Lorsqu'Ana est venue par surprise, il venait juste de partir à la sieste, terrassé par la fatigue accumulée ces dernières semaines. Il l'a quand même reçue, sachant qu'elle venait de loin, puisqu'elle habite dans une vallée retirée au Nord de Santa Cruz de Tenerife. Agée d'une soixantaine d'années, elle a sympathisé avec lui je ne sais trop à quelle occasion, peut-être au cours de la révolution des "Indignadx". Elle lui apporte des fruits et des légumes de son jardin. Quand il lui fait faire la visite du sien, elle le conseille dans le choix des plantes et les modes de culture du potager. Par exemple, les pommes de terre, les "papas" comme ils disent à Tenerife, utilisant le terme en langue Quechua des Incas des Andes (la pomme de terre est originaire des rives du lac Titicaca qui furent colonisées, peu avant l'arrivée des Espagnols, par les Incas), les "papas" donc, faut-il les planter dans le creux des sillons ou sur la bosse ? Les asperges, chez nous, sont "buttées" pour maintenir la tige comestible blanche (elle verdit si elle est à la lumière). Par contre le cresson ou le riz poussent dans les rigoles inondables. Quand on n'y connaît rien, on a une chance sur deux de se tromper. - Photo : La cheminée construite par Cédric. -
Partout sur l'île à mi-hauteur, et tout particulièrement dans le Nord bien arrosé, on voit ces champs soigneusement peignés, aux raies parallèles, creusées à l'aide d'un tracteur, si le terrain est relativement plat et étendu, ou bien à la bêche. Cédric les a mises dans un trou creusé dans les buttes qu'il a érigées. Eh bien il a eu tort ! C'est dans les creux qu'il fallait les enfoncer, car cette culture se pratique sans irrigation, avec la simple humidité de l'air qui goutte toutes les nuits, quand elle n'est pas apportée par les nuages qui affectionnent cette altitude des mille mètres où ils stationnent souvent. Sur l'île, un des plats typiques comporte des "papas arrugadas", que je traduirais par pommes de terre plissées, ridées. Elles sont toutes petites, en "robe des champs", c'est à dire avec leur peau, et elles étaient cuites à l'origine dans l'eau de mer jusqu'à évaporation complète de l'eau. Elles sortent ainsi de la casserole avec une peau blanchâtre, salée, croquante et une chair tendre et jaune. En partant, Ana promet à Cédric de lui apporter prochainement des rideaux pour le salon, qu'elle a récupérés dans le cadre de son activité de brocante, afin d'améliorer l'isolation et le confort durant les froidures hivernales. - Photo : Le chat siamois. -
C'est vrai que la différence de température est énorme entre le jour et la nuit, peut-être 20°C. Un matin, nous trouverons de la gelée blanche sur un champ voisin situé à l'ombre d'une grande haie, et orienté au Nord. Dans la maison, il ne fait guère que quelques degrés de plus, à part dans la cuisine où brûle un feu de cheminée alimenté par le bois mort ramassé dans le jardin. Cette maison n'a jamais été véritablement conçue pour y vivre toute l'année. Il n'y a pas d'isolation, à part les doubles vitrages, et c'est de la tôle recouverte d'une sorte de toile épaisse qui fait office de toit autour des terrasses. C'est la raison pour laquelle Cédric s'est hâté de fabriquer en prévision de notre arrivée une cheminée à l'étage, où avait simplement été prévu le conduit à cet effet. Il a utilisé la terre argileuse qu'il avait collectée en début d'année sur un terrain du haut plateau où se trouve la cité universitaire de La Laguna. En testant le fonctionnement du foyer avec ses frères, il s'est aperçu qu'elle fumait. Il y a retravaillé plus tard, en réduisant l'ouverture. J'ignore si cela a été concluant. Pour le salon, il a dans l'idée de réaliser avec des cannes sèches qui poussent partout dans le fond des "barrancos" sur l'île, et même dans son jardin, une sorte de faux-plafond léger qui soutiendra des sacs emplis des copeaux d'agave retirés de l'intérieur des hampes florales pour fabriquer ses didgeridoos. Ces fibres végétales, bien tassées, devraient isoler un peu mieux du froid extérieur. - Photos : Jonathan contribue aux travaux d'amélioration sous la direction de son frère aîné. Victor revient de la pêche au harpon en apnée. -
Au cours de notre séjour, Féli, la jeune propriétaire, fera également irruption sans crier gare. Elle aussi apporte des légumes dans une grande cagette. Toutefois, bien qu'elle sourie continûment, elle ne cesse de faire des remarques déplaisantes à Cédric qui ronge son frein et ne lui répond qu'avec beaucoup de modération. Sa patience portera ses fruits. Quelques jours après notre départ, Victor et lui passeront toute une matinée à discuter avec elle et Cédric obtiendra pour finir un contrat signé de mise à disposition gratuite pendant encore deux ans et un fermage par la suite - Victor, lui, prend la décision de repartir dans quelques mois. Je pense que Cédric le regrettera. C'est un compagnon agréable, placide, plutôt taciturne (cela compense avec son vieux chien qui ne cesse d'aboyer près de sa niche sur le côté de la maison). - Photo : La pêche de Victor. -
