Il y a des évidences qui ne coulent pas de source. Nous allons le constater en nous penchant sur notre alimentation et l'étude de trois stratégies développées au cours du XXe siècle pour nous prémunir contre les aléas climatiques, les maladies et les prédateurs de toutes sortes dont pâtissent les productions agricoles. Fondamentalement, ces voies diffèrent en fonction de l'idée que leurs promoteurs se font du monde du vivant et de la position qu'y occupe l'être humain (et par extension ses futurs aliments). De la lutte la plus radicale contre la nature "sauvage" à l'intégration la plus totale, en passant par un moyen terme, l'éventail est large, et nous allons essayer de démêler ce qui est en jeu, en évoquant brièvement les conséquences de la première option qui s'est imposée à tous les pays. - Photos : Marpha Telepova-Texier - Nikolaï Ivanovitch Vavilov -
Cette réflexion s'inspire d'une conférence sur Nikolaï Ivanovitch Vavilov donnée au Jardin Botanique Paul Jovet de Saint Jean de Luz par Marpha Telepova-Texier, une botaniste russe spécialiste des orchidées invitée par l'Association des Russisants de la Côte Basque dont je suis membre. Comme il s'agit d'un botaniste, ce sujet s'intégrait bien à l'atelier que j'ai initié à l'Université du Temps Libre d'Anglet depuis deux ans et nous nous y sommes rendues en petite délégation. Je vais donc tenter de mettre en regard la conception sur les plantes cultivées de ce scientifique russe, celle du Japonais Masanobu Fukuoka et celle des fondations américaines Rockefeller et Ford qui ont promu la Révolution Verte. - Photo : Masanobu Fukuoka -
Il faut d'abord replacer les faits dans leur contexte. Si la chasse et la cueillette n'ont pas été totalement abandonnées, l'élevage et l'agriculture se sont cependant imposés comme sources principales de l'alimentation humaine. Tout comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les humains ont pratiqué dès le Néolithique la sélection du vivant, orientant à leur profit l'évolution pour obtenir des graines de céréales plus grosses, des fruits plus en chair et plus sucrés, des brebis ou des vaches produisant plus de lait, etc. Parallèlement, ils se sont évertués à exterminer ou écarter les prédateurs ou concurrents éventuels (ou perçus comme tels), parmi la faune, la flore et les microorganismes. En moins de 10 000 ans, la surface de la Terre a été anthropisée et les espaces vierges demeurés exempts de notre empreinte se réduisent chaque jour un peu plus, ce qui n'empêche pas les humains de souffrir périodiquement de famines et de malnutritions, plus souvent causées par les guerres, les désordres sociaux ou une mauvaise répartition des richesses que par des calamités climatiques, des maladies ou l'action de quelque prédateur. - Photo : Auroch (le dernier a disparu en Pologne en 1627) -
Ce n'est qu'au XIXe siècle que l'idée d'évolution est exprimée sous la forme d'une théorie scientifique et que les changements observés parmi les espèces sont analysés par Darwin comme étant le résultat d'une sélection naturelle au sein de ce qu'on appellera plus tard des écosystèmes. Son livre 'De l'origine des espèces' paraît en 1859, alors que l'Autrichien Johann Gregor Mendel essaie de comprendre l’apparition des caractères nouveaux chez les végétaux au cours de générations successives. Ce dernier publie les résultats de ses études en 1865 dans un article des Comptes rendus de la Société d'histoire naturelle de Brno intitulé 'Recherches sur des hybrides végétaux' et pose ainsi les bases théoriques de la génétique et de l’hérédité moderne. Passés à peu près inaperçus, ses résultats sont redécouverts en 1900, tandis que dans l'intervalle, les progrès réalisés en microscopie permettent de préciser les connaissances dans le domaine de la reproduction sexuée. Avec les travaux de Thomas Hunt Morgan, la théorie chromosomique sera reformulée de la manière suivante : les gènes (mot utilisé pour la première fois par William Johannsen en 1909) sont portés par les chromosomes et occupent sur ceux-ci des emplacements fixes. Les chromosomes sont donc responsables du stockage et de la transmission du patrimoine génétique. - Photos : Johann Gregor Mendel. - Thomas Hunt Morgan (Copyright © California Institute of Technology) -
