A
quelques minutes près, nous assistions à la naissance de ce petit pottok
! Après un dimanche marqué par un premier tour d'élections présidentielles
sans surprise, nous avions décidé de braver le temps très
instable pour nous oxygéner sur les hauteurs de Louhossoa. A notre
arrivée, une éclaircie
nous a permis d'admirer à l'horizon quelques cimes enneigées
vers le Sud-Est. Fuyant
les crêtes balayées
par des bourrasques
désordonnées qui faisaient chuter la température de plusieurs degrés,
nous avons coupé à travers landes et prairies en empruntant les
sentes tracées par les pottocks. Nous en apercevions de ci, de là,
disséminés par petits groupes sur les vallonnements qui entourent le
massif du Baïgoura.
Les
traces étaient bien marquées, les bêtes avaient leurs habitudes et
préféraient passer toujours par les
mêmes endroits,
empêchant ainsi les ajoncs et l'aubépine de trop envahir l'espace.
Il nous a fallu quand même nous pencher de temps à autre pour éviter
les ronces, et louvoyer en sentant les épines acérées des
branches raides d'ajoncs griffer et traverser
l'épaisseur
des vêtements. Le chemin nous menait vers l'aval. De plus en plus
humide, il conservait dans la boue mêlée de crottin les traces de
glissades et les empreintes de sabots jusqu'au ruisseau qui cascadait
par dessus
de vieux troncs moussus tombés en travers du lit étroit.
Nous l'avons suivi un moment avant de trouver sur l'autre rive une
voie praticable
pour sortir des taillis, qui soit en pente douce.
Quittant
la chaleur relative, nous nous sommes retrouvés au milieu des
fougères
fanées dont les tiges rousses, sèches et cassantes, disparaissaient
progressivement sous un jaillissement de ronces à la vigueur
toute printanière, sur
un versant exposé au fort vent
glacial provenant des Pyrénées toutes proches. Le
sentier avait disparu. Un peu plus loin, une double ornière
indiquait le passage des tracteurs
venus faucher la fougère servant de litière
pour le bétail.
C'est en cherchant à contourner la montagne à mi-pente
pour éviter le vent
que nous nous sommes trouvés nez à nez avec la jument
qui venait de mettre
bas. Cachée derrière un repli de terrain, nous n'avions
pas pris garde à l'immobilité inhabituelle des bêtes.
D'ordinaire, elles conservent une distance de sécurité vis à vis
des promeneurs et marquent un recul
de méfiance à notre encontre. Il est excessivement
rare qu'elles se laissent approcher et caresser. C'est sans doute
ce qui m'a incitée
à mieux les regarder. Deux ou trois juments commençaient à regret à
faire retraite, tandis que celle qui venait de donner naissance à son
poulain faisait un pas tout en baissant la tête pour encourager
le petit à se lever. Celui-ci essayait déjà, mais
il en était encore manifestement
incapable. Le temps de réaliser la scène, je me suis
hâtée de dire
à Jean-Louis de faire demi-tour, pour ne pas effrayer les bêtes
et risquer de leur porter tort, sans le vouloir.
Nous
nous sommes vite éloignés, nous retournant de temps à autre
pour vérifier
si le petit groupe retrouvait
sa sérénité, puis nous les avons contournés
par le haut, attendant d'être à une distance convenable
pour faire de nouveau halte derrière
un buisson et les observer un moment. Levant les yeux, j'aperçus
un vautour qui planait, rapidement rejoint par quatre ou cinq de ses
congénères.
Rasant les collines, un couple de milans semblait aussi intéressé.
Peu après, ce furent les silhouettes noires plus petites des
corneilles qui firent leur apparition. L'événement ne
passait pas inaperçu. Le
petit continuait à essayer de se dresser sur ses pattes grêles
qui peinaient à le soutenir. Elles paraissaient de caoutchouc
et se pliaient sous le poids d'un corps qu'elles n'avaient encore jamais
porté. Réussissant
tout d'un coup à se soulever un peu, il bascula aussitôt
dans la pente, effectuant une cabriole involontaire sur le dos ! Sa
mère
arriva d'un pas lent, et les autres juments s'approchèrent également.
