Le Vercors ne se résume pas aux plateaux d'Ambel et de Font d'Urle. En réunissant quelques statistiques dispersées, j'ai trouvé que le nombre d'ovins transhumants sur tout le plateau s'élève à 15 000 pendant une centaine de jours en été, que je trouve intéressant de comparer au nombre d'ongulés sauvages herbivores qui y résident en permanence, soit 150 bouquetins, 1500 chamois, 200 mouflons, 100 cerfs. Je n'ai pas trouvé de statistiques pour les chevreuils ni pour les sangliers. Par ailleurs, pour l'année 2009, dans le seul massif du Vercors, 69 animaux d'élevage tués par un prédateur ont fait l’objet d’une expertise, qui a conclu pour la quasi-totalité à des attaques de loup. En France les premières attaques ont été recensées dans le Mercantour peu de temps après son retour en 1992. Afin de compenser les dégâts subis par les élevages, une procédure d’indemnisation a été mise en place. Elle tire son fondement juridique du statut de protection du loup et de la sensibilité au braconnage des populations de faible effectif. Il en est de même pour l’ours (disparu du Vercors depuis plus de 60 ans) et le lynx (présent dans le Vercors depuis la fin des années 1990, mais les indices sont peu nombreux et dispersés). - Photo : Gentiane printanière. -
Je n'ai pas encore parlé d'une curiosité naturelle intermittente présente sur ce sentier du karst, mais que nous ne sommes pas allés visiter. Il s'agit d'une glacière naturelle : on y voit se former de la glace en été, pendant les fortes chaleurs qui règnent à l'extérieur. Ce n'est pas un cas unique, et l'on peut en trouver plusieurs en France et ailleurs dans le monde. Comment est-ce possible ? Une différence de température importante existe entre l'intérieur et l'extérieur de la grotte, ce qui génère des courants d'air. Si l'atmosphère de la grotte est très humide, la vapeur se condense sur les parois froides. Dans certains cas, la nature de la paroi, plus ou moins poreuse (comme c'est le cas des roches des cheires auvergnates) offre une grande surface d'évaporation, de sorte que l'eau qui s'évapore prélève beaucoup de chaleur dans le milieu ambiant et en particulier, dans l'eau disponible. Une partie de l'eau est alors susceptible de se congeler. Cette opération est facilitée par le fait que la chaleur latente de solidification (qui est égale à la chaleur latente de fusion) est environ 7 fois plus faible que la chaleur latente de vaporisation : ainsi, une masse d'eau en se vaporisant permet, théoriquement, la congélation d'une masse beaucoup plus grande d'eau et ce, malgré les échanges thermiques avec le milieu extérieur qui se produisent inévitablement... - Photo : Epilobe. -
En redescendant, nous faisons une petite halte dans les lacets pour voir les vestiges d'une volière en plein bois. Lors de la réintroduction du vautour, les ornithologues ont pensé qu'il valait mieux acclimater progressivement l'oiseau en l'installant pendant un à deux ans face à la falaise où on allait le lâcher, pour qu'il prenne ses repères. Ils ont déposé un charnier au bas de la volière, de façon à ce qu'il sache où se trouve la nourriture une fois libéré. Cette réimplantation au col du Rousset a été longue et s'est faite en parallèle avec celle des Baronnies près du Ventoux. Le troisième jour, nous nous rendons au Pas de Chabrinel, avec la perspective de faire 700 m de dénivelé pour passer de la forêt domaniale de Romeyer dominée par la Dent de Die à la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors que nous longerons sur les Balcons du Glandasse pour faire une boucle et revenir à Fournaire. Du point de vue de la flore et de la faune, ce site (classé 'ZNIEFF' et Natura 2000) est bien plus intéressant et plus varié que celui de la veille qui, lui, était par contre très spectaculaire sur le plan géologique et avec une histoire humaine riche. - Photo : La volière de réintroduction des vautours fauves. -
Passant devant un pied de sauge sauvage, Dimitri nous rappelle la coévolution de sa fleur, de couleur jaune, et de l'abeille qui la butine. Aidé d'une brindille, il nous montre le levier qui abaisse l'étamine de façon à déposer le pollen sur le dos de l'insecte qui se pose, attiré par le nectar qui goutte au fond des pétales en entonnoir. Ce mécanisme simple et ingénieux peut se répéter indéfiniment, et chacun peut l'expérimenter dans son jardin avec la sauge officinale. Une campanule grandiflora arbore des fleurs d'un bleu soutenu. Je découvre la petite digitale, jaune, toxique comme sa grande cousine aux fleurs roses fréquente dans les Pyrénées occidentales, et qui était utilisée autrefois dans le traitement des insuffisances cardiaques. L'orcanette catananche doit être connue des enfants du Diois car lorsque Dimitri frotte ses fleurs en grelot desséchées, le son émis ressemble au crissement de la cigale. Une centaurée réussit à se frayer un chemin à travers la caillasse mobile et à s'y maintenir jusqu'à la floraison. - Photo : Le Pas de Chabrinel au bout du pierrier en zigzag. -