Né dans une famille de commerçants de Moscou qui a fui le monde rural, sans pouvoir éviter malgré tout les famines et malnutritions qui sévissent périodiquement sous le régime tsariste, Nikolaï Ivanovitch Vavilov (1887-1943) fait ses études à l'Institut agronomique de Moscou Petrovskaya, ou 'Petrovka'. Là, il se passionne pour le mendélisme et la sélection génétique comme moyen de produire des céréales de meilleure qualité et adopte aussi le réformisme progressiste de l'école, qui cherche à utiliser la science pour augmenter la productivité agricole. Il travaille ensuite au Ministère de l'Agriculture dans le service de botanique appliquée et celui de mycologie et phytopathologie durant les années 1911-1912. En 1913, il part vingt mois en Europe de l'Ouest où il fait la connaissance des meilleurs biologistes allemands, français et britanniques. Il rencontre en particulier William Bateson, directeur de l'institut horticole John Innes, inventeur du terme 'génétique' et principal défenseur du mendélisme en Grande-Bretagne, et étudie auprès de lui le système immunitaire des végétaux. Il se passionne pour les travaux de son contemporain, l'Américain Thomas Hunt Morgan, découvreur de l'hérédité chromosomique. - Schéma : Les centres d'origine des plantes cultivées selon Vavilov : (1) Mexico-Guatemala, (2) Peru-Ecuador-Bolivia, (2A) Southern Chile, (2B) Southern Brazil, (3) Mediterranean, (4) Middle East, (5) Ethiopia, (6) Central Asia, (7) Indo-Burma, (7A) Siam-Malaya-Java, (8) China. -
Vavilov rentre chez lui au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Il passe son doctorat à la 'Petrovka', puis est envoyé sur le front perse pour trouver pourquoi les soldats russes tombent malades après avoir mangé le pain local (il apparaîtra que la farine de blé servant à préparer le pain était contaminée par des graines d'ivraie porteuse de l'ergot, un champignon parasitant les céréales et producteur de quantités toxiques, mais généralement non létales, d'acide lysergique, une drogue naturelle qui fut popularisée sous le nom de LSD). Il se borne à suggérer d'acheter une farine de meilleure qualité. Cette mission permet à Vavilov d'entreprendre en septembre 1916 sa première expédition botanique dans les montagnes du Pamir, une chaîne imposante mais pleine de dangers située à la frontière de l'Afghanistan et des actuels Tadjikistan, Kirghizistan et Pakistan. Il espére que des plantes poussant dans ces vallées très fertiles contiennent des gènes leur donnant une certaine résistance aux maladies, aux températures extrêmes et à la sécheresse. Le blé qu'il trouve dans une vallée située à plus de 2 000 mètres d'altitude 'dépasse leurs espoirs les plus fous ; et un seigle gigantesque haut de plus d'un mètre avec des chaumes tiges, de gros épis et de gros grains. Et au milieu de celui-ci, des formes jamais vues de seigle dit non ligulé, sans doute originaires de cet endroit...'. Ce seigle se distingue par des anthères et un pollen inhabituellement gros. Pas de doute, il s'agit d'une plante endémique ! Rien que pour cette découverte, l'expédition dans le Pamir vaut la peine. Elle est décisive pour sa recherche des origines des plantes cultivées, l'évolution des cultures de base du monde, et l'amélioration des cultures soviétiques.
