Nous trouvons Santa Cruz très
agréable
à vivre, au moins dans le centre, irrigué par de larges
avenues plantées
de grands arbres peu ou pas taillés. Le climat en cette fin
mars est bien doux, sans quasiment de fraîcheur matinale. La
seule pluie que nous subirons tombera sous forme de bruine en altitude,
au
sein des nuages accrochés au relief et encore, en tournant autour
de la montagne, celle-ci s'est atténuée, tant
les conditions particulières
de ce pays génèrent de micro-climats. Cédric
et Loreto sont installés
non loin d'un magnifique parc de plantes exotiques traversé par
des perruches sauvages vert vif à la longue queue
qui se déplacent
en petits groupes bruyants et s'accrochent même tête en bas comme
des chauves-souris aux branches et aux feuilles fortement nervurées
des palmiers. Dès
notre arrivée, nos jeunes guides nous
font remarquer une des principales curiosités végétales
de l'île, le
"drago de Canarias" (dracaena draco) ou dragonnier. Cet arbre
est endémique
à Madeire, aux Iles Canaries et au Cap Vert, mais on en trouve
une sous-espèce, sauvage également, dans le Haut-Atlas
marocain, près d'Agadir au Maroc. Il a un port de palmier ou
de pin parasol avec un feuillage dense étrange reposant sur
plusieurs branches maîtresses qui semblent avoir été mal
greffées sur
le tronc principal dont elles débordent curieusement. -
Photo : Santa Cruz. - Le dragonnier de Icod de Los Vinos. -
La résine
qui s'écoule
des blessures prend en séchant
une couleur rougeâtre, ce qui lui a valu le nom de "sang
du dragon". Elle était
très prisée au Moyen Age par les alchimistes et les
médecins
pour ses vertus médicinales et on lui
attribuait des pouvoirs mystiques. On trouve au Maroc des dessins
rupestres anciens
réalisés
avec la résine du dragonnier. Sur
certaines momies ont été trouvées des traces de
gomme rouge de dragonnier, utilisée pour embaumer les cadavres
des rois et des dirigeants. A l'époque de la Rome antique,
elle était employée comme
colorant et considérée comme la panacée pour
soigner tous les maux. Du temps de Humboldt, le plus grand dragonnier
qui poussait à La
Orotava mesurait 25 mètres de hauteur, mais il fut déraciné par
une tempête en 1867.
Aujourd'hui,
c'est celui
de Icod de los Vinos qui est le plus majestueux, avec 17 mètres
de hauteur et 20 m de périmètre
à sa base : il doit avoir 800 à 1000 ans. C'est une plante
monocotylédone,
qui n'est pas un arbre au sens strict puisqu'elle n'a pas de véritable
tronc,
malgré son port arborescent. Sa tige n'a donc pas de cernes
ni d'anneaux de croissance et il est difficile de le dater. Les monocotylédones
constituent une évolution relativement récente du règne
végétal, par rapport aux dicotylédones qui ont
très longtemps été seules représentantes
des plantes à fleurs. Cette caractéristique peut donc être
comprise comme une évolution irréversible, issue d'une
variabilité génétique d'une plante dicotylédone.
On relève parmi ces plantes notamment les herbacées,
les orchidées, palmiers et graminées. -
Photo : Détail du "tronc" du dragonnier. -
Devenu
l'emblème des Canaries, le Dracaena
draco à l'état
sauvage est au bord de l'extinction.
En effet, la demande d'arbres adultes de plus de 50 ans pour les
jardins privés ou les
hôtels
est énorme. Sa culture
n’a débuté qu’avec le
développement
du tourisme, c'est à dire à la fin des années
60, et pour cette raison, les spécimens de plus de 40/50
ans ont été pillés dans leurs sites naturels.
De plus, les
jeunes plants sauvages sont vraiment rares car ils sont prélevés,
de même que les graines, dans la nature. Dans la partie
nord de
l'île
de Tenerife, deux populations importantes sont situées
dans les environs de San Andres / Igueste. Dans le sud, une importante
population se trouve près du village d'Adeje, dans le «Barranco
del Infierno». En cet endroit,
tous les arbres sont hors de portée des humains. Ils poussent
sur les parois abruptes des montagnes, entre 200 et 700 m
de hauteur. - Photo : Une anfractuosité
aménagée. -
Le sort du dragonnier me fait penser
à celui des Guanches, dont la culture et la langue subsistent
encore faiblement grâce à la géographie si tourmentée
de l'île, qui leur a
permis de trouver refuge aux endroits les plus inaccessibles. Cédric
nous fait remarquer par ailleurs que d'anciennes maisons coloniales
du centre ville sont laissées à l'abandon, volets et
portes fermées.
Elles
sont parfois occupées de manière illégale et occulte.
Des bâtiments
inachevés attendent un financement qui ne viendra plus. De
l'autre côté d'un pont sur un profond "barranco",
une colline entière
a été
expropriée, viabilisée, mais la route, bordée
de trottoirs et équipée
de lampadaires qui rouillent, corrodés par l'air marin iodé,
se désagrège
depuis des années, et elle est envahie de
plantes qui se glissent dans le moindre interstice du bitume. C'est
un gâchis honteux dans un pays en manque de terre, surtout qu'une
kyrielle d'immeubles neufs se construisent un peu partout. Il en est
de même
dans la zone industrielle où des hangars désaffectés
côtoient des bâtiments
nouvellement construits. Tout cela donne le sentiment d'une construction
anarchique et désordonnée, sans véritable schéma
directeur ni vue d'ensemble. - Photo : De nombreuses anciennes maisons
abandonnées. -
Comme
les habitants des immeubles
voisins tentent subrepticement de se réapproprier cette colline
(un vieil homme élève des volailles dans une maison abandonnée et pas
totalement
détruite,
une dame âgée bien sympathique cultive des plantes alimentaires et
des fleurs sur les hauteurs), l'administration a cadenassé le réservoir
d'eau qui se trouve en amont.
