poste de Partinello dont il relevait,
puis, en
l'absence
de route
ou
de piste
carrossable, parcourait 7 km à pied à travers le maquis montagneux
pour distribuer le courrier. Il mettait seulement
40 minutes pour effectuer le trajet là où il est fléché 1h
30 pour les promeneurs. Il est à la retraite depuis fin 2006. La presqu'île
de Scandola, située juste après, est protégée
et inaccessible au public, on ne peut l'observer que depuis la mer. On
y trouve des balbuzards, cormorans,
herbiers de posidonies, trottoir d'algues calcaires, corail, poissons...
Nous
comprenons qu'il ne se soit pas plaint de son sort : tout du long, la
vue est magnifique, le sentier
suit la côte, montant et descendant à découvert ou
dans le sous-bois. Par endroit, un muret de grosses pierres et un sol
aménagé montrent que
le passage est utilisé depuis des temps immémoriaux. Les
roches rouges se reflètent dans la mer paisible. Dimitri nous
fait part d'une rencontre qu'il a faite à Girolata pendant son
séjour de reconnaissance des lieux.
Il s'agit d'une femme amatrice de pêche, qui a passé son
enfance dans ce
village,
mais
qui
exerce actuellement
à Paris
comme professeur de sciences à la Sorbonne.
Sa
mère était l'institutrice des enfants des bergers qui hivernaient
en ce lieu
mais
ne pratiquaient
pas la pêche. Sa classe a eu jusqu'à trente élèves,
et des voisins qui restaurent une maison nous indiquent l'emplacement
de l'école
convertie en habitation. Sur une butte en plein vent au-dessus du village
se trouve une ancienne aire circulaire dallée pour le battage
du blé,
entourée de pierres dressées, vestige d'une époque
révolue d'économie
de subsistance.
Autre
indice, des orties corses (ortie
noirâtre ou Urtica atrovirens, endémique en Corse, Sardaigne,
Italie centrale (Toscane), dans les îles de l’archipel toscan
et les Iles Baléares) aux
jolies feuilles dentelées signalent
l'ancienne présence des troupeaux. Après des dizaines d'années
de désaffection,
le village
reprend
vie grâce
au tourisme. Un petit port de pêche abrite quelques bateaux de
plaisance, un gîte et un bar accueillent les visiteurs. Les maisons
familiales sont arrangées pour un habitat permanent ou temporaire.
Nous observons la présence de volaille, de vaches (y compris sur la plage),
de chevaux. -
Photo : Vue depuis le sentier du facteur. -
Les derniers phoques moines, qui pesaient
jusqu'à 600 kgs, ont été aperçus dans les
années
1960. Ils
vivaient
en
Méditerranée,
et leur
sort
n'a
malheureusement
pas été médiatisé par Brigitte Bardot comme
celui du blanchon du Groënland
(qui n'est pas du tout menacé d'extinction). La presqu'île
de Candola
était l'un de leurs derniers refuges, ainsi que les côtes
de Calvi.
On
y trouvait la grotte des 'veaux marins' (car le phoque-moine émettait
un cri qui ressemblait à celui du veau) dont le dernier a été vu en 1968-69.
Désormais, il ne subsiste plus qu'au Nord de la Tunisie autour
de quelques îles. C'est le phoque qui est le plus en danger de disparition.
Il ne faut pas le confondre avec le 'loup marin', qui est le phoque gris
du Canada. En 1990, cette dame a entendu le bruit caractéristique
du claquage sur l'eau de la queue d'une baleine. Il y avait aussi des
tortues
de
mer, qui
sont toutes en voie de disparition. La tortue luth est cosmopolite, on
peut
en voir aussi sur les côtes du Pays basque. Par contre, les spécimens
de tortue caretta (ou caouanne) vivant en Méditerranée
ont un génotype
tout à fait spécifique du fait de leur relatif isolement.