La mode est alors aux théories globales. Vavilov cherche un lien entre l'agriculture et l'évolution des plantes alimentaires. Il s'interroge sur la génétique des espèces cultivées, la sélection des caractères de résistance par la nature et l'homme et il en déduit la 'théorie des centres d'origine des plantes cultivées' qu'il publie en 1926. Il pense que les ancêtres sauvages des espèces domestiquées regorgent de caractères délaissés par les premiers agriculteurs, et bien qu'ils soient inconnus aujourd'hui, ils seront peut-être utiles demain pour l'agriculture. Le lieu de grande diversité d'une espèce est son lieu de naissance (c'est ce même raisonnement qui conduit à placer les origines de l'humanité en Afrique). Il faut donc, estime Vavilov, retrouver les berceaux de chacune de ces espèces, y retourner, collecter une grande diversité de graines de ces 'parents' sauvages de nos espèces alimentaires. - Photos : Issues de l'article 'Graines de discorde ?' -
Chercheur visionnaire, il est l’un des premiers scientifiques à comprendre l’importance essentielle de la diversité biologique pour assurer la sécurité alimentaire de l’humanité. Pendant des années, il parcourt le monde, explorant les cinq continents, des glaciers du Tadjikistan aux forêts d’Amazonie, des déserts d’Éthiopie aux plaines d’Italie, collectant inlassablement des centaines de milliers de semences, dans l’espoir d’identifier les "centres d’origine de la biodiversité" (des plantes alimentaires). Cette démarche lui a peut-être été inspirée par deux précurseurs, Alphonse de Candolle, qui écrit un texte en 1882 sur "L'origine des plantes cultivées", précédé en cela par Charles Darwin qui publie en 1875 "La variation des animaux et des plantes à l'état domestique". Vavilov inventorie et collectionne plus de 60 000 échantillons de blé, d'orge, de pois, de lentilles, etc. Le raisonnement du généticien est que si ces variétés sont bien adaptées à leur environnement, elles doivent contenir des gènes utiles qui pourraient être introduits par croisement dans les plantes cultivées alors en Russie. En quelques années, il va ainsi créer à Saint-Pétersbourg la plus grande banque de semences au monde - encore active aujourd’hui. - Photo : Teosinte et maïs. -
L’ethnobotaniste américain Gary Paul Nabhan retourne sur les pas de Nikolaï Vavilov et publie ses observations dans un livre intitulé 'Aux sources de notre nourriture'. On y lit, par exemple, l’évocation de l’appel de Vavilov à 'se lancer à la découverte de l’Amérique' adressé à ses collègues américains lors d’un colloque aux USA en 1930, à Tucson, Université d’Arizona, car il a identifié l’un des centres de diversité les plus remarquables sur le territoire des indiens Hopis et Navajos. L'auteur mentionne la progression des connaissances en biologie moléculaire qui ont permis de reconnaître l’existence de flux continus de gènes depuis le teosinte vers le maïs, entretenant le maintien d’une grande variabilité génétique dans les variétés locales de maïs au Mexique, dans la région de la Sierra Madre... Une visite au centre de diversité des pommiers au Kazakhstan (*), malheureusement gagné par l’expansion de l’agglomération d’Alma-Ata… La reconnaissance de la richesse de l’Ethiopie en matière de céréales, combinées à des pratiques de cultures de plusieurs espèces mêlées dans le même champ – blé, orge, taef - ce qui confère des propriétés de 'résilience', notamment de résistances à des maladies telles que la rouille… Les épisodes de visites dans les vallées escarpées du 'toit du monde' au Pamir en parallèle avec l’évocation des aventures de Vavilov sur le même itinéraire. - Photo : Almaty (riche en pommes), Alma Ata en russe, ancienne capitale du Kazakhstan, est très polluée. -
Gary Paul Nabhan constate la poursuite des phénomènes d’érosion génétique qui se manifestaient déjà lors des voyages de Vavilov. Ces populations paysannes sont de moins en moins isolées du reste du monde. Par conséquent, les processus qui faisaient qu’elles avaient réussi l’intégration de leurs dimensions culturelles avec les contraintes physiques de leurs territoires et de leurs conditions climatiques, sur la base de pratiques agricoles et de ressources génétiques spécifiques, sont déstabilisés par divers facteurs de modernité qui déferlent : l’expansion des villes, la déforestation, l’usage des ressources en eau à d’autres fins que l’agriculture, des manifestations du changement climatique en haute altitude, le recours à des semences importées, notamment hybrides ou transgéniques, et à des engrais et pesticides, l’industrie de la drogue également, sans oublier de la part des plus jeunes le désir d’"une autre vie" que celle des générations passées.
Une autre vie, c'est ce que préconise le Japonais Masanobu Fukuoka (1913-2008), mais en sens radicalement opposé. Microbiologiste de formation, il s'est spécialisé en phytopathologie, avant de commencer à douter des progrès apportés par l'agriculture scientifique. L’inspiration 'lui vient un jour qu’il passe par hasard dans un ancien champ ni utilisé ni labouré depuis de nombreuses années. Il y voit de magnifiques pieds de riz poussant à travers un fouillis d’herbes'. En 1938, ne voulant pas s’en tenir à des théories, il décide de consacrer sa vie à l’agriculture, en testant ses idées sur le 'non-agir' dans sa ferme familiale sur l'île de Shikoku. Finalement, il met au point une conception et une pratique globale et originale de l’agriculture, alternative à la fois à l’agrochimie moderne et à l’agriculture traditionnelle de son pays. Ses recherches vont dans le sens d'une unification spirituelle de l'Homme et de la Nature. Il est l'auteur de 'la Révolution d'un seul brin de paille' qui raconte et théorise son expérience en agriculture naturelle.
