La Galaxie d’Andromède dans toutes ses longueurs d’onde

Pour introduire mon propos, je vous invite à découvrir la petite sœur de la Voie lactée, la galaxie d’Andromède (M31). Elle présente un aspect bien différent, selon les longueurs d’ondes qui sont perçues par les télescopes spatiaux en orbite hors de l’atmosphère terrestre. Le satellite Planck scrute les émissions de micro-ondes provenant des particules de poussières très froides, à quelques dizaines de kelvins (0 kelvin = -273,15°Celsius, c'est le zéro absolu). - Image radio colorée de la Galaxie d'Andromède, M31 - R850/0054 Rights Managed - Credit: Max-Planck-Institut für radioastronomie/ Science Photo Library -

Sur cette image (ci-dessus), en ondes radio de longueur d’onde 6,3 cm dont les couleurs représentent l’intensité, du bleu (la plus faible) au rouge (la plus forte), le champ magnétique et les particules des rayons cosmiques sont concentrés sur un anneau autour du centre à une distance d’environ 30 000 années lumière. Les lignes noires qui ont été ajoutées montrent l’orientation du champ magnétique. Celui-ci pourrait contribuer à la formation de nouvelles étoiles.

Les poussières un peu plus chaudes sont observées dans l'infrarouge, c’est à dire des longueurs d’onde un peu plus petites que les précédentes, par le télescope spatial Herschel. Elles révèlent les régions où des étoiles se forment actuellement, dans les bras de la galaxie spirale. - Photos : La Galaxie Andromède dans l'infrarouge lointain et le visible. Credit: Robert Gendler (visible) ; ESA / Herschel / SPIRE / HELGA (far-infrared). -

En lumière visible, comme on peut la voir également avec des télescopes optiques depuis la Terre, nous pouvons voir ses étoiles, mais comme nous le constatons, il ne s’agit là que d’une petite fraction du spectre des radiations électromagnétiques émises par la galaxie.

En ultraviolets et en rayons X, des longueurs d’onde plus courtes que dans le domaine du visible, le télescope spatial XMM-Newton a révélé les étoiles plus vieilles, certaines approchant de la fin de leur vie. Il montre aussi celles qui ont déjà explosé en envoyant des ondes de choc à travers l’espace environnant. - Photo : Date: 05 Jan 2011 - Satellite: XMM-Newton - Depicts: M31 - Andromeda Galaxy - Copyright: ESA/XMM-Newton/EPIC/W. Pietsch, MPE. -

En se concentrant sur le noyau de la galaxie depuis 2002, ce télescope a mis en évidence les phénomènes les plus énergétiques, comme les étoiles variables dont quelques unes ont terminé en grandes explosions que l’on nomme les "novae". Les longueurs d’onde UV sont également envoyées par les étoiles extrêmement massives. Ce sont de jeunes étoiles qui ne vivront pas longtemps. Elles épuisent leur "carburant nucléaire" et explosent en supernovae en quelques dizaines de millions d’années après leur naissance. - Photo : M31 (Galaxie d'Andromède) données aux rayons X de NASA's Chandra X-ray Observatory en jaune, données infrarouges du Spitzer Space Telescope en rouge. Crédit: X-ray: NASA/CXC/MPA/ M.Gilfanov & A.Bogdan; Infrared: NASA/JPL-Caltech/ SSC. -

La lumière ultraviolette est d’ordinaire absorbée par la poussière interstellaire et ré-émise dans l’infrarouge, celle qu’on voit directement correspond donc à des parties d’Andromède relativement claires et dépourvues de poussière. Ainsi, en rassemblant toutes ces observations dans les différentes longueurs d’onde, les astronomes peuvent suivre le cycle de vie des étoiles de cette galaxie.

