Un événement exceptionnel s'est déroulé à Anglet les 7 et 8 mai 2010. La ville accueillait pour la première fois l'Exposcience Jeunesse Aquitaine, une manifestation qui rassemble des projets scientifiques et techniques, réalisés et présentés par des jeunes. Son organisation était chapeautée par la Cité des sciences de Paris La Villette et dirigée localement par Cap Sciences de Bordeaux et Lacq Odyssée pour les Pyrénées atlantiques, épaulés par Jeunesse et Sport, les Céméa, les Francas, les Petits Débrouillards, Astronomie Côte Basque et, bien sûr, la municipalité d'Anglet. Près de 130 jeunes issus de toute l’Aquitaine ont ainsi présenté 29 projets scientifiques et techniques à l’Espace Océan de la Chambre d’Amour. A l’issue de la manifestation, différents prix ont été décernés par un jury de personnalités du monde de l’éducation et de la recherche.
Bien entendu, la municipalité d'Anglet ne pouvait pas faire moins que de susciter un projet dans la ville. C'est ainsi que Jacques Auriau, animateur de l'association Astronomie Côte Basque, a été contacté par les services municipaux pour le conduire au sein de l'ALSH Baroja (centre aéré) où il effectue depuis des années des missions d'animation scientifique auprès des jeunes. Deux animateurs du centre, Eric Menou et Nicolas Louis, se sont portés volontaires et ont été détachés ponctuellement de leurs fonctions par la directrice, Nicole Moulian, afin de se consacrer à cette tâche originale.
Le 27 janvier, lors de la première réunion à laquelle j'assiste entre Jacques et les animateurs, le stress de ces derniers est palpable. En effet, l'enjeu est grand, puisque le centre va représenter la ville dans ce concours face à des structures émanant de toute la région. En outre, il est bien entendu que Jacques est le conseiller scientifique, mais que ce sont les animateurs qui vont encadrer directement les jeunes pour effectuer le projet : leur responsabilité est bien supérieure à l'ordinaire, puisque jusque là, ils n'ont jamais fait qu'assister Jacques de façon tout à fait subalterne lors de ses animations en astronomie.
C'est une démarche assez particulière. En effet, ce serait beaucoup plus simple que Jacques fasse personnellement le projet, simplement aidé des animateurs et des enfants. Mais le but, justement, c'est l'appropriation du projet par ces derniers qui devront en exécuter la plus grande partie, et avoir suffisamment compris ce qu'ils faisaient pour pouvoir le présenter et l'expliquer au public - et au jury - lors du concours en mai. L'idée de départ est de Jacques, bien sûr, et les éléments qui composeront le projet sont déjà clairs dans sa tête, même si les détails d'exécution ne sont pas arrêtés définitivement. Il en va tout différemment pour Nicolas et Eric, qui, certes, possèdent quelques notions sur le sujet, ont déjà bricolé, mais n'ont qu'une idée très floue du rendu final et surtout des étapes qu'ils devront franchir pour y arriver.
Ce qui complique la tâche, c'est qu'un centre aéré, contrairement à une classe ou un club, a une composition d'enfants mouvante et variable. Pour un tel projet, l'âge minimal est de 9-10 ans, c'est donc aux plus âgés qu'il a été proposé, sachant que la participation est totalement de l'ordre du volontariat. Chacun peut essayer et se retirer, sans que personne n'y trouve rien à redire. Une quinzaine d'enfants, au moins, participeront donc peu ou prou, certains se signalant par leur constance et leur assiduité. L'un d'eux demandera même à ses parents de venir tous les mercredis matin et pendant les vacances d'hiver et de printemps pour ne rater aucune séance. Au final, seulement quatre enfants seront sélectionnés pour la présentation au concours. Ils n'auront pas forcément participé depuis le début. L'un, au moins, se sera intégré à l'équipe pratiquement dans la phase finale.
