Jacques
repasse à la théorie. Muni d'un minuscule vidéo-projecteur
de poche, acquis initialement pour être utilisé dans le
planétarium
de l'association, il projette sur le mur des diapositives pour bien faire
comprendre le
phénomène
des marées.
C'est qu'il est complexe ! Le terme de marée vient du mot "mer" mais
on ne l'utilise pas que pour les mouvements de l'eau de nos océans.
On parle aussi d'effet de marée de la Lune sur la croûte
terrestre, de Jupiter sur ses satellites, ou encore entre deux étoiles
ou deux galaxies. Newton fut le premier à comprendre et à expliquer
le phénomène. Tout en discourant, Jacques dessine un schéma
sur une feuille. Considérons
d'abord simplement l'action du Soleil sur la Terre. Sa force de gravité
s'applique partout, et diminue en fonction de l'éloignement. Mettons
qu'elle soit évaluée à +10 au point de la Terre
le plus proche du Soleil, et qu'au centre de la Terre, elle ne soit plus
que de +7, soit 3 de moins pour une distance égale au rayon. A
l'antipode, elle sera donc encore diminuée de 3 et prendra donc
la valeur +4.
Par
ailleurs,
pendant sa révolution autour du Soleil, la Terre subit une force
centrifuge (la même qui chasse l'eau
de la salade vers l'extérieur du panier pendant le mouvement
de rotation de celui-ci). Puisque
la Terre ne s'échappe pas de son orbite, c'est qu'il se produit
un équilibre
entre la force de gravitation qui attire la Terre vers le Soleil et
la force centrifuge qui tend au contraire à l'en éloigner.
Cette dernière
est donc égale à -10
au point le plus externe de la Terre
à l'opposé du Soleil, elle vaut -7 au centre,
et -4 au point de la Terre le plus proche du Soleil.
Au
centre de la Terre, les deux forces s'annulent : +7-7=0. De part et
d'autre, au point de
la Terre le plus proche du Soleil et à son antipode, la valeur
est identique, égale à 6 (10-4). La combinaison de ces
deux forces (gravitationnelle et centrifuge), que l'on appelle l'effet
de marée,
se traduit par la formation d'un bourrelet identique aux deux antipodes,
et non
du
seul côté qui fait face au Soleil comme
on aurait pu s'y attendre : on dit qu'il s'agit d'une force différentielle.
Pour
illustrer la force centrifuge et un paramètre supplémentaire de l'effet
de marée appelé la force de Coriolis, Jacques s'empare d'une bouteille
plastique qu'il
emplit
d'eau, se munit d'une épingle,
et nous le suivons dehors, dans
la cour qui donne sur le parc du château. Il perce la bouteille,
dévisse
un peu le bouchon et se prépare à tourner sur lui-même.
Mais auparavant, il pose la question : quelle
incidence ce mouvement aura-t-il sur le
sens du jet d'eau ? Aucun ? Sera-t-il dévié dans le sens
de sa rotation ou en sens inverse ? Chacun vient me le dire à l'oreille,
pour ne pas influencer le voisin. Les
réponses sont partagées et j'avoue ne pas être
trop sûre de mon propre
choix.
Après
avoir vu ce que cela donnait, chacun essaie à son tour. Puis il
recommence, cette fois en tournant à pas chassés autour
d'un point fixe vers lequel il dirige le jet. Nous supputons de même
la déviation du jet à laquelle il faut s'attendre, puis
chacun teste à son
tour l'expérience. Il veut illustrer ainsi la force centrifuge
et la force de Coriolis. Quand
il tourne
sur lui-même, le jet se courbe en sens contraire de la rotation,
et quand il tourne sur un cercle, le jet dirigé vers le centre devance
le mouvement de translation circulaire. En tout cas, nous nous amusons
bien !
La force de Coriolis. Au XVe siècle, on savait déjà que
les vents de l'hémisphère nord formaient une boucle tournant
vers la droite. Les navigateurs portugais qui suivaient la côte de
l'Afrique à la
recherche de la route maritime vers l'Inde rencontraient des vents contraires
au-delà de l'équateur. Bartolomeu Dias eut l'idée que
ces vents formaient également une boucle tournant vers la gauche.
Il utilisa cette intuition pour naviguer plus rapidement vers le sud de l'Afrique
et découvrit ainsi le Cap de Bonne-Espérance.
Quand un manège tourne même très lentement, il est impossible de parvenir au centre en marchant selon une ligne droite absolue : le mouvement de rotation du manège ajoute à notre déplacement un mouvement latéral, qui est facile à observer par une personne située hors du plateau. Les vents autour de la Terre sont détournés par une force analogue.