La spectroscopie

Etant donné les dimensions énormes de notre univers, la principale source d’information des astronomes est donc la lumière, ou plus exactement le rayonnement électromagnétique qui émane du ciel. Je rappelle qu’en 1666, Isaac Newton, en faisant passer les rayons solaires à travers un prisme, a obtenu ce qu'il appelait un spectre, c’est à dire la décomposition de la lumière blanche en plusieurs couleurs grâce au phénomène de la réfraction. - Image : Spectre de Newton. -

En 1814, Joseph von Fraunhofer a observé, décrit et dessiné le spectre du Soleil, puis en 1823 celui des planètes et des étoiles les plus brillantes. John Herschel et W. Fox Talbot ont suggéré d'utiliser la spectroscopie pour l'analyse chimique des substances. - Schéma : Spectre du Soleil par Fraunhofer. -

Dès la fin du XIXe siècle, les chimistes (Bunsen, Kirchhoff) savent que la lumière émise par un élément "excité" (chauffé) se décompose en un spectre dont les raies sont caractéristiques, comparables à une "empreinte digitale" qui permet de le reconnaître. C’est ce que l’on appelle le spectre d’émission. Le spectre d’absorption est obtenu lorsqu’une lumière traverse un gaz : il présente des raies noires qui sont comme le négatif de l’empreinte digitale de ce gaz. - Schéma ci-dessous : Spectre continu, spectre d'émission, spectre d'aborption. -

Télescopes optiques, radio, infrarouge

Parallèlement à ces recherches, les télescopes se sont perfectionnés. En 1922, le plus puissant se trouve à l’observatoire du Mont Wilson, aux Etats-Unis, où l’Américain Edwin Powell Hubble pointe le télescope Hooker sur ces objets diffus que l’on regroupait sous l’appellation de nébuleuses. Il voit ainsi qu’il y en a deux catégories, les unes réfléchissant la lumière, les autres en émettant, et il découvre en 1923-1924 que certaines sont formées en réalité de multitudes d’étoiles. Il fournit ainsi pour la première fois la confirmation de l’existence des galaxies. - Photo : Edwin Powell Hubble. -

En 1931, Karl Jansky, qui travaillait pour les Bell Telephone Laboratories aux Etats-Unis, construisit une antenne pour déceler les interférences radios. Il constata que les grésillements étaient causés par des tempêtes lointaines, mais que les sifflements provenaient de l'espace. Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de la technique des radars suscite un essor rapide de la radioastronomie. Elle offre une meilleure connaissance du fonctionnement du Soleil, de la structure des galaxies, et elle permet surtout des découvertes inattendues, comme l’existence des quasars, des pulsars, du rayonnement diffus cosmologique, ainsi que la richesse insoupçonnée du milieu interstellaire en molécules dont seules quelques-unes sont connues en 1970. - Photo : Le télescope Hooker de 2,50 mètres de l'observatoire du Mont Wilson où E. Hubble fit ses principales découvertes. Crédits : observatoire du Mont Wilson. -

C’est la raison pour laquelle la France, l’Allemagne et l’Espagne s’unissent en 1979 au sein de l’IRAM, l’Institut de Radio-Astronomie Millimétrique, pour construire et exploiter deux observatoires, un interféromètre composé de six antennes sur le plateau de Bure, dans les Alpes, et un télescope de 30 mètres de diamètre sur le pic Veleta près de Grenade. Les astronomes analysent les émissions en provenance des gaz moléculaires et des poussières aussi bien dans notre galaxie la Voie lactée que dans les profondeurs les plus lointaines de l’univers. Ainsi plus d'une centaine de molécules sont décelées, qui contiennent très souvent du carbone, et sont parfois relativement complexes avec plus d'une dizaine d'atomes. - Photo : Nuage interstellaire (dans la nébuleuse IC1396), d'apparence bien développée dans le proche infrarouge, hébergeant de nombreuses étoiles en formation. L'aspect filamentaire provient des effets d'érosion du vent stellaire d'une étoile massive (hors champ, sur la gauche du cliché). Crédit : NASA/Spitzer. -

Toutefois, le domaine de la radioastronomie est limité, au niveau du sol, par la transparence de l'atmosphère aux ondes radio, et elle couvre les longueurs d'onde allant du millimètre (radioastronomie millimétrique) à environ 15 m. Sa limitation vers les courtes longueurs d'onde provient de l'absorption du rayonnement électromagnétique par les molécules d'oxygène et de vapeur d'eau de l'atmosphère ; sa limitation vers les grandes longueurs d'onde est due à l'ionosphère, qui réfléchit vers l'espace les rayonnements radioélectriques d'origine céleste dont la longueur d'onde est supérieure à 15 m.

