Sur
une roche humide en bordure du chemin, Dimitri
nous signale la présence
de la sélaginelle parmi les frondes délicates de la capillaire
(u capellu di vènnare) qui pousse
près des sources d'eau pure et possède des
propriétés antitussives.
La sélaginelle ressemble de prime abord à une
mousse, mais elle n'en est pas moins une fougère dont les premières
se sont formées à l’ère
primaire en "inventant" les vaisseaux conducteurs, les
racines et en se reproduisant en émettant des spores. Peu fréquente
en France continentale (on la trouve dans les régions méditerranéennes),
elle est très
commune en Corse, mais ne semble pas endémique.
Sur
ce sentier très ancien, certaines portions n'ont pas été perturbées
depuis longtemps. J'admire des arbres
qui repoussent à partir de grosses souches qui doivent être
très vieilles,
et des chênes verts dont le tronc et la taille s'apparentent à nos
grands chênes
pédonculés. C'est aussi le lieu où Dimitri a vu
les plus grandes bruyères
arborescentes. Nous
nous penchons avec étonnement sur un clathre rouge ou coeur de
sorcière
: sa structure rouge corail, spongieuse, maillée, émerge
d'un oeuf gélatineux très
malodorant et verdâtre. Celle-ci ne dure pas bien longtemps (de
1 à 3 jours) et s'affaisse en coinçant sous sa masse
les insectes qui ne se sont pas envolés à temps.
C'est
une espèce
des régions méditerranéennes, remontant cependant
jusqu'en Normandie, qui n'est pas
toxique mais immangeable et nauséabonde, sauf du point de vue
des mouches qui sont très
attirées par la gelée qui en tapisse l'intérieur
et dont elles se délectent avant d'aller diffuser ses spores
au loin ! Dimitri ajoute qu'elle pourrit si vite que les larves issus
des oeufs
pondus par les mouches n'ont pas le temps de s'en nourrir. Cette relation
du clathre avec les insectes
est
assez rare dans le règne
fongique. L'oeuf est mentionné dans
un site comme étant comestible, à odeur et goût de
radis. L'usage de plus en plus répandu de B.R.F. (bois ramifié fragmenté)
dans les parcs et jardins fait le lit de cortèges de champignons
et en particulier celui du clathre rouge qui
pousse toute l'année dans la sciure, les copeaux de bois ou les
feuilles. - Photo : Clathre rouge ou coeur de sorcière.
-
De
loin en loin, j'aperçois des tapis de pétales du plus joli effet. Ce
sont les fourmis qui
les amoncellent et je m'amuse à suivre leurs prérégrinations laborieuses,
tandis qu'elles emportent entre deux pattes un pétale plus
grand qu'elles, escaladant les brindilles, descendant dans les creux
et avançant obstinément dans un but qui me reste bien obscur. Selon un
document de l'INRA, la myrmécofaune corse comprend 83
espèces différentes alors que la France continentale,
dans sa totalité, en compte environ 180. On peut
estimer qu'une grande partie de ces
espèces s'est installée dans l'île avant
qu'elle ne se sépare définitivement du continent européen à la
fin du Tertiaire ou
pendant les plus anciennes glaciations.
En effet, à cette époque, les faunes de
fourmis étaient déjà modernes. Certaines
ont probablement pu parvenir en Corse
avec l'homme, au début du VIle millénaire
av. J.-C. - Photo : Tapis de pétales
au-dessus de l'entrée d'une fourmilière. -
A
peine 28% sont strictement méditerranéennes, et contrairement à ce
qui est connu pour d'autres groupes d'insectes et pour la flore, chez
les
fourmis, l'endémisme est très faible. Trois
espèces seulement, découvertes depuis
moins de dix ans, peuvent aujourd'hui être
considérées comme endémiques: un Leptothorax,
une Stenamma ainsi qu'un Tetramorium, encore à l'étude.
Celle qui a attiré mon attention est la plus caractéristique
de la Corse : elle se nomme Aphaenogaster spinosa.
C'est
une espèce
tyrrhénienne, connue en Ligurie, Toscane et archipel toscan,
Latium, Corse, Sardaigne et îlots voisins,
mais absente de Sicile. Chaque nid possède une seule ouverture
apparente vers l'extérieur, très souvent entourée
d'une couronne de pétales secs de ciste ou
d'hélianthème. On ne sait pas encore expliquer le rôle
de ces pétales que les ouvrières
apportent frais dans le nid, pour les rejeter
ensuite quand ils sont desséchés... -
Photo : Cytinet. Fourmi Aphaenogaster spinosa à
l'oeuvre. -
Le
hameau de Girolata est dominé par un fortin qui possède une tour génoise
bâtie sur ce promontoire au XVIe
siècle. A cette époque troublée, la flotte génoise réussit à capturer
dans l'anse le célèbre pirate turc Dragut/Turgud
qui effectuait régulièrement
des razzias sur l'île, ce qui rendra le lieu célèbre. J'invite à lire
la conférence en lien, racontée dans un style très vivant, qui éclaire
sur
la période
des incursions
turques dans le bassin méditerranéen. On y apprend par exemple que ces
Turcs, ou Ottomans, issus de l'Asie centrale, ne sont pas des marins
et contractent des alliances successives, d'abord avec les Grecs, puis
les Lybiens, Tunisiens et Algériens, et enfin les Français pour obtenir
des bateaux avec leurs pilotes et leurs marins, ainsi que des ports d'attache.
