Arrivés
en gare de Valence, nous nous rendons en bus à Die, avant de poursuivre
en voiture avec Dimitri jusqu'à Châtillon en Diois.
En prenant
ainsi les
chemins
de traverse
afin de déposer les passagers dans des endroits plus inaccessibles
les uns que les autres à un aussi gros véhicule, nous avons
le temps d'apprécier
le changement progressif de paysage depuis la plaine du Rhône
jusqu'aux contreforts méridionaux du massif du Vercors. Contrairement à l'idée
que l'on pourrait s'en faire à partir d'un raccourci économico-politique
du style "bassin
industriel Rhône-Alpes", les activités lourdes et
laides sont fort heureusement localement circonscrites et nous nous
retrouvons très vite dans un
très bel environnement. La route ne cesse de monter, tandis que
le bus fait
des zig et des zag, imitant le vol erratique de l'insecte qui butine
avec cette absence de systématisme dans son exploration qui
caractérise
le monde animal et le différencie profondément de l'humain. -
Photo : Aconit tue-loup
(vallon de Combau), excessivement toxique, dont les Indiens enduisaient la
pointe de leur harpon pour tuer les baleines, phoques, morses, ours. "Certaines
pointes en silex, os ou corne de la fin du paléolithique présentent
déjà la
rainure caractéristique
des armes
empoisonnées..." (site ORBI, université de
Liège) -
Nous
parvenons
à une vallée riante, ouverte, où s'écoule
le Bès ou Bez. Cet affluent
de la Drôme
si paisible en cette fin d'été est affecté d'une
très grande
irrégularité
de débit liée à son régime nival et connaît
des crues torrentielles. Celle du 2 décembre 2003 a marqué les
esprits, car elle a dépassé
la crue cinquantennale, avec un débit
instantané maximal enregistré de 186
m³ par seconde. C'est peut-être
cette irrégularité qui l'a sauvé des convoitises
hydro-électriques
et lui permet de bénéficier d'un cours presque entièrement
naturel et d'un environnement très préservé. Cela
ne signifie pas que l'empreinte de l'homme soit absente du Diois. Au
contraire, elle se remarque, selon
les archéologues, depuis au moins 35 000
ans dans la région ! A cette époque, des hommes de Néandertal
profitent de certains redoux au cours de la dernière glaciation
pour s’installer
sur le plateau de Maumuye, à Saint-Roman, à la confluence
de la Drôme et du Bès.
Bien
plus tard, des chasseurs du Mésolithique (7
000 ans avant J.-C.) laissent des traces de leurs campements au col de
Jiboui, sur la commune de Treschenu-Creyers, au pied de la montagne de
Belle
Motte,
sous la forme
de minuscules outils
en silex, les microlithes.
Les
habitants actuels du Diois conservent certains aspects d'un mode de vie
instauré
au Néolithique
dès la période
chasséenne
(environ 4 000 ans avant J.-C.), pendant laquelle des groupes humains
s’installent. Ils
pratiquaient
la culture
de quatre espèces de céréales dont on découvre
des grains grillés ou réduits en farine - les 3 variétés
de blé connues à l'époque et l'orge - et celle
de deux espèces
de légumineuses - lentilles et surtout pois -. On
a découvert des
meules à grains en grès à la grotte de Trou-Arnaud à Saint-Nazaire-le-Désert
(à 20 km au sud-ouest de Châtillon en Diois, le village
où nous résidons pendant notre séjour). Une jarre
en terre crue servait à stocker
des végétaux
(plantain et chênopode) probablement pour la fabrication d’un
genre de choucroute ! Ils pratiquaient surtout
l’élevage
ovin (avec quelques chèvres, porcs, boeufs). Les grottes-bergeries,
occupées
jusqu’à l’âge
du bronze en limite des hautes pâtures, attestent de son importance.
La provenance de ces humains est révélée
par leur mode de vie et les espèces animales et végétales
qu'ils importent et dont il reste des descendants encore aujourd'hui
:
"Le mouton de
Quint (une vallée du Diois) est une variété barbarine
de la race de Syrie (finesse de jambe, absence de corne, rareté de
poil sous le ventre)". Ce site archéologique
montre la variété des
activités humaines en ces temps reculés où les
humains, en sus de l'agriculture et de l'élevage, exerçaient
une véritable industrie, de l'artisanat et du commerce (au Chasséen,
des matières premières comme le silex (nombreuses
haches
polies) étaient
extraites et transformées
avant d'être exportées à des centaines de kilomètres).