L’astronomie dans l’infrarouge, quant à elle, a commencé dès les années 1830, après la découverte de ce rayonnement par William Herschel en 1800, mais elle n’éveille véritablement l’intérêt des astronomes que vers 1960. Il s’agit d’un éventail de longueurs d’ondes compris entre 0,75 et 300 micromètres, qui se trouve entre la lumière visible (300 à 750 nanomètres) et les ondes submillimétriques. Ce rayonnement traverse aisément le milieu interstellaire, mais il est en revanche absorbé en grande partie par notre atmosphère, ce qui réduit les possibilités d’observations depuis la Terre. Les observations dans le domaine de l'infrarouge proche (entre 700 et 2500 nm) peuvent être conduites sur Terre, à l'aide d'un télescope optique muni d'un détecteur sensible à l'infrarouge type CCD. La détection d'ondes de longueur supérieure à 2500 nm est quant à elle fort compliquée : elle nécessite non seulement une atmosphère sèche - c'est en effet la vapeur d'eau présente dans l'atmosphère terrestre qui est responsable de l'absorption des photons infrarouges -, mais il faut également refroidir tout objet en contact avec le télescope et le détecteur lui-même. - Photo : Nuage interstellaire (dans la nébuleuse IC1396), en lumière visible et non infrarouge. On y distingue les résidus du nuage interstellaire ayant conduit à une genèse stellaire. En effet, en lumière visible, les régions les plus denses du nuage apparaissent totalement obscures, ou réfléchissant le rayonnement intense des étoiles jeunes nouvellement formées.
Crédit : NASA/Spitzer. Crédit : NASA/Spitzer. -

Comme nous l’avons vu pour la galaxie d’Andromède, l'aspect du ciel en infrarouge est très différent de celui que révèle la lumière visible. Les étoiles se forment dans de grands nuages denses où le gaz est intimement mêlé à des grains de poussières. Ces nuages sont complètement opaques à la lumière visible : sur des cartes du ciel ordinaires, ils apparaissent sous l'aspect de grandes taches sombres. En infrarouge, au contraire, ce sont des régions très brillantes. Le rayonnement des étoiles en formation est absorbé par les poussières, qui, ainsi chauffées, émettent dans l'infrarouge. On peut aussi observer directement les étoiles en formation grâce à leur rayonnement infrarouge propre et mesurer le taux de formation d'étoiles d'une galaxie en fonction de sa luminosité dans l'infrarouge. Ainsi les objets avec des températures de quelques centaines de Kelvin émettent le maximum de leur énergie thermique dans l'infrarouge. - Photo : Le satellite ISO. © Esa. -

L'observation dans l'infrarouge lointain (au-delà de 40 000 nm) nécessite de placer le télescope en orbite autour de la Terre. L'un des plus connus est IRAS (Infrared Astronomical Satellite), dont le lancement remonte à 1983. Il réalisa la première carte infrarouge du ciel, répertoriant plus de 200 000 sources. Le satellite ISO, Infrared Space Observatory, de l'Agence Spatiale Européenne, a été mis sur orbite le 7 novembre 1995 et il a fonctionné jusqu’au 8 avril 1998, date à laquelle son hélium de refroidissement a été complètement consommé. Nous pouvons voir sur la diapo (ci-dessous) quelques unes de ses 30 000 observations projetées ici en coordonnées galactiques : en noir, le système solaire (10% de son temps), rouge, la physique stellaire (29%), vert, le milieu interstellaire (23%), bleu, extragalactique (27%) et magenta, cosmologique (11%). Il a aussi scanné la lumière zodiacale, les nuages de Magellan et la région d’Orion. Le télescope spatial Spitzer, lancé par la Nasa en 2003, a épuisé sa réserve d’hélium en mai 2009, mais il a été reconfiguré pour continuer ses observations. Le télescope Herschel de l’ESA a pris le relais cette même année, de même que le Wide-field Infrared Survey Explorer (WISE) de la Nasa, et le James Webb doit être lancé en 2014. - Photo : Le bouillement de gaz et de poussière (en bleu-violet) du plan de notre galaxie spirale (la bande horizontale) masque les galaxies d'arrière-plan (certaines sont indiquées) et le rayonnement fossile (en rouge-orangé).[Crédits: ESA/ LFI & HFI Consortia] - Photo ci-dessous : ISO - 30 000 observations, couvrant tous les champs de l'astronomie, des comètes à la cosmologie. -