Il
ne faut pas oublier que le Soleil n'est pas seul en cause dans le phénomène
de la marée. La Lune, quoique plus petite, est beaucoup
plus proche de la Terre et contribue majoritairement à cet effet
par l'attraction gravitationnelle qu'elle exerce. D'autre part, bien
que l'on dise que la Lune tourne autour de la Terre, on considère
plutôt
que les deux planètes forment ensemble un système et qu'elles
évoluent les deux autour de leur centre
de gravité commun (le barycentre), cette rotation induisant
une force centrifuge qui tend à les éloigner l'une de l'autre.
On
constate que l'effet de marée varie en fonction de la position
respective de la Lune et du Soleil par rapport à la Terre. En
position de Nouvelle Lune, le Soleil, la Lune et la Terre sont alignés
(syzygie), et donc l'effet est maximal, nous nous trouvons en période
de vive-eau, avec une grande marée. Il en est de même
pour la Pleine Lune, avec un alignement Soleil, Terre, Lune.
Par
contre, au premier et au dernier quartier, les effets des deux astres
situés
à la perpendiculaire par rapport à la Terre (en quadrature)
se contrarient, nous sommes alors en période de morte eau, comme
l'indiquent les deux schémas ci-dessus (celui avec le bateau
et l'autre avec la courbe rouge). D'autres facteurs interfèrent
dans le phénomène des marées. Premièrement,
la mer - et la croûte
terrestre - ne réagissent
pas instantanément
à ces forces, il se produit donc un certain décalage, qui
s'exprime en heures, entre la phase lunaire
et la marée haute. Deuxièmement, la forme des
bassins et des côtes modifie aussi énormément le
régime
des marées, l'onde marine se déplaçant avec plus ou moins d'obstacles
sur son trajet. Troisièmement,
la Lune suit une orbite elliptique autour de la Terre et sa distance
varie
de 356 000 km à 407 000 km environ. Quand la Lune est plus proche,
son attraction est plus grande, il faut donc en tenir compte. Enfin,
l'axe de la Terre est incliné par rapport au plan de son orbite,
ce qui induit des variations en fonction de la date (marées
d'équinoxes) : le Soleil exerce une attraction maximale qui
s'exerce entre les tropiques, du Cancer (au Nord) au Capricorne
(au Sud) en passant à deux reprises par l'équateur (21 mars et 20 septembre,
dates où les marées sont les plus fortes).
Jacques
profite de cette petite séance de diaporama pour expliquer l'étape
suivante de l'élaboration de la règle
des douzièmes, avec le marquage des graduations par une double
alternance de petits carrés rouges et blancs.
Il
montre aussi le mécanisme qui permettra
d'actionner l'horloge indirectement, grâce à des couvercles
de pots de confiture reliés par un élastique ! Il faudra
en avoir récupéré pour
la séance suivante, de taille identique et non gondolés.
Les travaux se poursuivent et leur exécution s'améliore
peu à peu. Nous sommes déjà
le 2 mars et nous ne voyons pas le temps passer. Il faut pourtant penser
à s'activer, l'échéance approche et nous sommes
encore très
loin d'avoir fini. Cette lenteur correspond au temps d'appropriation
du projet par
les animateurs. Ils commencent tout juste à avoir une
petite idée de son ampleur. Au début, ils ne travaillaient
pratiquement qu'en présence de Jacques et "se laissaient
porter" (ce n'est pas une critique, seulement un constat). Celui-ci
revient le lendemain, mais il tente
de leur faire comprendre qu'ils doivent se prendre en charge et encadrer
les enfants au moins pour toutes les tâches qu'ils se sentent
capables d'effectuer seuls.
Les
plaques de forex sont livrées : ce sont des panneaux expansés
en PVC rigide avec une structure cellulaire particulièrement fine,
homogène
et aux surfaces soyeuses. Jacques a conseillé leur utilisation
pour l'aspect fini et professionnel qu'elles procureront aux maquettes
et à la malle, ainsi que pour
leur bonne tenue sur la durée. Il
s'empare d'un cutter qui remplace la scie pour la découpe des panneaux
et en montre l'usage aux enfants. Il insiste sur les consignes de sécurité :
ne jamais l'utiliser en dehors de la présence
d'un adulte, faire coulisser la lame dans son logement intérieur
dès
qu'on a terminé une tâche,
ne
jamais le brandir, maintenir la plaque en prenant garde à ne pas
laisser de doigt sur le trajet à couper. Moyennant
quoi, chacun pourra le manier à son tour. Les enfants sont fiers
d'être
responsabilisés et aucun ne fait de geste idiot avec.
Il
procède de même avec la perceuse. Il prend la boîte à outils
et fait deviner aux enfants l'usage de chaque
accessoire : la mèche en acier hélicoïdale ou plate
pour percer le bois, une perceuse à percussion
avec des forets à l'extrémité en
carbure
de
tungstène pour creuser le béton, une
autre sorte de foret avec une double fente hélicoïdale pour
s'enfoncer dans le métal.
Ensuite, il leur montre la façon d'introduire
le foret dans la perceuse, de le bloquer,
et enfin la position dans laquelle il faut se tenir pour que l'outil
ne dérape pas et perce un trou bien "propre". Les enfants
s'empressent pour le tester : je suis sûre que pour eux, c'est
une première dont ils
se souviendront toute leur vie.
