La Fondation Robert
Hainard rapporte sur son site Internet la question de Roland de Miller,
auteur de la biographie "Robert
Hainard. Peintre et philosophe de la nature" : Comment le
peintre, que rien ne préparait à écrire,
en est-il venu à "penser en peintre hors de la peinture ? "Il
a fallu pour cela, répond
Robert Hainard, que la question de la nature me mît dans une grande
détresse et en violente contradiction avec notre civilisation." -in "Le
Miracle d'être" p 120- "J'ai commencé à inscrire
les réflexions qui me
venaient au cours de mes marches et de mes affûts et que parfois je
trouvais toutes formulées (ce sont les meilleures) en m'éveillant
une heure avant mon habitude." Outre de multiples articles et correspondances,
l'artiste a ainsi écrit une vingtaine d'ouvrages dont
presque la moitié est malheureusement épuisée. -
Photo : Saxiphrage des Pyrénées en fleurs (la grande hampe blanche
qui se détache sur la falaise). -
Sa
profonde indépendance d'esprit
se manifeste par exemple dans un court texte intitulé
"Doit-on arrêter l'expansion ?", toujours d'actualité bien
qu'il ait paru en 1973 dans le Cahier de la République
de Genève, de l'Alliance culturelle romande. Dans les années
50 déjà, il
cherche en vain à éditer le texte "Une
morale à la mesure de notre puissance", trop précurseur,
et qu'il n'arrive
à faire ronéographier par des étudiants partageant ses
idées que 20
ans plus tard. "Que
peut un individu entraîné avec
des milliards d'autres dans le torrent de la civilisation ? Formuler clairement
ce qui tourmente les autres." "Notre attitude sacrilège
envers la nature est la méconnaissance
d'exigences fondamentales de l'existence. Lutter pour la nature, c'est éviter
la condamnation de l'homme." "Parce que nous voulons maintenir
indéfiniment
l'expansion économique,
tôt ou tard nous aboutirons à des tensions intolérables.
Faute d'oser aller au fond des choses, nous allons à un désastre
qui sera celui de la nature, celui de la civilisation, et probablement
les deux." - Photo : Narcisse. -
Chemin
faisant, nos
guides rapportent leur inquiétude sur des incursions dans des lieux
relativement préservés, l'Oylarandoy, près
de Baïgorry,
où une piste a été percée
pour faire passer un conduit d'adduction d'eau mais n'a pas été refermée,
et la vallée
d'Aspe à Ansabère
et au lac d'Ourbiette où des Italiens bûcheronnent grâce
à des pistes tracées par l'ONF. Sur les traces de Robert
Hainard, Stéphan Carbonnaux s'est rendu en Slovénie
où il a constaté que, contrairement à la France, ce pays a le souci
de supprimer les pistes de débardage
après
l'achèvement du
travail, de façon à redonner
son aspect initial à la montagne. Il existe bien une loi pour
réhabiliter
les lieux dévastés
par les carrières après la fin de leur exploitation,
pourquoi ne pas préconiser la même chose pour les pistes
? - Photo : Viola biflora. -
Nous
faisons halte pour écouter
les oiseaux. Dimitri et Stéphan sortent chacun leur appeau. Un
roitelet triple bandeau très énervé volette à distance
d'une branche à l'autre,
l'un des promeneurs rapporte qu'il en a vu un hiverner
à Tarnos en bord de mer dans les jardins. Un pinson émet
ses trilles. L'appeau pour la caille des blés marche aussi pour
le pic noir qui traverse la forêt devant nous et dont le cri varie
selon qu'il est en vol, posé, ou bien qu'il cherche à se
défendre.
Il reste cependant à distance : il est plus facile à attirer en
mars, pendant la période
nuptiale.
- Photo : Graines de lierre dans une crotte de renard.
-
Dimitri
nous fait remarquer les graines de lierre (en
forme de cerveau) dans une crotte de renard. Les fruits du lierre sont
intéressants pour les animaux sauvages car ils se forment en
automne et sont mûrs
à
la fin
de l'hiver, à une époque où la nourriture est rare.