Le milieu interstellaire

Progressivement, avec le perfectionnement des instruments et l’observation en diverses longueurs d’onde, l’attention se porte sur le milieu interstellaire. Bien qu'extrêmement ténu, il occupe un espace si vaste qu'il représente une masse de 10 à 15% de celle de l'ensemble des étoiles de notre Galaxie, c'est à dire de l'ordre de 10 à 15 milliards de fois la masse de notre Soleil. Les grains de poussière représentent 1% de la masse totale du milieu interstellaire, le reste de la matière étant constitué de gaz. Les astronomes comprennent chaque jour davantage son importance, puisqu’il constitue le réservoir pour la formation des étoiles et de leur système planétaire. Mieux encore, il est le siège de réactions étonnantes, parmi lesquelles on découvre la synthèse de composés organiques qui ont peut-être joué un rôle non négligeable dans l’émergence de la vie sur Terre. En effet, pour complexe qu’elle soit, la cellule, qui est la structure de base de toute vie, n’est construite qu’à partir de 27 briques élémentaires – 20 acides aminés, 2 sucres et 5 molécules appelées bases nucléotidiques –, auxquelles s’ajoutent quelques phospholipides pour la membrane. L’association de ces éléments permet de fabriquer les substances biologiques bien connues que sont les protéines, les glucides, l’ADN… L’astrochimie n’a donc plus pour unique objet la compréhension des réactions nucléaires qui se produisent à l’intérieur des étoiles, mais également celui d’élucider ce qui se passe à des températures extrêmement basses entre les étoiles. - Illustration : ADN. - Schéma : Cellule. - Molécule : C2H4. -

Comment progresser dans la compréhension des informations ainsi collectées ? Les scientifiques n’analysent plus seulement la composition des étoiles, mais aussi, à partir de 1965, celle des molécules qui se forment dans les espaces intersidéraux glacés, grâce à un va et vient entre les observations d'une part et des simulations en laboratoire d'autre part. En quarante ans, plus de 140 molécules sont identifiées, dont une grande partie est "organique", c'est à dire basée sur le carbone. C'est troublant, car ces molécules sont très fragiles. Elles évoluent dans des nappes gazeuses où l'on ne dénombre que 100 à 100 000 molécules par centimètre cube (10 puissance 19 dans l'air), à une température oscillant entre 10 et 100 K (-160°C) et où l’énergie thermique ambiante est incapable de créer seule la moindre réaction chimique. - Molécule : C2H6. -

En 1990, Ian Smith et Bertrand Rowe de l’Université de Rennes (CNRS) découvrent en laboratoire que la présence d’un radical (formé de poussières carbonées comme la suie, de silicates, de glace ou de benzènes) joue le rôle d’un catalyseur. Des molécules neutres se constituent et ce, d’autant plus rapidement que la température est basse, entre 10 et 40 K. Ils trouvent dans leurs ballons des molécules organiques telles que l'ammoniac NH3, le cyanogène C2N2, l'éthylène C2H4, l'éthane C2H6, bref des complexes prébiotiques neutres. En effet, les poussières carbonées sont tellement froides qu’elles présentent une disparité dans la distribution de leur charge électrique. Lors d’une collision avec deux molécules, le froid leur donne le temps de trouver la bonne configuration spatiale leur permettant de réaliser une réaction chimique. C’est un milieu très particulier où résident aussi des molécules qui, sur Terre, sont instables, tel le radical éthynyle (HCC) que l'on observe à la fréquence de 8,82 GHz (3,4 mm), abondant dans la Galaxie, qui peut interagir avec un grand nombre d'autres molécules organiques (acétylène C2H2, nitrile propiolique HC°CCN, etc.). On trouve même des molécules organiques ayant jusqu'à 13 atomes telle H(C°C)5CN. - Photo : Une particule de black carbon observée au microscope électronique. Crédit : Nasa Goddard Institute for Space Studies, D. M. Smith, University of Denver. - Molécule : H2O, NH3. -