Jacques propose donc la réalisation d'une malle pédagogique, sorte de valise transportable, qui contiendra des panneaux explicatifs et des maquettes sur le thème des marées et des baïnes. Etant donnée la situation géographique d'Anglet, ce sujet s'impose tout naturellement et emporte l'assentiment de tous, notamment pour son intérêt à l'égard des jeunes qui fréquentent quotidiennement la mer en été, que ce soit pour nager ou surfer. Il est également apprécié que ce travail de cinq mois n'aboutisse pas seulement à un objet destiné à une seule exposition, mais qu'il serve ensuite d'outil pédagogique dans les établissements scolaires de la ville qui en bénéficieront sur le long terme. Cela implique donc, contrainte supplémentaire, que les éléments qui composeront la malle soient solides et pérennes.
Une fois arrêté le sujet, il faut se lancer dans l'exécution. Première étape, la malle. Un animateur en confectionne un modèle réduit minuscule en papier pour se rendre compte de la forme, évaluer les dimensions de manière à ce que les panneaux explicatifs soient lisibles sur un stand par un petit groupe de personnes depuis une distance de 2-3 mètres et qu'elle puisse contenir plusieurs maquettes. Jacques leur présente une documentation sous forme de livres, de documents pédagogiques et de maquettes élaborés par l'association. Ils conviennent ensemble de construire un lunophase, un planétaire avec le duo Terre-Lune tournant autour du Soleil, une maquette représentative de la règle des douzièmes et une modélisation du phénomène des baïnes.
Le projet commence à prendre forme. Dès le 3 février, les enfants sont mis à contribution. Jacques a préalablement sélectionné des sites Internet sur lesquels ils se connectent, en lisent le contenu, l'assimilent et choisissent les éléments qui constitueront les panneaux pédagogiques. L'un d'eux comporte une carte où figure le parcours effectué par Pythéas, explorateur et astronome de Massilia (Marseille) à l'époque où celle-ci était un comptoir grec au IVe s. avant J.-C.
“…Arrivé dans l’Océan, au-delà des Colonnes d’Hercule, Pythéas découvre les marées. Ce phénomène éveille sa prudence de marin et attise sa curiosité de scientifique. Les textes de Plutarque et du pseudo-Gallien nous apprennent que Pythéas est le premier savant qui fait la corrélation entre le mouvement de la Lune et celui des marées ; les marées, comme la Lune, prennent 50 minutes de retard par jour et un cycle de retard à chaque mois lunaire. Pythéas découvre même que l’amplitude des marées dépend des phases de la Lune. Dès cette époque, on sait qu’en période de pleine lune et de nouvelle lune l’amplitude des marées est forte (marées de vives-eaux), et qu’aux quartiers elle est moindre (marées de mortes eaux)…”
Je remarque que Jacques ne prend pas en charge personnellement la formation pédagogique. Il préfère que les enfants aillent eux-mêmes chercher l'information sur Internet. Bien sûr, ils le font de façon très encadrée, il ne les laisse pas errer seuls sur la Toile au risque de perdre du temps, de trouver des éléments incomplets ou mal expliqués, ou pire encore, de tomber sur des sites hors sujet et néfastes pour ces jeunes esprits. C'est une démarche longue, si on la compare aux méthodes classiques d'enseignement "ex cathedra", mais je découvrirai au fur et à mesure qu'elle est très efficace, car les enfants expérimentent et manipulent, essaient, se trompent et recommencent, jusqu'à ce que la connaissance soit acquise en profondeur. Jacques était technicien en astronautique avant de devenir animateur, par passion pour l'astronomie et la pédagogie, et c'est Victor Aguerre, ancien président d'Astronomie Côte Basque, qui l'a formé à cette méthode préconisée par les CEMEA (Centres d'Entrainement aux Méthodes d'Education Active) dont il est membre.
