Je ne peux pas m'empêcher
de comparer le comportement des anciens Guanches au nôtre.
Le premier réflexe
des colonisateurs européens dès le XVIe siècle
a été de déboiser cette terre fragile
et soumise à une forte érosion pour cultiver des plantes
destinées
à l'exportation, qui n'étaient ni directement
vivrières,
ni locales,
ni véritablement
adaptées au climat, et ce, dans un intérêt exclusivement
pécuniaire,
en volant bien sûr les terres aux autochtones. Leur
deuxième réflexe a été d'encourager l'implantation
humaine sans tenir
compte
des ressources locales,
essayant
au contraire d'adapter
ces dernières au nombre d'habitants toujours croissant, ce qui
a justifié
des méthodes de plus en plus impactantes sur l'environnement.
Ces
derniers cinquante ans n'ont été qu'un accroissement
exponentiel de ce processus, et je ne pense pas que la solution soit à chercher
dans des techniques toujours plus sophistiquées de cultures
ou de traitement de l'eau. Le problème vient plutôt de
notre mode de vie et de pensée. -
Photo : La raffinerie de pétrole (la plus grande d'Espagne) pollue l'air
de Santa Cruz. -
Je
prends un dernier exemple de pratique qui me choque. Grâce à un
pêcheur,
fervent adepte de la plongée en apnée, dont Cédric
a fait la connaissance, nous avons pu longer la côte en bateau à moteur
depuis le port de Santa Cruz jusqu'à un petit hameau vers la
pointe Nord de
l'île,
après
Igueste de San Andres. A proximité de la côte rocheuse,
un groupe de cerceaux bleus m'a intriguée, et notre pilote me
confirme au retour qu'il s'agit
bien d'élevages de poissons en pleine mer. J'ai trouvé à ce
sujet deux articles de journaux datés de janvier 2011 et transcrits
sur Internet sous les titres "Les louvines recommencent
à envahir Las Teresitas" et "La fièvre de
la louvine : La fuite de poissons des cages d'Igueste emplissent San
Andrés de pêcheurs". Las
Teresitas, c'est la petite plage que Santa Cruz, la capitale, s'est
offert le luxe de recouvrir de sable blond et fin en provenance du
Sahara qui n'est jamais qu'à une centaine de kilomètres
de là, après
tout. Elle est protégée des vagues de l'Atlantique par
une digue prolongée
d'un muret recouvert de rochers imitant une barrière de corail,
et n'offre qu'un petit passage vers la pleine mer aux barques de
pêche ancrées
à une extrémité de l'anse. -
Photo : Elevage de poissons en pleine mer. -
C'est
le chemin qu'empruntent de façon
cyclique les louvines, carnassiers (importés d'autres mers du
monde) affamés
qui se jettent sur les vieilles et les sargues locales. La Confrérie
des Pêcheurs de San Andrés ignore si les propriétaires
de ces installations les
ont laissées s'échapper volontairement, faute de pouvoir
les nourrir car ils ont subi une suppression des subventions, ou
bien si les
tempêtes ont déchiré les filets par lesquels les
bêtes ont pris
la fuite. Des
faits similaires se sont produits sur la côte de Tazacorte, à l'île
de La Palma, après des tempêtes. Des collectifs, comme
les Amis de Las Teresitas, dénoncent l'impact environnemental
de ces installations qui attirent des espèces opportunistes,
aussi bien végétales qu'animales,
dégradent le milieu marin par la pollution organique qu'elles
génèrent
et détériorent les eaux de baignade. Tout n'est pas
négatif. Les
pêcheurs de Santa Cruz et de San Andrés ont trouvé une
manne généreuse
et facile à attraper qu'ils consomment volontiers ou vendent
aux restaurateurs locaux. Les baigneurs de Las Teresitas (y compris
moi-même) ont ainsi
le plaisir d'évoluer au milieu de bancs de poissons de tailles
diverses, pouvant aller jusqu'à celle d'une truite ou d'un bar.