Ainsi François 1er, à partir de 1536, pour prendre l’empereur
Charles Quint à revers, s’allie avec Suleiman le Magnifique
: la flotte turque pourra hiverner à Marseille et à Toulon. L'empereur,
allié à l'Italie, utilise les ports de Gênes et de Naples.
La Corse se
retrouve sur le front de la guerre maritime hispano-française. -
Photo : La baie de Girolata et la tour génoise. -
En
retournant sur ses pas, Dimitri ramasse sur le sentier une larve de phrygane,
insecte qui ressemble à un papillon de nuit. Elle traîne
son fuseau de débris
végétaux dont elle s'est entourée pour se camoufler.
Un mâle de fauvette
sarde quitte son perchoir pour parader : il effectue
un vol chanté au cours duquel il s'élève de 5
ou 6 mètres
dans les airs, pattes ballantes, avant de plonger en ondulant jusque
sous le couvert. Un troglodyte déclame ses strophes sonores. Dimitri
se penche de nouveau. Il a découvert un pilulaire (Gymnopleurus
pilularius). Il évoque à ce sujet le texte merveilleux
de l'entomologiste provençal
Jean-Henri
Fabre qui compare les membres de l'insecte aux
outils du boulanger.
Comme le scarabée sacré du film Microcosmos, cet
insecte est un bousier qui façonne une sphère, l'emporte
en la roulant, poussée à reculons
à l'aide de ses deux grandes pattes arrière, et l'enfouit
dans un terrier où il façonne deux nids identiques en forme
de poire où la femelle pond
un oeuf. - Photos : Larve
de phrygane. Pilulaire (Gymnopleurus pilularius ou Sisyphus
Schœfferi Lin. ?).
-
Quand
il est mis sur le dos, il rebondit à belle hauteur pour se rétablir
sur ses pattes. Lorsqu'il prend la fuite,
il s'envole comme un hélicoptère. Dans un bassin en forme
d'abreuvoir relié à une fontaine se trouvent des larves
de libellule.
Pour savoir à quelle espèce elles correspondent, il faut
examiner leur taille et
l'emplacement des lamelles branchiales, interne ou externe, organes
de respiration situés à l'extrémité de
leur abdomen (les 'demoiselles' en
ont trois externes).
Toutes
ces larves sont également
carnassières, et le mode de capture des proies est particulièrement
efficace et original. Dans
une certaine mesure il n'est pas sans rappeler la technique bien connue
du caméléon, mais là, il
s'agit d'une projection de la lèvre inférieure, doublement
articulée, et non de la langue. Le labium est modifié en
organe préhensile qui porte
le nom de "masque".
Sur la route du retour vers Porto, nous nous arrêtons pour photographier
les euphorbes arborescentes en fleurs, aux couleurs jaune, rose, orange,
et qui, l'été, perdent leurs feuilles pour économiser
l'eau et réduire
la transpiration. - Photos : Masque de
larve de libellule. Euphorbe arborescente. -
Pour
la petite histoire, le soir, on nous parle du "méchoui au
veau tigré".
Il s'agit d'une race sarde que
le comte J. Abbattucci a eu l'idée de mettre en avant
en Corse avec un sens marketing très développé.
Le lendemain, les gorges de la Spelunca ('les profondeurs', en corse)
ou Spilonca nous
offrent un nouvel aspect de la Corse. Après avoir traversé le
village d'Ota, situé
en amont de Porto, nous nous garons peu après le Ponte vecchiu,
qui enjambe l'Aïtone,
un torrent dont nous longerons le cours jusqu'au pont de Zaglia, construit
à l'époque génoise et classé monument historique,
et qui permettait de se rendre plus commodément au village d'Evisa. Des
vaches, comme d'habitude, se déplacent
sans vergogne en plein milieu de la route.
Le chemin aujourd'hui
ponctué de panneaux d'interprétation était dédié autrefois à la
transhumance et aux échanges entre la montagne
et le littoral. On
y transportait à dos de mulet les troncs très droits de pins
laricio dont on tirait des mâts de bateau. On y colportait aussi la
châtaigne, les fromages, le cédrat, les olives et leur huile
pressée aux moulins installés en travers du torrent. La fauvette
à tête noire se déplace d'un buisson à l'autre,
tandis que l'hirondelle de roche préfère les falaises. La mésange
bleue et le pinson des arbres chantent dans les ramures, invisibles. Aux
jumelles, nous cherchons en vain dans la
falaise de l'autre côté du vallon encaissé la présence
du monticole bleu. Nous retrouvons l'épiaire
poisseuse, l'herbe aux chats émet une faible odeur de
thym et arbore
de petites
fleurs roses. - Photo : Cytinelle ou cytinet,
parasite du ciste. -
SOMMAIRE | Pages :
|
Dimitri Marguerat, guide naturaliste, avec Jacques, Pascal, Françoise, Danie, Jean-Louis et Cathy | Corse |
Séjour du 5 au 14 mai 2011 |