A l'aide de petits schémas, il explique aux animateurs - qui transmettront aux enfants - la règle des douzièmes et la maquette qui l'illustrera. Environ six heures séparent la pleine mer de la basse mer. Le niveau de la hauteur de l'eau entre les deux (ou marnage) diminue en suivant une sinusoïde dont la règle des douxièmes est une approximation des valeurs. La première heure, le niveau baisse d'un douzième de la hauteur totale qui sépare la pleine mer de la basse mer. L'heure suivante, il baisse de deux douxièmes, la troisième heure, de trois douzièmes, puis le rythme est inversé, la quatrième heure, trois douzièmes, la cinquième heure, deux douzièmes, et la sixième, un douzième. Cela implique qu'un bassin perd la moitié de sa hauteur d'eau en deux heures, entre le début de la troisième heure et la fin de la quatrième heure : c'est le moment où il faut faire le plus attention lorsqu'on se baigne (ou qu'un bateau entre ou sort du port) car le courant est maximal, vers le large si la marée baisse ou vers la côte si elle monte.
Pour figurer ce phénomène, Jacques propose de représenter un bateau qui monte et descend au rythme de la marée marqué sur une horloge circulaire où sont indiquées les heures de un à douze de la pleine mer à la basse mer et retour à la pleine mer. Cela n'a l'air de rien, pour qui ne s'est jamais attelé à la fabrication de ce petit mécanisme. Pourtant, il posera bien des problèmes à nos petits scientifiques en herbe (et leurs animateurs). Là, il ne s'agit plus d'astronomie, mais de transformation d'un mouvement circulaire en un mouvement de va et vient vertical. Jacques nous fait découvrir la bielle ! Elle est couramment utilisée dans les moteurs thermiques équipant les automobiles, les motocyclettes ou encore les locomotives à vapeur, mais comme nous ne mettons pas beaucoup le nez sous le capot, nous n'avons aucune idée de son mode de fonctionnement effectif...
Les preuves de l'utilisation d'une bielle apparaissent à la fin du IIIe siècle après J.-C. dans la scierie romaine de Hiérapolis (Turquie), ainsi que dans deux scieries du VIe siècle découvertes à Éphèse (Turquie) et Jerash (Jordanie). Leur mécanisme convertit le mouvement de rotation de la roue hydraulique dans le mouvement linéaire des lames de scie. Ces scieries sont à l'heure actuelle les plus anciennes machines connues à associer une bielle à une manivelle. Le mécanisme est réinventé au XVe s. en Allemagne pour des moulins.
Au passage, je regrette beaucoup qu'aucune petite fille ne se soit investie dans le projet. Quelques unes viendront parfois écouter et regarder, mais elles resteront toujours en retrait. Faut-il que le formatage des esprits soit précoce ! Quel dommage ! Ce n'est qu'à la fin que des animatrices seront appelées à la rescousse pour la partie artistique, l'ornementation de la malle et l'aménagement du stand auquel seront associés les enfants dont elles s'occupent.
Tandis que la maquette de la règle des douzièmes se poursuit, Jacques commence à faire exécuter le lunophase. Il l'explique rapidement puis doit s'absenter, appelé par le musée basque où il doit intervenir lors de la semaine de la petite enfance à Bayonne pour présenter un spectacle bilingue basco-français dans le planétarium gonflable de l'association Astronomie Côte Basque au sein de laquelle il travaille. Le premier jet est loin d'être parfait. Les enfants devront le refaire à plusieurs reprises, sur papier, puis sur carton, jusqu'à ce que l'exécution soit impeccable et puisse être reproduite sur le matériau définitif. Un vrai travail de patience !
Il en sera de même pour la règle des douzièmes, dont l'élaboration sera reprise, encore et encore, jusqu'à ce que le fonctionnement soit fluide et souple et la correspondance avec les graduations parfaite. En effet, Jacques procèdera toujours de la même façon. Il explique le phénomène astronomique (simplifié), puis le mécanisme physique et quelques indications pour sa représentation en maquette, et ensuite, il laisse faire. Quand les enfants jugent qu'ils ont terminé, il vient jeter un oeil, contrôle et indique les corrections à apporter. Au besoin, il fait tout refaire, et personne ne rouspète ni s'en formalise. Ils acceptent les critiques et s'appliquent derechef à l'ouvrage. Par contre, dès qu'un travail est bien fait, Jacques s'empresse d'en féliciter l'auteur. Au début, les petits étaient interloqués ! Jacques, très sérieux, tend la main et serre longuement celle de son petit partenaire tout en lui adressant son compliment. Après, tous n'ont tous qu'une envie, c'est de lui faire plaisir et de s'appliquer de plus belle.