Le tiers de la flore française est répertorié dans la Drôme où poussent aussi quasiment toutes les sortes d'orchidées. Des panneaux indiquent les essences des arbres, pin noir d'Autriche, épicéa commun, mélèze d'Europe, alisier blanc (qui produit des grappes de baies rouges de la taille de petites cerises). La liste de la ZNIEFF indique les espèces locales, hêtre et sapin pectiné, ou chêne pubescent, selon les sols et les orientations. Sur les escarpements rocheux, nous reconnaissons la silhouette parfois torturée des pins à crochets. Un pic fait entendre son tambourinement accéléré. Dimitri nous décrit une adaptation extraordinaire qui contribue à amortir les trépidations de son cerveau : sa langue fait le tour de sa tête sous le crâne ! Ivan Schwab et Phillip May (UCLA) ont étudié la façon dont tout le corps de cet oiseau, en réalité, a évolué pour résister aux chocs. En effet, non seulement il frappe les troncs pour se nourrir en délogeant les insectes xylophages cachés sous l'écorce, mais il creuse aussi la cavité qui lui servira de nid et tambourine au printemps lors de la parade nuptiale et pour délimiter son territoire. Il peut frapper un tronc jusqu'à 20 fois par seconde et jusqu'à 12 000 fois par jour, avec une force pouvant atteindre 1200 g à chaque impact. - Schéma : Parcours de la langue du pic. - Photo : Sauge et pollinisation. -
Par ailleurs, pour atteindre ses proies dans les troncs, des muscles entourent l'os hyoïde dans l'oropharynx et tapissent le plancher de la bouche, créant un système permettant une projection extraordinaire de la langue au-delà de la pointe du bec. Cette langue effilée est revêtue d'une salive collante pour attraper les petits insectes comme les fourmis, et possède des barbelures utiles pour empaler les plus grands insectes et larves. En outre, elle est équipée d'excellentes capacités tactiles pour détecter les plus petites proies. Comme son bec s'use, à force, il a la faculté de pousser en continu (comme les dents des rongeurs) : Dimitri recommande la lecture instructive de La Hulotte, agrémentée de forces illustrations. Je profite de l'occasion pour faire un aparté sur l'évolution des oiseaux en ce qui concerne les plumes. - Photo : Reposoir à vautours. -
"Les écailles présentes au niveau des pattes chez les Oiseaux ont une structure quasi-identique à celle des écailles des reptiles. Les plumes des Oiseaux, quant à elles, sont aussi des phanères kératinisées, d’origine essentiellement épidermiques. Elles se composent de cellules kératinisées formant un rachis central d’où partent des barbes elles-mêmes ramifiées en barbules. Le rachis s’insère dans la peau au sein d’un fourreau épidermique, le calamus, enfoncé dans le derme. Le poil des Mammifères, comme la plume des Oiseaux, apparaît initialement sur la peau sous la forme d’une prolifération localisée de cellules de l’épiderme qui définit une région épaissie, la placode. Cette placode distingue le développement des poils et des plumes de celui des écailles reptiliennes. Elle représente un « centre spécialisé de prolifération et de différenciation de cellules épidermiques et dermiques », caractéristique des annexes tégumentaires. Existe-t-il des relations entre écailles reptiliennes et plumes ? Les plumes des oiseaux se forment à partir d’une placode qui s’allonge d’abord en un germe faisant saillie à la surface de la peau avant de s’enfoncer dans le derme pour donner un follicule, comportant un revêtement épidermique et une pulpe centrale dermique. Les cellules épidermiques internes du revêtement se différencient pour former le rachis, les barbes et les barbules, qui se développent en hélice autour du derme, tandis que les cellules externes forment le fourreau du calamus. À mesure qu’elles sortent du fourreau, les barbes s’étalent et donnent à la plume sa structure plane. - Photo : Plumes primitives découvertes dans l'ambre crétacé (100 000 millions d'années) des Charentes. -
Ainsi, le développement des plumes diffère de celui des écailles des reptiles : le germe est tubulaire et les barbes se développent d’abord en tube avant de se déployer latéralement. Il ne s’agirait donc pas d’une écaille reptilienne allongée, redressée et découpée en barbes comme le supposaient les premiers modèles, mais du résultat d’une série d’innovations embryologiques. Cette interprétation s’appuie sur les récentes découvertes fossiles : en effet, parmi les « dinosaures emplumés » récemment décrits, certains ne présentent qu’un type de plume (plume de duvet, rémiges), d’autres plusieurs types différents, comme les oiseaux, et surtout certains dinosaures présentent à l’état adulte des structures équivalentes à certaines étapes du développement embryologique actuel de la plume. Chaque étape embryologique du développement de la plume correspond à une innovation évolutive spécifique d’un groupe monophylétique de Dinosauriens : autrement dit, on peut désormais replacer sur l’arbre phylogénétique des Dinosauriens, en tant qu’innovation évolutive, l’apparition de chaque étape embryologique aboutissant à une plume. Ces dinosaures, comme les Oiseaux aujourd’hui, arboraient donc deux revêtements différents, les écailles, restreintes aux membres inférieurs chez les Oiseaux, et les plumes.