Elle
se reproduisait sur la côte occidentale de la Corse et son interlocutrice
lui rapporte qu'elle en a mangé. A prédominance
carnivore, cette tortue s'alimente de méduses, crustacés,
coquillages, poissons et mollusques. Les causes de sa raréfaction
sont multiples. Il lui arrive d'ingérer des sacs plastiques
en les confondant avec des
méduses
;
elle se
prend dans les filets de pêche et se noie ; enfin, l'urbanisation
des lieux de ponte lui est aussi fatale, de même que le braconnage
des
oeufs. - Photos : Ortie corse. Taureau sur
une plage. Panneau criblé de balles. -
Dès
notre premier jour sur l'île, nous avons vu à Piana un panneau
signalétique
du Conservatoire du littoral criblé de balles. Nous en trouvons
un autre
(photo ci-contre) en
descendant du Monte Ortu dans l'enceinte du Parc naturel régional,
un troisième sur le
sentier de la Spilonca près d'Ota,
sur
les hauteurs
du golfe de Porto. Par ailleurs, nous avons bien sûr entendu parler
des arguments explosifs contre des équipements touristiques et
Dimitri nous rapporte que la presqu'île de Scandola a échappé de
justesse à des projets
immobiliers vers 1976
avant
d'être protégée par le statut de réserve naturelle.
Le domaine de Girolata a aussi été convoité un
temps par Brigitte Bardot. Nous nous trouvons donc dans un secteur stratégique,
au confluent d'intérêts conflictuels dont j'ignore pratiquement
tout. En tant que touriste moi-même (surnommé par les Corses "pumataghji"
ou "mangeurs
de tomates"), bénéficiant
des équipements hôteliers,
de restauration et d'aménagements divers de l'île, je ne
peux pas rester dans l'indifférence et le désintérêt
vis à vis de ces questions. Je trouve
un document très bien fait sur la revue Hérodote de
fin 2007, qui retrace l'historique de l'avènement du tourisme en Corse. -
Photos : Immortelle butinée par un cantharis (coléoptère).
Fourmi Aphaenogaster spinosa emportant un pétale de fleur. -
"La
fin de la Seconde Guerre mondiale inaugure pour l’ensemble
de la France métropolitaine une période d’intense activisme
aménagiste, diligenté par les services de l’État
et qui se traduit par l’élaboration de plans de développement
et d’action régionaux. La Corse est aux premières loges
de ce "redimensionnement" de l’action de l’État.
À ce
moment-là, la population corse, investie massivement
dans la fonction publique en métropole et dans les colonies, vit de
moins en moins sur l’île. Le plancher démographique de
170 000 habitants est atteint dans les années 1950 alors que l’île
comptait environ 300 000 habitants à la fin du XIXe siècle.
L’île est exsangue, dans une situation de "non-développement".
Elle est réduite au statut de terre de vacances, muséifiée
pour des Corses de l’extérieur qui retrouvent ainsi, intacte,
l’île, paradis idéalisé de leur enfance. Le
préfet Lucien Drevon déclare ainsi : « À ceux que
nous entendons dire : “La
Corse exporte une seule richesse : l’intelligence de ses fils”,
nous répondons que cet hommage est insuffisant... La Corse possède
une autre richesse incomparable et inépuisable à exporter,
ce sont les merveilles dont la nature l’a dotée, la richesse
de ses sites, la générosité de son ciel et de son climat.
Faire prospérer le tourisme par tout ce qui y concourt directement
ou indirectement, c’est assurer la renaissance de la Corse ; c’est
l’objectif
final auquel tendent toutes les dispositions du plan de mise en valeur de
la Corse. » - Photo : Végétation sculptée par les vents dominants.
