Nous ne formons qu'un avec l'univers. C'était une intuition évidente autrefois, et si nous en avons douté quelque temps, les preuves s'accumulent désormais grâce à notre science toute neuve. Gaïa, notre Terre, plus douée encore que l'Hydre de Lerne dont les têtes coupées repoussaient à l'identique, engendre sans cesse de nouvelles formes de vie en dépit des calamités qui l'accablent parfois. Les malheurs qui surgissent par surprise proviennent souvent des profondeurs de la planète, mais certains phénomènes qui reviennent avec une régularité troublante de métronome sont d'une autre nature : ils émanent du ciel. En effet, le sort de la Terre est intimement lié aux aléas du système planétaire au sein duquel elle gravite et à la quantité d'énergie que lui dispense le Soleil, son étoile. - Photo : Zumaia, depuis la casa rural Santa Klara. -

Jean-Louis et moi avons la chance de servir de "bouche-trou" lors d'une sortie organisée par l'association paloise Géolval. Nous avons pour guide Thierry Juteau, l'un des premiers découvreurs de la faune abyssale vivant à l'orifice des fumeurs noirs de la dorsale du Pacifique à la fin des années 70 et spécialiste des fonds marins. Il nous emmène à Zumaia, un village dont les falaises côtières ont eu l'honneur d'être élues en 2010 "Référence mondiale" par la Commission de Stratigraphie de l'IUGS (International Union of Geological Sciences) pour deux "limites" ou transitions particulières, devenues ainsi des "stratotypes" marqués d'un Clou d'or : la limite Danien (65,5-61,1 Ma - Millions d'années) / Sélandien (61,1-58,7 Ma) (D/S) et la limite Sélandien / Thanétien (58,7-55,8 Ma) (S/T). Le Danien est la période qui a suivi le cataclysme qui engendra (notamment) la disparition des dinosaures et la fin du Thanétien coïncide avec l'un des plus forts réchauffements planétaires, ce qui lui vaut toute l'attention des scientifiques qui aimeraient bien prévoir ce qui nous attend dans un avenir plus ou moins proche. La limite la plus ancienne (D/S) est localisée dans la transition de roches dures et de roches plus tendres, juste au-dessous de l’ermitage de San Telmo. Elle est liée à une grande baisse du niveau marin. La plus récente (S/T), située sur la plage d’Itzurun à Zumaia, est définie par l’inversion des pôles magnétiques, un phénomène très habituel dans l’histoire de notre planète. Ces deux marques du temps ne sont que deux repères parmi d'autres puisque les strates basculées pour former ces falaises ne couvrent pas moins de 50 millions d'années entre 50 et 100 Ma, recouvrant la totalité du Paléocène. - Photo : Thierry Juteau montre un des deux Clous d'or de la plage de Zumaia. -

Nous voyons sur la carte que tout le futur Pays basque (de Santander à l'Ouest à Dax à l'Est, et jusqu'à Pampelune au Sud) est alors occupé par un bassin semi-pélagique d'environ 1000 mètres de profondeur ouvert sur l'océan atlantique au Nord. Les contours de cette baie sont composés de récifs coralliens qui protègent une lagune peu profonde en arc de cercle, bordée de zones émergées "fluviales-lacustres" et, plus à l'intérieur des terres, de massifs montagneux. Il fait plutôt chaud et sur le fond marin de cette immense baie, trois sortes de sédiments se déposent pendant les millions d'années qui précèdent le soulèvement de la région qui accompagnera celui des Pyrénées. Tout d'abord, l'érosion continentale, dont l'intensité dépend des conditions climatiques et des précipitations, entraîne vers le large de fines particules qui descendent lentement saupoudrer le fond marin : à la fin du Thanétien à 55 Ma, la strate de plusieurs mètres d'épaisseur n'est composée que de roches rougeâtres, de l'argile sans plancton, en raison du très fort réchauffement climatique qui perturba l'existence du vivant. En second lieu, des soubresauts déstabilisent parfois les talus continentaux dont des pans entiers se détachent en avalanches sous-marines ponctuelles appelées turbidites : leur fréquence est liée à la plus ou moins grande pression exercée lors de l'affrontement des blocs européen et ibérique. Au Danien, par exemple, il n'y en a aucune, alors que l'Eocène, qui succède au Thanétien après le Paléocène, en subit de plus en plus au cours du temps. - Photo : Falaise à Zumaia -