Dans le barranco
en contrebas, des immeubles et des maisons, probablement construits
sans permis, descendent presque jusqu'au niveau du lit à sec. On
entend un coq et, sur une
terrasse
couverte,
des pigeons roucoulent. D'abord, Cédric pensait qu'ils étaient capturés
pour s'en nourrir ou les vendre, car il ne voyait plus le vol qui
tournoyait au-dessus du canyon. En réalité, il apprit de la bouche
du propriétaire qu'il s'agissait de pigeons voyageurs. Ils sont bagués
et habitués
à revenir
dans
le pigeonnier. Puis, une fois par an, les colombophiles font un concours.
Ils se rendent sur une autre île où ils lâchent leurs oiseaux, l'enjeu
étant que ceux-ci retrouvent le chemin de leur domicile chez le bagueur.
Le vainqueur est celui qui, le premier, récupère un pigeon.
En remontant les barrancos avec nous, Cédric nous fait remarquer que les anfractuosités sont souvent habitées ou servent d'appentis, comme au temps des anciens Guanches. Les pentes abruptes sont aménagées en terrasses vertigineuses soigneusement cultivées. Au fur et à mesure qu'il nous fait visiter les endroits reculés de l'île, montagneux ou creusés de barrancos verdoyants, nous découvrons ainsi quantité de maisons troglodytes plus ou moins confortablement aménagées, toujours à proximité de terrasses cultivées et irriguées, soit au moyen de rigoles de pierre ou de béton, soit avec un réseau de canalisations métalliques. A Santa Cruz, l'eau du robinet est imbuvable à température ambiante, elle laisse même un mauvais goût après s'être lavé les dents et coule en mince filet d'eau dans la douche. Lorsqu'elle est chauffée, elle n'affecte pas le goût du thé, du café ou des aliments que l'on y cuit. Pourtant, elle reste dangereuse, et l'un des amis de classe de Loreto a dû être hospitalisé en urgence, avec un diagnostic qui mettait en cause sa qualité.
Isabel
Farrujia, géologue du Conseil
Insulaire des Eaux, a fait récemment un exposé sur le ‘Suivi
de l'état des masses d'eaux souterraines à Tenerife'. Son diagnostic
est inquiétant. Cela fait plus d'un siècle que les habitants extraient
l'eau des quatre principales nappes phréatiques de l'île, et le rythme
des pompages s'est accéléré à partir des années 60-70, provoquant
un déséquilibre. Le problème, c'est qu'il pleut de moins en moins,
et que l'eau est de moins en moins filtrée. Selon les analyses, il
persiste une contamination par les nitrates, surtout dans la Vallée
de La Orotava. Le problème principal sur Tenerife, c'est que
son eau contient beaucoup de minéraux, et tout particulièrement du
fluor, dont l'excès résulte de l'activité volcanique résiduelle, ainsi
que du sodium. Il
y a aussi du chlorure dans le Sud, associé au processus d'intrusion
de
l'eau
de
mer dans
les nappes
phréatiques. Du fait de l'épuisement progressif des nappes périphériques,
y compris celles du Nord de l'île, Tenerife va dépendre de plus en
plus de celle de Las Cañadas del Teide-Icod-Dorsal Noroeste,
qui est la plus minéralisée. Selon cette géologue, il faut donc agir
en même temps sur trois facteurs, la réutilisation de l'eau après traitement
des
eaux
usées,
le dessalement de l'eau de mer et le traitement de ces eaux souterraines
avant leur
distribution.
Revenons à nos Guanches.
Ils se sont installés sur l'île entre 3000 et 1000 avant
notre ère,
et lorsque
les premiers équipages européens ont accosté au
XIVe siècle, ils ont
observé qu'ils étaient toujours à l'âge
de pierre, utilisant l'obsidienne de la même façon que
nous façonnions le silex sur le continent, en
lames fines et coupantes, et ignorant les métaux. Toutefois,
ils ont su vivre durant des siècles en harmonie avec leurs
ressources pourtant naturellement limitées et circonscrites
par l'océan qui les
isolait
du monde extérieur avec lequel ils n'avaient aucun contact,
n'ayant pas (plus ?) de bateau. Ils vivaient principalement de la cueillette
(fruits et champignons), de la chasse et de la pêche côtière,
cultivaient des céréales
(orge, froment) et des légumes secs. Avec la farine des grains
d’orge grillés ils préparaient le « gofio »,
une pâte très nourrissante qui reste encore aujourd’hui
le plat le plus typique des Canaries. Ils pratiquaient principalement
l’élevage des chèvres qui leur fournissaient l’essentiel
de leur viande, de leur lait dont ils tiraient le beurre, et qui leur
permettaient de se vêtir.
Ils élevaient aussi des moutons et des cochons. Les chiens
les aidaient à chasser et garder les troupeaux. -
Photo : Fruits du néflier (nisperos). -
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Jean-Louis et Cathy guidés par Cédric et Loreto | Tenerife |
Séjour du 18 au 28 mars 2011 |