-
En
1957, il est assorti d’un plan de mise
en valeur agricole. En 1963 on peut lire : "la Corse est la seule réserve
de tourisme qui reste à la France". En 1970, elle compte 220 000 habitants,
pour atteindre en 2007 280 000 habitants. Mais les temps ont changé,
l’opinion
publique corse, soucieuse du maintien de son cadre de vie et inquiète
du flux d’immigration qui s'installe dans l’île, près
de 50 000 nouveaux habitants en dix ans, adhère au mouvement de fond
d’une
remise en cause du développement touristique, défini comme une
aliénation.
La société corse rejette avec virulence dès le début
des années 1960 les programmes volontaristes de l’État.
Ceux-ci se sont pourtant imposés dans d’autres régions
littorales françaises (Languedoc, Aquitaine, Vendée).
Une prise de conscience environnementaliste se développe au même moment
quand le gouvernement Debré envisage de créer un centre
d’expérimentations
nucléaires souterraines dans les mines désaffectées de
l’Argentella
près de Calvi.
En
1963 c’est le projet de ligne électrique reliant la Toscane à la
Sardaigne (ligne Carbo-Sarde) qui mobilise les consciences insulaires. Les
pylônes électriques
seront d’ailleurs parmi les premières cibles d’attentats à l’explosif
entre 1967 et 1969. Suivront les combats contre la pollution des boues rouges
(1972-1973) rejetées au large de la Corse par la société italienne
Montedison puis l’hostilité au projet de centrale thermique du
Vazzio (1975-1985) près d’Ajaccio. -
Photo : Bosquet de bruyère arborescente. -
Cette
prise de conscience "écologiste"
impose le souci d’une préservation des sites naturels, en
particulier littoraux, menacés par les projets immobiliers du
tourisme. Au souci de défense
de l’environnement, s’ajoute un sentiment nettement plus politique
de spoliation territoriale. Il explique la précocité des combats
environnementaux en Corse, dans une île en quête pourtant de
développement. La dynamique touristique pose dès le début
des années 1960 une problématique foncière.
Les élus
radicaux de gauche, conscients de la nécessaire gestion raisonnée
du tourisme, font précocement
le pari d’une politique de préservation des milieux naturels.
Le parc naturel régional de la Corse est créé en
1971 grâce au sénateur maire de Venaco, François Giacobbi,
avec pour objectif de défendre "la protection
et la sauvegarde des richesses naturelles de la Corse" tout en contribuant à maintenir
des activités économiques dans l’intérieur de
l’île.
Sa réussite est exemplaire. -
Photos : Cynoglosse. Fleur de concombre d'âne et (?).
Le
maire de Piana, Nicolas Alfonsi, député puis
sénateur de la Corse-du-Sud, s’est attelé quant à lui à la
protection des sites littoraux. Il préside depuis 1976 le Conseil
des rivages qui est une antenne du Conservatoire du littoral. Grâce à une
politique volontariste, 20% du linéaire côtier corse ont pu être
acquis par le Conservatoire du littoral. Le désert des Agriates,
la réserve
naturelle de Scandola classée Patrimoine mondial de l’Unesco
en 1983, les sites de Porto et de l’Ostriconi, de Palombaggia ou
les falaises de Bonifacio en sont les sites les plus prestigieux. La Corse
représente
un cinquième de l’ensemble des acquisitions nationales du
Conservatoire du littoral."