Cette particularité est due au fait que le Lierre était
présent à l'ère tertiaire,
il y a des millions d'années. En raison du
climat qui régnait alors, il fleurissait plutôt
en hiver, car cette saison offrait de l'humidité et des températures
douces, alors que l'été était sec avec des températures
plus élevées. C'est une des rares plantes qui
ait survécu aux ères glaciaires
et maintenu son rythme de vie jusqu'à nos jours. Dimitri
repère à son chant
une fauvette à tête noire. Une sittelle torchepot
descend tête la première
le long des troncs. Un
arbre curieusement écorcé à la base porte la marque
des dégâts causés
par un écobuage ancien. Un arbre ne brûle
pas, mais le feu a couvé sous le tapis
de feuilles mortes et il a brûlé l'écorce, affaiblissant
l'arbre qui peut mettre des années à mourir.
Des
bosquets entiers sont ainsi détruits,
parfois sur des centaines d'hectares. Nous observons une néottie nid
d'oiseau (une sorte d'orchidée) à la couleur jaunâtre, peu esthétique
mais qui offre un bon exemple de vie en symbiose et de coévolution à trois.
- Photos : Arbre à l'écorce brûlée par l'écobuage
- Néottie nid d'oiseau. -
Sur l'appareil végétatif, en partie souterrain, la disposition et l'enchevêtrement des racines font penser aux brindilles d'un nid d'oiseau, comparaison attribuée au médecin et botaniste Jacques Daléchamps en 1586. La floraison qui s'étale de mai à juillet peut se faire sous terre. La pollinisation est assurée par les insectes, en particulier des coléoptères et des thysanoures. L'autofécondation peut avoir lieu à défaut de visite d'insecte : les pollinies s'enflent, puis s'effritent et le pollen se dépose sur le stigmate. La néottie nid d'oiseau est souvent considérée à tort comme un parasite car elle est dépourvue de chlorophylle et donc incapable de réaliser la photosynthèse. Comme la plupart des orchidées, elle a développé des caractéristiques la rendant extrêmement économe en ressources : les besoins en eau et en azote sont nettement réduits par rapport aux plantes vertes, la chlorophylle étant grande consommatrice. Elle s'associe à un champignon qui vit en symbiose avec un feuillu dont l'énergie lui est transmise par ce biais : les racines de l'arbre sont colonisées par les hyphes du champignon dont l'orchidée récupère la matière organique (sucres…) produite par l’arbre auquel ce dernier est inféodé. « Il y a un volé (l'arbre), un voleur (le champignon) et un receleur (l'orchidée) ». Cependant le premier et le dernier reçoivent l'eau et les ions minéraux du champignon.
« En
forêt de Fontainebleau, Noël Bernard découvrit
en 1899 le rôle déterminant joué lors de la germination
des graines par des filaments mycéliens présents à l'intérieur
des racines de Néottia. Plus tard on observa que ce phénomène était
général chez toutes les orchidées, dont les graines
minuscules ne peuvent germer que si elles sont aidées dans cette tâche
par les filaments du champignon qui leur servent de pseudo-racines et aspirent
dans
le sol les éléments nutritifs dont elles ont besoin. Un équilibre
s'instaure alors entre le champignon et la racine de la plante herbacée,
toujours fragile, car c'est en sécrétant des substances chimiques
particulières, l'orchinol et l'hircynol, que les racines tubérisées
des plantes adultes maintiennent le champignon à leur périphérie
et lui interdisent de pénétrer trop en avant dans leurs tissus. » -
Photo : Tronc de hêtre creusé par le Pic d'Europe. -
Un
hêtre aux dimensions imposantes se dresse derrière le
groupe penché
sur les néotties. On considère qu'il lui faut un siècle
pour atteindre un diamètre de 80 cm. En l'occurence, il s'agit
d'un hêtre têtard, dont les branches ont dû être
taillées périodiquement,
ce qui lui a donné cette forme au tronc bas et massif, d'où
s'échappe
un bouquet de branches d'épaisseurs diverses. Un couple de grands
corbeaux traverse le ciel. Cet oiseau est capable de jouer avec le
vent, de
voler sur le dos, et même de s'amuser avec une poche en plastique.
Nous suivons un chemin emprunté par une martre qui a le même
menu que le renard, et rejette aussi les graines de lierre. Un
bousier déambule avec lenteur. Dimitri nomme les fleurs au fur
et à
mesure que nous les croisons,
orchidée
céphalanthère,
orchis
moustique
(à ne pas confondre avec la pyramidale), une horminelle, des
androsaces velues à coeur jaune ou rouge, une érine des
Alpes (et non une linaire des Alpes), une nigritelle orchis vanille,
un grémil de Gaston. Des
arbres arborent de profondes blessures infligées par le grand
pic d'Europe. - Photo : Bousier. -
Dans
les airs, très loin, nos ornithologues reconnaissent la silhouette
du gypaète
que
nous cherchons
à mieux distinguer aux jumelles, mais ce n'est pas facile.