Dimitri évoque les problèmes engendrés par la gestion des forêts. En Pyrénées atlantiques, le câble a repris du service avec l'entreprise Lagun en 2003 pour débarder les grumes abattues dans les forêts de Gey (Bedous) et Holzarté (Larrau), puis à Iraty. Cette technique inaugurée il y a 30 ans par les Italiens avait été abandonnée car elle était jugée trop dangereuse. Au lieu des 10 à 12 km d'antan, le câble ne fait plus que 1000 à 1500 m, et il ne défigure plus le paysage forestier en ouvrant de trop larges coupes rases, avancent ses promoteurs. Mais en empêchant les forêts de vieillir naturellement et en dérangeant la faune dans des lieux autrefois inaccessibles, les ravins et zones très abruptes, la biodiversité se réduit et le Grand Tétras, par exemple, disparaît. Par ailleurs, la feuille de hêtre est très acide, et elle met deux à trois ans à se décomposer sur le sol. Une hêtraie occulte la lumière à 80%, le sous-bois est vide. Dimitri se demande si une hêtraie-sapinière engendre un climax stable pendant des milliers d'années, jusqu'à ce qu'un changement climatique la supprime ? Le site en lien indique que le terrain et le climat influent, certes, mais à l'heure actuelle, c'est surtout l'homme qui transforme les paysages (jusqu'à les désertifier par endroits). En Provence, c'est le pin d'Alep qui prend l'hégémonie avec la déprise agricole. Il y a 4000 ans, à Iraty, il y avait du chêne, du noisetier, de l'aulne, et très peu de hêtre. - Photos : Un vieux tronc percé de partout. Gousse du dompte-venin avec ses graines. -
Nous observons la structure des graines du dompte-venin, "conçue" pour qu'elles s'éparpillent au loin avec le vent grâce à leur légèreté et leur toupet cotonneux. Dimitri nous apprend à déceler la présence du chamois en repérant ses petites crottes rondes terminées par une pointe, à ne pas confondre avec celles du lièvre variable, parfaitement sphériques et ligneuses. Dans les éboulis, plusieurs espèces de plantes se sont adaptées à cet environnement instable et mouvant : le laser de France aux curieux fruits-fleurs en tourniquets à pétales blanc rosé, le panicaut ou chardon bleu, pourvu de feuilles aux piques acérées, le pigamon. Elles ont toutes opté pour un fort enracinement allongé assurant la stabilisation du substrat et permettant l'installation d'espèces compagnes qui n'auraient pas pu vivre dans ce milieu sans leur présence. Aussi, ces plantes peuvent alors bouger avec le support instable lors de perturbations. - Photos : Crotte de chamois - Laser de France (plante d'éboulis). -
La jolie scabieuse attire les papillons et elle a des vertus médicinales avérées. Utilisée autrefois contre les maladies de peau, on apprécie aujourd'hui ses propriétés : Expectorant, stomachique, vulnéraire, tonique, sudorifique, dépuratif, astringent, digestif. Une éphippigère mâle (une sorte de sauterelle dont le thorax est relevé en forme de selle, d'où son nom) stridule avec ses ailes atrophiées en forme de grosses écailles colorées sur son dos, l'une faisant office d'archet et l'autre de corde vibrante. Le son très caractéristique est composé de deux notes, d'où son surnom de 'tizi', pour l'éphippigère des vignes, moins douée que la provençale qui émet une stridulation ponctuée de 4 ou 5 accents. Relique de la faune post-glaciaire chaude, ces insectes primitifs sont reconnaissables au fait que la tête, le thorax et l'abdomen y sont à peine segmentés. Ils ne font pas l'objet d'une métamorphose. Leurs oeufs libèrent un jeune insecte qui diffère peu de l'adulte et se contentera de grandir sans jamais disposer d'ailes. Ce handicap empêchera l'espèce de coloniser de vastes espaces et d'afficher la suprématie terrestre des insectes ailés (Pierre Douzou). - Photo : Sauterelle non identifiée. -
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Organisateur guide naturaliste, Dimitri Marguerat, avec un groupe d'une dizaine de personnes | Diois et Vercors |
18 septembre 2010 |