Ces découvertes remettent à l’ordre du jour l’hypothèse de la panspermie de Hermann Richter (1865). Reprise par Fred Hoyle dans les années 1950, cette thèse scientifique propose que la Terre aurait été fécondée par des sources extraterrestres, des corps rocheux comme les comètes, porteuses de vie. Ces "bio-molécules" font l'objet d'une recherche intensive, dans l'espoir de déceler des acides aminés, "briques" élémentaires constituant les protéines et par conséquent éléments-clés pour l'apparition de la vie, qui ont été découverts dans des météorites sur Terre, mais n'ont pas pu être identifiés dans l'espace interstellaire jusqu'à ce jour. Le problème dans la recherche de molécules complexes, c'est que les meilleures sources astronomiques contiennent tant de molécules différentes que leurs spectres-"empreintes digitales" se recouvrent et sont difficiles à reconnaître. Les molécules plus grosses sont même encore plus difficiles à identifier car leurs "empreintes digitales" sont à peine visibles: leur rayonnement est réparti sur beaucoup plus de raies qui sont de ce fait beaucoup moins intenses. - Formule : Glycine, l'acide aminé le plus simple. -

Il y a 4 milliards d'années, lors du grand bombardement primordial (LHB), le nuage interplanétaire du système solaire était 10 000 fois plus dense, et essentiellement constitué de petits corps glacés (i.e. noyaux cométaires) chassés de la région Uranus-Neptune. La réduction drastique de la quantité de poussières cométaires depuis le LHB fournit des arguments en faveur de l'hypothèse de l'apport de composés carbonés aux planètes telluriques. La chaleur intense provoquée par le frottement des gaz atmosphériques a fait fondre la surface des météorites, leur faisant perdre 30 à 60% de leur masse initiale, les légers agrégats irréguliers ayant bien plus de chance d’arriver au sol que des sphères compactes. - Photo : La face cachée de la Lune montre les cratères d'impact des météorites. -

Une confirmation de cette hypothèse a été apportée en mai 2010 par l'équipe de Jean Duprat et Cécile Engrand du CSNSM. Des micro-météorites collectées en Antarctique ont révélé un état de préservation remarquable. Parmi celles-ci ont été trouvées des micrométéorites ultra carbonées (particules de taille inférieure à 1 millimètre contenant de 50 à 80 % de matière carbonée). Ces particules d'environ 0,1 millimètre sont sans équivalent dans les collections de matière extraterrestre disponibles en laboratoire à ce jour. Les analyses par microscopie électronique en transmission ont montré que ces micrométéorites sont constituées d'une matière organique très peu altérée contenant de petits assemblages de minéraux. L'analyse par microsonde ionique a révélé que la composition isotopique de l'hydrogène présente des rapports deutérium/hydrogène (D/H) exceptionnellement élevés (environ 10 fois supérieurs à la valeur des océans terrestres). L'ensemble de ces résultats indique que ces particules proviennent très probablement des corps les plus lointains du système solaire, les comètes. - Photo : Collecte de micrométéorites à Concordia - Duprat/Engrand ©CSNSM-IN2P3-CNRS - Photo : Micrométéorite floconneuse à grains fins collectée en Antarctique près de la Station Concordia en Janvier 2006. Photos courtesy Duprat/Engrand CSNSM-CNRS. -