Sa méthode d'agriculture ne nécessite pas de labour, pas de fertilisants ni de pesticides, pas de désherbage ni d'élagage ainsi que très peu de travail ! Il l'accomplit (avec des rendements élevés) grâce à une extrême précaution dans la détermination de la période de semis tout comme dans le choix des combinaisons de plantes (polyculture). En laissant faire la nature et en limitant au maximum les interventions humaines nécessaires, il réalise que le rendement de sa production de riz est meilleur qu'en agriculture classique. Bien que sans apport extérieur, sa méthode d'agriculture a pour principal effet d'enrichir le sol : « Mes champs sont peut-être les seuls au Japon à ne pas avoir été labourés depuis plus de vingt ans, et la qualité du sol s'améliore à chaque saison. J'estime que la couche supérieure riche en humus s'est enrichie sur une profondeur de plus de douze centimètres durant ces années. Ce résultat est en grande partie dû au fait de retourner au sol tout ce qui a poussé dans le champ sauf le grain. » - Photos : Masanobu Fukuoka sème des graines enveloppées d'une pellicule d'argile avant d'avoir moissonné la récolte précédente. -
" Quand le sol est cultivé on change I'environnement naturel au point de le rendre méconnaissable. Les répercussions de tels actes ont donné des cauchemars à des générations innombrables d'agriculteurs. Par exemple quand on soumet à la charrue un territoire naturel, de très solides mauvaises herbes telles que le chiendent et I'oseille arrivent parfois à dominer la végétation. Quand ces mauvaises herbes s'installent, I'agriculteur est confronté à une tâche presque impossible, le désherbage annuel. Très souvent la terre est abandonnée. La seule solution de bon sens est de cesser en premier lieu les pratiques contre-nature qui ont amené cette situation. Le labourage devrait être arrêté. Si des mesures douces comme répandre de la paille et semer du trèfle sont pratiquées, au lieu d'utiliser des machines et des produits chimiques fabriqués par I'homme pour faire une guerre d'anéantissement, I'environnement reviendra alors à son équilibre naturel et même les mauvaises herbes gênantes pourront être contrôlées. " - Photo : Masanobu Fukuoka enseignait sa méthode à ceux qui venaient lui rendre visite. -
" Si la nature est livrée à elle-même la fertilité augmente. Les débris organiques animaux et végétaux s'accumulent et sont décomposés par les bactéries et les champignons à la surface du sol. Avec I'écoulement de I'eau de pluie les substances nutritives sont entraînées profondément dans le sol pour devenir nourriture des microorganismes, des vers de terre et autres petits animaux. Les racines des plantes atteignent les couches du sol plus profondes et ramènent les substances nutritives à la surface. Si vous voulez avoir une idée de Ia fertilité naturelle de la terre, allez un jour vous promener sur le versant sauvage de la montagne et regardez les arbres géants qui poussent sans engrais et sans être cultivés. La fertilité de la nature dépasse ce que I'on peut imaginer. " - Photo : Dans le verger, les légumes poussent sous les agrumes au milieu de plantes sauvages. -
" Dans la plupart des cas une couverture permanente d'engrais vert (ex. du trèfle) et le retour de toute la paille et de la balle sur le sol seront suffisants. Pour fournir de I'engrais animal qui aide à décomposer la paille, j'avais I'habitude de laisser les canards aller en liberté dans les champs. Si on les laisse y aller quand ils sont canetons, pendant que les plantes sont encore toutes petites, les canards vont grandir en même temps que le riz. Dix canards vont pourvoir à tout le fumier nécessaire sur un are (100 m²) et aideront aussi à contrôler les mauvaises herbes. J'ai fait cela de nombreuses années jusqu'à ce que la construction d'une route nationale vienne les empêcher de traverser pour aller aux champs et revenir à la basse-cour. Maintenant j'utilise un peu de crottes de poule pour aider à décomposer la paille. "
