Cathy
Festival d'Amérique latine de Biarritz
du 24 au 30 septembre 2012

Alors que c'est la 21ème édition de ce festival d'Amérique latine de Biarritz, c'est la première fois que je me décide à y faire un tour. Jusqu'à présent, l'appréhension d'une programmation de films trop violents pour ma sensibilité m'avait retenue d'y aller, car, s'agissant d'un festival, il n'y avait pas, me semble-t-il, de résumé annonçant le contenu des courts et longs métrages dont les sujets portaient sur une actualité sud-américaine malheureusement trop souvent calamiteuse. Cette année, c'est différent. D'une part, mon plus jeune fils Jonathan s'apprête à partir plusieurs mois pour explorer ce continent, et curieusement, c'est un peu de moi qui s'en va, je me prépare donc mentalement comme s'il s'agissait de mon propre voyage. D'autre part, le site Internet du festival donne une présentation des réalisateurs et des sujets qu'ils abordent, j'ai donc moins eu l'impression de plonger dans un trou noir... - Photo : Dans le "Village", musicien jouant de la callebasse comme d'un violoncelle. -

La programmation est très riche, et il est impossible de tout voir, plusieurs manifestations se déroulant en même temps en des lieux différents. Etant donné les difficultés à se garer à Biarritz, j'ai fait le trajet depuis Anglet à vélo et je me suis garée directement sur l'esplanade du Casino municipal où sont centralisés les stands de vente de produits plus ou moins typiques et ceux de restauration exotique sensés nous mettre dans l'ambiance, ainsi qu'une des trois salles de projection et le Salon des Ambassadeurs où se produisent les colloques. - Photo : Rencontres universitaires sur le Venezuela. -

J'ai donc commencé par assister le mardi matin aux Rencontres universitaires "Le Venezuela à la croisée des chemins. Bilan et perspectives après treize années de chavisme" animées par l'historien Olivier Compagnon (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, IHEAL - Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine) qui a effectué un bref retour sur l’accession de Chávez au pouvoir. En effet, les prochaines élections présidentielles, prévues pour le 7 octobre 2012, offrent l’occasion de dresser un bilan des treize dernières années durant lesquelles Hugo Chávez Frías a été à la tête du Venezuela et qui ont donné lieu à de multiples controverses. Icône de la démocratie participative ou tyran néopopuliste ? Promoteur d’un nouvel État redistributeur ou despote corrompu ? Incarnation d’un nouvel ordre mondial anti-impérialiste ou ultime soutien d’Ahmadinejad ou de Kadhafi ? Autant de questions souvent caricaturales qu’il convient de dépasser afin de comprendre la nature complexe de cette expérience politique et les défis qui s’offrent à la société vénézuélienne dans les années qui viennent.

Il a ensuite donné la parole à Olivier Dabène (Sciences Politiques Paris) qui a présenté l’état de la démocratie au Venezuela, puis à Julien Rebotier (CNRS), géographe, sur le thème " Treize ans d’économie bolivarienne ? La carpe, le lapin et, toujours, le pétrole", et enfin à Adeline Joffres (Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, IHEAL) qui a évoqué brièvement la "politique étrangère bolivarienne, prolongement d’une révolution ?". Avant de conclure, l'animateur a chaudement conseillé aux auditeurs de ne pas manquer le reportage de Marie Dault, "Porque somos soberanos" (Parce que nous sommes souverains), suivi d'une discussion avec la réalisatrice. - Photo : Rencontres (en espagnol) avec les cinéastes d'un film précédent. - Emission de radio Aligre Fin : Venezuela hoy du 10 juin 2012 Invitée Marie Dault. -

C'est ce que j'ai fait, et je n'ai pas été déçue. En réalité, elle m'a même enthousiasmée, cette petite jeune femme à la voix douce, mais aux idées fortement ancrées et bien ordonnées dans sa tête. Cinéaste de formation, elle s'était fait en France des amis vénézuéliens qui lui avaient donné l'envie d'aller voir sur place ce qu'il en était de cette "démocratie participative". Elle partit en 2007 pour un premier séjour de quelques semaines. Bien qu'elle les ait peut-être vus avant, ce n'est que dans les tout derniers jours qu'elle les remarqua véritablement et qu'elle décida de centrer son documentaire sur eux. Il s'agissait de "vendeurs informels" (vendeurs à la sauvette dans les rues de Caracas, la capitale) qui vendaient de petits livres exposant la Loi, des textes de l'Assemblée nationale, des articles du Journal officiel et la Constitution bolivarienne ! De retour en France, elle écrivit un projet de scénario, obtint une bourse et repartit deux ans plus tard, fin 2009, pour un voyage "de repérages" avec sa caméra. Finalement, elle ne put y revenir une troisième fois, faute de moyens sans doute, et monta le film à partir des prises de vue qu'elle avait réalisées elle-même. - Photo : Marie Dault. -

C'est vraiment du cinéma en prise directe avec la réalité et les gens. Nous nous trouvons d'emblée dans une rue de Caracas où, tachant de couvrir les bruits d'une circulation dense, ces vendeurs "informels" clament, comme sur un marché, le nom de leurs marchandises très spéciales. Exposés en une mosaïque de taches monochromes, rouge, bleu, vert, jaune, dans une valise ouverte à même le trottoir ou sur une petite table pliante, les livres contenant les textes de loi sont vendus par des "hors la loi", des vendeurs à la sauvette obligés de plier bagage en toute hâte lors des descentes de police. Le film les montre en train d'expliquer aux gens en les leur commentant les textes de loi issus de la Constitution ou des décrets d'application de textes législatifs. Pour nous Français, c'est un spectacle très étonnant et je suis sûre que toute la salle est aussi ébahie que moi. Peut-être cette ambiance a-t-elle prévalu durant les quelques années qui suivirent la Révolution française de 1789, lorsque le peuple voulut s'emparer du pouvoir démocratique qui leur était soudain alloué ? - Photo : Marie Dault à un étalage d'un vendeur "informel" de la loi. -

Interview de Marie Dault sur Ciudad CCS.Info en prévision de la projection de son film le 29 septembre à l'Ateneo Popular de Los Chaguaramos et le 30 au siège de Anticorrupción Interpelación Popular Organizada (AIPO) : “Me pareció interesante ver cómo la gente que está en una posición frágil, de vendedor informal, tiene un papel muy importante en la difusión de las leyes, puede explicar lo que hay en ellas. Habitualmente se cree que estas personas no tienen el conocimiento legal, que sólo venden las leyes en la calle, sin embargo tienen un conocimiento muy preciso y al mismo tiempo la generosidad de difundirlo”, indica Dault. ("Cela m'a paru intéressant de voir que ces gens qui sont dans une situation fragile, de vendeur "informel" - à la sauvette -, ont un rôle très important dans la diffusion des lois, et qu'ils peuvent expliquer ce qu'elles contiennent. Habituellement, on croit que ces personnes n'ont pas de connaissances juridiques, qu'elles ne font que vendre les lois dans la rue, alors qu'elles ont au contraire une connaissance très précise et en même temps la générosité de la répandre") - Photo : Vendeur "informel" de la loi. -

Petit à petit, nous découvrons le contenu de ces textes, la vie difficile de ces vendeurs de rue pourchassés par les "autorités", l'éventail étonnamment large de la clientèle, qui n'est pas uniquement composée de juristes et d'étudiants, mais comprend toutes les strates de la population, jeunes et vieux, hommes et femmes, tous métiers confondus. Elle nous montre enfin l'apprentissage difficile de la mise en oeuvre de cette "démocratie participative". En fait, chacun se sent concerné par les changements politiques en cours, réalise que ceux-ci sont effectivement en voie de réalisation, mais que des freins puissants subsistent, notamment dans l'administration et les puissances économiques, et qu'il est nécessaire que chacun s'empare de la loi pour la faire appliquer. A petites touches, sans jamais s'imposer, elle approfondit le sujet, filme cette "parole en marche", cette loi criée sur la voie publique pour que chacun s'en pénètre et se l'approprie, les dialogues et les débats qui s'instaurent autour des stands, mais aussi dans les conseils communaux voulus par le régime. Elle montre les contradictions entre ces vendeurs qui distribuent la loi, mais se trouvent en marge de celle-ci, le dynamisme de cette société en ébullition qui contraste avec la persistance d'un écart énorme de revenus entre ceux qui perçoivent la manne générée par le pétrole et les laissés pour compte qui demeurent en dessous du seuil de pauvreté, réduits à vivre d'expédients au jour le jour, en étant pourchassés par ceux qui appartiennent au "système", un comble ! Elle met en évidence enfin l'espoir immense qu'a éveillé Hugo Chavez, mais aussi la contestation qui naît de l'exaspération devant les lenteurs, les freins, les limites de cette évolution révolutionnaire mais non belliqueuse, et enfin la crainte justement d'un retour à la violence sous-jacente, à peine maîtrisée, et qui ne demande qu'à éclater de nouveau, aussi bien de la part des déçus du chavisme que des opposants. - Illustration : Extraite du site du Forum Unité Communiste. -

Un film très fort, très touchant, qu'elle est retournée montrer à ceux qui lui avaient permis de le réaliser à Caracas, à ces gens qui ne sont pas habitués à ce qu'on leur témoigne de la reconnaissance, et qui ont apprécié son regard de française qui a su si bien les comprendre et exprimer l'inexprimable. Etant donné la vie précaire de ces gens qui travaillent dans la rue, je crois qu'elle n'en a retrouvé qu'un ou deux de son second séjour, mais elle a quand même pu présenter son oeuvre dans les conseils communaux et auprès de bon nombre de ces militants "chavistes". Elle nous confie qu'elle était partie au Venezuela avec des idées préconçues, et que le tournage de ce film l'a fait évoluer, qu'il lui a permis d'avoir une opinion plus nuancée sur cette réalité vénézuélienne dont elle a su faire ressortir la complexité. Rien n'est tout blanc ou tout noir : le pétrole a donné les moyens au pouvoir de redistribuer les richesses, mais à l'inverse, la démocratie "participative", exercée "par le bas", peut mener à bien des excès, elle nous le montre en prenant l'exemple de l'occupation des sols laissés à l'abandon qui mène à une urbanisation sauvage sans aucun plan directeur. Surtout, elle peut conduire au souhait de se passer d'intermédiaires, de mettre à bas tout l'appareil bureaucratique, mais aussi toutes les instances représentatives (de la mairie jusqu'à l'assemblée nationale) qui constituent les rouages habituels d'une démocratie et peut-être, mais ce n'est pas exprimé dans le film, ce n'est que suggéré, jusqu'à la tentation de l'anarchisme ou le retour à la dictature. - Photo : Conseil communal-CFG. Article de CC avn : "La participation populaire garantira l'exécution de la loi des coûts et des prix justes". -

Pour mémoire, je reprends ici les notes que j'ai prises durant les Rencontres universitaires et avec la réalisatrice.

Hugo Chavez a été élu président du Vénézuéla en décembre 1998 et il a dirigé le pays jusqu'à aujourd'hui. En préambule, Olivier Compagnon évoque le film "Le Salaire de la peur" qui fut réalisé en 1953 par Henri-Georges Clouzot en adaptation du roman du même nom de Georges Arnaud. (L'action se situe au Guatemala en 1951. Après diverses péripéties, un groupe d'Européens a échoué à Las Piedras, une bourgade où règnent la misère et le chômage. Un jour, un puits de pétrole est ravagé par un gigantesque incendie. La compagnie pétrolière américaine SOC décide alors d'embaucher quatre hommes afin de convoyer 400 kilos de nitroglycérine, répartis en deux camions, jusqu'au puits de pétrole, sur des routes presque impraticables où le moindre cahot peut être fatal…) De même, depuis la découverte de pétrole en 1917 à Maracaibo, le Venezuela est devenu un eldorado pétrolier où les dictateurs successifs et une minorité de gens s'accaparent des bénéfices.

En 1958, un nouveau régime s'instaure au Venezuela qui fait figure d'"îlot démocratique exemplaire" par comparaison avec les dictatures qui sévissent dans les autres pays d'Amérique latine. C'est la 4ème république, un pays devenu riche, dont les ventes de pétrole en 1980 représentent 95% des revenus d’exportation. Mais avec les crises pétrolières, les vénézuéliens sont durement frappés. En 1983, la monnaie est dévaluée. Le FMI impose la rigueur. Le 27 février 1989 éclate le Caracazo, trois journées d’émeutes contre la faim et la hausse du prix de l’essence qui font entre 300 et 3000 victimes. Les années qui suivent sont marquées par des grèves, des manifestations de protestation contre le scandale de la corruption des élites et des coups d’état. Le 21 mai 1993, Carlos Andrés Perez, accusé de corruption, doit laisser sa place. 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

L'élection de Hugo Chavez en décembre 1998 est un symptôme de cette crise. C'est un outsider de la politique, il a une réputation sulfureuse (il a fait une tentative de coup d'Etat en février 1992). L'actuelle campagne que mène l'opposition en 2012 continue d'affirmer son rejet des méthodes de cette 4ème république corrompue. Hugo Chavez a réellement créé la rupture par rapport aux pratiques précédentes. C'est une vraie démocratie, avec une véritable politique sociale de redistribution, mais il y a toujours un risque de militarisation du pouvoir qui est un héritage lourd (et n'est pas spécifique au chavisme). Les milices de quartier sont dénoncées par la presse internationale alors qu'il s'agit de la poursuite de pratiques anciennes. Il faut se souvenir de la place historique de l'armée qui combattit la Couronne d'Espagne de 1810 à 1823 et obtint l'indépendance du Vénézuéla. La première démocratie, née avec un coup d'Etat civil et militaire en 1945, ne dura que 3 ans, et fut suivie de 10 ans de dictature.

Il faut se départir d'une vision européo-centrée pour laquelle un régime militaire est forcément mauvais. Les variations de la conjoncture pétrolière ont influé sur l'Etat vénézuélien depuis 1920. Olivier Compagnon distingue un quadruple enjeu. 1) La question de la démocratie : le chavisme est-il une démocratie participative plutôt que représentative ? 2) Sur le plan économique et social, quelles conséquences pour la population a eu la conjoncture pétrolière exceptionnelle entre 2006 et 2008, avec le prix du baril supérieur à 140 $ ? 3) En terme de politique extérieure, Chavez est-il un ami de l'Iran ? 4) Quelle sera la succession après les élections du 7 octobre 2012, sachant que Chavez a été atteint d'un cancer, dont il se déclare guéri ?

Olivier Dabène replace le Vénézuéla dans son contexte latino-américain. Qu'en est-il des démocraties ? Depuis 30 ans, l'Amérique latine vit une époque exceptionnelle où tous ses Etats, à l'exception de Cuba, sont des démocraties. C'est bien un progrès, mais selon les critères européens, il s'agit de "Démocraties dégradées", expression tirée de son livre "Amérique latine, la démocratie dégradée" publié en 1997. Elles ont des imperfections, la preuve, c'est qu'il y a eu un coup d'Etat "légal" au Paraguay cet été, où les députés ont voté le 21 juin à la quasi unanimité (76 pour, 1 contre) un procès en destitution contre le président Fernando Lugo. Un procès express en 24 heures avec des reproches farfelus ! Il en a été de même en 2009 au Honduras. Dans les grands pays comme le Brésil, le Mexique, certaines régions sont dominées par des partis politiques mafieux qui créent des enclaves autoritaires.

Depuis 1990, il y a un retour à la réélection, ce qui pose problème car ces présidents tentent de se maintenir en place par tous les moyens (comme Fujimori au Pérou). C'est un continent gouverné "à gauche" (sauf le Mexique et la Colombie, mais leur capitale respective est également à gauche). L'impact est ambigu : la gauche a insisté sur l'aspect "participatif" pour lutter contre les élites qui sont des minorités puissantes et corrompues. Dans le "budget participatif" des villes, ce sont les citoyens qui choisissent les investissements publics. Certains dispositifs sont institutionnalisés, car ils ont commencé sous l'ère coloniale, en Bolivie, Equateur, Venezuela, Nicaragua : c'est la gauche "révolutionnaire" qui reconstruit l'Etat-Nation, mais avec la volonté d'une continuité dans la durée, ce qui pose un problème lors des élections (c'est particulièrement flagrant en Bolivie), puisque celles-ci risquent de permettre à la droite de reprendre le pouvoir. La contestation est impossible, il y a donc des atteintes à la liberté d'expression, la presse est très conservatrice, le gouvernement travaille contre les médias qui sont pour les puissances économiques. Par exemple, le 18 décembre 2005, la Bolivie porte à la présidence un métis indien, Evo Morales, dirigeant d'un syndicat de producteurs de feuilles de coca. De ce fait, celui-ci estime représenter tous les mouvements sociaux et ne voit pas l'utilité d'effectuer de consultation sociale.

Le Venezuela a été démocratique pendant 40 ans avec l'alternance au pouvoir de deux familles politiques qui ont conclu des pactes et se sont partagé le pouvoir (contrairement aux dictatures qui prévalaient ailleurs). Mais il y a 40% de pauvres dans un pays très riche, et l'exclusion des autres forces politiques, ce qui impose une force armée. Hugo Chavez a la volonté d'approfondir la démocratie en faisant participer la population. Il veut écarter l'oligarchie des familles de la bourgeoisie. Il est très créatif. Il fait voter une nouvelle constitution qui offre la possibilité au peuple de prendre des initiatives. C'est un pouvoir électoral (les élections sont garanties) et citoyen (nouvelle géométrie du pouvoir qui devient "populaire"), jusqu'aux "conseils communaux" (initiatives locales et micro-locales au niveau des quartiers). Les citoyens discutent des problèmes qui les intéressent, la voirie, la santé... C'est ce qu'on appelle "les missions", financées par la manne pétrolière. De ce fait, les mentalités, les comportements, les pratiques, les politiques ont changé. Les gens vont aux réunions, aiment participer, apprécient cette organisation : c'est un progrès indéniable. - Photo : Mission de lutte contre la pauvreté. Ci-dessous : Missions sociales éducatives. -

Par contre, il y a des défauts de démocratie représentative. Aujourd'hui, c'est la première vraie campagne depuis 14 ans, avec une vraie opposition qui joue le jeu de la démocratie. - Jusqu'à présent, elle avait recouru à des moyens illégaux, grève sur le pétrole, coup d'Etat... Ce n'était pas de vrais démocrates -. La campagne a été très virulente, mais la compétition était déséquilibrée : tous les médias sont contrôlés par le gouvernement. Hugo Chavez a gagné toutes les élections jusqu'à présent (une ou plusieurs chaque année). A chaque fois, il s'est mis personnellement en jeu "ou moi, ou la muerte - la mort -". C'est un pouvoir très personnalisé où l'ensemble du gouvernement mène campagne. Mais l'opposition maintenant a aussi des moyens pour financer sa campagne. Le système électoral du Venezuela est excellent, il n'y a pas de possibilité de fraude (au contraire du Mexique). Chaque votant reçoit un reçu ("comprobante") qui est collecté ailleurs, ce qui permet un double décompte. En outre, les bulletins sont envoyés hors du bureau de vote pour être comptés en présence de l'opposition lors du dépouillement. Au Brésil, c'est le vote électronique qui est pratiqué sous le contrôle d'observateurs internationaux. Hugo Chavez, quant à lui, n'a accepté qu'un "accompagnement" de la communauté internationale pour garantir les élections. En 2007, Hugo Chavez a perdu un référendum, et il a dû passer par la voie du décret pour modifier la constitution et permettre sa réélection indéfinie (comme dans beaucoup de pays dans le monde). Il a fait preuve de "grandeur" dans sa défaite. Mais la victoire risque d'être serrée (pour l'un ou l'autre camp), ce qui risque de soulever la contestation de la part des militants empreints de haine pour le camp opposé.