L'une d'elle le renifla, comme pour l'encourager. Il avait les pattes
tout emmêlées, faisant
le grand écart avec l'une de derrière, l'autre coincée
sous son abdomen. Cela me faisait penser à mes débuts à ski
et aux horribles conversions dont j'avais bien du mal à me dépêtrer
! Après avoir repris
un peu ses forces, il essayait de nouveau de se lever,
son instinct
lui soufflant qu'il s'exposait aux prédateurs et qu'il était
urgent d'apprendre à courir.
Nous
ne sommes pas restés suffisamment pour observer si les vautours
descendraient pour engloutir le placenta
dont il paraît qu'ils sont friands, avant qu'il ne soit totalement
expulsé des entrailles de la jument. Un peu plus haut, un pottok
nous barrait aussi le passage sur le sentier et nous avons vu un second
groupe derrière lui. Cette fois, nous n'avons pas fait intrusion
et avons obliqué avant de les inquiéter. Nous avons rejoint
un chemin
bien large. Devant Jean-Louis qui avançait d'un pas vif, une jument et
son
poulain ont escaladé le bas-côté pour l'éviter. J'ai
vu que la mère voulait
rejoindre le sentier, plus plat et plus facile pour son jeune encore
inexpérimenté. Malgré ma présence, elle
est redescendue, et nous sommes restées face à face,
son petit derrière elle, tandis qu'elle hésitait
à passer près de moi. Osant à peine bouger, je
me suis simplement pressée
contre le grillage sur ma gauche, pour lui faire entendre que je ne lui voulais
aucun mal.
Tout
d'un
coup,
elle
s'est
élancée
au
galop, le petit dans un trot désordonné suivant au même rythme,
pour ralentir au bout de quelques mètres à peine, une fois passé "le
danger" que
je représentais dans son esprit...
Un
pré d'un vert éclatant contrastait avec la lande alentour, presque
grise. Enclos d'une barrière munie
de cinq rangs de barbelés, il était traversé par une rigole qui s'élargissait
en un triangle de terrain effondré par l'érosion, où nulle herbe
ne réussissait à pousser. Juste en contrebas, la bergerie dont émanaient
des bêlements intermittents en occupait le centre. Nous avons dû
escalader
la montagne pour en faire le tour. Depuis le col, sur le versant
opposé, j'ai aperçu les bêtes qui se gardaient bien de sortir de l'abri,
malgré
les portails grand ouverts. Plus frileux que les pottoks, ils préféraient
s'entasser dans la semi-obscurité, ne se levant que pour venir arracher
quelques brindilles de paille dans la mangeoire protégée du piétinement
par des barres métalliques qui en condamnaient l'accès.
J'ai
entendu des cris et un adolescent en trottinette a dévalé la pente
en freinant. Derrière lui, d'autres descendaient avec plus de prudence.
In petto, je me suis dit que les pottoks avaient bien fait de se tenir
à l'écart. Ces agités n'auraient probablement même pas vu qu'il y avait
un nouveau-né, et ils seraient passés "dans le tas" sans vergogne.
Heureusement aussi qu'il n'y avait pas de chien. Leurs propriétaires
répugnent à les attacher dans ces espaces découverts, sans se rendre
compte des dégâts qu'ils risquent de causer en effrayant les troupeaux.
Je me souviens d'un éleveur, très âgé, qui arpentait la montagne en
grommelant, car des VTTistes (un père et ses deux fils) avaient effrayé
ses chevaux qui s'étaient éparpillés dans la nature. C'est difficile
de concilier les intérêts des divers usagers de la montagne.
Un peu plus loin, un troupeau de brebis paissait à l'extérieur. Lorsqu'elles m'ont aperçue, je ne sais pas ce qu'elles ont imaginé, mais elles se sont précipitées vers moi en bêlant sur tous les tons, du plus grave au plus aigu, escaladant un tas de décombres en se bousculant, au risque de se tordre une patte. Elles faisaient comme les poules que nous avions autrefois, qui couraient se presser derrière le grillage, nous empêchant même d'ouvrir le portail, tant elles avaient hâte de manger les grains de maïs que nous leur apportions. Les brebis avaient l'herbe à foison, et il me semblait qu'il y avait aussi une grange où s'abriter. Pourquoi réagissaient-elles comme cela ? Etait-ce la traite qu'elles attendaient avec une telle impatience ? Nous avons juste eu le temps de rejoindre la voiture avant que la pluie ne reprenne de plus belle.
Cathy & Jean-Louis | Louhossoa |
23 avril 2012 |