Enfin, cette enclave marine abritée héberge une vie foisonnante, composée d'espèces de toutes tailles, mais surtout, du point de vue géologique, de plancton, cet ensemble d'organismes minuscules mais innombrables, qui contiennent en leur sein un test calcaire ou siliceux. Lorsque ces êtres meurent, une infime fraction échappe aux "consommateurs" et un pourcentage encore moindre de leur test (squelette) ne se dissout pas pendant la chute dans la colonne d'eau de 1000 mètres. Parvenus sur le fond, ces composés minéraux organiques s'accumulent durant des millions d'années et se transforment lentement en roches. - Schéma : Radiolaires (à test siliceux). -

Sachant cela, les géologues s'étonnent, en contemplant les affleurements de strates basculées à la verticale par l'orogenèse pyrénéenne pour former ces falaises vertigineuses, car ils présentent une magnifique alternance de roches dures et tendres, le Flysch. Mieux que cela, il est possible de déceler, sous la chapelle San Telmo, une succession rythmée de quatre couples dur/tendre suivis de deux grosses strates dures dont la couche tendre intercalaire est si fine qu'elle en devient presque imperceptible. Quelle baguette mystérieuse a mis de l'ordre dans cette combinaison de phénomènes qui aurait dû donner un ensemble rocheux à l'aspect bien plus confus ? - Photo : Thierry Juteau au pied des strates basculées à la verticale sur la plage d'Itzurun à Zumaia. -

L'idée qui est venue au Serbe Milutin Milankovic au début du XXe siècle, dix ans après ses études à Vienne, c'est qu'il existerait une corrélation entre les mouvements astronomiques et les variations climatiques terrestres. Il mit en évidence l'existence de cycles (notamment glaciaires) pour les derniers millions d'années (Se reporter au site en lien pour consulter les schémas). Publiés durant la période troublée de la seconde guerre mondiale, ses travaux ne rencontreront l'assentiment de la communauté scientifique que trente ans plus tard, dans les années 70, à l'examen des sédiments marins extraits dans les fonds océaniques profonds. En effet, un indicateur couramment utilisé pour l'estimation du volume global des glaces continentales est le rapport isotopique entre l'oxygène 18 et l'oxygène 16 contenu dans les squelettes carbonatés des foraminifères benthiques : la variation de celui-ci viendra confirmer cette théorie des cycles de Milankovic. Ensuite, l'amélioration de la détermination des mouvements à long terme de la Terre et de la résolution des enregistrements climatiques permettra d'affiner continûment ce lien. Ainsi, depuis 2005, l'Échelle de Temps Géologique des 25 derniers millions d'années (le Néogène) est officiellement basée sur ces calculs affinés des variations à long terme de l'orbite et de la rotation terrestre. - Photo : Falaise près du Clou d'or de la limite S/T. -

De quoi s'agit-il ? Si la Terre était le seul satellite du Soleil, son orbite (c'est à dire la trajectoire de sa course annuelle autour du Soleil) resterait stable. Mais la présence de la Lune et des autres planètes engendre des perturbations de trois ordres qui, sur le Néogène, se combinent selon des rythmes désormais bien connus. - Photo : Annie, la présidente de Géolval, pèse l'importance des variations du niveau marin sur la physionomie des strates. -

La première variation de l'orbite terrestre est celle de son excentricité, c'est à dire le degré d'aplatissement de l'ellipse parcourue par la Terre en un an autour du Soleil, par rapport à un cercle. Cette excentricité est actuellement très faible, de l'ordre de 0,017 et les perturbations engendrées par la présence des autres planètes du système solaire entraînent des variations lentes de celle-ci entre 0 (cercle) et 0,06 (ellipse légèrement aplatie), selon une périodicité d'environ 100 000 et 400 000 ans. Comme l'a démontré le mathématicien, astronome et physicien français Pierre-Simon de Laplace en 1772, le grand axe de l'ellipse ne change pas, c'est l'ellipse qui se déplace, de fortes excentricités engendrant conjointement une diminution de la distance la plus faible entre la Terre et le Soleil (périhélie) et une augmentation de la distance maximale entre les deux astres (aphélie). - Graphique : Cycles de Milankovitch. -