Ils travaillaient l’os et fabriquaient
une céramique aux formes originales.
Des poinçons taillés dans un os de la patte
du mouton servaient à la confection des vêtements
en peau ou en tissu et à la vannerie. Des reliefs de
chasse sont enfouis, chamois et cerfs au Trou-Arnaud,
cerfs, sangliers, ours, loups, lièvres, oiseaux à Coumbauche. -
Photo : Molène
noire (fleur jaune) : Habite les
décombres, les talus, les coupes forestières. -
Mise
à part la
rudesse des froidures hivernales dans le Vercors, ces premiers occupants
ont dû remarquer une particularité
étonnante qui ressort dès
le début
de notre séjour : les conditions
météorologiques varient énormément selon l'altitude
et l'orientation, le Diois présente déjà des caractéristiques
très méditerranéennes, notamment une faible pluviosité,
comparativement au Vercors beaucoup plus arrosé ou enneigé selon
la saison, et souvent enfoui dans les nuages à
l'humidité pregnante. Nous partons de Châtillon
par une
belle matinée claire et Dimitri nous emmène
au vallon de Combau à 1608 m d'altitude, où il nous jure
ses grands dieux qu'il s'agit d'un site magnifique. Le problème,
c'est qu'il y règne
un brouillard à couper
au couteau. Nous marchons quelque temps dans une ambiance irréelle,
puis un souffle d'air nous fait espérer une embellie. Las ! Les
nuées
retombent et ensevelissent le paysage dans une grisaille affligeante. Tandis
que nous grignotons un assortiment de graines, Dimitri nous apprend que
le Vercors est l'un des rares endroits en France où se trouvent
réunies six espèces d'ongulés (nous
n'observerons que le chamois, de loin).
En 1956, dix mouflons originaires
de Corse y ont été lâchés,
ils sont aujourd'hui près de 200. On les rencontre de préférence
dans les endroits rocheux et ensoleillés où leur agilité leur
permet de se préserver des hommes, sur les hauteurs de
Bouvante et St Julien en Quint. On reconnaît le mâle à ses
cornes épaisses et recourbées et la femelle à ses
cornes courtes et presque droites. - Photo :
Centaurée.
-
Autrefois
menacés de disparition,
les chamois sont aujourd'hui au nombre de 1500. Ils affectionnent les
zones de fortes pentes qui leur permettent une fuite rapide en cas de
danger, c'est pourquoi ils restent sur les hauteurs du massif, sur la
chaîne du Vercors et au bord des falaises du Diois. Leurs pattes
comprennent deux doigts terminés par des sabots en corne résistante
et unis l'un à l'autre par une membrane extensible qui peut
faire office de raquette en cas de neige profonde. Dimitri précise
que l'astragale (ou
plutôt le talus, qui sert de pivot pour étendre ou fléchir
la cheville) est autoblocante, une adaptation qui leur permet
d'avoir un pas très sûr.
Réintroduits
dans le parc en 1989-90,
les bouquetins mâles
circulent sur l'ensemble des crêtes alors que les femelles restent
sur les vires du cirque d'Archiane. Leurs coussinets plantaires élastiques,
antidérapants,
leur servent d'amortisseur et leurs sabots peuvent s'écarter considérablement
pour assurer une bonne prise sur les rochers. Apparus il y a 14 000 ans
en Europe, ils sont représentés dans 47 grottes paléolitiques
rien qu'en Dordogne ! Le cerf est revenu dans
le Vercors depuis 20 ans. On compte aujourd'hui une centaine de
bêtes dont la majeure partie se trouve dans la forêt de Lente.