Le
document donne bien d'autres éléments
dont je retiens surtout que, après toutes ces années de lutte, une évolution
s'est produite dans les mentalités corses : la gourmandise à l'égard
des terres côtières n'est plus le propre des Français
du continent. Des dissensions sont apparues au sein même de la population
résidente sur le sujet de l'aménagement territorial, et les
intérêts financiers des uns s'opposent à la conscience
de l'urgence écologique
des autres. J'imagine que les panneaux truffés de plomb sont une des manifestations
les plus évidentes de ces divergences de vue par quelques opposants qui,
sans doute, estiment que le gel des terres pour des raisons écologiques
(mais aussi touristiques) relève d'une expropriation pure et simple d'une
partie du sol corse par l'Etat français. -
Photos : Libellule rouge
(sympétrum
sanguin) ou libellule écarlate (crocothemis erythraea) ?. Tortue
cistude. -
Jouissant de la chance qui nous est offerte
de pouvoir visiter une région très préservée,
nous poursuivons nos observations naturalistes. Un martinet alpin
à ventre blanc sillonne les airs à toute vitesse : par
sa taille et son allure, un oeil non averti pourrait le
confondre avec un faucon hobereau. En sous-bois, les bords du chemin
sont affouillés et la terre retournée. Nous supposons
d'abord qu'il s'agit d'un sanglier, puis, après avoir vu un taureau
brouter sur une plage,
nous
révisons notre jugement et pensons que le sol a peut-être
simplement
été piétiné par la lourde bête. Des
buissons épineux d'épiaire
poisseuse (erba strega) empuantissent l'air au proche voisinage.
J'ai à chaque
fois du mal à reconnaître l'immortelle qui pousse en épaisse
touffe de fleurs un peu insignifiantes.
Pourtant elles émettent
une discrète odeur
de curry qui devrait m'aider à les identifier. Quant à la
salsepareille, il suffit de la nommer pour que me reviennent en mémoire
les Schtroumfs, car Peyo, l'auteur de cette bande
dessinée belge, répétait dans chaque album que cette plante était
leur mets préféré. Quant
au myrte (a Morta en corse), ses fruits resteront gravés dans
ma mémoire
gustative grâce
au délicieux vin parfumé que nous a offert en apéritif
la restauratrice de Porto à la belle voix de mezzo quatre soirs durant. -
Photo : L'épiaire poisseuse ne dégoûte
pas tout le monde (bourdon ?). -
Des
goélands planent au-dessus de l'eau d'un bleu intense et un cormoran huppé
se dresse en croix sur un rocher pour sécher son plumage. Contrairement
aux idées reçues,
il possède une glande uropygienne normalement développée
(à la base de la queue) et utilisée pour l'entretien du
plumage. En revanche, cette sécrétion grasse ne permet
pas d'assurer l'imperméabilisation du plumage en raison de la
microstructure des plumes (la
grande distance entre les barbes due à l'absence de crochets sur
les barbules permet la
pénétration
de l'eau) et du fait que les rémiges ne sont pas pliées
comme dans une poche (elles se mouillent en contrepartie de la réduction
de la poussée
verticale exercée par l'eau selon la loi d'Archimède).
Pour limiter encore davantage cette poussée
lors des plongées, il est équipé d'un
squelette moins pneumatisé que les espèces "terrestres",
ses sacs respiratoires sont plus petits ;
le
plumage, déjà compact,
est encore resserré contre le corps avant la plongée afin
de réduire le volume d'air emprisonné sous les plumes.
- Photos : Arbouses (fruits de l'arbousier).
Tête
de la tortue cistude. -
Alors
que son cousin, le grand cormoran, se rencontre également
sur les plans d'eau et les rivières de l'intérieur, ce
cormoran, dont la huppe se dresse seulement pendant la période
nuptiale, est visible uniquement sur les côtes
rocheuses, les îles
ou les îlots du bord de mer. Son lieu de résidence
privilégié est constitué par des falaises escarpées
dominant le littoral ou surplombant des écueils. Il
est un des rois de la pêche sous-marine. Il plonge et s'immerge
totalement, son incursion sous l'eau pouvant durer une minute jusqu'à 10
mètres
de profondeur. Doté d'un instinct grégaire très
développé, il pratique la pêche en groupe. Les
cormorans se déplacent alors en ligne ou en cercle avant de
plonger. Le balbuzard est aussi présent à Girolata, mais
cette fois, nous n'arrivons pas à
le repérer. Une mésange noire babille dans les fourrés.
Plus loin, c'est une fauvette (à lunettes ou passerinette) qui
nous charme de son chant. - Photos : Sélaginelle
denticulée.
Libellule rouge (détail). -
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |