Christine, Jeannot, Rose, Pierre, Cathy, Jean-Louis
Istanbul
Samedi 23 au 30 juin 2012

Le pont de Galata relie l'ancienne Constantinople au quartier Galata (Karaköy). Dans les années 1502-1503 est envisagée pour la première fois l'idée de construire un pont à cet endroit. Le sultan Bayezid II sollicite un projet de la part de Léonard de Vinci, qui propose une solution utilisant trois principes bien connus de géométrie, l'arc cintré, la courbe parabolique et la clé de voûte, pour créer un pont à tablier unique au-dessus de la Corne d'Or, de 240 mètres de long et 24 mètres de large, qui deviendrait le plus long pont du monde. Toutefois, ce projet ambitieux ne reçoit pas l'approbation du sultan, et il ne pourra être réalisé qu'au XIXe siècle par l'architecte turc Bülent Güngör, qui réalise exactement ce qu'avait conçu Léonard de Vinci plus de quatre siècles auparavant. Une grande tour s'élève au sommet de la colline. En temps de guerre, les Ottomans y fixaient l'extrémité d'une longue chaîne épaisse qui était tendue jusqu'à l'autre rive pour bloquer l'accès de la Corne d'Or. Démolie durant la quatrième croisade de 1204, nous voyons celle qui fut reconstruite au même endroit par les Génois et qu'ils dénommèrent la Tour du Christ. Une fois franchi le pont, nous empruntons le "Tunnel", le deuxième plus vieux métro (funiculaire) après celui de Londres, conçu par Eugène-Henri Gavand et construit par une compagnie anglaise avec l'aval du sultan ottoman Abdulaziz Han de 1869 à 1875. La machine à vapeur qui l'actionnait sera remplacée par une locomotive électrique par une société française après la seconde guerre mondiale. - Illustration : Projet du pont de Léonard de Vinci. - Photo : Derviches tourneurs. -

L'ancienne citadelle génoise est devenue un quartier commerçant moderne, mais il s'y trouve encore le monastère (tekke-musée) Mevlevi, fondé en 1491, où Christine, Jeannot et moi avons la chance de pouvoir assister à une cérémonie soufie de derviches tourneurs. Cette "voie" Mevlevi a été initiée par un mystique persan soufi, Jalâl ud Dîn Rûmî (surnommé Mevlana), dans la ville de Konya en Turquie où subsiste son mausolée. Lors de la révolution de 1925, l’ordre a été déclaré hors-la-loi en Turquie et le Mevlevi Hane de Konya a été converti en musée par Kemal Atatürk. En 1950, le gouvernement turc le légalise de nouveau et permet aux derviches tourneurs de faire une représentation annuelle le 19 décembre, date anniversaire de la mort de Jalâl ud Dîn Rûmî. La loi s'assouplit progressivement et plusieurs cérémonies ont lieu désormais chaque année. Le tekke-musée Mevlevi d'Istanbul vient d'être restauré après quatre ans d'importants travaux. Le samâ' (l'écoute en arabe) d'inauguration a eu lieu le 11 décembre 2011 dans le cadre de sa réouverture. Un article en ligne relate que c'est au sheik Hüseyin Erek qu'est revenu l'honneur de le diriger, accompagné de 14 "semazen", dans ce superbe cadre où les derviches ont évolué durant 520 ans. Parmi les nombreux invités à cette cérémonie se trouvait notamment Faruk Çelebi, 20ème arrière-petit fils de Mevlâna. - Photo : Tekke-musée Mevlevi. -