Le travail est varié. Outre la compréhension intellectuelle, il faut apprendre à bricoler, dessiner, calligraphier, peindre, découper divers matériaux, trouer, ajuster et j'en passe. Les enfants adorent, manient le crayon, les ciseaux, le pinceau ou le feutre avec un enthousiasme qui nuit un peu à la qualité de l'exécution, toujours un peu trop rapide et, de ce fait, négligée et pataude. Tandis qu'ils s'activent, Jacques prépare la phase suivante et les laisse faire. Ensuite, il les met face au résultat et leur indique des petits trucs pour obtenir un rendu meilleur qui ne nécessite pas forcément plus de peine. Par exemple, pour les lunes bicolores noir et blanc, il s'empare d'un pot de yaourt (vide) dans lequel il met un fond de peinture blanche qu'il délaye avec un peu d'eau. Ensuite, il rince à l'eau une des petites balles de pingpong sur laquelle on voyait les traces de pinceau blanc et de feutre noir à la limite inégale, et il la pique d'une épingle à laquelle il attache une ficelle. Il la plonge entièrement dans le liquide blanc puis la suspend à un support fixé au mur au-dessus d'un vieux journal pour qu'elle sèche en s'égouttant. Ainsi, les traces de pinceau sont évitées et le rendu impeccable. Au besoin, on la trempera une deuxième fois pour appliquer une seconde couche. Après quoi, il suffira de faire de même avec de la peinture noire où elle sera immergée à moitié et le tour est joué ! Encore fallait-il y penser.
Par-dessus le disque où figurent les phases de la Lune, il fait pivoter un second disque, orné au centre d'une Terre, qui occulte les phases à l'exception d'une seule qui apparaît à travers une encoche préalablement découpée. Les enfants voient vite comment améliorer l'ensemble en agrandissant la taille des phases de la Lune et en notant de façon plus explicite leur nom au-dessous. Plutôt que de les dessiner à main levée, Jacques suggère d'utiliser une capsule de récipient qui permettra de tracer des cercles de taille identique (les compas sont interdits en centre aéré par mesure de sécurité). Ensuite, ils repasseront au feutre noir par-dessus le crayon, pour le rendu définitif. Passant à l'équipe qui s'occupe de la maquette des douzièmes, il fait remarquer le décentrage de l'horloge par rapport au rectangle de mer qui supporte le petit voilier baptisé Baroja par les enfants. La bielle fait coulisser de guingois le rectangle de papier qui s'échappe de son cadre !
Il s'empare d'une règle et d'un clou pour le repérage, et l'on rectifie le tir : il faut tout démonter et refaire en positionnant les éléments au bon endroit, l'axe du cercle positionné sur l'axe médiant du rectangle de mer surmonté du bateau. Cela paraît si simple ! Ensuite, à le manipuler, se pose un nouveau problème auquel Jacques réfléchit à haute voix en associant Eric et Nicolas à sa résolution. La bielle qui est fixée sur la partie supérieure du cercle (l'horloge) empêche de le tourner aisément. D'autre part, si on la fixait sur la face inférieure, elle serait bloquée par l'attache parisienne qui fait office de pivot central : il faut donc bien qu'elle demeure sur le dessus. Que faire ? L'idéal serait de cacher le mécanisme, pour que ce soit plus esthétique, et que l'on ne voit que le voilier monter et descendre et l'horloge tourner en indiquant les heures. La solution, qui émerge lentement après maintes discussions, sera de créer un deuxième mécanisme sur le côté ou bien à l'arrière du panneau, qui entraînera l'horloge. L'idée est lancée ; pour l'exécution, on la reporte à plus tard.
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Centre aéré de Baroja - Anglet - Photos prises lors des séances de travail du 27 janvier au 8 mai 2010 |
EXPO-SCIENCES De l'idée à l'objet |
7 et 8 mai 2010
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