" Depuis plusieurs dizaines d'années maintenant, je reste tranquille à observer la démarche de la nature pour faire pousser et fertiliser. Et tout en observant, je fais de magnifiques récoltes de Iégumes, d'agrumes, de riz et de céréales d'hiver, cadeau pour ainsi dire de la fertilité naturelle de la terre. Cela ne prend qu'une heure ou deux à un agriculteur de faire les semailles et de répandre la paille sur un are. A I'exception de la moisson on peut faire pousser seul les céréales d'hiver, et pour le riz deux ou trois personnes suffisent en n'utilisant que les outils japonais traditionnels. Il n'y a pas méthode plus facile, plus simple, pour faire pousser le grain. Elle comporte à peine plus que semer à la volée et répandre la paille, mais il m'a fallu plus de trente ans pour atteindre cette simplicité. J'ai fait quantité de fautes en expérimentant au cours des ans, j'ai fait I'expérience d'erreurs de toutes sortes. J'en connais probablement plus sur ce qui peut aller mal dans la croissance des récoltes agricoles que personne d'autre au Japon. Quand j'ai réussi pour la première fois à faire pousser du riz et des céréales d'hiver par la méthode de la non-culture, je me suis senti aussi heureux que Christophe Colomb a dû I'être quand il découvrit l'Amérique. "
La Révolution Verte débute juste avant et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit d'une politique de transformation des agricultures des pays en voie de développement fondée principalement sur l'utilisation de variétés à haut rendement, d'intrants (NPK - azote, phosphore, potassium -, engrais, produits phytosanitaires), de la mécanisation et de l'irrigation. A l'origine figure l'idée que la génétique serait le principal facteur déterminant le niveau de production des cultures alimentaires. C'est ce qui conduit ses promoteurs à porter prioritairement leurs efforts sur la recherche en matière agronomique. Toutefois, pour un grand nombre d'observateurs, l'objectif initial relevait plutôt de préoccupations géopolitiques liées à la guerre froide : il s'agissait de nourrir la population des pays du Tiers Monde afin de maintenir la paix sociale et de diminuer les risques d'une révolution communiste. - Photo : Mexique, irrigation. -
En 1943, l'Office of Special Studies naît de la collaboration entre la Fondation Rockefeller et l'administration présidentielle de Manuel Ávila Camacho au Mexique. Ce dernier est surtout soucieux de rendre l'agriculture mexicaine capable de soutenir l'urbanisation et l'industrialisation croissantes du pays. Les généticiens et phytopathologistes américains (Norman Borlaug, Edwin Wellhausen, William Colwell) et mexicains de l'OSS se donnent pour principal axe de recherche le développement de variétés de maïs et de blé à haut potentiel de rendement (Borlaug recevra le Prix Nobel en 1970 pour ses travaux sur la culture du blé). Dans le même temps, le gouvernement mexicain investit massivement dans les infrastructures pour l'irrigation des plaines et plateaux semi-arides, et l'adoption de nouvelles semences de blé se répand, principalement parmi les gros agriculteurs du Nord et du Nord-Est. Pendant toute cette période, un organisme public, le Conusapo, continue de protéger l'agriculture mexicaine des variations du marché mondial. - Photo : Travailleur agricole sur une terre aride du nord du Mexique. -
L'augmentation de la production de blé (rendements et surfaces cultivées) figure parmi les effets les plus spectaculaires de la révolution verte au Mexique. Le pays devient auto-suffisant en blé en 1951 et commence l'exportation de cette céréale l'année suivante alors que dans le même temps sa population augmente fortement. Ces succès relatifs ne signifient pas pour autant la disparition de la malnutrition. Le coût des semences et des investissements en matériel, prohibitif pour un grand nombre de paysans, conduit à une intensification de l'exode rural. L'industrialisation que connaît parallèlement le pays, fortement mécanisée et donc peu demandeuse de main-d'œuvre, n'a pu absorber une population qui est venue grossir les rangs des bidonvilles. C'est aussi de cette époque que date l'accélération de l'émigration en direction des États-Unis. Cette dernière restera légalement admise jusqu'en 1964. - Photo : Mexico, bidonville. -