La deuxième variation de l'orbite terrestre concerne son obliquité. À cause des perturbations planétaires, l'inclinaison du plan orbital de la Terre évolue et oscille, ce qui fait varier l'angle entre l'axe de rotation de la Terre et la perpendiculaire à son plan orbital moyen (ou plan de l'écliptique). En outre, la Terre n'étant pas sphérique mais légèrement aplatie sur les pôles, les forces gravitationnelles exercées par le Soleil et la Lune tendent à faire tourner et précesser l'axe de rotation de la Terre (comme une toupie !) autour de cette perpendiculaire à l'écliptique. Le cône décrit alors par l'axe de rotation fait un tour en environ 26 000 ans. La combinaison de ces deux effets engendre, au premier ordre, une oscillation de l'obliquité terrestre qui reste actuellement très limitée, environ 1,3° autour d'une valeur moyenne proche de 23,5°. La période principale de ces oscillations est d'environ 41 000 ans. - Photo : Fossiles et traces de terriers d'organismes marins dans les roches. -

L'obliquité est à l'origine du phénomène des saisons car elle module la quantité d'ensoleillement reçue aux différentes latitudes au cours de l'année. Si l'obliquité était nulle (si l'axe de rotation de la Terre sur elle-même était perpendiculaire au plan orbital), il n'y aurait plus de saisons à la surface de la Terre. Le climat des hautes latitudes est très sensible aux variations d'obliquité, à l'inverse des régions équatoriales. L'insolation annuelle moyenne en un point de latitude donnée ne dépend quasiment que de l'obliquité. Pour une obliquité donnée, l'insolation diminue avec la latitude (il fait plus froid aux pôles !) mais, pour un point de latitude donné, l'écart d'insolation entre l'été et l'hiver augmente lorsque l'obliquité s'accroît. - Photo : La Lune à son premier quartier cet après-midi à Zumaia. -

L'effet de "précession'' (toupie) de l'axe de rotation de la Terre entraîne un décalage régulier de la position des solstices et des équinoxes. - Au solstice d'été, les rayons solaires sont perpendiculaires à la Terre au niveau du Tropique du Cancer, dans l'hémisphère Nord, au solstice d'hiver, ils sont perpendiculaires au tropique du Capricorne, dans l'hémisphère Sud, aux équinoxes de printemps et d'automne, les rayons solaires sont perpendiculaires à l'Equateur terrestre -. Si on y ajoute le fait que l'orbite elliptique terrestre "tourne" aussi progressivement autour du Soleil, la position de la Terre sur l'ellipse à un moment précis de l'année, à l'équinoxe de printemps par exemple, évolue dans le temps. Ce phénomène s'effectue avec des périodes proches de 19 000 et 23 000 ans. Plus concrètement, actuellement le solstice d'été a lieu à proximité de l'aphélie (le point de l'ellipse le plus éloigné du Soleil), ce qui permet de tempérer les étés dans l'hémisphère Nord, et de créer, à l'inverse, des hivers moins rigoureux, puisque, six mois plus tard, la Terre se trouve au périhélie, au plus proche du Soleil. L'hémisphère Sud est dans la situation opposée. Il y a environ 11 500 ans, la situation était inversée, plaçant le solstice d'été au périhélie de l'orbite et engendrant ainsi des étés très chauds et des hivers très froids dans l’hémisphère Nord. Toutefois, en terme d'insolation, il faut tenir compte aussi des variations de l'excentricité qui modulent la distance Terre-Soleil. - Photo : Alternance de roches dures et tendres. -

SOMMAIRE
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Géolval - Sortie géologique guidée par Thierry Juteau : Flysch & Pillow lavas - Mag & J-J, Cathy & J-L parmi 35 participants
Zumaia
Samedi 31 mars et Dimanche 1er avril 2012