Pendant que le public s'installe sur le pourtour, nous admirons cet espace octogonal magnifique, qui est en réalité une petite mosquée avec mihrab et minbar, mais agencée très différemment des autres, puisqu'il n'y a pas de coupole et que la décoration intérieure est en bois, au lieu de faïences. Bien que le soufisme se veuille rigoureusement musulman, l’Islam traditionnel, aussi bien sunnite que chiite, le considère avec la plus grande méfiance, ce qui explique le fait que les spectateurs soient exclusivement européens ou turcs. Cela me rappelle la réflexion d'une Marocaine qui m'a dit d'un ton acerbe et définitif que les Turcs n'étaient pas de "vrais" musulmans, une assertion que je n'ai pas comprise sur le moment, étant donné la quantité de mosquées qui fleurissent à Istanbul et les clameurs des muezzins qui dominent les bruits de la cité. Installés sur la mezzanine, les musiciens ont débuté la cérémonie par un concert instrumental accompagné d’une litanie chantée très prenante. Puis les derviches ont pénétré lentement dans la pièce au parquet verni et entamé une longue danse glissée rituelle. Les adeptes (semazen) étaient vêtus de robes blanches (symbole du linceul) enveloppées dans un ample manteau noir (couleur de la sépulture) et tous arboraient un haut chapeau conique (image de leur pierre tombale), celui du maître de cérémonie (sheik) étant bicolore vert-brun. Ils tournoyaient périodiquement en célébrant leur union mystique avec Dieu. Malgré notre situation extérieure de spectateurs au-delà de la rambarde de bois, nous étions tous saisis par l'ambiance qui émanait de ce rite venu du fond des âges. - Photo : Tekke-musée Mevlevi. -

Le philosophe Michel Malherbe, dans son livre "Les religions de l'humanité", relève que le soufisme a profondément inspiré certaines des oeuvres arabo-persanes les plus remarquables comme les Contes des Mille et Une Nuits ou le poème d’amour de Leyla et Majnoun. C’est cependant par sa spiritualité qu'il est le plus original. Selon cette conception, l’approche de Dieu s’effectue par degrés. Il faut d’abord respecter la loi du Coran, mais ce n’est qu’un préalable qui ne permet pas de comprendre la nature du monde. Les rites sont inefficaces si l’on ignore leur sens caché. Seule une initiation permet de pénétrer derrière l’apparence des choses. L’homme, par exemple, est un microcosme, c’est-à-dire un monde en réduction, où l’on trouve l’image de l’univers, le macrocosme. Il est donc naturel qu’en approfondissant la connaissance de l’homme, on arrive à une perception du monde qui est déjà une approche de Dieu. - Photo : Derviches tourneurs. -

Selon les soufis, toute existence procède de Dieu et Dieu seul est réel. Le monde créé n’est que le reflet du divin, "l’univers est l’Ombre de l’Absolu". - Le Mythe de la Caverne du philosophe grec Platon exprimait une pensée similaire -. Percevoir Dieu derrière l’écran des choses implique la pureté de l’âme. Seul un effort de renoncement au monde permet de s’élancer vers Dieu : "l’homme est un miroir qui, une fois poli, réfléchit Dieu". Le Dieu que découvrent les soufis est un Dieu d’amour et on accède à Lui par l’Amour : "qui connaît Dieu, L’aime ; qui connaît le monde y renonce". "Si tu veux être libre, sois captif de l’Amour". Ce sont des accents que ne désavoueraient pas les mystiques chrétiens. A son origine, le soufisme a été influencé par la pensée pythagoricienne et par la religion zoroastrienne de la Perse ; l’initiation soufie, qui permet une re-naissance spirituelle, n’est pas sans rappeler le baptême chrétien et l’on pourrait même trouver quelques réminiscences bouddhistes dans la formule soufie "l’homme est non-existant devant Dieu".

La recherche de Dieu par le symbolisme, chez Djalal ed din Roumi, dit Mevlana, le fondateur des derviches tourneurs, passe par la musique ou la danse qui transcende la pensée ; chez d’autres soufis, le symbolisme est un exercice intellectuel où l’on spécule, comme le font les Juifs de la Kabbale, sur la valeur chiffrée des lettres ; parfois aussi, c’est par la répétition indéfinie de l’invocation des noms de Dieu que le soufi recherche son union avec Lui. Michel Malherbe en conclut que le soufisme apporte ainsi à l’Islam une dimension poétique et mystique qu’on chercherait en vain chez les exégètes pointilleux du texte coranique. La "voie" Mevlevi situe les arts traditionnels comme des moyens au travers desquels les disciples progresseront afin de "raffiner" leur goût et leur personne. Elle sera bien établie dans l’Empire ottoman de 1299 à 1920, une longue période durant laquelle l’ordre produit plusieurs poètes et musiciens renommés, comme Sheikh Ghalib, qui est considéré comme le deuxième Pir ou Sheyh de référence après Roumi, Ismail Ankaravi ou Abdullah Sari. La musique instrumentale et les chants jouent un rôle important dans le samâ'. Des compositeurs comme Dede Efendi (1778-1846) composent des ayin (musique cérémoniale) qui sont encore jouées de nos jours lors des cérémonies. - Photo : Derviches tourneurs. -

Nous visitons la très grande citerne construite par l'empereur Constantin au IVe siècle et agrandie par Justinien dans le sous-sol d'un grand bâtiment à portiques, la Basilikè, après l'incendie de celui-ci lors de la sédition Nika en 532. Elle était alimentée tout l'hiver par le surplus des eaux amenées par les aqueducs d’Hadrien et de Valens dans l'ancienne Constantinople, de façon à constituer des réserves suffisantes pour l'été. D'une capacité estimée à 78 000 m3, son espace intérieur est subdivisé par 12 rangées de 28 colonnes de marbre, soit un total de 336 colonnes monolithiques de 8 m de hauteur récupérées dans des temples païens et qui supportent des arcs et des voûtes de briques. Nous avons la surprise de voir de grands poissons (des muges ou des carpes ?) évoluer dans l'eau sombre où se perdent les faisceaux des projecteurs qui éclairent difficilement cet énorme volume souterrain. Au fond de la citerne, deux têtes de Gorgones à la chevelure de serpents servent de soubassement de colonne. Placées à l'envers en signe de mépris pour les cultes païens, elles proviennent du temple de Didymes, cité antique d'Asie Mineure qui était renommée pour son sanctuaire oraculaire d'Apollon aussi prisé que Delphes (aujourd'hui Didim en Anatolie, Turquie). Soit dit en passant, les destructions de ce que nous considérons maintenant comme des oeuvres d'art du passé, car elles ont perdu leur sens religieux et politique, ne sont pas l'apanage du seul empire ottoman. C'est une constante des civilisations d'essayer de faire table rase du passé pour mieux ériger leur pouvoir, et les chrétiens ne s'en sont pas privés. - Photos : Citerne Basilique - Gorgones. -

Cette attitude se distingue de l'iconoclasme, ou Querelle des Images qui se manifesta aux VIIIe et IXe siècles dans l’Empire romain d'Orient par des destructions massives d’iconostases et la persécution de leurs adorateurs, les iconophiles ou iconodules. Il s'agissait d'un mouvement hostile au culte des icônes, à l'adoration des images saintes. La question théologique de la représentation du divin traverse les trois monothéismes. Dans le judaïsme comme dans le christianisme qui en découle, l’interdiction de représenter une figure divine vient formellement du second commandement de Dieu inscrit dans la Bible  :

« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punit l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent, et qui fait miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui m’aiment et qui gardent mes commandements. » — Exode 20:4-6

« Petits enfants, gardez-vous des idoles. » — 1 Jean 5:21. - Photo : Eglise Saint-Sauveur-in-Chora (Kariye Camii Müzesi en turc) -

Pourtant, assez vite le christianisme produit des images qu'il n'appelle pas idoles mais icônes, qui font l'objet d'une théologie pour apporter des explications à ce paradoxe. En 730, l’empereur Léon III l’Isaurien interdit les icônes du Christ, de la Vierge Marie et des saints. Il ordonne leur destruction contre laquelle s'élève nombre de chrétiens, vivant ou non dans l’Empire romain d’Orient, et dont l'un des chefs de file sera Jean Damascène. La position de l’empereur est renforcée par ses succès militaires : siège de Constantinople en 717-718, fin du versement du tribut aux Arabes. - Ce second siège oppose le Califat omeyyade (le plus grand Etat musulman de l'histoire, allant de l'Indus à la péninsule ibérique, avec pour capitale Damas) à l'Empire byzantin et la Bulgarie. Malgré leur nombre et l'arrivée de renforts, les Omeyyades ne peuvent ni forcer la chaîne qui barre le port ni détruire la muraille de Théodose. La flotte byzantine inflige de gros dégâts à la flotte omeyyade, notamment grâce au feu grégeois. Cette bataille arrêtera l'expansion musulmane vers l'Europe de l'Est pendant près de 700 ans -. Son fils Constantin V a également des succès militaires, ce qui renforce sa position contre les iconodules. Il fait réunir le concile de Hiéreia en 754 dans le palais éponyme en Chalcédoine pour faire condamner la vénération et la production des images. - Illustrations : Description du feu grégeois, manuscrit de Jean Skylitzès. - Califat omeyyade en 750. - Photo ci-dessous : Mosaïque de Sainte Sophie. -

Le second concile de Nicée en 787 autorise à nouveau le culte des images, tout en interdisant sévèrement leur commerce. Ce revirement est dû à un changement doctrinal fondé sur l'analyse suivante. Si le Christ s’est incarné, il est possible de représenter physiquement le Fils de Dieu et de peindre les saints. Dans l'Évangile, lors du dernier repas du Jeudi Saint, l'apôtre Philippe interroge Jésus  : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit », et Jésus répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m'a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père ? » Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! » (Jn 14, 8-10). De ce fait, il est possible de représenter Dieu en la personne de son Fils incarné en Jésus-Christ. Les icônes de Marie, mère de Dieu en son Fils Jésus-Christ, sont aussi très populaires, de même que celles qui sont des supports de vénération des saints considérés, par leur vie, leur exemple et leur pouvoir d'intercession, comme des reflets de la gloire du Christ. Les iconodules se distinguent ainsi des idolâtres : ils vénèrent non pas des divinités matérielles et sans vie propre (les idoles) mais des icônes, représentations de vraies personnes ayant vécu dans l'intimité de Dieu. - Photos : Mosaïques de Sainte Sophie. -

Il est possible que cet iconoclasme de Léon III ait été influencé par la proximité du monde musulman. Ce dernier était sujet depuis la fin du VIIe et au début du VIIIe siècle à une Querelle des images théologiques, autant dans le milieu chiite que sunnite. Elle culmine en juillet 721, peu avant le début de l’iconoclasme byzantin, avec la promulgation par le calife Yazid II d'un décret contre les images, applicable aux chrétiens qui vivent sous son autorité. Mais l’inspiration des iconoclasmes byzantins et arabes est fort différente. Les musulmans proscrivent toute représentation, y compris de la vie animale. Leurs théologiens condamnent, outre le risque d'idolâtrie et de distraction, le luxe que symbolisent les images et les objets d'art. À l’inverse, les Byzantins remplacent les scènes de l’Incarnation par des arbres, des oiseaux et d'autres animaux. La critique juive des images chrétiennes a pu également jouer au départ, mais il ne semble pas qu’elle puisse constituer une explication de l’iconoclasme. C’est donc surtout au sein de l’Empire, dans le christianisme orthodoxe, que se trouvent les origines de l’iconoclasme byzantin. Léon V provoque un second iconoclasme dès son arrivée sur le trône en 813, plus rigoureux que le premier. Sa politique est poursuivie par Michel II et Théophile. La veuve de ce dernier, Théodora, régente de son fils mineur Michel III, proclamera la restauration de la vénération des icônes en 843. Les empereurs tentent d’imposer un symbole unique à l’adoration, le chrisme, qui leur est personnel, la religion du Dieu unique, le Christ, se substituant à l’adoration des saints. On peut ainsi interpréter l’iconoclasme comme une tentative de réunir derrière la bannière de l’empereur l’ensemble des chrétiens d’Orient, afin de faire face à une grave crise extérieure. Lorsque la menace extérieure cesse, l’iconoclasme cesse également. - Photo : Mosaïque de Sainte Sophie. - Schéma : Chrisme. -

Avisé des divergences de vue entre l'empereur romain d'Orient et le Pape, Charlemagne commande à Théodulfe, futur évêque d'Orléans, un traité sur les images, le "libri carolini", qui consacre la position médiane de l’Église franque, entre l’iconoclasme byzantin et l’iconophilie papale. Théodulfe y affirme le rôle pédagogique des images qui sont investies d’une triple fonction : instruire les illettrés, fixer la mémoire de l’histoire sainte et susciter un sentiment de componction chez les fidèles. Cependant, elles ne sauraient être adorées. Ces théories seront officiellement adoptées en 794 lors du synode de Francfort et communiquées au pape par le théologien Angilbert.- Photo : Mosaïque de Sainte Sophie. -