En 1960, les fondations Rockefeller et Ford fondent conjointement l'IRRI (International rice research institute) aux Philippines, contribuant à répandre l'emploi de variétés à haut rendement en Asie. L'Indonésie, le Pakistan, le Sri Lanka et d'autres pays d'Amérique latine et d'Afrique du Nord suivent cette voie. Les recherches se concentrent sur la fabrication par hybridation de variétés à haut rendement concernant les trois principales céréales cultivées dans le monde : riz, blé, maïs, délaissant largement, au moins dans un premier temps, des céréales comme les millets, le sorgho ou des pseudo-céréales comme le quinoa… Ce passage d'une agriculture vivrière à une agriculture tournée vers l'exportation ou la nourriture animale induit l'émergence de nouveaux marchés dans le domaine des semences, des engrais ou des pesticides qui profitent principalement à des entreprises agro-pharmaceutiques basées aux États-Unis. - Photo : Publicité pour l'emploi d'intrants aux Philippines. -
La Révolution verte engendre une hausse de l'énergie nécessaire au processus productif. Plus d'un tiers des énergies fossiles consommées par l'agriculture est utilisé par la seule synthèse des engrais. La dépendance accrue de l'agriculture à l'égard des fertilisants chimiques, des pesticides et des herbicides est aussi indirectement une dépendance à l'égard du pétrole. L'irrigation est à l'origine d'importants problèmes de salinisation, d'hydromorphie permanente et de remontée des nappes phréatiques. L'usage de pesticides engendre l'empoisonnement des terres, la contamination de l'eau (notamment par les nitrates) et l’apparition de souches de moustiques résistantes aux pesticides, la diminution de l'efficacité des programmes anti-paludisme utilisant du DDT. L'homogénéisation de la production alimentaire nourrit des craintes sur les capacités de résistance à l'apparition des nouveaux agents pathogènes et des banques de semences, à l'image de l'Institut international de ressources phytogénétiques (International plant genetic resources institute, IPGRI) devenu le Bioversity International, ont été constituées. - Photo : Exemple de sol très salinisé en Thailande. -
Ces considérations sur l'agriculture ne sont pas neutres : elles impliquent un choix de société radicalement opposé. Nous voyons bien que la Révolution verte qui s'applique presque partout dans le monde entraîne des désordres majeurs, autant sur le plan environnemental que social, dans un contexte démographique très perturbé. La population mondiale a plus que doublé de 1700 à 1900 et plus que triplé de 1900 à 2000, pour atteindre en 2010 le nombre inquiétant de 6,842 milliards d'humains. Le changement climatique en grande partie induit par notre mode de vie s'amorce alors que le biotope est fragilisé et subit un impact d'une brutalité sans précédent. Nous engendrons une extinction d'espèces cataclysmique autant sur les continents que dans les océans. Un tel constat fait paraître dérisoire la collection de graines, surtout lorsque l'on sait les fines interactions qui existent entre toutes les espèces, plantes, insectes, champignons, bactéries, oiseaux... Le processus de l'évolution, que nous sommes loin d'appréhender dans sa totalité, n'est pas si rapide et si souple, il ne pourra pas restaurer ce qui est détruit, faire revivre ce qui a disparu, il devra une nouvelle fois (mais sur quelle période ? des milliers d'années ?) inventer un nouvel équilibre à partir d'espèces qui, peut-être, sont en quantités négligeables aujourd'hui. - Photos : Prises cet été sur des portions de GR10, le sentier de grande randonnée des Pyrénées, entre Estérençuby et Lescun. -
SOMMAIRE
Sur le site officiel de
la Présidence de la Fédération
de Russie figure un projet de loi très attendu par Marpha Telepova et son équipe.
"Dmitri Medvedev instruit sur la sécurisation des terres pour
Pavlovsk station expérimentale et un projet de loi définissant
le statut des collections de plantes .
Le texte du document:
Poutine
Décidez de la sécurisation foncière pour l'institution
d'Etat scientifique, la Station Experimentale de Pavlovsk, l'Institut russe
de recherche de l'industrie des plantes Nicolas Vavilov, de l'Académie
russe des sciences agricoles, nécessaire pour le maintien de collections
de ressources phytogénétiques;
considère en conjonction avec les questions agricoles de la maintenance
d’un financement adéquat de la collection.
Terme - 1 Février 2012.