L’équipe de Louis Le Sergeant d’Hendecourt a reconstitué en laboratoire une micro-comète à l’Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud). Dans des conditions extrêmes semblables à celles de l’espace (-200°C et sous vide), les chercheurs ont condensé, sur un morceau solide de fluorure de magnésium (MgF2), des composés existant dans le milieu interstellaire, des molécules d’eau (H2O), d’ammoniac (NH3) et de méthanol (CH3OH), en irradiant le tout avec un rayonnement ultraviolet. Au bout de dix jours, ils ont obtenu quelques précieux microgrammes (10 puissance -6 grammes) de matière organique artificielle. Après analyse, les chimistes ont pu identifier vingt-six acides aminés dans la comète artificielle, alors que les précédentes expériences internationales n’avaient produit que trois acides aminés. Plus important, ils ont aussi découvert ce que personne n’avait observé avant eux : six acides diaminés (molécules formées de deux « groupes amines » (–NH2) et non d’un seul comme les acides aminés classiques qui constituent les protéines), dont – surtout – la N-(2-Aminoethyl)glycine. Ce dernier composé pourrait être un des constituants majeurs de l’ancêtre de l’ADN terrestre : la molécule d’acide peptidique nucléique (APN). Ces résultats indiquent que les premières structures moléculaires de la vie auraient pu se former dans le milieu interstellaire et cométaire, avant d’atterrir sur la Terre primitive lors de la chute de météorites et de comètes. Schéma : L'atome d'hydrogène est constitué d'un noyau contenant un proton (charge électrique positive), avec un électron (charge électrique négative) en orbite ; l'atome de deutérium en diffère par son noyau qui contient aussi un neutron. - Image : © Wiley-VCH GmbH & Co. Chromatogramme de la glace cométaire réalisé avec le « chromatographe multidimensionnel en phase gaz ». Chaque pic correspond à un acide-aminé. Plus le pic est haut, plus la quantité d'acide-aminé présente est importante. ChemPlusChem, 77 (2012). -

Une autre source de composés organiques pourrait provenir du nuage très diffus de poussières réparties dans un volume en forme de lentille centrée sur le Soleil et très allongée autour du plan de l'écliptique que l’on peut apercevoir en début ou en fin de nuit sous la forme d'une lumière zodiacale. Son spectre est identique à celui du Soleil, néanmoins, une partie de la lumière du Soleil est absorbée par les particules de poussière et ré-émise sous forme de radiation infrarouge. Le passage de comètes près du Soleil provoque une élévation de température qui entraîne la sublimation massive de leurs glaces et injecte dans l'espace interplanétaire un mélange de gaz et de grains cométaires. Photo ci-dessus : Lumière zodiacale. David Jewitt/IfA Hawaii. - Photo : La comète Hale-Bopp. Télescope de Schmidt OHP W.Thuillot et A. Rouhan(BDL). -

L’observation de la comète Hale-Bopp par les astronomes pendant son passage au périhélie en mars 1997 a permis diverses avancées scientifiques importantes. Ils ont d'abord constaté que, sous la pression des radiations solaires, des atomes de sodium étaient expulsés de la tête de la comète et formaient une troisième queue entre celle des poussières qui suivait sensiblement l'itinéraire de l'orbite de la comète, et celle des gaz pointant directement à l'opposé du Soleil. Deuxièmement, l'abondance de deutérium (isotope de l'hydrogène 2H ou D) sous forme d'eau lourde était le double de celle des océans terrestres. En supposant que cette abondance soit typique de toutes les comètes, ceci indiquerait que les impacts de comètes ne peuvent pas être l'unique source de l'eau sur Terre. Troisièmement, le deutérium a été aussi détecté dans de nombreux autres composés hydrogénés de la comète, selon un rapport à l'hydrogène léger variable d'un composé à l'autre. Ceci pourrait suggérer que les glaces de la comète ont été formées dans les nuages interstellaires, plutôt que dans la nébuleuse solaire, à des températures très basses de 25 à 45 K. - Photo : Comète Hale-Bopp (Nasa). -