Il a une queue plus longue que le vautour fauve et des ailes un peu
coudées, mais à cette distance, il n'y a pas
d'évidence à
mes yeux de néophyte. Près d'une borde
ou d'un gîte en réfection, un champ de chénopode
Bon Henri (épinard
sauvage) attire le regard de Stéphan.
Il
conseille le livre "Glaner
dans les Pyrénées" de Bernard Bertrand aux éditions
Tétras qui donne,
par exemple, la recette de la soupe du Roi Soleil, à base
de coquelicot et d’ortie, apprend à réaliser
un parfum maison grâce au narcisse, un sirop
de menthe à feuilles longues ou à soigner ses maux
en ramassant des plantes aux vertus thérapeutiques. De retour
chez lui, Stéphan me précise par mail : "Pour ce
qui est des chénopodes
Bon-Henri (appréciés
par Henri IV), j'ai lu mon Glaner dans les Pyrénées qui
conseille d'éviter d'en manger trop lorsqu'ils sont cueillis
sur des terrains trop riches en nitrates, comme c'était le cas à Lhurs.
Nous les mangerons tout de même à notre retour d'Aragon..."
Tandis que nous observons les corydales (rose-mauve), Dimitri nous rappelle que la marmotte a été réintroduite dans les Pyrénées. Durant les épisodes les plus froids de la période glaciaire würmienne (la dernière glaciation), la Marmotte était présente dans de nombreuses régions de France, y compris à basse altitude (Morvan, Bretagne…). Dès le tout début du Tardiglaciaire, le réchauffement et le retour de la forêt ont entraîné le confinement des populations aux seuls massifs montagneux, une sévère diminution de leurs effectifs, et la différenciation de la Marmotte alpine, décrite en détail dans le premier bestiaire illustré et imprimé (Gesner, 1551). Elle a probablement disparu des Pyrénées au début de l’Holocène (il y a 10 000 ans environ) et son aire de répartition alpine n’a cessé de se réduire jusqu’au début du 20ème siècle, probablement du fait de l’Homme, suscitant la crainte qu’elle ne disparaisse de France (Dénarié, 1902). - Photo : Orchis dactylorhiza. -
De
1931 à 1993, quatre-vingt-onze opérations
d’introduction ou
de réintroduction répertoriées dans 18 départements
français ont généré le
déplacement d'une centaine de marmottes par an provenant en majorité de
Savoie. Le faible effectif des groupes relâchés (9,5 individus
par opération
en moyenne) et l'absence
de renouvellement de l’opération en un même site ont conduit à de
nombreux échecs. Cependant, la mise en application de la stratégie
consistant à opérer
une première introduction suivie de renforcements a entraîné la
colonisation
des versants français (Couturier,
1955 : "son cri manquait dans
les Pyrénées !") et espagnol
(Herrero
et al.,
1988)
des Pyrénées,
et semble avoir été un succès dans le Massif Central (Ardèche,
Cantal).
D'autres
tentatives ont échoué dans le Jura et les Vosges.
Alors que dans les Alpes, l’effectif de l’espèce
semble stable, il est en augmentation dans les sites d’introduction.
Pierre Chimits, en créant
le parc national des Pyrénées en 1967, imaginait qu'elles serviraient
de nourriture à l'ours
! Pour la même raison, on a fait creuser des mares pour qu'il
y ait des grenouilles ! C'est dire à quel point on ignorait
alors son mode de vie ! - Photo : Couple de
cycadèles. -
Jusqu'à ces
dernières décennies,
la marmotte était très chassée pour sa fourrure
et surtout pour sa graisse, connue depuis l'Antiquité pour
ses vertus antirhumatismales et analgésiques. Passées
de mode ou remplacées par de nouveaux produits, peaux et
graisses ne sont plus recherchées. Sa chasse n'est
autorisée que dans les départements alpins. Le déterrage
et le piégeage, jadis très pratiqués, sont
aujourd'hui interdits. Aussi, après avoir connu un déclin
au cours du XIXème siècle et au début du
XXème, la marmotte est aujourd'hui en expansion,
à un tel point que les chercheurs catalans se sont posés
la question de son
impact sur le milieu, car elle est le plus gros rongeur pyrénéen.