É
laboré et soumis à la Douma d'Etat de la Fédération
de Russie, le projet de loi fédérale définissant le
statut des collections de plantes et de réglementer la collecte, la
conservation, l'étude et l'utilisation efficace des ressources génétiques
des plantes cultivées, ainsi que l'établissement du régime
juridique des terres sur lesquelles il y a la collecte.
Période - 1 avril 2012."
(*) De la part de Pierre. Le pommier des origines : Voici un article du journal "La Croix" (18-19 janvier 2012) sur les origines du pommier. Un hommage indirect au génial Vavilov !
"On a retrouvé la mère des pommes" : Une pomme primitive pourrait être "l'Eve" de toutes les pommes domestiques et, surtout, résiste à toutes les maladies.
Nom de genre : Malus. Nom d'espèce : sieversii. Jusque là, rien d'extraordinaire. Sauf qu'il s'agit d'une pomme sauvage, plus ou moins grosse, rouge ou jaune, sucrée ou acidulée, originaire d'Asie centrale, près d'Almaty ("riche en pommes" en kazakh), dans le sud-est du Kazakhstan, au pied du massif du Tian Shan, à proximité de la frontière chinoise. "Au gré des changements climatiques, des milliers de grands et vieux pommiers se seraient "réfugiés" là, sur le flanc sud de ce massif, loin de la main de l'homme", explique Pascal Heitzler, biologiste, amateur éclairé et président de l'association Alma. L'histoire de cette pomme est étonnante. En effet, enfermés dans l'enveloppe du trognon, les pépins ne peuvent germer. Heureusement intervient l'ours (et/ou l'oiseau), qui sélectionne les fruits les plus gros et les plus sucrés. Dans son intestin, l'enveloppe du pépin se déchire et la semence, qui se retrouve dans ses déjections, germe et croît, résistant naturellement aux maladies bactériennes, virales, mycosiques, ainsi qu'aux attaques des insectes. - Photo : Forêt de pommier massif du Tian Shan - Kazakhstan (Catherine Peix). -
Le biologiste soviétique Nikolaï Vavilov découvre les pommes en 1929, mais meurt en prison pour avoir, contre l'avis du stalinien Lyssenko, défendu les lois de la génétique de l'abbé Mendel. Un agronome kazakh, Aymak Djangaliev, reprend le flambeau en 1945 et en fait l'inventaire. En 2002, un généticien d'Oxford établit que la pomme kazakhe est l'ancêtre de toutes les pommes d'aujourd'hui. Un véritable fossile vivant, ce que confirme le séquençage complet du génome en 2010.
Des pommiers âgés d'environ 50 millions d'années.
Les pommiers originels présentent de gros troncs, allant jusqu'à deux mètres de large, atteignant 20 ou 30 mètres de haut, et arborant des fruits de toutes les couleurs et de goûts variés. Il y aurait plus de 6 000 variétés. Cette biodiversité rend le pommier moins sensible aux pathogènes (champignons, bactéries...) qui ont tendance à attaquer nos vergers et contre lesquels on accroît le nombre de traitements pesticides : il a augmenté de 20% en dix ans, atteignant 35, voire 55 traitements. L'avenir pour nos pommes pourrait donc bien passer par ces pommiers préhistoriques âgés d'environ 50 millions d'années. Par croisements de nos espèces avec le matériel génétique des Malus sieversii, on pourrait créer des pommes naturellement protégées des maladies. Mais il est urgent de protéger les forêts de pommiers. Un animal sauvera peut-être Malus sieversii, le léopard des neiges, localisé au même endroit, pour lequel le Kazakhstan a demandé un classement à l'Unesco en 2010. Denis Sergent
"A la recherche de la pomme originelle"
Ces pommiers sauvages du Kazakhstan donne des pommes rouges, vertes ou bigarrées, allant de 3 à 10 cm de diamètre et pesant de 20 à 230 grammes, parfois plus. Elles sont adaptées aux variations de température extrêmes, moins 40 degrés l’hiver et plus 40 degrés l’été. Certaines ont un goût de framboise, de grenade, de rose ou de banane. Ce pommier pas comme les autres présente une grande diversité et une résistance exceptionnelle aux maladies. « Les premiers tests et observations en laboratoire ont été effectués récemment en France, avec différentes souches de maladies de nos pommiers. Et les résultats sont très prometteurs» a affirmé François Laurens de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA).