Même
s'il est présent aux quatre coins du Vercors jusqu'en Diois, le
chevreuil se cache le jour et pâture à l'aube et à la
tombée de la nuit. On n'entend souvent qu'un " aboiement " bref
et faible. Le mâle porte une courte ramure qui tombe en novembre
pour repousser en février et il est aussi reconnaissable
au "miroir" blanc
autour de la queue. Quant au sanglier, s'il préfère la
plaine à la montagne, on le trouve fréquemment dans les
forêts du Vercors, et peut vivre de 15 à 20 ans. -
Photos : Criquet, reconnaissable à ses antennes courtes. Papillon (Azuré ?)
sur de la lavande. -
Nous
reprenons la voiture sans regret pour nous rendre plus bas dans une
vallée
voisine où il fait un temps splendide, le cirque d'Archiane,
du nom d'un des cinq hameaux qui composent la commune de Treschenu-Creyers citée
plus haut. Il a toutes les caractéristiques d'une reculée,
c'est
à dire une échancrure
dans le rebord méridional
du plateau calcaire de Glandasse à l'extrémité sud
du massif du Vercors qui s'est formée sous l'action des glaciers
et de l'eau.
Justement,
on
y constate la présence d'une résurgence.
Non loin de là, au pied de la montagne de Glandasse, se trouve le
site du menhir (exposé
au musée de Die).
En 1992 des travaux d'agrandissement de la cave coopérative
Jaillance révèlent à une profondeur de 60 cm un
ensemble de monolithes de calcaire de type statue-menhir. Un grand
menhir haut de 4 m et d'un poids avoisinant les deux tonnes a probablement
été
abattu
et
brisé
volontairement
en quatre fragments. Il gît à côté de deux
autres menhirs de 1 m. La pierre a été soigneusement
piquetée et la face
principale montre plusieurs gravures. Dans la partie supérieure,
une série de quatre arcs emboîtés, représente
un collier ou un pectoral. Plus bas, la tête d’un animal
cornu semble évoquer un bouc, un bélier ou un bovin.
On
trouve encore des cupules, creusées intentionnellement, ainsi
qu’un motif peu explicite, en bobine ou yo-yo. Connue au Portugal
et en Espagne, cette représentation est si énigmatique
qu’on l’appelle, même dans la littérature
scientifique, "la chose". On peut y voir une hache, un soc
de charrue, une omoplate…Les comparaisons de styles et de thèmes
de décor, notamment avec le mégalithisme breton, poussent à attribuer
cette remarquable pièce au Néolithique moyen, entre 4
500 et 3 500 avant notre ère, ce qui place ces sculptures comme
étant les plus anciennes de la région. -
Photos : Barrières calcaires du cirque d'Archiane. Gypaète
barbu juvénile marqué issu du programme
de réintroduction en cours. -
Pour nous qui sommes si habitués à la
présence du grand vautour fauve
au-dessus des montagnes basques, le ciel nous paraît bien vide.
Pourtant, 11 individus ont été lâchés dans
le Diois en 1999 (au col du Rousset, nous précise Dimitri, et
il est venu s'installer au cirque d'Archiane) et une soixantaine dans
les Baronnies
voisines entre 1996 et 2001, population qui a eu une forte croissance
naturelle
et qui
a
bénéficié de l'arrivée massive de vautours
provenant du Verdon, des Grands Causses et même d'Espagne. La
colonie a également la visite, temporaire pour l'instant, de vautours
venant de l'est de la Méditerranée : individus nés
en liberté dans les Balkans et lâchés
en Italie (Abruzzes).
Des
vautours nicheurs dans les Baronnies laissent leur oeuf ou leur poussin à leur
conjoint pour partir vers l'autre site du Diois, à 45-60 km
de là. Cette population est désormais bien implantée
et représente
la troisième par la taille (400 individus à l'été 2006
dans le Vercors-Diois) après la vallée d'Ossau (Pyrénées)
et les Grands Causses (sud du Massif Central). Bien que plus rares,
on peut observer aussi le vautour percnoptère,
le vautour moine (tout noir), le gypaète
barbu. Le cyrcaëte Jean le Blanc fréquente également
ces parages. - Photo : Champignon Vesse de loup ciselée
: comestible quand il est jeune (blanc à l'intérieur), il est
assez bon pané et
frit. -
SOMMAIRE | Page 1/6 |
|
Organisateur guide naturaliste, Dimitri Marguerat, avec un groupe d'une dizaine de personnes | Diois et Vercors |
18 septembre 2010 |