Parmi
ces poissons fuselés, je me suis amusée à observer
le manège d'un
poisson d'une autre espèce, aux yeux roses, le museau similaire à celui
d'un grondin, qui descendait
au niveau du sable où il progressait "en marchant" à l'aide
de ses nageoires latérales implantées sous son abdomen
et semblait renifler les grains en quête de nourriture. Je
l'ai suivi un moment, parce que le sable était truffé de
petits trous, soit
dans
des mini-fosses,
soit au sommet de mini-cratères, et j'aurais bien aimé savoir
ce qui s'y cachait (des mollusques, sans doute, mais ils n'ont pas
sorti
le
bout de leur nez et en creusant avec mes orteils, je n'ai trouvé
que du sable). L'un des pêcheurs mentionné dans l'article
espérait
refaire la pêche miraculeuse
qu'il avait faite deux mois auparavant : en deux heures de temps,
il avait attrapé 25 louvines et dorades ! A l'heure actuelle,
il existe 22 cages et le projet d'en ajouter 17. La présidente
des Amis de Las Teresitas est radicalement contre : elle pense que
les aliments contiennent
des antibiotiques et des hormones qui nourrissent non seulement ceux
qui sont enfermés, mais également les poissons en liberté à proximité
des cages. En plus, sur le plan nutritif, ces poissons d'élevage
sont gras, alors que les sauvages ne le sont pas bien sûr. -
Photo : Plante endémique (Euphorbia canariensis) dont l'expansion
semble gênée par deux plantes invasives :
Opuntia dillenii (figuier de Barbarie) et Agave americana. -
Je ne voudrais pas qu'on s'imagine,
après ces critiques, que notre voyage fut un enfer et que Tenerife
ne nous a pas plu. C'est tout le contraire ! C'est justement parce
qu'elle nous a paru si pleine de charme que le traitement qu'on lui
fait subir m'a paru doublement scandaleux. L'imagination
des classiques y plaçait les Champs Élysées
(le paradis des Grecs), le jardin des Hespérides et l'Atlantide
de Platon. Elles étaient
connues depuis l'Antiquité sous
le nom d'« îles
Fortunées » ou « îles des bienheureux ».
Toutefois, je ne peux pas terminer ce texte sans évoquer un dernier
thème. En tant que portes de l'Europe, les Canaries constituent
un lieu d'attraction
et
de refuge
pour les
ressortissants
du Maroc
et
de l'Afrique
subsaharienne. Dans ce petit bras de mer qui les sépare de la côte,
des boat-people meurent chaque année dans des conditions atroces ou
sont emprisonnés
(même si ce ne sont que des enfants) dans des camps en attente d'un
retour éventuel dans des pays qui ne veulent
pas
d'eux. Les états européens ont récemment pesé de tout leur poids pour
obliger les pays dont ils émanent à effectuer les mêmes contrôles que
nous sur les côtes et en mer
pour renforcer le blocus.
Je
suis européenne
et je me sens responsable de la façon dont nous traitons ces
gens. Depuis des siècles, nous exploitons leurs ressources humaines
(esclaves), animales (ivoire...), végétales (ébène...), minérales (exemple
actuel : le "coltan"
du Congo utilisé en téléphonie, informatique, aéronautique...), nous
déséquilibrons leur économie et leur politique par des regroupements
en états artificiels, nous démantelons leurs cultures et leurs religions.
Nous nous imaginons riches, mais nous vivons à crédit,
très au-dessus de nos moyens, en exploitant
les ressources de ces pays improprement appelés Tiers Monde, ou Sud,
dont les habitants, désemparés, se trouvent attirés
par le mirage du bien-être matérialiste idéalisé que nous faisons
miroiter devant
eux. - Photos : Colonisation de la lave
par une plante. - Chèvre sauvage. -
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Erica arborea L. — bruyère arborescente : bruyère arbustive à petites fleurs blanches en grappes terminales, pouvant atteindre 6 m de hauteur ; bassin méditerranéen, Macaronésie et montagnes d’Arabie et de l’Afrique orientale.
Jean-Louis et Cathy guidés par Cédric et Loreto | Tenerife |
Séjour du 18 au 28 mars 2011 |