Ne devenait-elle pas une espèce
invasive ? - Photos : Orchis brûlé et
asphodèle. -
« En tant qu’herbivore qui vit en colonie, son impact sur
la flore des étages alpin (de 2300-2500 m à 3000 m) et
subalpin (de 1700-1900 m à 2300-2500 m) peut être significatif,
indique Bernat Claramunt, auteur principal de l’étude. En
outre, il peut être un compétiteur clef des autres herbivores
qui coexistent avec lui, comme le lagopède. » Cependant,
d’autres études
du Creaf-UAB montrent que « la présence de la marmotte des Alpes
favorise la biodiversité des Pyrénées ». En effet,
ce mammifère de taille moyenne et abondant constitue une « proie
facile à capturer ». L’aigle royal,
par exemple, en fait souvent son casse-croûte.
Dimitri
compare son sort à celui du bison d'Europe,
qui était encore très répandu au Moyen-Age
(Charlemagne chassait le bison et l'auroch dans la région
de Liège et d'Aix-la-Chapelle).
Il a été quasiment exterminé après
la seconde guerre mondiale (il ne survivait plus qu'en captivité)
et a ensuite été réintroduit,
essentiellement
en Europe de l'Est. Il vit en forêt, contrairement
au bison américain. Comme pour l’auroch, des populations
relictuelles d’élans ont
survécu jusqu’au
Moyen Âge et on en trouvait encore en Europe centrale jusqu'au
XVIIIe siècle. Un programme de réintroduction permet
de maintenir de petits effectifs en Russie, Sibérie, Pologne
et Tchécoslovaquie. -
Photo : Isard. -
La
pensée de Robert Hainard va beaucoup plus loin que
celle des écologistes et autres partisans du "développement
durable".
Dès 1943, il songe à l'écriture d'un livre qui
s'intitulera "Et la nature ?". Correspondant régulièrement
avec une philosophe, Jeanne Hersch, et un mathématicien, Ferdinand
Gonseth, il organise ses idées et remet en question le fondement même
de notre pensée
occidentale, humaniste, c'est à dire centrée sur l'homme,
qui ignore la nature et fonctionne selon lui "à vide".
Notre société s'emballe dans une croissance
économique qui n'agit plus que pour elle-même,
jusqu'à épuisement
total des ressources limitées de la Terre.
Il prône au contraire une société où l'expansion
quantitative serait convertie en expansion qualitative, les humains
s'attachant à assurer
sobrement les besoins vitaux de chacun pour consacrer leur temps libre
à leur développement personnel, assuré par la
confrontation aux espaces
naturels redevenus sauvages. Son dernier ouvrage "Le
monde plein",
condensé de sa pensée, est diffusé par la Fondation
sur la Toile. - Photo : Gentiane de Koch.
-
Un
pipit tombe "en
parachute" sur un rocher à lichen rouge. Stéphan
se met à quatre pattes pour humer l'odeur très prégnante
du bois-gentil (ou
joli), de la famille des daphnés, qui a une senteur un peu
semblable à celle du lilas. Cultivé pour l'ornement
des parcs et des jardins, ce buisson est néanmoins très
toxique, toute la plante, et surtout les baies et l'écorce.
Des intoxications ont été rapportées chez
les bovins, ovins et chevaux ainsi que le porc, le chien et l'homme
: 30g d'écorce tuent un cheval, 3 baies tuent un porc, le
poison attaquant le tube digestif et les reins. Nous
continuons à herboriser, Dimitri nous montre des myosotis,
des renoncules, des verâtres, très proches des gentianes
jaunes, des primevères
farineuses, des populages des marais dont la fleur ressemble à
celle du bouton d'or, des bartsies des Alpes, des lys des Pyrénées
pas encore en fleurs, des pulsatilles
des
Alpes
qui formaient un parterre de grandes fleurs blanches près
d'un rocher du pic d'Anie lors de notre balade l'an passé, des
anémones à fleur
de narcisse, blanches
également, des pensées jaunes, des orchis brûlés.
La nature est si belle et si diversifiée.
Une vie n'y suffirait pas pour la découvrir toute entière.
Un tel enchantement vaut bien l'effort de modifier un peu (beaucoup) nos
comportements...? - Photo : Stéphan Carbonnaux
hume le bois-gentil. -
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Dimitri Marguerat du CPIE Pays basque invite le biographe de Robert Hainard, Stéphan Carbonnaux | Sur les traces de Robert Hainard Lac de Lhurs (Cirque de Lescun - Vallée d'Aspe) |
24 juin 2010 |