Jacques
leur indique comment découper un disque au cutter. Pour un matériau
tendre comme le forex, c'est le moyen le plus simple d'effectuer une
découpe circulaire parfaite. Les enfants sont très
attentifs. Chacun essaie à son tour et contribue à la maquette
du lunophase dont les lunes sont désormais parfaitement réparties
de façon symétrique sur le disque, de taille identique
et colorées au
feutre noir pour bien mettre en évidence les phases.
Sur
un second cercle intérieur sont disposées des lunes plus
petites qui montrent que la planète
est toujours éclairée sur la moitié de sa surface tournée
vers le soleil. Vue depuis la Terre, l'apparence de la Lune change au
fil du mois car
celle-ci se
déplace,
et
sa position
respective par rapport à la Terre et au Soleil varie en permanence
: nous l'observons donc chaque jour sous un angle différent, ce
qui explique la perception de phases lunaires, c'est à dire que nous
observons une portion variable de sa face éclairée.
Jacques
vérifie que les enfants se souviennent de ses premières
explications. En combien
de temps la Lune tourne-t-elle autour de la Terre ? - Un peu plus de
27 jours (27 j 7 h 43 min 11,5 s). Combien dure le mois lunaire (une
lunaison) ? - 29,5 jours (29 j 12 h 44 mn 2,9 s). A quoi est due cette
différence ? - Au fait que la Terre tourne autour du Soleil
dans le même temps que la Lune tourne autour de la Terre. D'une
Nouvelle Lune
à l'autre,
il faut donc que la Lune se déplace pendant 2,5 jours de plus,
une fois effectué un tour complet autour de la Terre, pour se
retrouver dans l'alignement Soleil, Lune, Terre. En combien de temps
la Lune
tourne-t-elle
sur
elle-même
?
Hésitation...
Jacques demande à un des jeunes garçons de se tenir debout
devant lui. Je suis la Terre,
tu es la Lune. Vas-y, tourne autour de moi. Jacques lui intime l'ordre
de ne pas cesser de le regarder dans les yeux tout le temps de sa rotation.
Il est donc obligé de tourner en cercle en faisant des pas chassés.
Alors, peux-tu me dire maintenant en combien de temps la Lune tourne
sur elle-même ?
Le garçon hésite toujours.
Voyons,
en tournant autour de moi, as-tu tourné
sur toi-même ? Le garçon répond que non. Jacques
lui fait recommencer une nouvelle fois l'expérience et le garçon
n'assimile toujours pas.
Jacques décompose donc le mouvement.
Premier temps : tu es face à moi, et tu regardes en direction
de la porte Exposciences. Deuxième temps,
après un quart de tour : tu es toujours face à moi, mais
tu vois le long mur de la salle. Troisième
temps, et un nouveau quart de tour :
tu es face à moi, mais cette fois tu regardes le
mur opposé au local Exposciences. Quatrième temps, et
encore un quart de tour : tu es face à moi, mais aussi aux
baies vitrées de la salle. Retour à la position initiale
dans un dernier quart de tour. Alors, maintenant, tu réalises
que tu as fait un tour sur toi-même
? Le garçon n'est toujours pas convaincu. Jacques lui saisit
les épaules
et le fait tourner cette fois en gardant les pieds au-dessus d'un point
fixe et en lui montrant les quatre directions qu'il a observées.
Enfin, l'enfant fait la distinction entre la rotation sur lui-même
et la révolution
autour de la Terre et comprend qu'il a fait les deux en même temps.
Jacques
conclut pour tout le monde en indiquant que ces deux mouvements sont synchrones,
la Lune tourne sur elle-même (la rotation) dans le même temps qu'elle
évolue autour de la Terre (la révolution).
C'est
justement l'effet de marée réciproque qui a ralenti le mouvement
des
deux astres jusqu'à cette synchronisation : c'est la raison pour
laquelle nous contemplons toujours la même face de la Lune. Il en
est de même pour la majorité des lunes qui orbitent autour des autres
planètes du système solaire. Rares sont celles qui n'ont pas de
mouvement
synchrone
et tournent
sur elle-même avec une périodicité différente de celle à laquelle
elles
tournent en orbite autour de leur planète principale.
Wikipédia : Si la révolution du satellite est plus rapide que la rotation de la planète (ce qui est le cas de Phobos autour de Mars, ainsi que de plusieurs des lunes intérieures d'Uranus), les forces de marée de la planète auront tendance à faire encore diminuer la vitesse de rotation du satellite sur lui-même et décroître son rayon orbital, ce qui placera le satellite sur une orbite descendante où il orbitera plus vite (énergie cinétique acquise par l'énergie potentielle de la chute). Phobos finira par s'écraser sur la surface de Mars !
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7 et 8 mai 2010
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