Les observations spectroscopiques ont révélé la présence de nombreux composés organiques, dont certains n'avaient jamais été détectés sur des comètes précédemment : le monoxyde de soufre (SO), le dioxyde de soufre (SO2), l'acide formique (HCOOH), le formamide (NH2CHO) le cyanoacétylène (HC3N), le formiate de méthyle (HCOOCH3) et l'éthanal (CH3CHO). On y a même découvert de l'antigel (éthylène glycol, de formule chimique HOCH2CH2OH) ! Cette molécule organique complexe est aussi présente dans les nuages interstellaires du Centre galactique. Les observations ont également confirmé la présence d'acide isocyanique (HNCO) et sulfide carbonyl (OCS), déjà identifiés un an auparavant dans la comète Hyakutake. La mission spatiale Rosetta qui doit explorer la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko grâce à une sonde vers 2014-2015 devrait donner une composition encore plus précise. - Image : Satellite Rosetta.

Louis d’Hendecourt, de l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) explique aussi comment, dans l’espace interstellaire, les grains de poussière interagissent avec la lumière. Dans de grandes régions où se forment des étoiles, on observe que la lumière est polarisée circulairement dans un seul sens (gauche ou droite). Ceci permet de comprendre pourquoi notre Système Solaire n'ait vu qu'une seule hélicité. Sur Terre, les acides aminés présentent une chiralité "gauche" (lévogyre). Cette hypothèse a été contrôlée en laboratoire, en soumettant des échantillons comprenant des analogues de glaces interstellaires et cométaires à un rayonnement ultraviolet « polarisé circulairement » (UV-CPL) à l’aide des faisceaux disponibles au synchrotron Soleil, soit à droite, soit à gauche, ou bien non polarisé. Les échantillons ont présenté un excès significatif d’un acide aminé chiral, l’alanine, (supérieur à 1,3 %, comparable à celui mesuré dans les météorites primitives) : soit un excès droit, soit un excès gauche, et, logiquement pas d'excès sur le troisième. Ailleurs, dans d'autres systèmes, l'hélicité aurait pu être de l'autre signe et donner des excès droits et donc, à la fin, une homochiralité droite et non pas gauche. Le rayonnement UV polarisé des étoiles massives présentes dans un amas ouvert (dans lequel est probablement né le Soleil) aurait bien favorisé cette homochiralité des molécules prébiotiques. La nébuleuse d’Orion (vue ici par le télescope Spitzer) produit de la lumière polarisée circulairement à 17 % dans l’infrarouge. - Schémas : 1) Deux molécules sont dites chirales lorsqu'elles sont l'image l'une de l'autre dans un miroir. Tout comme les mains, elles ne peuvent être superposées. On voit les atomes de carbone, hydrogène, oxygène et azote habituels (C,H,O,N). Ce sont des acides a-aminés. © Société française d’exobiologie. 2) L-alanine et D-alanine (image fournie par NAOJ, National Astronomical Observatory of Japan). -

En conclusion de cette petite rétrospective, je pense que ce qui m’a le plus impressionnée, c’est que l’univers se préparait au vivant bien avant que la Terre ne soit formée. Nous ne sommes encore qu’au tout début de ces recherches, et il faut aux astronomes bien de l’imagination pour réussir à trouver des méthodes pour comprendre des phénomènes qui se passent si loin de nous. En apprenant à interpréter les informations transportées par la lumière, nous découvrons un monde étonnant, à la fois extrêmement inhospitalier, vide, froid, parcouru de rayons très énergétiques, et en même temps en gestation de toute vie. Nous ignorons encore jusqu’à quel stade de complexité se forment ces molécules. Les chercheurs sont en quête d’acides aminés, qu’ils trouvent déjà dans les météorites tombées sur Terre, et Fred Hoyle imaginait, quant à lui, qu’il y avait même de la vie dans l’espace. Alors, sommes-nous des descendants d’extraterrestres ? - Photo : Nébuleuse d'Orion, infrarouge, Spitzer. -

SOMMAIRE


SAPCB Astronomie Côte Basque

De la lumière à la matière

Exposé de Cathy du 4 mai 2012