Julien Rebotier rappelle que le Venezuela a été un pays agro-exportateur jusqu'en 1926 avant de devenir exportateur de ce pétrole qui fournit aujourd'hui 95% de l'entrée des devises et 50% des ressources budgétaires. En 1960, l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) est constituée à l'initiative du Venezuela et de l'Iran. Le premier gouvernement du président Carlos Andres Perez (1974-1979) profite des gains exceptionnels du premier choc pétrolier pour donner un coup de fouet au programme d'industrialisation. Le secteur privé est subventionné pour réduire les importations, l'industrie pétrolière nationalisée, les industries du fer, de l'acier, de l'aluminium, du charbon sont développées pour diversifier les exportations. Il procède à la réorientation de l'Etat, démantèle le ministère des travaux publics qu'il recompose en réajustant son rôle. Il effectue des privatisations. En matière de logement, l'Etat devient facilitateur, mais il n'est plus constructeur. C'est une réorientation libérale, mais sans disparition de l'Etat qui contrôle la rente pétrolière et le secteur bancaire, et dispose de cette manne. C'est pourtant à cette époque, entre 1976 et 1978, que la capitale comporte le maximum de bidonvilles. Au 2ème choc pétrolier, le pays devient très riche (les femmes de ménage vont faire leurs courses à Miami !). En 1983, quand le bolivar commence à être dévalué, il est à 4 bolivars pour 1 dollar et passe à plusieurs milliers de bolivars aujourd'hui pour 1 dollar. En accord avec le FMI, l'Etat procède à la dérégulation et aux privatisations, le prix de l'essence augmente, et la population se rebelle ("caracazo"). - Photo : Industrie du fer. -

Le gouvernement chaviste agit en réaction à ces événements, renationalise, réanime l'OPEP dans les années 2000. Mais il oeuvre aussi dans la continuité, alliant souveraineté et marché libre. C'est l'Etat "magique" (qui peut tout se permettre et tout offrir avec l'argent du pétrole). Avant l'arrivée au pouvoir de Hugo Chavez, il y avait un taux très élevé "d'invisibilité démocratique", beaucoup de gens sans papiers. Toutefois, la moitié de Caracas n'apparaît toujours pas dans les plans de la ville, Chavez n'a pas encore réussi à résorber l'extrême pauvreté et la redistribution des ressources est encore insuffisante. La CEPAL est l'organisme qui fournit les statistiques pour l'Amérique latine. On peut lire par exemple pour le Venezuela que 19,7% de femmes ont un premier enfant entre 15 et 19 ans, mais que le taux de fécondité est passé en 20 ans de 3,7 à 2,6 enfants par femme (de 1990 à 2010), ou encore que 35,7% de la population urbaine de plus de 15 ans est sans revenu propre. Lorsque Chavez est arrivé au pouvoir en fin 1998, il y avait des circonstances compliquées. Il était partisan d'une troisième voie. Le prix du baril était très bas et il se produisait une fuite des liquidités qui affaiblissait l'économie nationale et le jeune gouvernement. - Photo : En 2010, 1/5e des mères étaient des adolescentes de moins de 18 ans. -

Un coup d'Etat avorte en 2002. Lors de la crise de 2003, il y a une inflexion dans les choix du gouvernement. Les "missions" sont créées, suite à la grande grève, pour permettre la redistribution de la rente. Le Venezuela reste une économie mineure face au Mexique et au Brésil, mais, ramenée à la population, elle est tout de même conséquente. Après 2003, le PIB (Produit intérieur brut) a doublé grâce à la reprise du pétrole, le salaire réel a baissé, provoquant la dégradation du pouvoir d'achat, mais la pauvreté a reculé grâce à une redistribution très large dans les secteurs de l'éducation, de la santé, de l'alimentation. Le deuxième paradoxe, c'est qu'il s'agit d'un capitalisme d'Etat avec une réthorique très socialisante, ce qui est peu commun. A Caracas, tout l'argent du pétrole vient gonfler l'inflation. C'est l'essence la moins chère du monde (2 centimes d'euro le litre). Le Venezuela est actuellement le 11ème producteur de pétrole et le premier en termes de réserves devant l'Arabie saoudite. - Photo : Le Venezuela décidé à défendre ses réserves. -

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