L'absence de représentation orientera sensiblement l'art, la culture et l'architecture arabo-musulmane, ce qui peut expliquer le goût pour l'ornement des lettres (la calligraphie), un style architectural plus épuré qu'en Occident, une plus grande sensibilité artistique pour l'harmonie des formes géométriques. Elle impliquera également que la population (au moins masculine) soit capable de lire, selon les prescriptions même du prophète Mahomet qui incite les fidèles, non seulement à apprendre le Coran, mais également à acquérir le savoir, d'où qu'il provienne (de Chine, s'il le faut), et dans les domaines aussi bien religieux que scientifique ou littéraire. Plus qu’un lieu de culte, la mosquée deviendra donc dans les temps de rayonnement de la civilisation musulmane un haut lieu d’éducation pour les fidèles de tous âges et de divers horizons.

Lors de la transformation du palais de Topkapı en musée, une découverte est faite en 1929 : une carte dessinée sur une peau de gazelle détaille principalement la côte Ouest-africaine ainsi que la côte Est de l'Amérique du Sud. Elle a probablement été dessinée en 1513 par Piri Reis, un amiral renommé de la flotte turque, et intrigue encore aujourd'hui les chercheurs, car elle représente des parties du monde supposées inconnues à son époque ! Piri Ibn Haji Mehmed dit Piri Reis était un grand amiral ("reis" en turc) de la flotte ottomane. Neveu du célèbre pirate Kemal Reis dit Camali, il est surtout connu pour son œuvre de cartographe. Lettré, il se passionnait pour les cartes et les collectionnait. En 1513 et en 1528, il dessina deux cartes du monde, reprenant les cartes et les données de sa collection dont certaines remonteraient à l'antiquité. Il écrivit également un ouvrage, Kitab-i Bahriye ou Livre de Navigation dans lequel on trouve en plus 200 cartes représentant principalement l'Atlantique. Il semble que son oncle ait fait prisonnier un marin, ancien pilote de Christophe Colomb, qui avait conservé un certain nombre de cartes des expéditions de l'explorateur génois. - Photo : Carte de Piri Reis. -

Ce retour sur le glorieux passé de la Turquie met en relief l'indigence de notre culture "europeo-centriste", attitude bien commune, mais regrettable, qui laisse croire que le monde actuel, tout particulièrement dans ses attributs scientifiques et techniques dont nous sommes si fiers, est uniquement le fruit de l'esprit européen. L'accent est rarement mis sur les apports et les échanges de toutes natures entre les peuples, et la modestie est la vertu la moins bien partagée dans les livres d'histoire (ou sur les écrans de télévision).

Qu'est-ce qui fonde notre manière de penser ? Comment se fait-il que des différences apparaissent entre les peuples ? Représentons-nous le monde dans lequel évoluaient les Hébreux et les Arabes. Ils étaient des nomades et s'orientaient avec les astres pour se déplacer dans un paysage minéral. Ne pouvant posséder plus que ce qu'ils pouvaient transporter, ils s'abritaient de la fraîcheur nocturne sous une tente et s'allongeaient sur des tapis pour se protéger des serpents et des scorpions. De même, les peuplades d'Asie centrale vivaient dans un paysage de steppe immense et dormaient dans des yourtes de feutre sur un matelas de tapis. Par contre, le christianisme s'est développé dans des zones fertiles au climat tempéré, où les peuples sédentaires se sont approprié les terres et ont accumulé les biens, sous un ciel bien souvent nuageux. Il n'est pas étonnant que des vies aussi différentes aient influé durablement sur les esprits. A l'heure où la civilisation occidentale efface ces contrastes, enferme les humains dans des villes où ils oublient les contingences naturelles et climatiques, l'uniformisation de la pensée s'installe dans le monde. L'image, que les élites politiques et religieuses de la Chrétienté ont choisie pour communiquer avec les fidèles et le peuple dès le Moyen Age, voit son pouvoir multiplié. Les populations, éblouies par les mirages qu'elle véhicule, perdent leur esprit critique et ignorent leur asservissement. Comment progresser désormais, si l'émulation entre les peuples disparaît ? - Photos : Mosaïque de Topkapi. - Ci-dessous : Graffitis à Istanbul. -

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