Le
quatrième jour, Jean-Louis insiste pour que nous allions randonner
au Mont-Aiguille, la montagne emblématique du Vercors. Comme les Jumeaux
d'Hendaye isolés en mer loin de la falaise côtière,
je lis sur un panneau que c'est une butte témoin de l'ancienne
extension des hauts plateaux
du Vercors.
Il
en a été séparé par
le travail de l'érosion. Là où la présence
de deux failles affaiblit la roche, le creusement des vallons par les
torrents a fait
reculer la falaise bordant le plateau, laissant le Mont Aiguille en position
avancée. Le sommet en est d'ailleurs curieusement plat et recouvert
de pelouse où deux jeunes alpinistes qui nous croisent nous disent avoir
passé la nuit. Pendant le pique-nique, nous observons plusieurs équipes
en train d'escalader ses parois vertigineuses. Durant notre lente montée
jusqu'à un versant opposé d'où nous jouirons d'une vue magnifique sur
le pic, Dimitri repère
une palombe, un chardonneret. Dans le sous-bois poussent
des lactaires et des pieds-de-mouton.
Il
essaie de nous faire sentir la différence entre le chant d'un
grimpereau des bois et celui d'un roitelet
triple bandeau. Il nous explique que celui-ci varie selon qu'il s'agit
d'un cri de ralliement social ou bien pour la défense du territoire,
circonstance qui dépend bien sûr de la saison. De concert
avec la jolie mésange
huppée, ces petits oiseaux sylvestres
s'associent pour exploiter les ressources, et
peuvent ainsi mieux
surveiller en même temps les prédateurs. Dimitri fait
résonner le chant
à travers un haut-parleur, mais l'oiseau se tient éloigné
: un
appeau,
électronique ou pas, ne fonctionne véritablement bien
qu'en période
de reproduction. - Photo : Mante religieuse.
-
Voyant
passer un
pic noir, le plus gros pic d'Europe, il évoque sa collaboration
originale avec la chouette de Tengmalm. Celle-ci
habite surtout les vieilles forêts de conifères
et niche très souvent dans les trous de Pic noir dont la densité est
fonction de l’abondance des ressources
alimentaires, principalement des fourmis, mais aussi des coléoptères
xylophages. Ainsi, le nombre de « loges » disponibles
et l’abondance des
pics exercent une influence incontestable sur l’importance des densités
locales de la Chouette de Tengmalm qui est également dépendante
de celle des micromammifères forestiers dont elle se nourrit.
Comme d’autres rapaces, la Chouette de Tengmalm adopte une stratégie
basée sur une reproduction tantôt forte, lors des périodes
d’abondance de ses proies, tantôt faible à nulle, lors
des années de disette où elle peut aussi migrer. Nous continuons
notre marche tout en observant voler dans le ciel un crave à bec
rouge, un aigle royal, un grand corbeau. En bordure de sentier poussent
du raisin d'ours, des lactaires des pins
orangés, des orchidées Sabots de Vénus dont Dimitri
nous signale qu'il n'y a qu'une seule station dans les Pyrénées,
près
de Formigal, étroitement surveillée, et qu'il ne faut pas
confondre avec le Nombril de Vénus, une plante de murailles qui
n'a aucune parenté
avec la précédente. A l'horizon, nous admirons un paysage
grandiose, avec à l'horizon le Grand Veymont, les Alpes, le Devoluy, les
Ecrins.
Le
dernier jour, nous ne ferons que de petites marches, après cette grande
randonnée de la veille. Dimitri nous
amène d'abord au Rio Sourd, un petit ruisseau grossi d'un affluent issu
du cirque d'Archiane, d'un autre du col de Menée et d'un autre
du vallon de Combau, qui a creusé la Gorge des Gâts sur la commune de
Treschenu-Creyers que nous explorons décidément sous toutes les coutures.
C'est dommage que nous ne soyons pas équipés de combinaisons,
nous aurions pu y faire du canyoning, le site est spectaculaire.
Près de l'endroit où il se jette dans une autre rivière, Dimitri a repéré
une construction remarquable : il s'agit d'un très important barrage
de castor, dont il nous montre sur les berges des troncs minces sectionnés
de façon caractéristique en forme de pointe de crayon.
C'est
d'ordinaire en Amérique du Nord que leur activité industrieuse se manifeste
aussi
visiblement. Un membre du groupe repère soudain un mouvement dans l'eau
et nous nous précipitons pour voir s'il ne s'agirait pas par hasard d'un
petit. A force de patience, nous finissons par voir qu'il ne s'agit que
d'une sorte de rat d'eau à la longue queue. Dommage ! -
Photo : Alpinistes qui font de la varappe sur une paroi du Mont-Aiguille.
-
Un
peu plus loin, nous découvrons un lieu au nom amusant, les Sucettes de
Borne, appelées localement
Les Aiguilles. Ces roches verticales, assez
fréquentes dans le Diois, se sont formées en trois étapes.