Un jour, il est parti avec son harpon faire de la plongée sous-marine en apnée avec un pêcheur expérimenté et il a rapporté une douzaine ou une quinzaine de poissons, qu'il avait vidés sitôt pêchés, plus un poulpe. Ayant passé plus de cinq heures dans l'eau, il s'est écroulé au lit pour ne se relever qu'en milieu de soirée afin de manger un bout. C'est donc le lendemain que nous avons eu la chance de déguster sa pêche qu'il nous a préparée lui-même pour le dîner. Un autre jour, il est retourné sur la côte méridionale dans un coin qu'il connaissait (au pied de la Montaña Roja à El Médano) où se trouve une grotte sous-marine poissonneuse. Il nous y avait donné rendez-vous et il a prêté à Cédric une tenue pour qu'il s'y essaie. Ce n'était pas si facile. Il a tenté une seule fois de tirer, mais le poisson ne l'a pas attendu, et il est revenu bredouille. Victor a ramené encore trois ou quatre poissons. Avant de rentrer à la maison, il a fait un détour par une forêt et cueilli des champignons dont il a contrôlé à son retour sur un épais volume s'ils étaient bien comestibles, en rejetant un ou deux. Il en a fait une sauce délicieuse pour accompagner un pâté de poissons de sa composition en notre honneur. - Photos : Laitue aquatique (Jardin botanique de Puerto de la Cruz). Récupérateur d'eau de pluie. -
Le père de Féli a pensé à un aspect important pour bien gérer son exploitation agricole : c'est la gestion de la ressource en eau. Les toits de la maison en terrasses sont conçus pour recueillir l'eau dans des gouttières qui s'écoule dans des conduits intégrés aux murs jusqu'à une grande citerne située sous la maison (elle contribue probablement à la maintenir fraîche l'été, mais aussi sans doute l'hiver !). Elle est reliée à un réseau de canalisations pour abreuver les bêtes qui se trouvent dans la grande volière et la bergerie en contrebas et alimenter des réservoirs situés stratégiquement dans le jardin. En effet, les terrasses sont construites en pente légère qui permet à l'eau de pluie de s'écouler vers de vastes réceptacles dont les bords dépassent à peine du sol. Les murets empêchent l'eau de dévaler directement et la conduisent en zigzag d'une cuve à l'autre, irriguant au passage les cultures. Cédric en arrivant cet été n'avait découvert que de l'eau croupie et nauséabonde. Il a fait changer le filtre du réservoir principal, et commencé à purifier les bassins extérieurs en y faisant pousser de la laitue aquatique (Pistia Striatotes, Lechuga de agua), une Araceae originaire du Haut Nil qui semble très efficace puisque l'eau a retrouvé sa transparence dans le premier bac où il l'a testée. La présence de ces points d'eau adoucit l'atmosphère et l'humidifie, favorisant la pousse des plantes du verger et du potager bien protégés par la haie d'arbres devenus grands qui entoure la propriété. - Photos : Cédric et ses chevrettes. Capucines du jardin. -
L'important, pour s'en sortir financièrement, c'est de s'approcher de l'autarcie. Pour le moment, afin de démarrer son élevage, Cédric doit acheter un assortiment de céréales, mais il essaie de compléter le plus possible avec les produits du jardin. A la saison des châtaignes, il en a ramassé des dizaines de kilos qu'il a triées, jetant les fruits véreux aux animaux. Il s'est aperçu avec surprise que ce que préféraient ses chèvres, c'était les bogues entières qu'elles avalaient avec délectation ! Il s'est également mis au tri sélectif, réservant les épluchures et déchets végétaux aux animaux, les autres déchets organiques étant entassés sous une couverture pour le compost. Poules, chèvres et brebis affectionnent aussi les végétaux verts, mais pour éviter que ces animaux ne dégradent ses plantes cultivées, il préfère faucher lui-même de l'herbe, arracher des branchages de bruyère arborescente envahissante et ôter les ronces qui repoussent à la vitesse grand V pour les leur offrir une fois par jour. Quand il tarde un peu, les chèvres se mettent debout sur leurs pattes de derrière et s'étirent de tout leur long pour brouter les branches des rares arbrisseaux qui demeurent dans l'enclos, ainsi que les plantes grimpantes qui pendouillent du toit de la bergerie et des murs. - Photo : L'observatoire astronomique que Cédric a pu visiter, grâce à un astronome "Indignadx". -
Une autre raison de ne pas les laisser vaquer libres dans le jardin, c'est qu'il a subi de lourdes pertes. Un matin, il a trouvé un coq ensanglanté et une poule mourante. Comme il avait reçu cette volaille d'élevages différents, il pensa d'abord à un règlement de comptes. Mais comme le problème se répéta, il s'aperçut qu'en fait, son poulailler était une aubaine extraordinaire pour les rats. Il apprit que certains sont capables de se laisser tomber de sept mètres de hauteur pour faire bombance sur ce gibier captif ! Il entreprit donc de renforcer le grillage, combler les trous, et même le prolonger par-dessus en volière, car Tenerife héberge aussi quelques oiseaux de proie que j'ai vu planer au-dessus de la vallée lorsque je me promenais dans le bois en amont de la propriété. Mais cela n'a pas suffi ! Ils réussissaient encore à se faufiler par des trous entre les pierres du muret qui le sépare du jardin ! Cédric a donc pris le taureau par les cornes et fabriqué un piège diabolique. Prenant un gros bidon d'huile d'olive en feuille métallique, il l'a découpé pour y ménager une porte et il y a disposé une coupelle où étaient mélangés du plâtre en poudre et de la farine de gofio (une céréale locale) et une autre où il versa de l'eau. Il l'installa dans le poulailler et patienta. Quelques jours plus tard, il eut le plaisir intense de découvrir un rat mort, les intestins totalement bloqués par la mixture solidifiée : à la guerre comme à la guerre ! - Photo : Petit oiseau de la caldeira du Teide. -
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Cathy, Jean-Louis, Jonathan, rejoints par Sylvain depuis le Cap (Afrique du Sud), en séjour chez Cédric, Loreto et Victor à la Finca El Balayo | Tenerife |
19 au 29 décembre 2011 |