Des pommes saines
Il faut entre 20 et 60 ans aux chercheurs pour développer une variété de pomme plus résistante comme Ariane développée par l’INRA d’Anger. Avec Malus sieversii, explique François Laurens « on obtient des pommes consommables dés la 1ère génération ». Mais surtout ces pommiers originels sont pour Pascal Heitzler du CNRS « une très bonne alternative à la tentation des OGM. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour créer des pommes saines et résistantes.» Elles pourraient à l’avenir remplacer les variétés que l’ont connaît qui sont fragiles. Et permettre enfin une agronomie durable et résistante, sans traitement chimique.
Des fruits dangereux
La découverte de ces forêts de pommiers sauvages va changer la vision que l’on a de l’arboriculture. Ces arbres poussent depuis des milliers d’années, sans être ni taillés, ni traités et produisent des fruits par milliers. À l’inverse « nos modes de cultures actuelles affaiblissent les arbres avec le temps. La monoculture des arbres, hors de leur cadre naturel contribue à la dispersion des agents pathogènes» analyse François Laurens. Et s’il faut 20 ans à un pommier pour pousser, son ennemi numéro 1, la tavelure du pommier, mute 6 à 7 fois par an. Les arbres sont donc traités avec des fongicides et pesticides, 30 à 40 fois par an. Pascal Heitzler s’alarme « nous arrivons à une situation absurde, où la pomme qui a des effets positifs pour la santé devient de fait un fruit dangereux». - Photo : Pommier Malus sierversii (Catherine Peix). -
Les origines de la pommeLa pomme que nous mangeons aujourd’hui descend de Malus sieversii, des forêts Kazakhstan.
Son histoire commence il y a soixante-cinq millions d’années, mais il a fallu attendre la chute du mur en 1989, pour qu’en occident les scientifiques découvrent son existence. Et les premières images de ces forêts épaisses de pommiers qui peuvent atteindre plus de trente mètres de haut et vivre plus de trois cents ans. Cela a été possible grâce à Aymak Djangaliev (1913-2009), académicien et agronome kazakh, qui a consacré sa vie aux pommiers sauvages, menacé par la déforestation massive et l’urbanisation. Catherine Peix, biologiste, relate son parcours dans son film L’origine de la pomme, une enquête scientifique et historique.
Association ALMA, 24 janvier 2012 : Réponse aux questions de Cathy
- Cathy : Serait-il possible d'obtenir de jeunes plants (ou des pépins) de ces pommiers du Kazakhstan dont les fruits ont des saveurs si variées ? - ALMA : ...A l'heure actuelle, nous travaillons uniquement à des fins de recherche et de sensibilisation à la conservation de la biodiversité in situ. Nous ne disposons pas de semences ou de greffons de pommier kazakh. Nous espérons néanmoins d'ici quelques années, après signature d'accord de coopération avec le Kazakhstan, avoir les meilleurs variétés de cette espèce en France et ailleurs en Europe, et mettre en place une collection ex-situ. Un peu de patience donc, la démarche est de longue haleine... Par ailleurs, une petite mise en garde. Il est tout à fait déconseillé d'introduire du matériel directement du Kazakhstan sans procéder à un contrôle sanitaire très strict. En effet, cette espèce ayant co-évolué pendant des millions d'années avec le champignon de la tavelure, il existe sur place des souches de ce champignon extrêmement virulentes, qu'il serait dommageable d'introduire par inadvertance dans nos vergers. - Photo : Un nid de frelons asiatiques au sommet du chêne qui pousse au fond de mon jardin à Anglet. -
- Cathy : Si le pollen seul est collecté pour féconder les pommiers cultivés et enrichir leur patrimoine génétique, ou bien si seuls les pépins sont recueillis pour être plantés ailleurs, en principe, il ne devrait pas y avoir de risque d'infestation ? - ALMA : En théorie oui, pour le pollen, mais on ne sait pas trop ce que ça peut donner... c'est la roulette du brassage génétique !
Conférence donnée par Marpha Telepova-Texier, de l'Académie des sciences de Saint Pétersbourg, au Jardin botanique Paul Jovet de Saint Jean de Luz - Organisée par l'Association des Russisants de la Côte Basque (ARCB) | Nikolaï Ivanovitch Vavilov Sortie de l'atelier botanique de l'UTLA |
16 septembre 2011 |