Pendant 135 millions d'années,
les sédiments
se sont accumulés en strates successives au fond de la mer qui se trouvait
là à cette époque. Durant ce processus, les différentes
couches se sont transformées en roches plus ou moins solides. Depuis 65 millions
d'années, le soulèvement des Alpes arrive
insensiblement à fracturer,
plisser et charrier les roches dont certaines parties se sont
redressées.
L'érosion
qui s'exerce en permanence n'a épargné que
les strates les plus dures dont il ne reste que d'étroites barres
de calcaire dur, les marnes tendres ont complètement disparu. Le site
est relativement circonscrit et nous décidons de monter un moment, pour le
plaisir. L'averse nous surprend près d'un gîte et, après avoir attendu qu'elle
diminue d'intensité, nous redescendons avec la surprise (réciproque) de trouver
sur notre chemin une mignonne salamandre qui se sauve à toutes pattes entre
les herbes sitôt reposée à terre. -
Photo : Salamandre. -
Je ne peux refermer la page sur mes souvenirs
sans évoquer enfin une activité importante dans le Diois, la culture
des plantes à parfum, aromatiques et médicinales (PPAM dans le jargon
professionnel). Il se trouve que le fils de notre logeuse est justement
en train de faire
la
récolte
de
la
mélisse,
dont
la pousse
a été perturbée, si je me souviens bien, par des intempéries. Cette production des
PPAM représente en France quelques 33 000 hectares répartis sur trois
régions, un secteur très
concurrencé par les pays de l'Est et méditerranéens qui proposent des
soit-disant "herbes de Provence" cinq fois moins cher.
En Rhône-Alpes, cette tradition ne remonterait qu'à la première
moitié du 20ème siècle. Dans
les années 70,
une culture de PPAM biologique
s'est développée, surtout
en Ardèche et dans la Drôme et représente actuellement
50% de la production du
Diois.
Dans la Drôme,
deux groupements se chargent de centraliser la production
des exploitations adhérentes et de revendre des matières
premières
fraîches, congelées ou séchées, ou des produits
semi-finis ou finis : la
SICA (Société d’Intérêt
Collectif Agricole) Bioplantes, fournisseur de Sanoflore et la Coopérative
des Plantes Aromatiques du Diois. A Châtillon même, c'est l'Herbier
du Diois qui encourage les producteurs à la diversité des
cultures et refuse la facilité du modèle unique. Les risques
sont ainsi limités et le travail réparti tout au long de l'année.
Il
soutient les cultures annuelles (coriandre, fenouil, bleuet) et les
cultures pérennes
(lavande, thym, cassis) qui peuvent mettre jusqu'à cinq ans avant
d'être récoltées.
La spécificité de
la culture biologique est de faire majoritairement appel à des exploitations
de taille réduite, ce qui correspond à la situation de ce
pays de moyenne montagne et explique pourquoi la Drôme est la première
région de culture biologique en France. -
Photos : Les Sucettes de Borne - Traces des larves d'un insecte sous l'écorce
d'une branche de
pin. -
Petit retour en arrière. Une compagne
de l'atelier de botanique de l'Université du temps libre d'Anglet se
plaignait amèrement de l'état de ses primevères (plantées) qui étaient
dévorées par les limaces ou escargots de son jardin, alors que les miennes
(sauvages, ou naturellement semées depuis d'autres jardins) sont intactes.
Les cerfs, chevreuils, bouquetins, et a fortiori les sangliers, ont une
alimentation variée, adaptée à nos régions. Ils se nourrissent aussi
bien d'herbe que de jeunes pousses d'arbres ou de faînes et fruits divers.
Autrefois, leur nombre était naturellement limité par la présence de
grands prédateurs, le loup, l'ours, le lynx et l'aigle que nous nous
sommes évertués à faire disparaître. Le mouton est une espèce invasive
en provenance des pays méditerranéens, et nous avons modelé nos paysages
pour les adapter à son alimentation. Le département de l'Isère a pour
politique de maintenir sur le Vercors un paysage ouvert, c'est
à dire des pâturages et des lieux de promenade offrant une large vue
(ou des pistes de ski dégagées) pour
les touristes. Le département de la Drôme s'inquiète de l'irrégularité
du cours de ses rivières car la population humaine de plus en plus dense
a colonisé
leurs
berges parfois dévastées par des inondations. C'est ennuyeux que ces
deux départements réfléchissent séparément, car les rivières drômoises
dépendent étroitement des fortes précipitations qui tombent sur le Vercors,
et ce dernier, livré plus rudement aux intempéries, vent, pluie, neige,
gel, en raison de la déforestation intensive, se trouve attaqué plus
fortement par l'érosion. Il me semble que la question du débit des rivières
devrait être traitée conjointement avec celle d'un reboisement (naturel
ou artificiel) de nos montagnes, et que l'implantation humaine devrait
revenir à la sagesse d'antan, où les villages étaient perchés à l'abri
sur les hauteurs, offrant ainsi aux rivières une latitude d'évolution
et la possibilité de faire leur lit où bon leur semblait. -
Photo : Dimitri sur le barrage d'un castor. -
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Organisateur guide naturaliste, Dimitri Marguerat, avec un groupe d'une dizaine de personnes | Diois et Vercors |
18 septembre 2010 |